Élue en juin pour la
mandature 2025-2026, l’avocate succédera à Ibrahima Boye. Celle qui prendra les
rênes du Conseil de l’Ordre du 91 dans quelques mois est toutefois déjà en
train de préparer son arrivée, ampleur de la tâche oblige. Cassandre Huchet
compte bien « pérenniser et multiplier » les partenariats
poussant le développement des cabinets essonniens, et booster les formations à
destination de ses confrères.
JSS : Qu’est-ce qui a motivé
votre souhait de vous présenter au bâtonnat ?
Cassandre Huchet :
C’est avant tout la possibilité d’aider mes confrères dans leur quotidien ; de
développer des axes pour améliorer le travail de l’Ordre, des élus, le
fonctionnement de nos organisations. Nos confrères nous honorent en nous
choisissant à la tête du barreau, je ne vous cache pas que c’est extrêmement
motivant. J’ai envie d’être à la hauteur et de faire ce pour quoi j’ai été
élue. J’avais ce projet en tête depuis plusieurs années, en réalité je ne
voulais pas forcément le concrétiser tout de suite, mais les choses se sont un
peu précipitées. Ça s’est présenté ainsi et j’en suis très contente.
JSS : Quelle (future)
bâtonnière voulez-vous être ?
C.H. : Je
souhaite être un bâtonnier qui fédère, avec un barreau soudé, et être à
l’écoute de chacun, pour essayer d’aller chercher des solutions, qui ne
viendront d'ailleurs pas forcément de moi. Je veux être capable en tout cas
d’écouter les demandes et d’apporter des réponses aux problématiques
individuelles et collectives. J’aurai notamment à cœur, lorsqu’il m’arrivera de
ne pas pouvoir répondre positivement à une demande, de toujours fournir une
réponse correcte, avec une nécessaire bienveillance.
Je pense que je possède des
qualités qui seront utiles à cela, surtout l’empathie dans la vie personnelle
et professionnelle, mais aussi la pédagogie, puisque depuis longtemps, je dédie
une partie de mon temps à l’enseignement : à la fac d’abord, et aujourd’hui à
l'École nationale de droit et de procédure pour le personnel des avocats
(ENADEP).
JSS : Vous vous êtes investie
plusieurs années au sein de l’Union des jeunes avocats de l’Essonne ; vous
êtes membre du Conseil de l’Ordre du 91 ainsi que du conseil d’administration
de la Caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats. De quelle façon
ferez-vous vivre ces différents engagements à travers votre nouvelle mission ?
C.H. :
C’est un chemin qui m’a permis de gagner en compétences et en confiance,
notamment en renforçant ma compréhension de la profession. Je pourrais être
étrangère aux problématiques de mes confrères, à cause de mes matières de
spécialisation, mais tout au contraire, je connais les problématiques qu’ils
rencontrent, j’ai toujours été à leur contact. Je connais aussi la richesse du
travail en équipe.
J’ajouterais que mes mandats
au Conseil de l’Ordre et à la Carpa m’ont apporté également une bonne
connaissance des instances ordinales : comment est-ce qu’elles fonctionnent,
qui y décide de quoi, quels sont les enjeux... J’ai déjà quelques années d’observation
et d’apprentissage derrière moi, je commence à bien connaître les dossiers en
cours, et c’est tout ce dans quoi je vais prendre le relai. Je vais juste
changer de rôle, finalement !
JSS : Quels seront vos
chantiers principaux à la tête du barreau ?
L’un des principaux enjeux de
ces prochaines années concerne la refonte des outils numériques de la
profession, car le changement de logiciel pour l’Ordre des avocats vient d’être
voté au printemps dernier, avec une transition dès la fin de l’année. La CARPA
va elle aussi engager une migration vers de nouveaux outils, développés par
l'Union Nationale des Carpa. L’objectif est de ne pas subir cette
transformation. J’aimerais que l’on s’en saisisse au maximum pour faciliter le
travail du personnel et l’accès des confrères aux informations. Sur ce sujet,
il fallait, je pense, un bâtonnier à l’aise avec les outils, et il me semble
pouvoir dire que c’est mon cas. Si je connais les outils actuels, en découvrir
de nouveaux ne me rebute absolument pas. J’ai vraiment le souhait d’accompagner
cette transition avec, en ligne de mire, faciliter la migration, tout en
ajoutant de l’intérêt pour les confrères.
Un autre chantier concerne la
restructuration du personnel du barreau, car une de nos salariées en tête de
service va partir à la retraite avant la fin du prochain bâtonnat. Comme c’est
un véritable puits de connaissance, son départ va engendrer une restructuration
significative et représente un enjeu important. J’ai à peine un an et demi
devant moi pour organiser la transmission de son savoir, et pour arriver à l'accompagner
elle et son ou ses successeur(s), dans l’intérêt des confrères, afin que le
service ne soit pas interrompu.
