DROIT

Green deal ou green washing ? Le droit de l’environnement à l’épreuve du marché

Green deal ou green washing ? Le droit de l’environnement à l’épreuve du marché
Publié le 09/05/2025 à 18:04

TRIBUNE. Alors que le Gouvernement entame un processus de détricotage du droit de l’environnement pour permettre aux agriculteurs de retrouver une rentabilité, vouloir supprimer ces normes pour être compétitif n’est qu’une illusion qui a pour but de satisfaire des intérêts de marché, estime Virgil Auger, élève-avocat. Ce qui est, affirme-t-il, profondément en conflit avec le droit de l’environnement, qui vise justement à protéger l’intérêt général.

Pour répondre à une chute de la compétitivité en France et s’assurer de pouvoir rivaliser sur la scène européenne et internationale, l’une des idées phares du gouvernement consiste à simplifier les procédures environnementales, en supprimant normes et contrôles, dans le but de rassurer les investisseurs et accélérer une réindustrialisation fantasmée. Cette idée repose sur une vision court-termiste, qui n’envisage rien de bon ni pour les citoyens, ni pour le climat et la biodiversité, et encore moins pour les agriculteurs.

S’agissant de l’agriculture précisément, le Gouvernement entame également un processus de détricotage du droit de l’environnement et de ses normes dans l’espoir de permettre aux agriculteurs de retrouver une rentabilité dénuée de toutes contraintes.

En poussant ce raisonnement à son paroxysme, c’est à dire en supprimant toutes les normes environnementales et les contraintes étatiques, les agriculteurs français pourraient-ils raisonnablement rivaliser avec le Brésil, les Etats-Unis, voire la Chine ? Il est évident que la réponse est négative.

Il convient de rappeler une limite matérielle et géographique : la France a une superficie 15 fois inférieure à celle du Brésil, 17 fois celle de la Chine ou encore 18 fois par rapport aux Etats-Unis. Même en supprimant les normes environnementales et le droit de l’environnement, la France ne pourrait rivaliser avec ces mastodontes en termes d’agriculture.

A l’échelle européenne, ces trois pays sont au minimum deux fois plus grands que toute l’Union réunie. C’est justement au niveau européen qu’il convient d’agir, prendre les devants pour construire un modèle écologiquement et économiquement responsable, sans faire cette course effrénée et perdue d’avance à la compétitivité mondialisée avec les autres pays.

Néanmoins, il semble que ce soit le cap soit également envisagé par l’Union européenne. En effet, le Parlement européen souhaite réviser plusieurs législations européennes (Taxonomie verte, CS3D, CSRD) par son projet de législation dite « Omnibus », qui vise à supprimer des normes européennes sous prétexte de promouvoir la compétitivité des entreprises et industries européennes.

Dès lors, vouloir supprimer ces normes pour être compétitif sur le marché n’est qu’une illusion qui a pour but de satisfaire des intérêts de marché. Et c’est profondément en conflit avec le droit de l’environnement, qui vise justement à protéger les ressources, les écosystèmes, la santé, et plus généralement l’intérêt général. Ce ne sont donc pas tant les normes qui posent problème, mais le système qu’il convient de questionner.

Le danger d’une simplification des normes environnementales sur l’agriculture...

Le Sénat souhaite accélérer cette grande fuite en avant de la simplification. Tout d’abord, le projet de loi agricole du 18 février 2025 insère dans son article 1er la notion de souveraineté alimentaire comme « intérêt fondamental de la Nation » et en affirmant que l’agriculture, la pêche et l’aquaculture sont « d’intérêt général majeur ».

Si l’article 2, qui introduisait le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, a été censuré par le Conseil Constitutionnel pour méconnaissance de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, tel n’est pas le cas de ces notions invoquées à l’article 1er. Ces notions restent vagues et constituent une matrice dangereuse dès lors qu’elles peuvent s’étendre à de nombreuses velléités politique.

S’il est louable de soutenir que la souveraineté alimentaire soit un intérêt fondamental de la Nation, encore faut-il savoir ce que le législateur considère comme entrant dans la définition de « souveraineté alimentaire ».

Si l’on considère que les terres agricoles du territoire doivent pouvoir permettre de nourrir l’ensemble de la population, alors, avec un potentiel nourricier de 130 %, la France dispose en théorie d’assez de terres agricoles pour nourrir sa population. Toutefois, elle exporte la production de 43 % de ses terres (12 millions d’hectares). La France importe aujourd’hui l'équivalent de 10 millions d’hectares de terres, pour notre alimentation.

