POLITIQUE

Investiture de Donald Trump : et si le bouleversement des équilibres institutionnels était limité ?

Investiture de Donald Trump : et si le bouleversement des équilibres institutionnels était limité ?
Publié le 20/01/2025 à 12:48

INTERVIEW. Ce lundi 20 janvier, l’investiture de Donald Trump marquera le point de départ de son second mandat. Tout en relativisant l’étendue des pouvoirs du président américain, Julien Jeanneney, professeur de droit public et auteur du livre Une fièvre américaine – Choisir les juges de la Cour suprême (2024), relève un élément qui singularise d’emblée ce nouveau mandat : le rôle central joué par Elon Musk.

Journal Spécial des Sociétés : Dans quel contexte institutionnel l’investiture de Donald Trump a-t-elle lieu ?

Julien Jeanneney : De prime abord, la configuration institutionnelle qui résulte des élections présidentielles et parlementaires de novembre dernier semble extrêmement favorable à Donald Trump. Il peut compter sur d’importants soutiens dans les trois « branches » du gouvernement fédéral : une administration à sa main, du côté du pouvoir exécutif et un Congrès dont les deux chambres sont à majorité républicaine, du côté du pouvoir législatif. Quant au pouvoir juridictionnel, les choses sont plus nuancées, quoique la Cour suprême ait connu, il y a quatre ans, un basculement de son centre de gravité vers la droite qui devrait lui être favorable.

Encore faut-il ne pas se tenir à ce constat. Les juridictions fédérales de première instance et d’appel comptent, en effet, de nombreux juges qui n’hésiteraient pas à bloquer, pour un temps, d’éventuelles mesures présidentielles qui leur sembleraient manifestement inconstitutionnelles – au risque, certes, d’être dédies par la Cour suprême dans un second temps.

Ainsi, lors du premier mandat de Donald Trump, certaines de ses mesures phares – qu’il s’agisse du « travel ban » visant à empêcher l’arrivée sur le sol américain de ressortissants de pays perçus comme dangereux, ou de la construction du mur entre les États-Unis et le Mexique – ont été temporairement bloquées par des juges fédéraux.

En outre, si Donald Trump prend des décisions manifestement inconstitutionnelles, on ne peut exclure que des membres conservateurs de la Cour suprême – notamment ceux qu’il a nommés lui-même pendant son premier mandat – aillent à l’encontre de ses intérêts immédiats. La loyauté de ceux que l’on nomme à la Cour suprême n’est jamais garantie, parce qu’ils sont globalement inamovibles : l’histoire est riche de déceptions présidentielles face à des juges qui se sont sentis libres d’aller à l’encontre des intérêts de ceux qui les avaient choisis.

JSS : Comment le marquage politique de la Cour suprême s’est-il manifesté à travers son histoire ?

J. J. : Le marquage politique de cette juridiction n’est pas nouveau. Elle est notamment perçue comme conservatrice et extrêmement libérale d'un point de vue économique pendant le premier tiers du XXe siècle, entre 1897 et 1937 – c’est « l’ère Lochner », du nom d'un arrêt majeur de rendu en 1905. À l’époque, la Cour suprême neutralise de nombreuses lois sociales adoptées dans des États fédérés, puis à l’échelle de la fédération. Lors du premier mandat de Franklin Roosevelt, les deux grandes lois qui concrétisent son programme de New Deal sont presque entièrement bloquées par la Cour suprême. Cela provoque un combat homérique entre le président, après sa première réélection, et la juridiction, pendant le printemps 1937.

À l’inverse, la Cour suprême est critiquée en raison de son activisme progressiste entre le milieu des années 1950 et le début des années 1970, période qui correspond peu ou prou à « l’ère Warren » – du nom de celui qui la préside alors, Earl Warren. Outre l’arrêt Brown v. Board of Education de 1954, point de départ de la révolution des droits civiques, la Cour rend plusieurs décisions par lesquelles sont consolidés les droits et libertés des individus, notamment en matière pénale. L’arrêt Roe v. Wade de 1973, peu de temps après le départ de Warren, s’inscrit dans ce mouvement : il consacre une protection constitutionnelle fédérale du droit des femmes de recourir à une interruption volontaire de grossesse.

Les décisions rendues par la Cour suprême depuis la fin du premier mandat de Donald Trump – après que la juge progressiste Ruth Bader Ginsburg a été remplacée par une jeune juge conservatrice, Amy Coney Barrett – pourraient bien constituer le point de départ d’une nouvelle « ère » conservatrice à la Cour suprême. Si l’abandon de la protection constitutionnelle fédérale du recours à l’interruption volontaire de grossesse en 2022 – par l’arrêt Dobbs vs. Jackson – a été l’événement le plus visible à cet égard, d’autres décisions témoignent d’un mouvement profond dans cette direction.

