La notion d’ingérence humanitaire a évolué
en fonction de l’évolution de la notion de souveraineté et de la configuration
stratégique internationale. Elle se nourrit de présupposés idéologiques
empruntant à la notion du discours du dominant et la notion de lanceur
d’alerte. Elle masque des enjeux stratégiques et médiatiques. Dans un récent
article de Marianne, le point
de vue d’Hubert Védrine, ancien ministre socialiste des Affaires étrangères,
remet en perspective ce concept soixantenaire qui a fait son apparition à
l’occasion de la guerre du Biafra (1967-1970) et qui a donné naissance à
l’organisation Médecins Sans Frontières (1).
Première idée
force : les grandes puissances, des « pompiers pyromanes ». Le
dilemme humanitaire réside dans l’ambiguïté du terme, dans le fait que les
grandes puissances sont souvent perçues pyromanes et non comme des pompiers, en
fait des pompiers pyromanes ; ce qui tend à accréditer l’idée que
l’humanitaire sert d’alibi à des équipées impériales. Au terme d’un demi-siècle
d’intervention humanitaire, force est de constater que l’ingérence a toujours
été une action dirigée depuis le nord vers les pays du sud, tant il paraît peu
vraisemblable que les états puissants soient la cible d’une action
d’ingérence.
Déjà lors de
la conquête de l’Amérique, ce n’est pas au nom de la modernisation, mais au nom
de la christianisation, que les conquérants européens s’exprimaient, mettant
l’accent sur « les bienfaits apportés par les Espagnols aux contrées
sauvages », notamment le fait que les Espagnols ont supprimé les
pratiques barbares telles que les sacrifices humains, le cannibalisme, la
polygamie, apportant, en contrepartie, le christianisme, le costume européen et
les outils. En Asie, Rudyard Kipling invoquera le « fardeau de l'homme
blanc » pour justifier le colonialisme britannique en Asie, et la
France en Afrique, sa « charge d'aînesse ».
Deuxième
idée force : l’ingérence humanitaire, un substitut à la défaillance
interne. L’ingérence humanitaire sur le plan international se substitue
à la défaillance interne, dont elle constitue un cache-misère. Les Restos du
Cœur, les Compagnons d’Emmaüs, L’Armée du salut, Une Chorba pour tous
constituent ce que le philosophe Jankélévitch qualifie de « bonne
conscience chronique de la mauvaise conscience ». L’humanitaire permet
ainsi aux dirigeants du monde d’assurer un gardiennage des populations, un
conditionnement à l’aide des populations les plus démunies, et donne une bonne
conscience à l’opinion publique des pays donateurs.
L’humanitaire
apparaît aussi un excellent instrument d’ouverture du marché (comme ce fut le
cas, en Haïti, de l'église de la
Scientologie, qui a tiré profit d'une catastrophe qui a sévi dans l’île pour
s'implanter sous couvert d'assistance humanitaire, dans la mesure où les
assistés sont contraints à acheter les produits manufacturés des pays
donateurs.)
L’ingérence
humanitaire débouche ainsi sur une impunité humanitaire au prétexte que celui
qui apporte l’aide ne peut faire que du bien, quand bien même l’objectif
atteint est contraire à l’objectif initialement souhaité.
La notion d’ingérence humanitaire a évolué en fonction
de l’évolution de la notion de souveraineté et de la configuration stratégique
internationale
Elle se
nourrit de présupposés idéologiques empruntant à la notion du discours du
dominant et la notion de lanceur d’alerte et masque des enjeux stratégiques et
médiatiques.
À l’aune
des médias, le débat est biaisé par le monopole du récit médiatique et le rôle
prescripteur de l’Occident exercé par six siècles d’hégémonie absolue sur la
planète et par le fait que le droit international est un droit des rapports des
forces sous habillage juridique.
54 ans se sont écoulés depuis la première mise
en œuvre du principe de l’ingérence humanitaire (Biafra, juillet 1967 - janvier 1970).