Dès lors, il convient de se demander quelles sont les velléités politiques derrière la reconnaissance de la souveraineté alimentaire. Supprimer l’ensemble des normes environnementales pour gagner en compétitivité est particulièrement dangereux si l’objectif est d’augmenter la production, sans contraintes et avec des pesticides, pour exporter la production à meilleur prix. Dans ce cas, il n’y a aucune volonté réelle d’assurer la souveraineté alimentaire des Français mais seulement d’enrichir une partie des producteurs sur le marché au détriment de la population et des protections environnementales associées.

Si l’objectif final est de s’astreindre de toutes les contraintes environnementales pour satisfaire une agriculture « intensive » alors ces mesures sont contreproductives dès lors qu’elles exposent directement les populations à une recrudescence de l’usage de pesticides et à une forte dégradation de la fertilité des terres sur le moyen et le long terme.

Il convient de rappeler que le tribunal administratif de Paris a déjà constaté une « diminution de la biomasse en raison de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques » tout en rappelant que « les insectes rendent de nombreux services écosystémiques dont dépend largement l'humanité ».

Et même si l’on raisonnait du seul point de vue de l’économie et la compétitivité, le fait d’affaiblir la qualité des sols n’est pas une politique rentable sur plusieurs années, puisqu’il faudra davantage de pesticides et de ressources pour produire une quantité égale. Cette idéologie va donc à l’encontre du principe de précaution, consacré à l’échelon national et européen.

Surtout, cette idéologie expose le droit de l’environnement et les normes qui en découlent comme une contrainte, alors qu’il s’agit de précisément l’inverse : les normes nous protègent. Elles nous protègent pour limiter l’usage des pesticides, pour vérifier le contenu de nos assiettes et pour vérifier la préservation de la ressource en eau. Ces normes nous protègent comme elles protègent la société et visent un intérêt général. Elles permettent justement de protéger la santé et la salubrité publiques, deux piliers fondateurs de l’ordre public.

C’est d’ailleurs en ce sens que la Commission a adopté un règlement sur la restauration de la nature afin de contribuer au rétablissement à long terme de la nature endommagée dans les zones terrestres et maritimes de l’UE, d’atteindre les objectifs de l’UE en matière de climat et de biodiversité et de respecter les engagements internationaux de l’UE, en particulier ceux du cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal (Nations unies). Ce texte avait été adopté après le constat que plus de 80 % des habitats européens sont en mauvais état. Ces normes visent donc à protéger les écosystèmes et à satisfaire un intérêt général.

La chambre haute instaure également dans son article 13 que seules les destructions intentionnelles d’espèces protégées seront sanctionnées pénalement. Autrement dit, il sera nécessaire de démontrer la destruction volontaire de ces espèces pour encourir une sanction pénale, ce qui rend difficile voire impossible une action.

Les atteintes jugées « non intentionnelle » ne seront passibles que d’une amende administrative de 450 euros maximum, amende dérisoire au vu de l’impact engendré et des ressources financières dont disposent les exploitants des ICPE.

Enfin, la haute chambre a voté pour l’inscription dans la loi du principe du « pas d’interdiction sans solution », qui vise à empêcher de proscrire un produit phytosanitaire s’il n’est pas remplaçable par un autre produit, principe qui ne méconnait pas le droit de vivre dans un environnement sain selon le Conseil Constitutionnel.

Or, le fait de dépénaliser voire d’astreindre à une amende d’un montant insignifiant envoie des signes clairs sur les normes environnementales : elles peuvent délibérément être méconnues sans que les conséquences ne soient inquiétantes pour ceux qui les enfreignent. Il en est de même des mesures visant à réduire les surfaces agricoles en bio, le législateur souhaite promouvoir l’intensification de la production et la compétitivité par rapport à la protection de l’environnement et des citoyens.

... et sur l’industrialisation

Pour mettre en place la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, le gouvernement a pris trois décrets la veille du deuxième tour des législatives, à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024.

Plus particulièrement, le décret n° 2024-742 du 6 juillet 2024 portant diverses dispositions d’application de la loi industrie verte vise à opérer de nombreuses simplifications en matière d’environnement. L’une de ses mesures phare consiste à supprimer les garanties financières pour les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises à autorisation et enregistrement.

L’objectif principal de cette mesure est de permettre aux industriels d’éviter de consigner une somme d’argent importante en cas de dommage environnemental, ce qui constituerait un frein à l’investissement et au développement des ICPE sur le territoire national.

Toutefois, c’est précisément pour lutter contre les sites industriels pollués et abandonnés, qualifiés de sites « orphelins », que les garanties financières ont été mises en place. En effet, ces sites présentent parfois un danger environnemental ou sanitaire tel que l’État n’a d’autre alternative que de prendre à sa charge des actions de réhabilitation.

