TRIBUNE. Alors que le
Gouvernement entame un processus de détricotage du droit de l’environnement pour
permettre aux agriculteurs de retrouver une rentabilité, vouloir supprimer ces
normes pour être compétitif n’est qu’une illusion qui a pour but de satisfaire
des intérêts de marché, estime Virgil Auger, élève-avocat. Ce qui est,
affirme-t-il, profondément en conflit avec le droit de l’environnement, qui
vise justement à protéger l’intérêt général.
Pour répondre à une chute de
la compétitivité en France et s’assurer de pouvoir rivaliser sur la scène
européenne et internationale, l’une des idées phares du gouvernement consiste à
simplifier les procédures environnementales, en supprimant normes et contrôles,
dans le but de rassurer les investisseurs et accélérer une réindustrialisation fantasmée.
Cette idée repose sur une vision court-termiste, qui n’envisage rien de bon ni
pour les citoyens, ni pour le climat et la biodiversité, et encore moins pour
les agriculteurs.
S’agissant de l’agriculture
précisément, le Gouvernement entame également un processus de détricotage du
droit de l’environnement et de ses normes dans l’espoir de permettre aux
agriculteurs de retrouver une rentabilité dénuée de toutes contraintes.
En poussant ce raisonnement à
son paroxysme, c’est à dire en supprimant toutes les normes environnementales
et les contraintes étatiques, les agriculteurs français pourraient-ils
raisonnablement rivaliser avec le Brésil, les Etats-Unis, voire la Chine ?
Il est évident que la réponse est négative.
Il convient de rappeler une
limite matérielle et géographique : la France a une superficie 15 fois
inférieure à celle du Brésil, 17 fois celle de la Chine ou encore 18 fois par
rapport aux Etats-Unis. Même en supprimant les normes environnementales et le
droit de l’environnement, la France ne pourrait rivaliser avec ces mastodontes
en termes d’agriculture.
A l’échelle européenne, ces
trois pays sont au minimum deux fois plus grands que toute l’Union réunie. C’est
justement au niveau européen qu’il convient d’agir, prendre les devants pour
construire un modèle écologiquement et économiquement responsable, sans faire
cette course effrénée et perdue d’avance à la compétitivité mondialisée avec
les autres pays.
Néanmoins, il semble que ce
soit le cap soit également envisagé par l’Union européenne. En effet, le
Parlement européen souhaite réviser plusieurs législations européennes (Taxonomie
verte, CS3D, CSRD) par son projet de législation dite « Omnibus »,
qui vise à supprimer des normes européennes sous prétexte de promouvoir la
compétitivité des entreprises et industries européennes.
Dès lors, vouloir supprimer
ces normes pour être compétitif sur le marché n’est qu’une illusion qui a pour
but de satisfaire des intérêts de marché. Et c’est profondément en conflit avec
le droit de l’environnement, qui vise justement à protéger les ressources, les
écosystèmes, la santé, et plus généralement l’intérêt général. Ce ne sont donc
pas tant les normes qui posent problème, mais le système qu’il convient de
questionner.
Le danger d’une
simplification des normes environnementales sur l’agriculture...
Le Sénat souhaite accélérer
cette grande fuite en avant de la simplification. Tout d’abord, le projet
de loi agricole du 18 février 2025 insère dans son article 1er
la notion de souveraineté alimentaire comme « intérêt fondamental de la
Nation » et en affirmant que l’agriculture, la pêche et l’aquaculture sont « d’intérêt
général majeur ».
Si l’article 2, qui
introduisait le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, a
été censuré
par le Conseil Constitutionnel pour méconnaissance de l’objectif à valeur
constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, tel n’est pas
le cas de ces notions invoquées à l’article 1er. Ces notions restent
vagues et constituent une matrice dangereuse dès lors qu’elles peuvent
s’étendre à de nombreuses velléités politique.
S’il est louable de soutenir
que la souveraineté alimentaire soit un intérêt fondamental de la Nation,
encore faut-il savoir ce que le législateur considère comme entrant dans la
définition de « souveraineté alimentaire ».
