Alors que le budget annuel
pour un athlète se situe entre 40 000 et 60 000 euros, et que de
nombreux sportifs peinent à trouver un soutien financier et professionnel, le
cabinet Cornet Vincent Ségurel, en partenariat avec Le Pacte de Performance,
accompagne quatre athlètes et para-athlètes de haut niveau qui ont rendez-vous
cet été avec les JO de Paris. Entretien avec René-Pierre Andlauer, avocat
associé, et Yann Guillo, chargé du marketing et de la communication.
JSS :
Pourquoi certains athlètes rencontrent des difficultés pour se faire financer ?
René-Pierre Andlauer :
Tout d’abord parce qu’entre les entraînements, la récupération, les
compétitions aux quatre coins du monde, ils ont très peu de temps pour monter
des dossiers. Et puis, à côté de ça, ils ne savent pas forcément se présenter,
se « vendre », ni comment réclamer des soutiens. Il faut savoir qu’il
y a des sports qui sont bien moins sponsorisés que d’autres, car ils sont moins
médiatisés, moins porteurs. Le sponsoring, ça dépend fortement de tendances de
fond, mais aussi de phénomènes de mode.
Yann Guillo :
Il faut ajouter que de nombreux sportifs sont encore dans les études, et que
leurs parents n’ont pas toujours la capacité de les soutenir financièrement. Les
besoins de financement sont donc réels.
JSS : Quel a été le
déclic pour devenir partenaire du « Pacte de performance » de la
Fondation du Sport français ? En quoi consiste ce dispositif ?
Y.G. :
Chez Cornet Vincent Ségurel, on a réalisé que chacun de nos bureaux en France menait
ses propres initiatives RSE de son côté. Le cabinet s’est donc questionné sur
la façon de rationaliser son sponsoring, à travers une action de mécénat
transverse.
R.-P.A. :
Lors de la précédente olympiade, j’avais vu passer un certain nombre d’articles
sur des sportifs en état de précarité. Ça a été le point de départ de notre
réflexion. On s’est demandé : pourquoi ne pas les aider ?
Y.G. :
On a découvert le Pacte de performance, qui est un dispositif à destination des
sportifs de haut niveau, sous la forme d’une bourse. Celle-ci fait office de
complément de revenu et leur permet de se consacrer au sport, de gagner en
autonomie.
C’était vraiment le type de
projet qu’on recherchait : pouvoir soutenir des personnes qui visent l’excellence,
la haute performance, mais qui sont aussi des travailleurs de l’ombre, et qui arrivent
au succès par leur travail acharné, leur persévérance. D’autant que le
dispositif nous permet de soutenir des sportifs originaires de nos régions
d’implantation.
JSS : Vous accompagnez
quatre athlètes et para-athlètes pour une durée de deux ans (avec un terme en
2024). Comment avez-vous « choisi » les athlètes que vous
soutenez ? A quelle hauteur contribuez-vous à les financer ?
R-P.A. :
La Fondation nous a « proposé » une quarantaine d’athlètes dans différents
sports et différentes régions. Puis on a fait une short list et rencontré les
athlètes en question, pour voir si le courant passait, avant d’arrêter notre
choix. Ça a été un peu différent avec Faustine (Noël, joueuse de para
badminton, ndlr), qui n’était pas dans la sélection initiale proposée par le
Pacte de performance. Mais quand on a annoncé le projet aux associés, deux d’entre
eux, une à Nantes et une à Lyon, nous ont indiqué qu’ils aidaient déjà un athlète
pro bono, et nous ont demandé s’ils pouvaient rentrer dans la sélection –
ce qui a donc pu être le cas pour Faustine.
En termes d’aide financière, le
budget annuel pour un athlète se situe entre 40 000 et 60 000
euros. Notre cabinet finance entre un tiers et 50 % de ce budget deux années de
suite pour les quatre sportifs que nous accompagnons. Je précise que l’on a
tenu à soutenir plusieurs athlètes poursuivant encore leurs études, car cela
nous paraissait important d’être aux côtés de ceux qui en ont le plus besoin,
et qui mènent de front plusieurs projets.
JSS : Vous leur offrez
également un accompagnement juridique. Comment est-ce que celui-ci se traduit
en pratique ?