Pour que ces situations demeurent exceptionnelles, il convenait de limiter au maximum le risque que des exploitants s’abstraient de leurs responsabilités environnementales et fassent apparaître de nouveaux sites orphelins. C’est donc sur le fondement du principe « pollueur – payeur » que les garanties financières sont nées. Elles présentent l’avantage de préserver autant que possible le budget de l’État de la charge de la nécessaire mise en sécurité des sites orphelins qu’elle supporte.

En supprimant ces garanties, les dégâts environnementaux causés par ces installations devront alors être supportés par l’Etat et in fine les contribuables et non plus par le pollueur lui-même.

Or, en 2020, en France, on dénombre 1 417 accidents ou incidents impliquant des ICPE. 68 % de ces accidents ont conduit à des rejets de matières de dangereuses ou polluantes dans les eaux.

Les risques inhérents à ces installations nécessitent justement des garanties en cas d’accident. Dès lors, la lente construction des normes environnementales en réaction aux dommages environnementaux est justement une protection fondamentale du citoyen, des écosystèmes et de l’environnement dans lesquels s’insèrent ces installations.

Les supprimer revient à privilégier une approche court-termiste de la compétitivité, à rassurer les investisseurs et industriels, mais les conséquences à moyen terme seront désastreuses pour les sols, la biodiversité, les citoyens, et, in fine, sur l’économie française.

Dans la même idée, l’un des potentiels freins à la compétitivité serait lié aux procédures environnementales trop longues pour attirer les investisseurs.

On peut citer l’exemple du projet de décret prorogeant le délai d’application de l’article 27 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables qui vise à « simplifier », certaines procédures, pour « accélérer » la mise en œuvre d’un projet.

Ce projet vise à déroger certaines procédures de participation du public : les projets de raccordement peuvent faire l’objet d’une concertation préalable organisée par le représentant de l’État dans le département, en lieu et place des procédures classiques de participation du public.

Le décret susmentionné permettrait également de déroger à l’obligation de l‘évaluation environnementale : certains projets d’ouvrage de transport d’électricité nécessaires au raccordement de projets situés sur des sites dont la liste est déterminée par décret peuvent être dispensés de la procédure d’évaluation environnementale.

Or il convient de rappeler que c’est précisément ce type de procédures qui permet d’assurer des garanties de protection de la population et des écosystèmes. Supprimer l’évaluation environnementale, quand bien même par dérogation, revient à affaiblir considérablement le droit de l’environnement et les protections inhérentes à ces principes. C’est en ce sens qu’un projet de décret du Ministère de la transition écologique, soumis à la consultation du public jusqu'au 2 mai 2025 vise à supprimer l’évaluation environnementale pour les procédures relatives aux plans de prévention des risques naturels (PPRN), technologiques (PPRT), et miniers (PPRM).

S’il n’est pas totalement incohérent de s’interroger sur la longueur de telles procédures, il semble davantage pertinent de projeter un calendrier en amont, voire un délai à respecter, pour donner une visibilité aux porteurs de projet. En revanche, supprimer ces mesures environnementales n’a d’effet que d’appauvrir la santé, la sécurité des personnes et des écosystèmes ainsi que le processus de prise de décision.

D’autant plus que ces dérogations se font sur la construction de notions juridiques au contour flou, comme la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), les projets d’envergure nationaux ou européens (PENE) ou encore les projets d'intérêt national majeur (PINM), dont la construction juridique particulièrement délicate à définir et délimiter, conduit les juges administratifs à devoir se prononcer au cas par cas. C’est d’ailleurs sur le fondement de la RIIPM que le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’autorisation environnementale de l’A69.

Omnibus, une régression du droit de l’environnement à l’échelon européen

Dans la récente boussole pour la compétitivité, la Commission a exposé sa vision pour rendre l’économie de l’UE plus prospère et plus compétitive, en s’appuyant sur les recommandations du rapport Draghi, ce qui conduit à un recul très important des normes environnementales.

Concernant la Directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises (CSDDD) et la Directive sur la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises (CSRD), la Commission européenne a proposé des modifications, au travers d’un projet de loi Omnibus, qui affaiblissent considérablement leur portée.

Le projet Omnibus réduit considérablement la portée de la directive CSDDD en excluant les relations commerciales indirectes du champ d’application pour les entreprises. Pourtant, ce sont justement ces relations avec les sous-traitants, souvent situés en bout de chaîne et sur lesquels les moyens de contrôle sont les plus limités, qui sont le plus susceptibles de donner lieu à des violations graves des droits des travailleurs, des droits humains et des normes environnementales.

