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INTERVIEW. (91) Cassandre Huchet, prochaine bâtonnière de l’Essonne : « L’Ordre doit être présent pour faciliter la vie des avocats »

INTERVIEW. (91) Cassandre Huchet, prochaine bâtonnière de l’Essonne : « L’Ordre doit être présent pour faciliter la vie des avocats »
Publié le 05/09/2024 à 08:35

Élue en juin pour la mandature 2025-2026, l’avocate succédera à Ibrahima Boye. Celle qui prendra les rênes du Conseil de l’Ordre du 91 dans quelques mois est toutefois déjà en train de préparer son arrivée, ampleur de la tâche oblige. Cassandre Huchet compte bien « pérenniser et multiplier » les partenariats poussant le développement des cabinets essonniens, et booster les formations à destination de ses confrères.

JSS : Qu’est-ce qui a motivé votre souhait de vous présenter au bâtonnat ?

Cassandre Huchet : C’est avant tout la possibilité d’aider mes confrères dans leur quotidien ; de développer des axes pour améliorer le travail de l’Ordre, des élus, le fonctionnement de nos organisations. Nos confrères nous honorent en nous choisissant à la tête du barreau, je ne vous cache pas que c’est extrêmement motivant. J’ai envie d’être à la hauteur et de faire ce pour quoi j’ai été élue. J’avais ce projet en tête depuis plusieurs années, en réalité je ne voulais pas forcément le concrétiser tout de suite, mais les choses se sont un peu précipitées. Ça s’est présenté ainsi et j’en suis très contente. 

JSS : Quelle (future) bâtonnière voulez-vous être ? 

C.H. : Je souhaite être un bâtonnier qui fédère, avec un barreau soudé, et être à l’écoute de chacun, pour essayer d’aller chercher des solutions, qui ne viendront d'ailleurs pas forcément de moi. Je veux être capable en tout cas d’écouter les demandes et d’apporter des réponses aux problématiques individuelles et collectives. J’aurai notamment à cœur, lorsqu’il m’arrivera de ne pas pouvoir répondre positivement à une demande, de toujours fournir une réponse correcte, avec une nécessaire bienveillance. 

Je pense que je possède des qualités qui seront utiles à cela, surtout l’empathie dans la vie personnelle et professionnelle, mais aussi la pédagogie, puisque depuis longtemps, je dédie une partie de mon temps à l’enseignement : à la fac d’abord, et aujourd’hui à l'École nationale de droit et de procédure pour le personnel des avocats (ENADEP). 

JSS : Vous vous êtes investie plusieurs années au sein de l’Union des jeunes avocats de l’Essonne ; vous êtes membre du Conseil de l’Ordre du 91 ainsi que du conseil d’administration de la Caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats. De quelle façon ferez-vous vivre ces différents engagements à travers votre nouvelle mission ?

C.H. : C’est un chemin qui m’a permis de gagner en compétences et en confiance, notamment en renforçant ma compréhension de la profession. Je pourrais être étrangère aux problématiques de mes confrères, à cause de mes matières de spécialisation, mais tout au contraire, je connais les problématiques qu’ils rencontrent, j’ai toujours été à leur contact. Je connais aussi la richesse du travail en équipe. 

J’ajouterais que mes mandats au Conseil de l’Ordre et à la Carpa m’ont apporté également une bonne connaissance des instances ordinales : comment est-ce qu’elles fonctionnent, qui y décide de quoi, quels sont les enjeux... J’ai déjà quelques années d’observation et d’apprentissage derrière moi, je commence à bien connaître les dossiers en cours, et c’est tout ce dans quoi je vais prendre le relai. Je vais juste changer de rôle, finalement !

JSS : Quels seront vos chantiers principaux à la tête du barreau ?

L’un des principaux enjeux de ces prochaines années concerne la refonte des outils numériques de la profession, car le changement de logiciel pour l’Ordre des avocats vient d’être voté au printemps dernier, avec une transition dès la fin de l’année. La CARPA va elle aussi engager une migration vers de nouveaux outils, développés par l'Union Nationale des Carpa. L’objectif est de ne pas subir cette transformation. J’aimerais que l’on s’en saisisse au maximum pour faciliter le travail du personnel et l’accès des confrères aux informations. Sur ce sujet, il fallait, je pense, un bâtonnier à l’aise avec les outils, et il me semble pouvoir dire que c’est mon cas. Si je connais les outils actuels, en découvrir de nouveaux ne me rebute absolument pas. J’ai vraiment le souhait d’accompagner cette transition avec, en ligne de mire, faciliter la migration, tout en ajoutant de l’intérêt pour les confrères. 