Le délai
paraît largement suffisant pour dresser un premier bilan. De dégager les lignes
des forces et des faiblesses de la notion d’« ingérence
humanitaire », particulièrement en 2015, alors que cinq grandes opérations
militaires à prétention humanitaire – la guerre de l’OTAN en Libye, l’opération
Serval au Mali et Sangaris en République Centre Afrique, ainsi que la guerre en
Syrie et la guerre de la coalition internationale contre une excroissance pétro
monarchique Daech, avec le soutien des pétromonarchies les plus répressives de
la planète – se sont déroulées simultanément, sur fond d’une controverse entre
partisans et adversaires de ces interventions quant à leur bien-fondé juridique
et leur opportunité politique.
Avec leur argumentaire rituel, à savoir, si l’ingérence humanitaire est
une immixtion de type coloniale ou para-coloniale ou une intervention forcée
par l’urgence humanitaire de la situation.
Le droit international, pour le résumer schématiquement, c’est un peu de
droit et beaucoup d’international, ce qui signifie que le droit dans cette
matière est tributaire de l’environnement international.
Contrairement au droit privé interne, où une querelle de voisinage se
règle par une paire de gifles, en droit international, les conflits risquent de
se régler parfois par les bombes atomiques (crise des missiles soviétiques à
Cuba). C’est dire si les enjeux sont sensiblement différents et leurs
conséquences aussi.
À ce titre, la notion d’ingérence humanitaire au sein d’un État, par
définition souverain, constitue pour beaucoup de juristes une singularité. En
quoi est-ce une singularité ? Précisément parce que l’État est souverain.
Il détient, sur le plan interne, le monopole de la violence organisée, en
même temps que des pouvoirs régaliens (monopole de battre la monnaie, de rendre
la justice, d’engager l’État sur le plan international, de déclarer la guerre
et de signer la paix). Il n’en est pas de même sur le plan international, où l’État
est soumis aux traités internationaux et aux conventions qui s’imposent à lui
et limitent sa souveraineté.
L’ingérence humanitaire, dans cette perspective, apparaît comme une
atteinte déguisée ou manifeste au principe de souveraineté.
Mais pour certains juristes, il s’agit d’une atteinte dans la nature des
choses, dans la mesure où elle s’exerce à l’encontre d’un État qui a souscrit
volontairement à un traité international, en l’occurrence la charte des Nations
unies, particulièrement la Déclaration universelle des droits de l’homme de
1948, qui fait que la légalité internationale s’impose à la légalité interne et
partant à la souveraineté de l’État.
La notion d’ingérence humanitaire, une notion antique
Dans sa magistrale Histoire de la guerre du Péloponnèse, Thucydide
décrit en effet comment Athènes intervient dans les cités qui ne lui font pas
allégeance pour y imposer (ou rétablir) des régimes démocratiques tandis que sa
grande rivale Sparte en faisait de même avec une préférence pour les régimes
aristocratiques.
La réalité est que chacune de ces deux cités-États s’employait à installer
des gouvernants à sa dévotion, dans le but final, pour les deux cités rivales,
d’instaurer son hégémonie sur l’ensemble des cités grecques. Thucydide
démontre, magistralement, que dans les rapports entre cités (États), il n’est
question ni de droit ni de justice, mais uniquement de rapports de force.
La démission de l’ONU face aux violations systématiques de sa propre
Charte par les États-Unis et ses alliés européens est une illustration moderne
de ce constat.
Thucydide avait pour ambition de réaliser une œuvre intemporelle qui
montrerait que tant que les hommes seront ce qu’ils sont, les conflits
obéiraient aux mêmes mécanismes. 24 siècles plus tard, les
hommes n’ont pas changé. 2 400 ans après Thucydide, il
est étonnant que l’on relève autant de monde pour débattre du bien-fondé de
l’instauration de la démocratie, de la protection des peuples (sans oublier la
libération des femmes) par les armes. À force de bombardements, la démocratie
fera peut-être son chemin…

L’évolution
de la notion de souveraineté des États
L’État
souverain, acteur majeur et unique de l’ordre international, est désormais
passé, avec l’ordre supranational (SDN, ONU), au statut d’acteur principal,
mais non exclusif de l’ordre international. Les infléchissements proviennent de
notions dérivées limitant sa plénitude souveraine telles que « le
fardeau de l’homme blanc, la mission civilisatrice de l’Occident ».