Le principe fondateur de la directive – responsabiliser les donneurs d’ordre vis-à-vis de l’ensemble de leur chaîne de sous-traitance – est ainsi remis en cause, puisque seules les relations avec les partenaires commerciaux directs restent concernées, sauf en cas de preuve explicite d’un impact négatif. Or, ce principe visait précisément à instaurer une vigilance sur l’ensemble de la chaîne de production afin de prévenir de telles dérives. En excluant les relations indirectes, la directive perd une part essentielle de sa substance.

De plus, les obligations de diligence raisonnable sont fortement allégées, avec un rythme d’évaluation passant d’un an à cinq ans et l'effacement de l'obligation de rompre une relation d'affaires en dernier recours. La responsabilité civile des entreprises est laissée à l’appréciation des États membres, rendant difficile l’action de la société civile.

Pourtant, c’est précisément grâce à la loi la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, que des recours ont été possibles concernant les politiques environnementales et les plans de vigilances de plusieurs entreprises, dont Total, sur le fondement de l'article L. 225-102-4 du Code de commerce, qui fonde le devoir de vigilance des entreprises.

Si la France est pionnière en matière de devoir de vigilance, la directive européenne avait un champ d’application plus étendue. Dès lors, la législation Omnibus va considérablement réduire la portée de la directive et des entreprises susceptible de répondre à ces impératifs en France, mais surtout dans tous les autres pays européens qui ne disposent pas d’une norme nationale semblable. En tout état de cause, cette législation va affaiblir les moyens de contrôle et les recours possibles de la société civile pour faire respecter le devoir de vigilance aux entreprises européennes.

En ce qui concerne la CSRD, la proposition réduit le nombre d'entreprises concernées de 80 à 85 %, en limitant l'obligation de reporting extra-financier aux seules sociétés de plus de 1 000 salariés, ayant un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros ou un bilan net de 25 millions d'euros. Actuellement, les entreprises de plus de 250 salariés étaient tenues de présenter leur rapport extra-financier à partir du 1er janvier 2026, mais la nouvelle proposition exonérerait 80 % des sociétés de cette obligation, les laissant libres de s’y soumettre sur une base volontaire.

Par ailleurs, les normes sectorielles, qui ciblaient en priorité les industries les plus polluantes comme le secteur extractif, sont supprimées, entraînant une perte d’informations essentielles pour orienter les financements vers une transition climatique juste. Encore une fois, ce sont précisément ces informations qui permettent à l’ensemble de la société civile de se saisir de vérifier les activités et les financements des entreprises et de saisir les juges si nécessaire. Sans ces informations permettant une certaine transparence, il est difficile de faire respecter le droit à ces entreprises ce qui peut provoquer des situations abusives, à l’origine de ladite directive.

Ces modifications s'inscrivent dans une stratégie plus vaste de la Commission européenne, qui cherche à simplifier la vie des entreprises en réduisant leurs charges administratives de 25 %, voire de 35 % pour les PME. Cela passe par un allégement des règles sur les chaînes de valeur, la taxation aux frontières et la taxonomie.

Ainsi, la Commission propose de modifier le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM) : un seuil annuel d’importation en dessous de 50 tonnes exonérerait 90 % des importateurs, tout en couvrant 99 % des émissions totales dans les secteurs-clés (fer, acier, aluminium, ciment, engrais). Par ailleurs, un projet d'acte délégué sur la taxonomie simplifierait les modèles de déclaration en réduisant de 70 % les points de données requis.

Ces « allègements » sont présentés par la Commission comme un moyen d'économiser 6 milliards d'euros de coûts administratifs annuels et de mobiliser 50 milliards d'euros d'investissements publics et privés. Toutefois, ces économies hypothétiques sont d’une vision court-termiste pour tenter de concurrencer des pays où le niveau de protection est bien plus faible qu’en Europe. C’est une stratégie de détricotage du droit par un nivellement des protections par le bas, ce qui est très dangereux à moyen et long terme. En tout état de cause, il n’est pas exclu que cette stratégie de suppression de normes soient contraires au principe de non-régression en droit de l’environnement, reconnu par l’Union Européenne depuis 2011.

Si la logique de marché, dérégulé et totalement connecté et mondialisé, se heurte au droit de l’environnement, c’est que le paradigme actuel arrive à une impasse et qu’il convient d’imaginer de nouveaux modèles, permettant d’utiliser le droit de l’environnement non pas comme une contrainte, mais comme une atout de protection du vivant, des écosystèmes, des personnes et de la production par les entreprises.