Si l’on considère que les
terres agricoles du territoire doivent pouvoir permettre de nourrir l’ensemble
de la population, alors, avec un potentiel nourricier de 130 %, la
France dispose en théorie d’assez de terres agricoles pour nourrir sa
population. Toutefois, elle exporte la production de 43 % de ses terres (12
millions d’hectares). La France importe aujourd’hui l'équivalent de 10 millions
d’hectares de terres, pour notre alimentation.
Dès lors, il convient de se
demander quelles sont les velléités politiques derrière la reconnaissance de la
souveraineté alimentaire. Supprimer l’ensemble des normes environnementales
pour gagner en compétitivité est particulièrement dangereux si l’objectif est
d’augmenter la production, sans contraintes et avec des pesticides, pour
exporter la production à meilleur prix. Dans ce cas, il n’y a aucune volonté
réelle d’assurer la souveraineté alimentaire des Français mais seulement
d’enrichir une partie des producteurs sur le marché au détriment de la
population et des protections environnementales associées.
Si l’objectif final est de
s’astreindre de toutes les contraintes environnementales pour satisfaire une
agriculture « intensive » alors ces mesures sont contreproductives
dès lors qu’elles exposent directement les populations à une recrudescence de
l’usage de pesticides et à une forte dégradation de la fertilité des terres sur
le moyen et le long terme.
Il convient de rappeler que
le tribunal
administratif de Paris a déjà constaté une « diminution de la
biomasse en raison de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques »
tout en rappelant que « les insectes rendent de nombreux services
écosystémiques dont dépend largement l'humanité ».
Et même si l’on raisonnait du
seul point de vue de l’économie et la compétitivité, le fait d’affaiblir la
qualité des sols n’est pas une politique rentable sur plusieurs années,
puisqu’il faudra davantage de pesticides et de ressources pour produire une
quantité égale. Cette idéologie va donc à l’encontre du principe
de précaution, consacré à l’échelon national et européen.
Surtout, cette idéologie
expose le droit de l’environnement et les normes qui en découlent comme une
contrainte, alors qu’il s’agit de précisément l’inverse : les normes nous
protègent. Elles nous protègent pour limiter l’usage des pesticides, pour vérifier
le contenu de nos assiettes et pour vérifier la préservation de la ressource en
eau. Ces normes nous protègent comme elles protègent la société et visent un
intérêt général. Elles permettent justement de protéger la
santé et la salubrité publiques, deux piliers fondateurs de l’ordre public.
C’est d’ailleurs en ce sens
que la Commission a adopté un règlement sur la restauration de la nature afin
de contribuer au rétablissement à long terme de la nature endommagée dans les
zones terrestres et maritimes de l’UE, d’atteindre les objectifs de l’UE en
matière de climat et de biodiversité et de respecter les engagements
internationaux de l’UE, en particulier ceux du cadre mondial de la biodiversité
de Kunming-Montréal (Nations unies). Ce texte
avait été adopté après le constat que plus de 80 % des habitats européens sont
en mauvais état. Ces normes visent donc à protéger les écosystèmes et à
satisfaire un intérêt général.
La chambre haute instaure
également dans son article 13 que seules les destructions intentionnelles
d’espèces protégées seront sanctionnées pénalement. Autrement dit, il sera
nécessaire de démontrer la destruction volontaire de ces espèces pour encourir une
sanction pénale, ce qui rend difficile voire impossible une action.
Les atteintes jugées « non
intentionnelle » ne seront passibles que d’une amende administrative
de 450 euros maximum, amende dérisoire au vu de l’impact engendré et des
ressources financières dont disposent les exploitants des ICPE.
Enfin, la haute chambre a
voté pour l’inscription dans la loi du principe du « pas
d’interdiction sans solution », qui vise à empêcher de proscrire un
produit phytosanitaire s’il
n’est pas remplaçable par un autre produit, principe qui ne méconnait pas
le droit de vivre dans un environnement sain selon
le Conseil Constitutionnel.