Les
premières altérations au principe de souveraineté sont intervenues avec la
création d’organisations supranationales [Comité international de la Croix
Rouge (CICR), Société des nations (SDN)] et plus contraignantes, comme en
témoigne le Chapitre VII de la Charte des Nations unies.
À cet
égard, le CICR constitue la première amputation de la notion de souveraineté
pour des motifs humanitaires. La belligérance est contenue par des
considérations humanitaires. La Convention de Genève sur les prisonniers de
guerre se substitue au principe de « Malheurs aux vaincus ».
Historique
de l’évolution de la notion de souveraineté des États : la distinction
entre guerre juste et guerre injuste
La notion
d’ingérence humanitaire est ancienne. Elle résulte d’une conjonction de
contributions d’auteurs religieux ou laïcs, mystiques ou profanes.
L’idée de
l’intervention humanitaire trouve ses sources dans le concept de « guerre
juste » développé, en premier lieu, par Saint Augustin, au IVe siècle,
qui la définissait comme une guerre pour sanctionner l’injustice… et accessoirement
pour diffuser la chrétienté. Cette idée sera reprise par Saint Thomas d’Aquin
(1225-1274), Francisco de Vittoria (1480-1546) et Francisco Suarez (1548-1617),
qui défendent l’idée que pour le bonheur de la société et de l’individu,
l’existence de la paix et de la liberté est incontestable.
Les
théoriciens de la guerre juste considèrent que la nature de l’homme permet une
coopération et que l’homme ne fait pas la guerre juste pour ses propres intérêts
mais aussi contre les injustices. La guerre juste est définie comme la guerre
contre une attaque injuste par les moyens proportionnés avec le but visé en
déterminant l’agresseur par les valeurs morales. Le premier objectif de la
guerre juste est de sauver les victimes et établir la paix qui va assurer la
justice.
Dans son
ouvrage Le Droit de la Guerre et la Paix, Hugo Grotius, en 1825, évoque
un droit accordé à la société humaine pour intervenir dans le cas où un tyran
ferait subir à ses sujets un traitement que nul n’est autorisé à faire. De ces
idées, l’intervention d’humanité en a découlé au XIXe siècle,
en ce que l’intervention d’un État contre un autre État se justifiait par la
nécessite de protéger ses propres citoyens qui habitent dans cet État.
Emer de Vattel, dans son ouvrage Le
droit des gens ou principes de la loi naturelle appliquées à la conduite et aux
affaires des nations et des souverains, proclame en 1758 que « toute
puissance étrangère est en droit de soutenir un peuple opprimé qui lui demandera
assistance ».
La notion
d’ingérence humanitaire est donc ancienne. Elle reprend et élargit la notion
d’intervention d’humanité qui, au XIXe, siècle autorisait déjà une
grande puissance à agir dans le but de protéger ses ressortissants ou des minorités
(religieuses par exemple) qui seraient menacées (3).
L’idée de l’intervention humanitaire a évolué en
fonction de l’évolution de la configuration stratégique internationale
La fin de
la bipolarité américano-soviétique (1980) a libéré l’ingérence humanitaire des
contraintes du veto des grandes puissances.
Il convient
de distinguer en la matière deux types d’interventions avant 1990 (Biafra, Bangladesh), et après 1990 (Irak, Somalie, ex-Yougoslavie).
Le droit
international public est un droit des rapports des forces. Il donne un
habillage juridique aux rapports de forces, en les codifiant, en les enrobant
de considérations morales.
Les grands
principes moraux universels obéissent rarement à des motivations altruistes.
Ils répondent plus souvent à des considérations égoïstes.
L’histoire
l’enseigne, l’expérience le prouve : il en va du principe de
l’intervention humanitaire que des autres grands principes généraux tels que la
liberté du commerce et de l’industrie, la liberté de navigation ou la libre
circulation de l’information, voire la libre circulation des personnes et des
biens.
Cela valut
dans le passé, cela vaut aussi pour le présent et sans doute pour le futur, en
dépit de la mondialisation heureuse, du « village planétaire »,
autant de notions forgées comme des leurres, des appâts pour la réceptivité des
idées, la perméabilisation des esprits à ces idées.