JSS : Quelle influence Donald Trump peut-il avoir à travers son pouvoir de nomination des juges ? 

J. J. : Le nouveau président pourra nommer deux catégories de juges fédéraux pour un mandat à vie, en commençant par les membres de la Cour suprême. En cas de vacance au cours des quatre prochaines années, pour cause de décès ou de démission de l’un de ses neuf membres, il lui reviendra d’en choisir un nouveau – son candidat devant être approuvé par le Sénat. Deux événements pourraient l’y conduire. Un décès, d’une part, imprévisible. Une démission, d’autre part, qui peut être un acte stratégique. Si l’un des deux juges les plus âgés de la Cour – les très conservateurs Clarence Thomas et Samuel Alito – choisissait de démissionner au cours des deux prochaines années, cela permettrait à Donald Trump de le remplacer par un jeune juge très conservateur, le soutien du Sénat lui étant en principe acquis. Ainsi se trouverait prolongée l’influence de ce président pour les décennies à venir.

Il ne faut pas oublier, en outre, les juridictions fédérales de première instance et d'appel, où les vacances sont régulières. Comme ses prédécesseurs, Joe Biden y a nommé un grand nombre de juges ; il n'y a pas de raison de penser que Donald Trump ne fera pas de même. Ces choix sont décisifs : ce sera une manière de peser sur l’équilibre politique global des juridictions tout en constituant, pour de futurs présidents républicains, un vivier de candidats potentiels à la Cour suprême.

JSS : Plus largement, quelle est l'étendue des pouvoirs du président américain ? 

J. J. : Le président est volontiers présenté, dans la culture populaire – notamment dans des séries et des films – comme l’homme le plus puissant du monde. Il est vrai que son pouvoir est grand dans de nombreux domaines. D’un point de vue institutionnel et constitutionnel, cependant, cette affirmation ne saurait convaincre. Sans doute le poids relatif de cet organe s’est-il renforcé au fil du temps – la présidence de Franklin Roosevelt, entre 1933 et 1945, ayant été un tournant à cet égard. Néanmoins, ses contre-pouvoirs restent très puissants. D’un point de vue constitutionnel, le président américain a beaucoup moins de pouvoirs relatifs que son homologue français.

Ainsi, sans une majorité favorable dans les deux chambres du Congrès fédéral, le président américain peine à exercer pleinement ses pouvoirs – qu’il s’agisse de peser sur la législation fédérale ou de ratifier des traités. À cet égard, l’incapacité du président Woodrow Wilson à obtenir du Sénat l’autorisation de ratifier le traité de Versailles en 1920, quelques mois après sa signature, est symptomatique. Le parti républicain bénéficiant d’une courte majorité au Sénat et à la Chambre des représentants, Donald Trump devrait trouver dans ces institutions, pour au moins deux ans, le soutien nécessaire pour mener ses projets – à moins qu’il se les aliène par l’extravagance de ces derniers.

JSS : Si on entre dans la prospective, Donald Trump aura-t-il les moyens de tenter de devenir un hyper-président ? 

J. J. : Le nouveau président cherchera certainement à exercer la plénitude de ses pouvoirs. Il annoncera probablement des réformes radicales au début de son mandat – comme il l’avait fait en 2017. Il n’est pas impossible qu’il tempère ensuite ses ambitions, en raison, notamment, de la difficulté probable de concrétiser certaines réformes. Aux États-Unis comme ailleurs, on est souvent bravache au début d’un mandat présidentiel – avant d’être confronté aux difficultés.

Cela dit, un élément singularise ce nouveau mandat de Donald Trump : le rôle qu’il réserve pour l’instant à Elon Musk à ses côtés. Jusqu’à ce que le président se lasse, peut-être, de la place prise par ce conseiller dont la puissance ne dépend pas entièrement de lui, cette configuration sera originale : l’un des hommes les plus riches du monde, qui a transformé un réseau social très populaire en arme au profit de son action et de celle de Donald Trump, pourra prétendre peser sur les destinées de son pays depuis l’intérieur des institutions fédérales. 

À l’aune des positions publiques récentes de cet entrepreneur, qui n’hésite notamment pas à fustiger le journalisme traditionnel, à critiquer des gouvernements modérés ou à promouvoir des partis d’extrême-droite dans différents pays, une telle évolution peut susciter de légitimes inquiétudes.

Propos recueillis par Floriane Valdayron

 

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