Or, le fait de dépénaliser
voire d’astreindre à une amende d’un montant insignifiant envoie des signes
clairs sur les normes environnementales : elles peuvent délibérément être
méconnues sans que les conséquences ne soient inquiétantes pour ceux qui les
enfreignent. Il en est de même des mesures visant à réduire les surfaces
agricoles en bio, le législateur souhaite promouvoir l’intensification de la
production et la compétitivité par rapport à la protection de l’environnement
et des citoyens.
... et sur l’industrialisation
Pour
mettre en place la loi n°
2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, le gouvernement a
pris trois décrets la veille du deuxième tour des législatives, à la suite de
la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024.
Plus
particulièrement, le décret
n° 2024-742 du 6 juillet 2024 portant diverses dispositions d’application
de la loi industrie verte vise à opérer de nombreuses simplifications en
matière d’environnement. L’une de ses mesures phare consiste à supprimer les
garanties financières pour les installations classées pour la protection de
l’environnement (ICPE) soumises à autorisation et enregistrement.
L’objectif principal de cette
mesure est de permettre aux industriels d’éviter de consigner une somme
d’argent importante en cas de dommage environnemental, ce qui constituerait un
frein à l’investissement et au développement des ICPE sur le territoire national.
Toutefois, c’est précisément
pour lutter contre les sites industriels pollués et abandonnés, qualifiés de
sites « orphelins », que les garanties
financières ont été mises en place. En effet, ces sites présentent parfois
un danger environnemental ou sanitaire tel que l’État n’a d’autre alternative
que de prendre à sa charge des actions de réhabilitation.
Pour que ces situations
demeurent exceptionnelles, il convenait de limiter au maximum le risque que des
exploitants s’abstraient de leurs responsabilités environnementales et fassent
apparaître de nouveaux sites orphelins. C’est donc sur le fondement du principe
« pollueur – payeur » que les garanties financières sont nées. Elles présentent
l’avantage de préserver autant que possible le budget de l’État de la charge de
la nécessaire mise en sécurité des sites orphelins qu’elle supporte.
En supprimant ces garanties,
les dégâts environnementaux causés par ces installations devront alors être
supportés par l’Etat et in fine les contribuables et non plus par le pollueur
lui-même.
Or, en 2020, en France, on
dénombre 1 417 accidents ou incidents impliquant des ICPE. 68 % de ces
accidents ont conduit à des rejets
de matières de dangereuses ou polluantes dans les eaux.
Les risques inhérents à ces
installations nécessitent justement des garanties en cas d’accident. Dès lors,
la lente construction des normes environnementales en réaction aux dommages
environnementaux est justement une protection fondamentale du citoyen, des
écosystèmes et de l’environnement dans lesquels s’insèrent ces installations.
Les supprimer revient à
privilégier une approche court-termiste de la compétitivité, à rassurer les
investisseurs et industriels, mais les conséquences à moyen terme seront
désastreuses pour les sols, la biodiversité, les citoyens, et, in fine, sur
l’économie française.
Dans la même idée, l’un des
potentiels freins à la compétitivité serait lié aux procédures
environnementales trop longues pour attirer les investisseurs.
On peut citer l’exemple du
projet de décret prorogeant le délai d’application de l’article 27 de la loi n°
2023-175 du 10 mars 2023 relatif à l’accélération de la production d’énergies
renouvelables qui vise à « simplifier », certaines procédures,
pour « accélérer » la mise en œuvre d’un projet.
Ce projet vise à déroger
certaines procédures de participation du public : les projets de
raccordement peuvent faire l’objet d’une concertation préalable organisée par
le représentant de l’État dans le département, en lieu et place des procédures
classiques de participation du public.
Le décret
susmentionné permettrait également de déroger à l’obligation de l‘évaluation
environnementale : certains projets d’ouvrage de transport d’électricité
nécessaires au raccordement de projets situés sur des sites dont la liste est
déterminée par décret peuvent être dispensés de la procédure d’évaluation
environnementale.