Terme
complexe qui englobe un faisceau de situations, notion controversée, notions
larvaires dont les précurseurs sont pour l’exemple Robin Hood et Mère Teresa
(Inde), sœur Emmanuelle (Égypte)… de particulier à particulier, dans l’ordre
interne voire intra-étatique.
Les principales interventions humanitaires
Les
exemples d’intervention humanitaire peuvent être classifiés selon la
conjoncture mondiale qui affecte l’application du principe. En fait, il existe
une classification de trois périodes. Les interventions se basent sur les
concepts de décolonisations, d’autodétermination, de souveraineté. Les
interventions humanitaires sont « indirectes » car la motivation
humanitaire est secondaire.
Première
période (1960-1990), période de la guerre froide
Les
exemples abondent : le Biafra, l’intervention fondatrice ; le cas de
l’inde au Pakistan (1971-1972) ; le cas de la Tanzanie en Ouganda
(1979-1980).
Le Pakistan
a été créé par la division de l’Inde en deux en 1947. Il a été divisé ainsi,
les deux provinces, sans continuité territoriale, étaient séparées par
l’immensité de l’Inde. Le Pakistan occidental, la patrie de Mohammad Ali
Jinnah, le fondateur du Pakistan moderne, monopolisait le pouvoir et les
richesses, ainsi que les relations avec les pétromonarchies du Golfe. En
réaction, la partie orientale (Dacca), défavorisée économiquement et
socialement, s’est rapprochée de l’Inde, sous la houlette du Cheikh Mujibbur
Rahman, chef de la Ligue Awami League.
L’intervention
du pouvoir central, à Rawalpindi-Islamabad, contre sa province rebelle, a
conduit l’Inde, en réponse à l’afflux des réfugiés, à une intervention
militaire dans l’est du Pakistan et à la proclamation de l’Indépendance de ce
qui sera le Bangladesh.
Avant
l’intervention, l’ONU soulignait l’importance du respect de l’intégrité
territoriale du Pakistan. Mais la conjoncture de guerre froide a empêché le
Conseil de Sécurité de prendre une décision qui sanctionne ou approuve
l’intervention puisque la Chine et les États-Unis soutenaient le Pakistan,
alors que la Russie soutenait l’Inde.
La
justification de l’intervention par l’Inde était le flux de réfugiés, mais non
pas la violation des droits de l’homme. L’Inde a évoqué devant l’Assemblée
générale de l’ONU les « graves violations de ses droits » dont
souffrait le peuple bengali et que le but du gouvernement indien était de les
sauver. L’intervention n’était pas principalement motivée par des raisons humanitaires,
mais la mention même des droits de l’homme comme justification, a constitué un
tournant dans l’argumentaire du discours international.
L’intervention de la Tanzanie en Ouganda en 1979 se base sur une région de la Tanzanie, Kagera. Idi Amin Dada,
sous-officier de l’armée, prend le pouvoir en Ouganda par un coup d’État en
1971 et renverse Milton Obote, démocratiquement élu. Idi Amine Dada, par ses
excès, sera accusé de la responsabilité de la mort ou la disparition de
300 000 personnes en 8 ans, selon Amnesty International.
Pis, en 1978, l’Ouganda annexe Kagera sous prétexte que cette région est
historiquement liée à l’Ouganda. Les forces de Tanzanie repoussent les
Ougandais et franchissent la frontière pour renverser Idi Amin. L’Ouganda porte
l’affaire devant le Conseil de Sécurité, mais sa démarche est rejetée en raison
de la position isolée de Tanzanie du jeu géopolitique de la communauté
internationale.
Les arguments de la Tanzanie sur l’existence des violations de droits de
l’homme en Ouganda ne sont pas pris en compte par la communauté internationale,
alors que cette intervention remplissait tous les critères de l’intervention
humanitaire.
Ces exemples d’interventions humanitaires dites « indirecte » montrent
que pendant la guerre froide, l’intervention pour des objectifs humanitaires
est toujours accompagnée d’objectifs militaires ou géostratégiques. À l’époque, l’argument majeur était « la légitime défense » et non
l’intervention humanitaire.