R-P.A. :
Il s’agit surtout de faire de la prévention et de les conseiller sur les problématiques
de droit à l’image, de droit des contrats, mais aussi sur la gestion de la
suite de leur carrière : comment créer sa société, sous quelle forme, qu’est-ce
que cela implique. Ce sont des questions juridiques plutôt simples – il n’est
pas question ici de leur donner des cours de droit ou d’entrepreneuriat – mais
ce sont des portes qui leur sont ouvertes.
Et puis, quand on se voit,
c’est aussi l’occasion pour eux de nous poser des questions pratiques, par
exemple : « est-ce que je peux signer ci ou ça ? ». Des
questions qu’ils n’auraient peut-être pas osé poser à un avocat.
JSS : En quoi
l’accompagnement d’athlètes est-il spécifique et quel challenge est-ce que cela
représente ?
R-P.A. :
C’est un accompagnement spécifique d’abord vis-à-vis de leur disponibilité très
réduite – je me répète, mais je ne mesurais pas du tout à quel point c’était le
cas avant de les rencontrer. Leur emploi du temps n’est vraiment pas simple, et
au-delà, ils ont beaucoup d’échéances à court terme, contrairement aux clients habituels
qui ont généralement plus de temps à investir sur les enjeux juridiques.
Autre chose : le
juridique est loin d’être inné chez eux – sauf pour Lauren (Rembi,
escrimeuse, ndlr) titulaire d’un master de droit. C’est abstrait, lointain.
On tâche d’être disponibles pour eux, on les sensibilise pour l’avenir, mais
c’est difficile de matérialiser tout cela, car même lorsque on arrive à bloquer
un peu de temps avec eux, ils risquent de passer rapidement à autre chose
ensuite. D’ailleurs ils n’ont pas forcément le réflexe de nous montrer systématiquement
les contrats qu’ils signent, donc on n’arrive pas à être toujours derrière eux
pour sécuriser la situation et l’optimiser comme on le ferait avec d’autres
clients, tout simplement car ils ne sont pas dans cet état d’esprit. Même s’ils
nous écoutent toujours avec attention, leur priorité, c’est de réaliser des
performances.
A côté des athlètes qu’on
accompagne jusqu’à cette année, on est sollicités ponctuellement par la
Fondation du sport français pour débloquer certaines situations : par
exemple, on a aidé la Fédération française de Lutte à obtenir, dans les délais
impartis, la naturalisation de deux lutteurs en soutenant leurs démarches
administratives. On a aussi été en contact avec la Banque Palatine pour
accompagner des sportives dans leurs projets professionnels futurs.
JSS : Qu’est-ce que cela
vous apprend, d’être au contact de ces quatre athlètes ?
R-P.A. :
On se rend compte que la carrière des grands sportifs est continuellement faite
de hauts et bas : parfois ils sont blessés, parfois ils réalisent des
exploits… Leur carrière n’est pas linéaire, ils ne sont pas toujours au sommet.
Ils ont leurs moments de doute et de victoires. Une compétition chasse toujours
l’autre.
On retrouve chez eux un grand
nombre de valeurs et de traits communs, comme la constance dans l’effort, la
volonté de s’améliorer, la bonne humeur.
Néanmoins, j’ajouterais que « nos »
quatre athlètes ont des profils différents et complémentaires : Matthieu (Androdias,
champion d’aviron, ndlr) a rencontré des périodes difficiles et enrichi son
palmarès. Il est donc, pour diverses raisons, dans l’incertitude face à sa
quatrième olympiade qui ne sera pas la plus facile. Lauren est passée à côté de
la médaille à Rio puis manqué Tokyo, elle compte beaucoup sur Paris, mais elle
s’est blessée en septembre avant de bien revenir depuis cet hiver. Mewen (Tomac,
nageur spécialisé en dos crawlé, ndlr) progresse très régulièrement, il n’était
pas allé loin à Tokyo car il n’avait pas passé le deuxième tour, et cette fois,
il se retrouve aux JO 2024 avec une forte attente après des finales européennes
et mondiales de haut niveau. Faustine a été médaillée aux derniers JO d’été, et
espère accomplir de nouveau cet exploit cette année.
JSS : De quelles façons
avez-vous impliqué vos collaborateurs autour de « vos »
athlètes, et peut-être du sport de façon plus générale ?
