ÉCONOMIE

Le déploiement de l’énergie décarbonée, entre contexte favorable et obstacles bien identifiés

Le déploiement de l’énergie décarbonée, entre contexte favorable et obstacles bien identifiés
Publié le 07/02/2025 à 16:45

Les prix de gros de l’électricité devraient se maintenir les cinq prochaines années, assure-t-on à la conférence EnR Entreprises. Une stabilité qui pourrait inciter les fournisseurs à proposer des offres plus attractives, facilitant ainsi la transition énergétique des entreprises. Mais la baisse du coût de l’électricité risque de diminuer l’incitation à investir dans des contrats à long terme pour les énergies renouvelables, et l’engagement de la France sur le développement du biogaz doit être affermi.

N’ayant toujours pas atteint les 44 % d’énergies renouvelables dans la consommation brute finale d’énergie exigés par la directive sur les renouvelables de 2018, comme le révélait le média Contexte, la France, qui cible plutôt les 35 % pour 2030, peine à voir les entreprises s’engager pleinement dans l’adoption des énergies décarbonées, un retard accentué par la récente crise énergétique.

Pourtant, le gouvernement a lancé quelques initiatives pour accélérer cette transition, notamment avec la publication, en novembre dernier, de la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie 2025-2035 (PPE) et de la troisième stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Ces deux piliers de la politique énergétique et climatique française ont pour objectif d’orienter le pays vers la neutralité carbone d’ici 2050, en cohérence avec les engagements européens et l’Accord de Paris.

Dans ce contexte, la sixième édition de la conférence EnR Entreprises, organisée par l’Institut Orygeen, association à but non lucratif dont la mission est d'encourager les industriels à améliorer leurs performances énergétiques, au ministère de l’Économie et des Finances, jeudi 6 février, a été l’occasion de débattre des défis et des opportunités liés à cette transition. L’évolution des réglementations du secteur y est apparue comme un levier essentiel pour encourager les investissements, d’autant que les prix de l’énergie commencent à se stabiliser en France.

Lors d’une table ronde consacrée aux obstacles réglementaires et aux solutions contractuelles pour accélérer l’adoption des énergies décarbonées par les entreprises, Dominique Jamme, directeur de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), a souligné que « la crise sur le marché de l’électricité est passée, même si la situation reste plus tendue pour le gaz, notamment à la fin de l’hiver et durant l’été prochain ». Selon lui, en France, les prix de gros de l’électricité devraient alors se maintenir autour de 70 € en 2026, puis de 65 € sur les cinq années suivantes. Une stabilité qui pourrait inciter les fournisseurs à proposer des offres de long terme plus attractives, facilitant ainsi la transition énergétique des entreprises.

En France, le développement des PPA est en retard

Avec de tels tarifs, la France bénéficie donc d’un avantage compétitif notable par rapport à ses voisins européens, a-t-il avancé : « Les prix y sont nettement plus compétitifs qu’en Allemagne, au Benelux ou en Italie. Seules l’Espagne et la Scandinavie affichent des niveaux similaires voire plus bas, mais pour d’autres raisons spécifiques. Sur cinq ans, les perspectives françaises sont encourageantes, même si elles restent plus incertaines à plus long terme. »

Cet atout repose en grande partie sur le parc nucléaire français, dont la durée de vie pourrait être prolongée à 50 ou 60 ans, voire 80 ans comme cela a déjà été annoncé dans certains pays, sous réserve des impératifs de sécurité. Toutefois, cette forte compétitivité freine le développement des contrats d’approvisionnement en énergies renouvelables (PPA). Ces accords de long terme permettent à un producteur d’électricité de vendre directement l’énergie générée par une installation spécifique, telle qu’une ferme solaire ou un parc éolien, à un acheteur. « Si les prix étaient à 90 €, comme en Allemagne, leur essor en France aurait sans doute été plus rapide », a-t-il ironisé.