Or il convient de rappeler
que c’est précisément ce type de procédures qui permet d’assurer des garanties
de protection de la population et des écosystèmes. Supprimer l’évaluation
environnementale, quand bien même par dérogation, revient à affaiblir considérablement
le droit de l’environnement et les protections inhérentes à ces principes. C’est
en ce sens qu’un projet de décret du Ministère de la transition écologique,
soumis à la consultation
du public jusqu'au 2 mai 2025 vise à supprimer l’évaluation
environnementale pour les procédures relatives aux plans de prévention des
risques naturels (PPRN), technologiques (PPRT), et miniers (PPRM).
S’il n’est pas totalement incohérent
de s’interroger sur la longueur de telles procédures, il semble davantage
pertinent de projeter un calendrier en amont, voire un délai à respecter, pour
donner une visibilité aux porteurs de projet. En revanche, supprimer ces
mesures environnementales n’a d’effet que d’appauvrir la santé, la sécurité des
personnes et des écosystèmes ainsi que le processus de prise de décision.
D’autant plus que ces
dérogations se font sur la construction de notions juridiques au contour flou,
comme la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), les projets
d’envergure nationaux ou européens (PENE) ou encore les projets d'intérêt
national majeur (PINM), dont la construction juridique particulièrement
délicate à définir et délimiter, conduit les juges administratifs à devoir se
prononcer au cas par cas. C’est d’ailleurs sur le fondement de la RIIPM que le
tribunal administratif de Toulouse a annulé
l’autorisation environnementale de l’A69.
Omnibus, une régression du
droit de l’environnement à l’échelon européen
Dans la récente boussole pour
la compétitivité, la Commission a exposé sa vision pour rendre l’économie de
l’UE plus prospère et plus compétitive, en s’appuyant sur les recommandations
du rapport Draghi, ce qui conduit à un recul très important des normes
environnementales.
Concernant la Directive sur
le devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises (CSDDD) et la
Directive sur la publication d’informations en matière de durabilité des
entreprises (CSRD), la Commission européenne a proposé des modifications, au
travers d’un projet de loi Omnibus, qui affaiblissent considérablement leur
portée.
Le projet Omnibus réduit
considérablement la portée de la directive CSDDD en excluant les relations
commerciales indirectes du champ d’application pour les entreprises. Pourtant,
ce sont justement ces relations avec les sous-traitants, souvent situés en bout
de chaîne et sur lesquels les moyens de contrôle sont les plus limités, qui
sont le plus susceptibles de donner lieu à des violations graves des droits des
travailleurs, des droits humains et des normes environnementales.
Le principe fondateur de la
directive – responsabiliser les donneurs d’ordre vis-à-vis de l’ensemble de
leur chaîne de sous-traitance – est ainsi remis en cause, puisque seules les
relations avec les partenaires commerciaux directs restent concernées, sauf
en cas de preuve explicite d’un impact négatif. Or, ce principe visait
précisément à instaurer une vigilance sur l’ensemble de la chaîne de production
afin de prévenir de telles dérives. En excluant les relations indirectes, la
directive perd une part essentielle de sa substance.
De plus, les obligations de
diligence raisonnable sont fortement allégées, avec un rythme d’évaluation
passant d’un an à cinq ans et l'effacement de l'obligation de rompre une
relation d'affaires en dernier recours. La responsabilité civile des
entreprises est laissée à l’appréciation des États membres, rendant difficile
l’action de la société civile.
Pourtant, c’est précisément
grâce à la loi la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de
vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, que des
recours ont été possibles concernant les politiques environnementales et les
plans de vigilances de plusieurs entreprises, dont Total, sur le fondement de
l'article L. 225-102-4 du Code de commerce, qui fonde le devoir de vigilance
des entreprises.