R-P.A. :
Déjà, en organisant des rencontres dans nos bureaux. Lauren, Faustine, Mewen et
Matthieu ont su toucher nos équipes : leurs venues sont l’occasion
d’échanges fluides et complices, ce qui est fédérateur en interne.
Y.G. :
Sur l’aspect fédérateur, Cornet Vincent Ségurel a d’ailleurs organisé un
concours avec l’entreprise OuiLive, spécialisée en matière de challenges
connectés en entreprise autour de la RSE. L’idée était d’inciter à créer du
lien dans les bureaux et entre les bureaux, avec l’objectif final d’aller
soutenir « nos » sportifs, puisqu’à la clef, il y avait quarante
places à gagner pour les JO. Le challenge a duré deux semaines avec différentes
épreuves – notamment des distances à parcourir sur temps donné et mesurées au
moyen d’un podomètre, mais aussi des challenges vidéo, photo, ou même des quiz.
Ceux qui ont remporté le plus de points ont ensuite gagné deux places pour les
épreuves où seront potentiellement qualifiés les athlètes que l’on soutient.
JSS : Parallèlement à sa
carrière sportive, Lauren Rembi a suivi des études de droit à l'Université
Panthéon-Sorbonne à Paris. Sur quels points le sport à haut niveau et le droit
se rejoignent-ils, selon vous ?
R-P.A. :
La variété, sans aucun doute ! Il existe une multitude de sports et de
sportifs, tout comme il existe en droit un très grand nombre de champs et de
praticiens.
D’autres caractéristiques me
viennent à l’esprit, par exemple le fait de devoir fréquemment travailler à
plusieurs, d’avoir une grosse charge de travail et un faible droit à l’erreur. On
partage également une grande exigence et le sens du détail, mais aussi
l’adaptation. Faustine Noël nous a par exemple expliqué qu’en badminton, les
conditions extérieures – comme l’humidité – jouent énormément et doivent
toujours être prises en compte par le joueur. Chez un avocat, il va s’agir de
s’adapter au cas par cas à ses clients, aux caractéristiques de leur situation
ou de leur affaire.
Y.G. : Pour revenir à
Lauren,
elle a réussi récemment son examen du CRFPA, et dernière nouveauté : en
2025, elle effectuera son stage en
tant qu’élève avocat en Restructuring au sein de notre bureau de Paris !
JSS : Les JO sont certes
un grand événement sportif, où le droit est toutefois omniprésent. Pouvez-vous
nous expliquer à quels titres ?
R-P.A. :
Comme dans la vie en société, le droit est effectivement très présent,
directement et indirectement. Pour les projets de construction du village olympique,
il y a eu des lois d’exception, on a construit sur des délais plus courts, et aujourd’hui,
en pleine crise du logement, le législateur se demande si l’on ne pourrait pas
en reprendre pour mettre de l’huile dans les rouages.
Du droit, il y en a en fait
partout, cela va des règlements sportifs qui gouvernent les épreuves – des
règlements avec des règles qui peuvent paraître parfois complètement vétustes –,
aux contrôles anti-dopage en passant par les contrats de sponsoring et les
contrats de mécénat.
On a aussi établi un contrat
avec une fédération sportive pour l’hébergement des athlètes le temps des JO,
et élaboré des contrats avec les collectivités pour la construction
d’équipements olympiques. Sur ce point, une de nos équipes est intervenue côté
collectivité dans le cadre du marché public avec les entreprises de travaux
concernant le stade Yves-du-Manoir, à Colombes (Hauts-de-Seine).
En dehors du sport ou de la
situation des sportifs, on constate un impact dans différents secteurs de la
vie économique. Un exemple parmi d’autres, chez Cornet Vincent Ségurel, on a
parmi nos clients plusieurs groupes hôteliers, et nous constatons beaucoup de
contrôles sur site sur le respect des normes ou la situation du personnel, les
JO participant à une mise au carré systématique du secteur qu’il n’y avait pas
eue depuis longtemps.
Y.G. :
Enfin, on s’est heurtés à un gros problème juridique : celui de l’usage du logo
des JO et du nom « Paris 2024 »… Ça pourrait sembler appartenir au
domaine public, mais le comité olympique a une politique de contrôle drastique.
Bref, avec les JO, le cabinet n’a pas chômé !
Propos
recueillis par Bérengère Margaritelli