Un autre chantier concerne la restructuration du personnel du barreau, car une de nos salariées en tête de service va partir à la retraite avant la fin du prochain bâtonnat. Comme c’est un véritable puits de connaissance, son départ va engendrer une restructuration significative et représente un enjeu important. J’ai à peine un an et demi devant moi pour organiser la transmission de son savoir, et pour arriver à l'accompagner elle et son ou ses successeur(s), dans l’intérêt des confrères, afin que le service ne soit pas interrompu. 

Aussi, le bâtonnier sortant, Ibrahima Boye, a engagé un gros travail sur les partenariats du barreau. Le but sera de les pérenniser et de les multiplier, en particulier ceux axés sur les services aux confrères : formation, documentation… C’est un point essentiel car il s’agit d’aider les confrères quand ils sont en difficulté. L’Ordre doit être présent pour faciliter la vie des avocats, il n’est pas là uniquement pour sanctionner. Je pense aussi aux partenariats qui visent l’occupation du territoire et le développement des cabinets, notamment via l’organisation de permanences, qu’il s’agira de consolider. Par exemple, notre partenariat avec la chambre des métiers et de l’artisanat pour répondre aux questions des artisans. Ou encore, celui avec le tribunal de commerce et l’Ordre des experts comptables, à travers lequel nous organisons, au sein du centre de prévention des difficultés des entreprises, des permanences destinées à donner des informations sur les procédures collectives. Avec, en parallèle, d’éventuels dossiers à la clef pour nous.

JSS : Combien de temps prendra le passage de relais avec votre prédécesseur ? 

C.H. : Il y a traditionnellement six mois de transmission pendant lesquels on suit le bâtonnier pour prendre en main les différents sujets, entre l'élection au mois de juin et la prise de fonction au mois de janvier. Mais dans les faits, je planche dessus depuis que j’ai été élue. Comme me l’avait dit un ancien bâtonnier, les projets doivent être prêts avant l’arrivée au mandat, étant donné qu’une fois que l’on est en place, on n’a plus le temps de prévoir, on doit être tout de suite dans l’action. J’ai donc déjà en tête tous les thèmes sur lesquels je veux travailler, et j’anticipe un maximum. 

JSS : Quel lien entretenez-vous avec votre département ? Pourquoi avoir choisi d’y exercer ?

C.H. : Je suis née et j’ai grandi en Essonne, j’ai fait mes études à l’université d’Evry… Bref, on peut dire que je suis une enfant du pays et que la question ne s’est pas posée ! Enfin, j’ai tout de même fait une petite infidélité au 91 lorsque j’ai été scolarisée au lycée Louis-Le-Grand à Paris. Pour la petite anecdote, lors d’un entretien avec la conseillère d’orientation du lycée, lorsque j’ai annoncé que je voulais faire du droit, celle-ci m’a répondu : « ah, alors tu iras à Assas ! ». A son grand dam, moi je ne voulais pas aller à Assas ! J’ai fait le choix de rentrer chez moi, en Essonne. C’est ici que j’ai trouvé mon premier stage, ici que j’ai embrassé la profession, poussée par Yves Pilpre, lui-même ancien bâtonnier de l'Essonne, qui a été un mentor exceptionnel, et par mon associée, Atika Chellat qui m'ont donné une merveilleuse image du barreau. Aujourd’hui, je suis donc contente d’être là pour le barreau de l’Essonne. 

JSS : Le barreau est de plus en plus présent sur les réseaux sociaux. Est-ce que cela porte ses fruits ?

C.H. : C’est une campagne assez récente, mais tout ce qui rend le barreau visible, moderne, est forcément positif. Certes, on le fait avec les moyens que l’on a. L’argent collectif ne peut pas servir exclusivement à la communication. Mais il nous a semblé juste et opportun d’avoir une communication convenable, qui colle avec l’époque dans laquelle on vit. C’est une manière de montrer que les avocats essonniens sont présents, organisés, outillés, qu’ils ne déméritent pas. 

On va donc continuer sur cette lancée. A ce titre, on est d’ailleurs en train de refaire notre site internet, qui avait une vingtaine d’années, et qui devrait faire peau neuve d’ici fin septembre. Mais l’optimiser ne relève pas que de la “com”, il ne faut pas oublier que c’est aussi un outil utile aux confrères, et qui sert de plus en plus au partage de documents sur un espace propre à la profession. 

JSS : Le barreau essonnien est l’un des plus pauvres de France. Comment y remédier ?

C.H. : Il faut justement continuer le travail de mise en valeur que je viens d’évoquer, mais aussi aider les confrères à mieux se valoriser par des formations techniques, en approfondissant des questions telles que comment se vendre, comment communiquer, gérer son cabinet ou fixer ses honoraires. La spécialisation est également une voie qui n’est pas assez explorée à mon sens, car beaucoup d’avocats pensent que c’est difficile alors que c’est tout à fait accessible. 

Il y a enfin quelque chose à faire absolument au niveau des réseaux professionnels. Il faut que mes confrères soient dûment informés des différents lieux où ils peuvent aller à la rencontre de potentiels clients. J’aimerais vraiment mettre ça en place de façon plus poussée que ça ne l’est actuellement. 