Aussi, le bâtonnier sortant,
Ibrahima Boye, a engagé un gros travail sur les partenariats du barreau. Le but
sera de les pérenniser et de les multiplier, en particulier ceux axés sur les
services aux confrères : formation, documentation… C’est un point essentiel car
il s’agit d’aider les confrères quand ils sont en difficulté. L’Ordre doit être
présent pour faciliter la vie des avocats, il n’est pas là uniquement pour
sanctionner. Je pense aussi aux partenariats qui visent l’occupation du
territoire et le développement des cabinets, notamment via l’organisation de
permanences, qu’il s’agira de consolider. Par exemple, notre partenariat avec
la chambre des métiers et de l’artisanat pour répondre aux questions des
artisans. Ou encore, celui avec le tribunal de commerce et l’Ordre des experts
comptables, à travers lequel nous organisons, au sein du centre de prévention
des difficultés des entreprises, des permanences destinées à donner des
informations sur les procédures collectives. Avec, en parallèle, d’éventuels
dossiers à la clef pour nous.
JSS : Combien de temps
prendra le passage de relais avec votre prédécesseur ?
C.H. : Il y
a traditionnellement six mois de transmission pendant lesquels on suit le
bâtonnier pour prendre en main les différents sujets, entre l'élection au mois
de juin et la prise de fonction au mois de janvier. Mais dans les faits, je
planche dessus depuis que j’ai été élue. Comme me l’avait dit un ancien
bâtonnier, les projets doivent être prêts avant l’arrivée au mandat, étant
donné qu’une fois que l’on est en place, on n’a plus le temps de prévoir, on
doit être tout de suite dans l’action. J’ai donc déjà en tête tous les thèmes
sur lesquels je veux travailler, et j’anticipe un maximum.
JSS : Quel lien
entretenez-vous avec votre département ? Pourquoi avoir choisi d’y exercer ?
C.H. : Je
suis née et j’ai grandi en Essonne, j’ai fait mes études à l’université
d’Evry… Bref, on peut dire que je suis une enfant du pays et que la question ne
s’est pas posée ! Enfin, j’ai tout de même fait une petite infidélité au 91
lorsque j’ai été scolarisée au lycée Louis-Le-Grand à Paris. Pour la petite
anecdote, lors d’un entretien avec la conseillère d’orientation du lycée,
lorsque j’ai annoncé que je voulais faire du droit, celle-ci m’a répondu : « ah,
alors tu iras à Assas ! ». A son grand dam, moi je ne voulais pas aller à
Assas ! J’ai fait le choix de rentrer chez moi, en Essonne. C’est ici que j’ai
trouvé mon premier stage, ici que j’ai embrassé la profession, poussée par Yves
Pilpre, lui-même ancien bâtonnier de l'Essonne, qui a été un mentor
exceptionnel, et par mon associée, Atika Chellat qui m'ont donné une
merveilleuse image du barreau. Aujourd’hui, je suis donc contente d’être là
pour le barreau de l’Essonne.
JSS : Le barreau est de plus
en plus présent sur les réseaux sociaux. Est-ce que cela porte ses fruits ?
C.H. : C’est
une campagne assez récente, mais tout ce qui rend le barreau visible, moderne,
est forcément positif. Certes, on le fait avec les moyens que l’on a. L’argent
collectif ne peut pas servir exclusivement à la communication. Mais il nous a
semblé juste et opportun d’avoir une communication convenable, qui colle avec
l’époque dans laquelle on vit. C’est une manière de montrer que les avocats
essonniens sont présents, organisés, outillés, qu’ils ne déméritent pas.
On va donc continuer sur
cette lancée. A ce titre, on est d’ailleurs en train de refaire notre site
internet, qui avait une vingtaine d’années, et qui devrait faire peau neuve
d’ici fin septembre. Mais l’optimiser ne relève pas que de la “com”, il ne faut
pas oublier que c’est aussi un outil utile aux confrères, et qui sert de plus
en plus au partage de documents sur un espace propre à la profession.
JSS : Le barreau essonnien
est l’un des plus pauvres de France. Comment y remédier ?
C.H. : Il
faut justement continuer le travail de mise en valeur que je viens d’évoquer,
mais aussi aider les confrères à mieux se valoriser par des formations
techniques, en approfondissant des questions telles que comment se vendre,
comment communiquer, gérer son cabinet ou fixer ses honoraires. La
spécialisation est également une voie qui n’est pas assez explorée à mon sens,
car beaucoup d’avocats pensent que c’est difficile alors que c’est tout à fait
accessible.
Il y a enfin quelque chose à
faire absolument au niveau des réseaux professionnels. Il faut que mes
confrères soient dûment informés des différents lieux où ils peuvent aller à la
rencontre de potentiels clients. J’aimerais vraiment mettre ça en place de
façon plus poussée que ça ne l’est actuellement.