Si la France est pionnière en
matière de devoir de vigilance, la directive européenne avait un champ
d’application plus étendue. Dès lors, la législation Omnibus va
considérablement réduire la portée de la directive et des entreprises
susceptible de répondre à ces impératifs en France, mais surtout dans tous les
autres pays européens qui ne disposent pas d’une norme nationale semblable. En
tout état de cause, cette législation va affaiblir les moyens de contrôle et
les recours possibles de la société civile pour faire respecter le devoir de
vigilance aux entreprises européennes.
En ce qui concerne la CSRD,
la proposition réduit le nombre d'entreprises concernées de 80 à 85 %, en
limitant l'obligation de reporting extra-financier aux seules sociétés de plus
de 1 000 salariés, ayant un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros ou un
bilan net de 25 millions d'euros. Actuellement, les entreprises de plus de 250
salariés étaient tenues de présenter leur rapport extra-financier à partir du
1er janvier 2026, mais la nouvelle proposition exonérerait
80 % des sociétés de cette obligation, les laissant libres de s’y soumettre
sur une base volontaire.
Par ailleurs, les normes
sectorielles, qui ciblaient en priorité les industries les plus polluantes
comme le secteur extractif, sont supprimées, entraînant une perte
d’informations essentielles pour orienter les financements vers une transition
climatique juste. Encore une fois, ce sont précisément ces informations qui
permettent à l’ensemble de la société civile de se saisir de vérifier les
activités et les financements des entreprises et de saisir les juges si
nécessaire. Sans ces informations permettant une certaine transparence, il est
difficile de faire respecter le droit à ces entreprises ce qui peut provoquer
des situations abusives, à l’origine de ladite directive.
Ces modifications
s'inscrivent dans une stratégie plus vaste de la Commission européenne, qui
cherche à simplifier la vie des entreprises en réduisant leurs charges
administratives de 25 %, voire de 35 % pour les PME. Cela passe par un
allégement des règles sur les chaînes de valeur, la taxation aux frontières et
la taxonomie.
Ainsi, la Commission propose
de modifier le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM) : un
seuil annuel d’importation en dessous de 50 tonnes exonérerait 90 % des
importateurs, tout en couvrant 99 % des émissions totales dans les
secteurs-clés (fer, acier, aluminium, ciment, engrais). Par ailleurs, un projet
d'acte délégué sur la taxonomie simplifierait les modèles de déclaration en
réduisant de 70 % les points de données requis.
Ces « allègements »
sont présentés par la Commission comme un moyen
d'économiser 6 milliards d'euros de coûts administratifs annuels et de
mobiliser 50 milliards d'euros d'investissements publics et privés. Toutefois,
ces économies hypothétiques sont d’une vision court-termiste pour tenter de
concurrencer des pays où le niveau de protection est bien plus faible qu’en
Europe. C’est une stratégie de détricotage du droit par un nivellement des
protections par le bas, ce qui est très dangereux à moyen et long terme. En
tout état de cause, il n’est pas exclu que cette stratégie de suppression de
normes soient contraires au principe de non-régression en droit de
l’environnement, reconnu
par l’Union Européenne depuis 2011.
Si la logique de marché,
dérégulé et totalement connecté et mondialisé, se heurte au droit de
l’environnement, c’est que le paradigme actuel arrive à une impasse et qu’il
convient d’imaginer de nouveaux modèles, permettant d’utiliser le droit de
l’environnement non pas comme une contrainte, mais comme une atout de
protection du vivant, des écosystèmes, des personnes et de la production par
les entreprises.
Le paradigme européen sur la
notion de compétitivité à réinventer
Comme le constate le
professeur Olivier Clerc, « en réaction à l’urgence écologique, la notion de
‘communs’ connaît un impressionnant regain d’intérêt », en particulier en
droit de l’environnement.
