La période de
Noël étant arrivée, les ventes de jouets explosent pour le bonheur des petits
et souvent des grands. Mais l’industrie du jouet est, tout comme d’autres
secteurs économiques aux enjeux colossaux, la cible des contrefacteurs.
En Europe,
les contrefaçons de jouets représentent 14 % des saisies réalisées par les services douaniers, derrière les
cigarettes mais devant les vêtements1. Les saisies de jouets
représentent une valeur supérieure aux saisies de médicaments d’après une étude
de l’OCDE2. L’EUIPO, l’office chargé de l’enregistrement des marques
et dessins et modèles au niveau communautaire, a publié en 2015?une étude sur les conséquences
économiques de la contrefaçon pour le secteur du jouet3.
Pour les
contrefacteurs, il est particulièrement facile et rapide de copier des jouets,
et de les mettre sur le marché.
Face à la
contrefaçon, les moyens de protection des jouets sont pourtant multiples.
Un jouet
peut être protégé de façon cumulative et distributive par des droits de
propriété industrielle (marque, dessins et modèles pour l’apparence du produit,
mais aussi de son emballage, brevet en cas d’invention portant sur un aspect
technique), tous ces droits ayant en commun de nécessiter l’accomplissement
d’une formalité (un dépôt auprès des Offices territorialement compétents,
l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) en France par exemple),
ou bien par le droit d’auteur, qui naît sur une œuvre originale du seul fait de
la création, sans besoin de dépôt – même si dans certains pays,
l’enregistrement d’un « copyright » est prévu par la
législation locale.
Un peu à la
marge des jouets, les jeux vidéo bénéficient également d’une protection sur
leurs différents éléments : logiciel, base de données, « gameplay »,
dessins, musique, contenus audiovisuels. Toutefois pour ces produits, les
mesures techniques de protection sont le premier rempart contre la contrefaçon.
L’INPI, dans
une étude datée de décembre 20164, et le site www.ipwatchdog.com,
dans un long article très
détaillé5, ont largement illustré les différentes protections
accordées à plusieurs jouets iconiques : Sophie la Girafe (dont le sifflet
a fait l’objet d’un brevet), poupée Barbie, Monopoly, Game Boy – tous noms
protégés au surplus par des marques soigneusement déposées par leur titulaire.
Les
titulaires des droits cherchent d’ailleurs souvent à se voir accorder des
droits aussi larges que possible sur leurs jouets – l’affaire du Rubik’s Cube6,
visant à protéger sa forme par une marque tridimensionnelle (et donc un droit
perpétuel sous réserve de renouvellement de la marque) en est une illustration.
La brique LEGO n’est d’ailleurs pas qu’une brique – c’est une marque
enregistrée par l’EUIPO, et il en va de même de la figurine Playmobil7.
Juridiquement, force est de constater que ces jouets se reconnaissent
immédiatement – ils sont bien des indicateurs d’origine et donc des marques
valables.
Dans tous
les cas, il est essentiel de définir très en amont, bien avant la mise sur le
marché, une stratégie efficace de protection.
En premier lieu, confidentialité et secret (dont la protection a été récemment
renforcée par la loi du 30 juillet
20188) sont à privilégier. Prudence également quant à la divulgation
des jouets, qui pourrait empêcher le dépôt d’une demande de brevet ou de
modèle.
Ensuite, il s’agit de définir une stratégie de
dépôt, en définissant les éléments à protéger. Comment les protéger, et sur
quels territoires (pays de vente et de fabrication des jouets, mais aussi pays
soupçonnés d’héberger les contrefacteurs) ? La protection étant en
principe acquise suivant la règle du premier arrivé, il est essentiel de ne pas
tarder – les contrefacteurs étant souvent eux-mêmes très réactifs.
Bien évidemment, les spécificités locales (nécessité
de procéder à un dépôt de copyright, traduction en langue locale,
système de sous-classification utilisé pour les dépôts de marques en Chine…)
sont autant d’écueils à éviter pour assurer un portefeuille de droits complets
et efficaces.
La protection ainsi accordée aux jouets permettra de
lutter aussi efficacement que possible contre les contrefacteurs. Les
communiqués de presse annonçant des saisies de quantités importantes de jouets
en témoignent9.
En France, outre la possibilité d’obtenir à
l’amiable10 la cessation des actes de contrefaçon (qui peuvent
n’être que le résultat d’une négligence d’un tiers de bonne foi), l’arsenal à
la disposition des titulaires de droits de propriété intellectuelle (PI) est
très fourni, et a déjà largement démontré son efficacité : droit à
l’information étendu, saisies-contrefaçon, intervention des autorités
douanières, etc.
Rappelons également les conséquences financières en
cas de contrefaçon, avec une indemnisation renforcée depuis la loi de 2014 (dommage subi, préjudice
moral, bénéfices et économies réalisées par le contrefacteur) et des mesures
drastiques (publication de la condamnation, destruction des produits
contrefaits). S’agissant également d’un délit pénal, les peines possibles sont
lourdes : trois ans de prison et 300 000 euros d’amende en cas de contrefaçon, fermeture des établissements
concernés.