JSS : Vous êtes spécialisée
en droit des sociétés et en droit des affaires. Constatez-vous une progression
de l’activité des avocats spécialisés en la matière en Essonne, notamment avec
les JOP 2024 ? Ou encore grâce au plateau de Saclay ?
C.H. : Nous
n’avons pas vraiment observé d’augmentation par rapport aux Jeux
Olympiques car il n’y avait malheureusement pas de site olympique en
Essonne et le département ne faisait pas partie des juridictions de “délestage”
- autrement dit, des juridictions sur lesquelles Paris pouvait rebasculer en
cas de trop-plein.
Mais Saclay est effectivement
un territoire en plein développement, une opportunité pour les confrères d’une
clientèle potentielle… à condition toutefois qu’elle ne soit pas captée par de
gros cabinets parisiens, puisque le plateau est proche de la capitale. Mais je
suis persuadée qu’il y a de la place pour tout le monde, et particulièrement
pour les cabinets essonniens ! D’ailleurs, le bâtonnier actuel s’est employé à
développer des relations avec le Medef Essonne dans l’optique de faire
connaître le barreau dans le territoire et d’éviter que les dossiers ne
partent. Je compte bien faire fructifier ce partenariat !
JSS : L’Essonne abrite la
plus grande prison d’Europe, Fleury-Mérogis, touchée comme beaucoup en France
par la surpopulation carcérale, malgré son récent agrandissement. De quelle
manière cela affecte-t-il les droits des détenus, et les conditions d’exercice
des avocats ? Pourquoi n’y a -t-il pas de franche avancée en la matière ?
C.H. : En
réalité, peu importe la taille des prisons, le problème est national. Aussi
grande que soit la prison, on y mettra toujours davantage d’individus qu’il n’y
a de places. Plus on fait de la place, plus on remplit. C’est l’éternelle
difficulté.
Cela est grave et gênant à
plein de niveaux. Les détenus sont entassés dans des conditions souvent
inacceptables, dans des cellules qui n’ont pas assez de lits, ce qui génère
aussi des difficultés d’accès à leurs droits fondamentaux que sont les soins
médicaux mais aussi les visites. Car, on l’oublie souvent, mais en raison de la
surpopulation, certains détenus se retrouvent parfois très éloignés de leur
lieu de vie initial, et sont alors complètement isolés. Sans compter qu’il n’y
a pas suffisamment d’accès aux activités, aux enseignements, aux emplois - qui
sont pourtant un premier pas vers la réinsertion.
Malheureusement, la
surpopulation génère de la surpopulation : comme on n’accompagne pas, les
personnes sortent et reviennent. Pour briser la chaîne, il faut investir. On
n’a pas d’avancée majeure car on n’augmente pas suffisamment les budgets, et
notamment pour les services annexes. Ce n’est pas tout de gérer des places,
encore faut-il pouvoir gérer le reste, et augmenter le nombre de
personnels.
Quant aux avocats, un des
impacts majeurs sur leur quotidien réside dans les difficultés à faire procéder
aux extractions. On ne peut jamais être sûr que l’audience va bien se tenir car
on ne sait pas si notre client sera extrait pour assister à son propre
jugement. Cela crée pour la profession des conditions d’exercice très pénibles
: des audiences ne se tiennent pas, les rôles sont surchargés. Il y a aussi
tous les problèmes administratifs d’accès à la prison : les avocats ont de plus
en plus de mal à joindre les interlocuteurs car ces derniers sont débordés, et
les horaires de visites pour s’entretenir avec les clients sont progressivement
contraints et restreints en raison du manque de surveillants, et pas forcément
adaptés au travail de dossiers lourds, qui nécessiteraient des réunions de
travail plus longues avec les détenus.
JSS : Une liste d’avocats « à
éliminer » est parue en juillet dernier. De façon générale, la profession
fait régulièrement l’objet de menaces, et ce partout dans le monde. Quelles
réactions cela vous inspire ? Comment répondre à ces attaques ?
C.H. : La
parution de cette liste nous a évidemment beaucoup bouleversés. Le barreau a
pris une motion au lendemain de cette publication, comme beaucoup d'autres.
Mais je dirais que cela renforce avant tout ma certitude que notre profession
est importante et que notre discours est écouté, qu’il remporte l’adhésion ou
bien au contraire l’opposition. Les avocats savent se faire entendre, c’est
fondamental, puisqu’ils restent le premier rempart contre l’injustice, les
censeurs de la démocratie.
Je suis donc d’autant plus
déterminée à fédérer à mon niveau local pour éviter l’isolement et protéger mes
confrères menacés, car il est inacceptable que les avocats se sentent menacés
dans leur intégrité physique. Si un confrère est attaqué, c’est toute la
profession qui doit répondre. Telle est la force de notre profession. Nous
sommes confrères avant tout.
Propos
recueillis par Bérengère Margaritelli