Deuxième
période : la fin de la guerre froide (1990-2021)
Avec la fin
de la guerre froide, la suprématie du système occidental promeut les thèmes de
« démocratie » et « protection des droits de l’homme »,
alors que, parallèlement, les zones de confrontation de deux superpuissances de
la guerre froide se transforment en zones de conflits ethniques, religieux,
nationalistes, conduisant à des interventions humanitaires. Les interventions
disposent d’un caractère humanitaire « direct » sous l’influence de la
démocratie libérale et de la montée de l’importance des droits individuels. La
Yougoslavie (1990), La Libye et de la Syrie (2021) en constituent une parfaite
illustration.
L’humanitaire couvre en fait de vastes manipulations : théorie du combat des chiens et de
la désorientation informative
Le premier
exemple d’intervention humanitaire directe est apparu après la Guerre de Golfe
de 1991 avec l’occupation du Koweït par l’Irak. Pour
la première fois, au nom du droit d’ingérence humanitaire, plusieurs États
occidentaux sont intervenus au Kurdistan irakien en avril 1991 après l’évocation par le Conseil de sécurité
d’une « menace contre la paix et la sécurité internationales »
(résolution 688 du Conseil de sécurité).
L’Irak est
une mosaïque humaine, propice à toutes les manipulations, dès lors que les
circonstances s’y prêtent. La minorité kurde au nord du pays et les chiites du
Sud sont encouragés par la défaite de Saddam Hussein à se révolter. Leur
répression violente par l’armée irakienne est considérée comme une grave
violation des droits de l’homme pouvant avoir des conséquences internationales.
Le 5 avril 1991, le Conseil de Sécurité approuve la résolution 688 qui fait référence au problème de réfugiés en
tant que menace à la paix et la sécurité plaçant ce problème humanitaire dans
le cadre du chapitre VII de la Charte de l’ONU.
Dans la
résolution, les membres du Conseil demande à l’Irak de mettre fin à la
répression, d’assurer le respect des droits de l’homme et de permettre l’accès
des organisations internationales humanitaires en Irak. La résolution ne fait
pas de référence à une opération armée, mais pour la première fois reconnaît
que les violations des droits de l’homme dans un pays menace la sécurité et la
paix internationale.
Il y a bien
d’autres exemples d’interventions humanitaires de cette période.
Somalie. « Restore Hope », menée en Somalie à partir de
la fin 1992 (résolution 794). En 1991, le nord du pays déclare son indépendance,
déclenchant une guerre civile et une grande famine. La médiatisation du conflit
conduit l’ONU à prendre une décision d’embargo sur les livraisons d’armes et
d’équipement militaire à la Somalie. En Somalie et non en Éthiopie en ce que
l’Éthiopie, pays africain non musulman, assume un rôle de gendarme dans la
corne de l’Afrique.
Rwanda. L’opération Turquoise, menée par la France au Rwanda en 1994. Le
massacre des Tutsis et les Hutus, à la suite de la destruction en vol de
l’avion du président de l’époque Juvénal Habyarimana, sur fond de rivalités
entre l’Ouganda anglophone et la France. La résolution 872 du Conseil de Sécurité constitue une mission
onusienne, UNAMIR, au Rwanda pour la mise en place de l’accord de la paix, pour
établir un gouvernement transitoire et pour la démilitarisation des milices. La
protection des droits de l’homme n’était pas la première motivation annoncée.
Dans cette affaire, il y a eu cafouillage de l’ONU. Dans la foulée du massacre
de dix soldats belges qui avaient le rôle central dans les opérations, le
Conseil de Sécurité adopte une résolution et réduit le nombre des soldats
onusiens à 270 personnes. Cette décision a soulevé l’indignation de l’opinion publique
internationale et contraint l’ONU à envoyer 5 500 soldats au Rwanda. Devant le retard de l’ONU,
la France a pris l’initiative de l’Opération Turquoise pour prévenir un
massacre inter tribal et sans doute préserver ses intérêts dans la zone. Le
massacre a quand même eu lieu. Le seul résultat du génocide du Rwanda est la
fondation du Tribunal Pénal Internationale pour le Rwanda. Ou encore les interventions
armées en Bosnie-Herzégovine en 1994-1995, au Liberia, en Sierra Leone, en
Albanie en 1997 ou l’envoi d’une force d’intervention de l’OTAN.