Les dispositions légales ont d’ailleurs encore été
récemment renforcées par la loi numéro 2019-486 du 22 mai 2019 dite loi PACTE11, et l’ordonnance numéro 2019-1169 du 13 novembre 201912,
transposant une directive européenne de 2015 relative aux moyens de lutte contre les marchandises
contrefaisantes en transit (et non destinées à une mise sur le marché de l’UE)
et à lutter contre les actes préparatoires de contrefaçon.
Toutefois dans une économie globalisée, la lutte
contre les contrefacteurs devra bien souvent être menée à l’étranger, et plus
particulièrement en Chine, qui concentre environ 70 % de la fabrication
mondiale de jouets.
Les autorités chinoises sont de plus en plus
sensibles à ces questions : l’Agence chinoise de lutte contre la
contrefaçon (AIC) peut être particulièrement efficace13, et le droit
local se durcit constamment. La loi du 23 avril 2019, applicable depuis le 1er
novembre dernier, prévoit de lutter plus efficacement contre les dépôts de
marque manifestement frauduleux, tout en doublant le montant des indemnités
dues en cas de contrefaçon de marque14. Au niveau douanier, un
système d’enregistrement de droits de PI (marques, brevets, copyright)
permet de bénéficier de l’intervention de la Douane chinoise.
En outre, il est également possible de lutter contre
les ventes en ligne, réalisées sur des sites tels que taobao.com, 1688.com
ou alibaba.com, en déclarant auprès des sociétés exploitant ces sites
les droits de PI.
Des affaires très largement médiatisées viennent
confirmer que la Chine n’est pas un état
de non-droit s’agissant de contrefaçon de jouets, comme l’ont récemment
démontré des affaires concernant Peppa Pig (atteinte au copyright déposé
en Chine en 2014 sur
les personnages) ou encore Lego15
(atteinte au copyright également). La marque LEGO a d’ailleurs été
reconnue comme « well-known » par la Cour de Beijing,
renforçant sa protection sur ce marché crucial pour l’industrie du jouet.
Ceci étant, malgré une évolution positive sous la
pression des partenaires occidentaux, les volumes colossaux expédiés de Chine
ne peuvent tous être contrôlés, et une part substantielle des contrefaçons peut
être mise sur le marché – la qualité des imitations réalisées rendant souvent
difficile leur détection.
En définitive, face aux contrefacteurs, les
fabricants de jouets ne sont pas démunis et les outils juridiques, sans cesse
renforcés et adaptés, permettent une protection efficace. Ceci étant, il s’agit
d’une matière complexe, internationale, et la réflexion autour d’une protection
adaptée doit être accompagnée par un professionnel.
Les conseils en propriété industrielle16 sont, de par leurs
compétences complètes en matière de PI (brevets, marques, dessins et modèles)
et leur réseau international, les interlocuteurs privilégiés de ces
problématiques.
Fabrice Pigeaux,
Conseil en propriété industrielle,
Santarelli
1) https://www.capital.fr/economie-politique/le-palmares-des-produits-les-plus-contrefaits-en-europe-1351454
2) Trends
in Trade in Counterfeit and Pirated Goods, étude réalisée conjointement
avec l’EUIPO, 18 mars 2019, https://www.oecd.org/newsroom/trade-in-fake-goods-is-now-33-of-world-trade-and-rising.htm
3) https://euipo.europa.eu/tunnel-web/secure/webdav/guest/document_library/observatory/resources/research-and-studies/ip_infringement/study4/toys_games_fr.pdf
4) Les
jouets vus par la propriété industrielle, https://www.inpi.fr/sites/default/files/etude_jouets0212.pdf
5) https://www.ipwatchdog.com/2018/12/23/iconic-patented-toys-games/id=91631/
6) https://www.dalloz-actualite.fr/flash/rubik-s-cube-un-face-face-sur-sa-forme-et-sa-fonction-technique#.XepRGOhKiUk
7)
Respectivement, marques EU n° 4938635 et 10065258.
8) https://www.village-justice.com/articles/secret-des-affaires-une-loi-meconnue-protegeant-les-informations-sensibles-des,30922.html
9)https://www.nouvelobs.com/economie/20190428.OBS12209/les-lego-etaient-des-faux-un-reseau-demantele-en-chine.html
10) La tentative d’une résolution
amiable est d’ailleurs un préalable obligatoire à la saisie d’un juge depuis le
décret 2015-282 du 11 mars 2015.
11 )https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=5DC91E88AE766475081C20BBF749948B.tplgfr21s_2?
cidTexte= LEGITEXT000038497477&
dateTexte=20200101
12) https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039373287&categorieLien=id
13) https://www.capital.fr/entreprises-marches/chine-30-millions-de-dollars-de-faux-jouets-saisis-en-chine-1336505
14)
https://www.china-briefing.com/news/chinas-new-trademark-law-effect-november-1-2019/
15) https://www.scmp.com/news/china/society/article/2160776/chinese-firms-ordered-stop-selling-peppa-pig-themed-toys-after
; https://www.reuters.com/article/us-lego-china-copyright/toymaker-lego-wins-court-case-against-chinese-copycats-idUSKCN1NA2QF
16) Site de
la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle : https://www.cncpi.fr/