Le paradigme européen sur la notion de compétitivité à réinventer

Comme le constate le professeur Olivier Clerc, « en réaction à l’urgence écologique, la notion de ‘communs’ connaît un impressionnant regain d’intérêt », en particulier en droit de l’environnement.

Les communs désignent des formes d'usage et de gestion collective d'une ressource ou d'une chose par une communauté. Cette notion permet de sortir de l'alternative binaire entre privé et public en s'intéressant davantage à l'égal accès et au régime de partage et décision plutôt qu'à la propriété. Elle repose sur l’idée que la propriété en commun peut s’avérer plus efficace, plus juste et plus durable que la propriété privée ou publique. Les communs apparaissent ainsi de plus en plus souvent comme un mode de propriété alternatif aux deux modes de propriété les plus courants (privée et publique), permettant la préservation des ressources. Les communs concernent non seulement les ressources (eau, électricité…) mais aussi le logement, les services (bibliothèques, transports), les espaces publics (jardins, parcs, musées…) et le patrimoine immatériel. C’est de ce dernier domaine que relèvent les communs de la connaissance (creative common, logiciel libre...).

Cette notion n’est pas totalement nouvelle. Le code Justinien en 535 après JC définissait quatre types de propriété pour les choses qui nous entourent :res nullius : n’appartenant à personne, res privatae appartenant à des individus, res publicae appartenant à l’Etat, res communes appartenant à tous, comme l’eau ou l’air. Ces biens étant communs, ils devraient être gérés par tous et pour tous.

Elinor Ostrom[1], prix Nobel d’économie en 2009 en théorisant la notion de communs, rappelle que les règles doivent être claires, collectives, modifiables par les personnes concernées et les outils pour résoudre les conflits doivent être facilement accessibles.

L’exemple de l’État d’Oman qui gère collectivement sa ressource en eau depuis 16 siècles est une opportunité à envisager, surtout en plein désert. Redéfinir concrètement la propriété commune, en l’excluant des logiques de marché peut conduire à se réapproprier le droit de l’environnement non pas comme une contrainte mais comme une arme, nécessaire pour protéger ces ressources fondamentales. Pourtant, la tendance vise à vouloir privatiser l’accès à la ressource en eau, comme les projets de mégabassines, dont 4 ont été annulées par la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Dans ce cas, le droit de l’environnement est vu comme une contrainte à simplifier, alors qu’il est précisément une force pour protéger cette ressource commune.

S’agissant de l’industrialisation, la compatibilité entre les impératifs industriels et les enjeux climatiques est une question cruciale. Si la production de masse peut offrir des solutions en matière de pouvoir d'achat, elle ne répond pas aux exigences de la transition climatique. L'enjeu environnemental est souvent abordé sous l'angle de la contrainte, sans considérer les opportunités de construire un modèle alternatif.

L'Europe, bien que plus avancée que les États-Unis et l'Asie sur ces questions de production, manque de cohérence dans ses politiques d'importation dès lors que les règles sont moins strictes. C’était pourtant le but premier de ces directives européennes, aujourd’hui visées par la simplification Omnibus : s’assurer de la cohérence avec le droit européen sur toute la chaîne de production[2]. Ces règles visent à protéger et non à contraindre.

Il convient de rappeler que, si les marchandises peuvent circuler librement au sein de l'Union européenne, les Etats membres ont la possibilité de restreindre, voire d'interdire, l'importation, l'exportation ou le transit de certain biens pour « des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux […] ».

Certains industriels commencent à repenser leurs processus de production, mais ces initiatives restent marginales. De nombreux produits ne sont pas conçus pour être réparables ou recyclables, et les filières de recyclage demeurent insuffisamment développées. C'est dans ce contexte que la question du récit et de l'imaginaire prend toute son importance, permettant de définir des alternatives et des contre-modèles viables.

La notion de « commun », tout comme celle de « marché », repose sur une construction théorique. Le rôle du droit est précisément de structurer ces concepts abstraits pour leur conférer une portée normative et tangible. En ce sens, bâtir un cadre juridique autour de ces notions revient à esquisser les contours d’un idéal à venir. Or, la rencontre entre le droit de l’environnement et les logiques de marché montre aujourd’hui ses limites : elle débouche sur une impasse, tant conceptuelle que pratique. Cela appelle à un changement de paradigme, seul à même d’ouvrir une voie réellement soutenable et conforme aux engagements climatiques, notamment ceux issus de l’Accord de Paris.

 

Virgil Auger, élève-avocat

(article rédigé sous la direction de Christian Huglo, avocat)

 



[1] Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action", publié en 1990

[2] Directive sur la diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises (CSDD)

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