Kosovo. Au Kosovo, en 1999, des opérations révèlent la complexité
d’interventions autant militaires qu’humanitaires. La décomposition de la
Yougoslavie, dans la foulée de la dislocation du bloc soviétique, et de la
disparition de son chef fédérateur Josip Broz Tito, a déclenché un phénomène de
scissiparité au sein des composantes de la fédération.
Une lutte à
mort s’engage alors entre le président Slobodan Milosevic, partisan de la
grande Serbie, et ses rivaux, le président de la République de la
Bosnie-Herzégovine, Alija Izetbegovic.
L’ONU
enverra des Casques Bleus en vertu de la résolution 743du Conseil de sécurité. Mais l’existence de
l’UNPROFOR n’a pas pu empêcher l’épuration ethnique menée par les Serbes contre
les musulmans de Bosnie.
L’Otan,
sous le feu vert de l’ONU, interviendra après le massacre de Srebrenica en
votant la résolution 770 autorisant l’usage de force en Bosnie. La défaite des Serbes a été
sanctionnée par les Accords de Dayton (le 21 novembre 1995), prévoyant la fondation d’un État
multiethnique et l’établissement de la paix à l’aide de déploiement d’une force
de paix multi-nationale, l’IFOR.
En plus, un
tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a été créé pour faire
comparaître et juger les responsables des crimes de guerre et crimes contre
l’humanité sur les territoires de l’ex-Yougoslavie depuis 1991.
La fin de la
guerre froide a, en effet, libéré l’ONU des contraintes de la bipolarité (veto
soviétique ou américain, ou même français dans le cas de l’Algérie), déblayant
la voie à la multiplication des opérations internationales sous l’égide de
l’ONU, avec des mesures coercitives prévues par le chapitre VII de la charte.
Avec une
prolifération d’ONG de plus en plus spécialisées (Action contre la faim,
Amnesty International, Médecins sans frontières, Reporters sans frontières,
Avocats sans frontières, Dentistes sans frontières, etc.), promues désormais au
rang de concurrents sérieux des diplomates traditionnels, et, corrélativement,
l’infiltration des services de renseignements dans ces nouvelles structures
sous couvert d’humanitarisme.
La liste
est longue : Libye (2011), Syrie (2012) avec la répétition des mêmes
erreurs. Errare humanum est, perseverare diabolicum (3).
Épilogue
Signe des
temps, l’ouvrage le plus recherché de la bibliothèque des Nations unies est une
thèse sur « l’Immunité des chefs d’État et des représentants de l’État
face aux crimes de guerre (4) ».
Toute la
question est de savoir si l’ouvrage a été consulté par des responsables en vue
d’organiser leur défense pour échapper à la justice, ou par des activistes
désireux de poursuivre des criminels de guerre.
La
bibliothèque Dag Hammarskjöld, du nom de l’ancien secrétaire général de l’ONU
dont l’avion a été abattu en 1961, alors qu’il effectuait une mission de
conciliation au Congo, héberge la totalité de la production onusienne, qu’elle
met à la disposition des délégations accréditées auprès de l’organisation
internationale. En septembre 2015, le bâtiment l’abritant a été fermé au public
pour une durée indéterminée en raison de sa trop grande exposition aux risques
d’attentat – une fermeture prolongée du fait de la pandémie du Covid. Quel
drôle de hasard.
NOTES :
1) www.marianne.net/monde/proche-orient/hubert-vedrine-lafghanistan-est-le-tombeau-du-droit-dingerence
2) Voir à ce propos l'intervention de la France au Liban, 1860.
3) « Se tromper est humain, persévérer est diabolique »,
Sénèque.
4) Immunity of heads of state and state officials for International
Crime, de Ramona Pedretti-Nijhoff, My Book Editions.
René Naba
Ecrivain et journaliste
Directeur du site madaniya.info
(Ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de
l'AFP (1980-1989), ancien correspondant tournant au bureau régional de l'AFP à
Beyrouth pour le Moyen orient (1970-1980))