Les communs désignent des
formes d'usage et de gestion collective d'une ressource ou d'une chose par une
communauté. Cette notion permet de sortir de l'alternative binaire entre privé
et public en s'intéressant davantage à l'égal accès et au régime de partage et
décision plutôt qu'à la propriété. Elle repose sur l’idée que la propriété en
commun peut s’avérer plus efficace, plus juste et plus durable que la propriété
privée ou publique. Les communs apparaissent ainsi de plus en plus souvent
comme un mode de propriété alternatif aux deux modes de propriété les plus
courants (privée et publique), permettant la préservation des ressources. Les
communs concernent non seulement les ressources (eau, électricité…) mais aussi
le logement, les services (bibliothèques, transports), les espaces publics
(jardins, parcs, musées…) et le patrimoine immatériel. C’est de ce dernier
domaine que relèvent les communs de la connaissance (creative common, logiciel
libre...).
Cette notion n’est pas
totalement nouvelle. Le code Justinien en 535 après JC définissait quatre types
de propriété pour les choses qui nous entourent :res nullius :
n’appartenant à personne, res privatae appartenant à des individus, res
publicae appartenant à l’Etat, res communes appartenant à tous,
comme l’eau ou l’air. Ces biens étant communs, ils devraient être gérés par
tous et pour tous.
Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en
2009 en théorisant la notion de communs, rappelle que les règles doivent être
claires, collectives, modifiables par les personnes concernées et les outils
pour résoudre les conflits doivent être facilement accessibles.
L’exemple de l’État d’Oman qui
gère collectivement sa ressource en eau depuis 16 siècles est une opportunité à
envisager, surtout en plein désert. Redéfinir concrètement la propriété
commune, en l’excluant des logiques de marché peut conduire à se réapproprier
le droit de l’environnement non pas comme une contrainte mais comme une arme,
nécessaire pour protéger ces ressources fondamentales. Pourtant, la tendance
vise à vouloir privatiser l’accès à la ressource en eau, comme les projets de
mégabassines, dont 4 ont été annulées par
la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Dans ce cas, le droit de
l’environnement est vu comme une contrainte à simplifier, alors qu’il est
précisément une force pour protéger cette ressource commune.
S’agissant de
l’industrialisation, la compatibilité entre les impératifs industriels et les
enjeux climatiques est une question cruciale. Si la production de masse peut
offrir des solutions en matière de pouvoir d'achat, elle ne répond pas aux
exigences de la transition climatique. L'enjeu environnemental est souvent
abordé sous l'angle de la contrainte, sans considérer les opportunités de
construire un modèle alternatif.
L'Europe, bien que plus
avancée que les États-Unis et l'Asie sur ces questions de production, manque de
cohérence dans ses politiques d'importation dès lors que les règles sont moins
strictes. C’était pourtant le but premier de ces directives européennes,
aujourd’hui visées par la simplification Omnibus : s’assurer de la
cohérence avec le droit européen sur toute la chaîne de production. Ces règles visent à
protéger et non à contraindre.
Il convient de rappeler que,
si les marchandises peuvent circuler librement au sein de l'Union européenne,
les Etats membres ont la possibilité de restreindre, voire d'interdire,
l'importation, l'exportation ou le transit de certain biens pour « des
raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de
protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de
préservation des végétaux […] ».
Certains industriels
commencent à repenser leurs processus de production, mais ces initiatives
restent marginales. De nombreux produits ne sont pas conçus pour être
réparables ou recyclables, et les filières de recyclage demeurent
insuffisamment développées. C'est dans ce contexte que la question du récit et
de l'imaginaire prend toute son importance, permettant de définir des
alternatives et des contre-modèles viables.
La notion de « commun », tout
comme celle de « marché », repose sur une construction théorique. Le rôle du
droit est précisément de structurer ces concepts abstraits pour leur conférer
une portée normative et tangible. En ce sens, bâtir un cadre juridique autour
de ces notions revient à esquisser les contours d’un idéal à venir. Or, la
rencontre entre le droit de l’environnement et les logiques de marché montre
aujourd’hui ses limites : elle débouche sur une impasse, tant conceptuelle que
pratique. Cela appelle à un changement de paradigme, seul à même d’ouvrir une
voie réellement soutenable et conforme aux engagements climatiques, notamment ceux issus de
l’Accord de Paris.
Virgil Auger,
élève-avocat
(article rédigé sous
la direction de Christian Huglo, avocat)