En effet, avec des prix plus élevés, les producteurs d’énergie renouvelable en Allemagne ont une incitation plus forte à conclure ces contrats, et les entreprises acheteuses sont plus enclines à y recourir pour sécuriser des prix fixes et se protéger contre la volatilité. En revanche, en France, le coût relativement bas de l’électricité, soutenu par le parc nucléaire, diminue l’incitation à investir dans des contrats à long terme pour les énergies renouvelables. Ainsi, tant que les prix restent attractifs, le développement des PPA pourrait être plus lent en France qu’en Allemagne.

Appels d’offres : des tarifs qui tardent à baisser ?

Le directeur de la CRE a aussi souligné les obstacles rencontrés avec les appels d’offres publics : « Par exemple, sur les contrats pour les panneaux photovoltaïques, on est plutôt autour de 80 € par mois, ce qui reste élevé pour des engagements sur 20 ans. De notre côté, nous aimerions voir les prix baisser, car les coûts ont fortement diminué. Pourtant, dans les faits, les tarifs issus de ces appels d’offres publics ne reculent que très lentement, à raison de 1 à 2 % à chaque fois. Mais c’est le gouvernement qui fixe le prix plafond, les volumes et les cahiers des charges donc on ne peut rien faire. »

« Sur les contrats pour les photovoltaïques, on est à80 € par mois pour des engagements sur 20 ans » pointe Dominique Jamme @ JSS

Il convient toutefois de temporiser, a estimé Dominique Jamme, qui rappelle que la France traverse une phase de transition entre la sortie de crise et la mise en consultation de la programmation pluriannuelle de l’énergie. « Faut-il nécessairement atteindre tous les objectifs uniquement par le biais d’appels d’offres assortis de contrats garantis par l’État ? La question mérite d’être posée », s’interroge ce dernier.

Par ailleurs, selon les prochaines réglementations, l’éolien maritime pourrait également rencontrer quelques difficultés à l’avenir. « Il est prévu, dans les prochains cahiers des charges – bien que cela ne soit pas encore adopté et seulement en étude –, qu’une partie de la production ne soit plus soutenue par l’État. C’est un élément qui pourrait avoir des répercussions sur la signature des PPA. »

Assurer un accès pérenne au biogaz

Pour Michel Germond-Pierroux, responsable des affaires publiques de l'entreprise EQIOM, acteur dans le secteur des matériaux de construction, la programmation pluriannuelle de l’énergie 2025-2035 s’inscrit dans une stratégie politique globale. D’après lui, « avant qu’une règle ne devienne une règle de droit, elle est d’abord le fruit d’une volonté politique qui s’affirme », insistant aussi sur l'importance d'un cadre politique stable et porteur pour permettre aux entreprises d'investir massivement.

En ce qui concerne le gaz vert, notamment le biométhane, Michel Germond-Pierroux a insisté sur la nécessité d'obtenir des garanties sur l’ambition de la France en matière d'infrastructures, de production et de sécurité d’approvisionnement. « Il est essentiel de raccorder les sites encore isolés et d’assurer un accès souple et pérenne au biogaz, ne serait-ce que par le biais d’une prime aux entrants, pour déclencher les investissements nécessaires, comme prévu dans une feuille de route concertée avec l’État », a-t-il précisé.

Une analyse qu’a également partagé Dominique Jamme, qui en a profité pour mettre en lumière l’importance d'un soutien renforcé de la France au développement du biogaz : « Produire du biogaz est coûteux, bien plus que le gaz fossile, et dans le contexte économique actuel, cet appui devient indispensable. »

Enfin, le responsable des affaires publiques, qui est également juriste, a souligné que l’implication et la validation de la population étaient « essentielles pour éviter toute opposition ». « Il est crucial de maintenir un dialogue continu, non seulement entre les industriels et des institutions comme la Commission de régulation de l’énergie, mais aussi avec la population, afin de les convaincre de la viabilité des nouveaux projets énergétiques. »

Romain Tardino

 

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