JSS : Vous êtes spécialisée en droit des sociétés et en droit des affaires. Constatez-vous une progression de l’activité des avocats spécialisés en la matière en Essonne, notamment avec les JOP 2024 ? Ou encore grâce au plateau de Saclay ?

C.H. : Nous n’avons pas vraiment observé d’augmentation par rapport aux Jeux Olympiques  car il n’y avait malheureusement pas de site olympique en Essonne et le département ne faisait pas partie des juridictions de “délestage” - autrement dit, des juridictions sur lesquelles Paris pouvait rebasculer en cas de trop-plein. 

Mais Saclay est effectivement un territoire en plein développement, une opportunité pour les confrères d’une clientèle potentielle… à condition toutefois qu’elle ne soit pas captée par de gros cabinets parisiens, puisque le plateau est proche de la capitale. Mais je suis persuadée qu’il y a de la place pour tout le monde, et particulièrement pour les cabinets essonniens ! D’ailleurs, le bâtonnier actuel s’est employé à développer des relations avec le Medef Essonne dans l’optique de faire connaître le barreau dans le territoire et d’éviter que les dossiers ne partent. Je compte bien faire fructifier ce partenariat ! 

JSS : L’Essonne abrite la plus grande prison d’Europe, Fleury-Mérogis, touchée comme beaucoup en France par la surpopulation carcérale, malgré son récent agrandissement. De quelle manière cela affecte-t-il les droits des détenus, et les conditions d’exercice des avocats ? Pourquoi n’y a -t-il pas de franche avancée en la matière ?

C.H. : En réalité, peu importe la taille des prisons, le problème est national. Aussi grande que soit la prison, on y mettra toujours davantage d’individus qu’il n’y a de places. Plus on fait de la place, plus on remplit. C’est l’éternelle difficulté. 

Cela est grave et gênant à plein de niveaux. Les détenus sont entassés dans des conditions souvent inacceptables, dans des cellules qui n’ont pas assez de lits, ce qui génère aussi des difficultés d’accès à leurs droits fondamentaux que sont les soins médicaux mais aussi les visites. Car, on l’oublie souvent, mais en raison de la surpopulation, certains détenus se retrouvent parfois très éloignés de leur lieu de vie initial, et sont alors complètement isolés. Sans compter qu’il n’y a pas suffisamment d’accès aux activités, aux enseignements, aux emplois - qui sont pourtant un premier pas vers la réinsertion. 

Malheureusement, la surpopulation génère de la surpopulation : comme on n’accompagne pas, les personnes sortent et reviennent. Pour briser la chaîne, il faut investir. On n’a pas d’avancée majeure car on n’augmente pas suffisamment les budgets, et notamment pour les services annexes. Ce n’est pas tout de gérer des places, encore faut-il pouvoir gérer le reste, et augmenter le nombre de personnels.  

Quant aux avocats, un des impacts majeurs sur leur quotidien réside dans les difficultés à faire procéder aux extractions. On ne peut jamais être sûr que l’audience va bien se tenir car on ne sait pas si notre client sera extrait pour assister à son propre jugement. Cela crée pour la profession des conditions d’exercice très pénibles : des audiences ne se tiennent pas, les rôles sont surchargés. Il y a aussi tous les problèmes administratifs d’accès à la prison : les avocats ont de plus en plus de mal à joindre les interlocuteurs car ces derniers sont débordés, et les horaires de visites pour s’entretenir avec les clients sont progressivement contraints et restreints en raison du manque de surveillants, et pas forcément adaptés au travail de dossiers lourds, qui nécessiteraient des réunions de travail plus longues avec les détenus.

JSS : Une liste d’avocats « à éliminer » est parue en juillet dernier. De façon générale, la profession fait régulièrement l’objet de menaces, et ce partout dans le monde. Quelles réactions cela vous inspire ? Comment répondre à ces attaques ?

C.H. : La parution de cette liste nous a évidemment beaucoup bouleversés. Le barreau a pris une motion au lendemain de cette publication, comme beaucoup d'autres. Mais je dirais que cela renforce avant tout ma certitude que notre profession est importante et que notre discours est écouté, qu’il remporte l’adhésion ou bien au contraire l’opposition. Les avocats savent se faire entendre, c’est fondamental, puisqu’ils restent le premier rempart contre l’injustice, les censeurs de la démocratie. 

Je suis donc d’autant plus déterminée à fédérer à mon niveau local pour éviter l’isolement et protéger mes confrères menacés, car il est inacceptable que les avocats se sentent menacés dans leur intégrité physique. Si un confrère est attaqué, c’est toute la profession qui doit répondre. Telle est la force de notre profession. Nous sommes confrères avant tout. 

Propos recueillis par Bérengère Margaritelli

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