Créé le 1er
janvier 2009, le régime d’auto-entrepreneur célèbre cette année ses
10 années d’existence. Visant à offrir un statut aux travailleurs indépendants,
il a su, en une décennie, séduire pas moins de 3 millions de Français.
Monique Sentey, déléguée générale de l’Union des auto-entrepreneurs (UAE),
revient sur cet anniversaire, et livre, pour le Journal Spécial des Sociétés,
quelques pistes d’évolution.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis déléguée générale de l’Union des auto-entrepreneurs depuis 10 ans, c’est-à-dire depuis sa création. L’association UAE a pour objectif
de promouvoir et défendre le régime de l’auto-entrepreneur et d’accompagner les
démarches de professionnalisation des travailleurs indépendants tout au long de
leur projet (installation, gestion, développement, croissance).
Avant cela, je travaillais dans le secteur du tourisme, où, en
partenariat avec le Canada, j’ai été associée à la création du premier courtier
en sièges d’avions, ayant donné naissance à la démocratisation des voyages.
Puis je me suis investie dans le soutien de chercheurs, spécialement dans
l’organisation de leurs congrès médicaux et scientifiques.
Attirée
depuis toujours par l’entrepreneuriat et l’accompagnement, je suis également
l’auteur du livre Auto-entrepreneurs, lancez-vous ! S’informer, se
protéger et piloter son activité, paru en février dernier.
à quoi le statut de l’auto-entrepreneur, renvoie-t-il, en quelques
mots ?
C’est un régime initié par Francois Hurel, président de l’Union des
auto-entrepreneurs. En 2007, en qualité de Président du forum de
l’entrepreneuriat de l’OCDE, il s’est rendu en Argentine, Australie et Canada,
notamment pour s’inspirer des modèles existants de travailleurs indépendants.
Il a pris les avantages de chacun pour créer ce régime de l’auto-entrepreneur
en France. En 2009, le but était de faciliter le lancement d’une activité, sans
freiner les créateurs par une lourdeur administrative ou financière, avec pour
principale nouveauté la simplification de la démarche de création. Elle se fait
facilement en ligne, sur le portail officiel « www.autoentrepreneur.urssaf.fr »
et surtout gratuitement.
Autre particularité, on ne paye des cotisations fiscales ou sociales que
lorsque son activité engendre un chiffre d’affaires. En bref, tant que l’on
n’encaisse rien, on ne paye pas de cotisations.
Les plafonds de chiffre d’affaires en auto-entrepreneur ont doublé en
2018 : ils s’élèvent désormais à 170 000 euros pour la vente de marchandises et 70 000 euros pour la prestation de services et libérale. La
facturation et la récupération de la TVA sur les achats débutent respectivement
à partir de 91 000 et 35 200 euros. à savoir que depuis
2019, tout créateur est éligible à l’aide à la création d’entreprise, l’ACRE,
qui n’est plus seulement réservée aux demandeurs d’emploi comme c’était le cas
avant.
Combien sont-ils ? Quel est le
« profil type » ? Quel est le revenu (ou CA) moyen ?
L’auto-entrepreneur, ça peut être tout le monde ! Aussi, il est
impossible d’en établir un profil type. Chacun peut créer son projet, à partir
de 16 ans, et parmi les inscrits à l’UAE, le doyen a 80?ans.
On sait
qu’approximativement, 30 % des
auto-entrepreneurs sont des demandeurs d’emploi ou en cumul d’activité
salariée ; 30 % exercent à
temps plein et 30 % sont
retraités.
Il y a presque autant de femmes que d’hommes (40 % de femmes), là où, dans la
création d’entreprise classique, elles n’avoisinent que les 30 %.
Concernant
le chiffre d’affaires, là encore il apparaît compliqué d’établir une moyenne,
dans le sens où chacun ne consacre pas le même temps à son projet. Certains
peuvent cumuler une autre activité et y consacrer 10 % de leur temps, là
où d’autres s’y consacrent à temps plein. Toutefois, on sait qu’environ 30 % des auto-entrepreneurs sont
proches de 30 000 euros de chiffre d’affaires
(avoisinant le seuil de TVA).
Cette
variété de profils se ressent également dans la diversité des activités (libéral,
commerce, artisanat…). Seules les professions réglementées ne peuvent pas être
exercées en tant qu’auto-entrepreneur. C’est un régime souple qui peut répondre
à de nombreux besoins. Toutefois, si l’activité nécessite un gros
investissement, il sera conseillé de se tourner vers un autre statut
d’entreprise de droit commun classique.
Quel bilan tirez-vous de ces 10 années
d’existence ?
3 millions d’auto-entreprises ont
été créées en 10 ans. 30 % d’entre elles se seraient
transformées en société. Aujourd’hui, on compte 1,5 million d’auto-entrepreneurs en
activité ; une création sur deux se fait en auto-entrepreneur (46 %) et on attend 1 million de nouveaux créateurs
dans les années à venir.
Certains ne
se satisfont pas dans le salariat, ou ne trouvent pas de travail. Ce régime
répond ainsi à un besoin de mise en avant de ses compétences, accessible à tous
et ouvert à chacun. Une personne « sénior » licenciée, en rupture
conventionnelle ou à la retraite, aspire de plus en plus à continuer une
activité, avec ce souhait de transmettre, se reconvertir, ou faire de la
recherche et développement.
Le régime de l’auto-entrepreneur répond à cette envie et ne présente
surtout pas de risque dans la création de l’activité. Aucun investissement
n’est nécessaire, et bien moins d’obligations administratives en regard du
niveau de celles des sociétés. Il est en revanche capital de savoir définir son
offre, en fixer le prix juste, et bien s’organiser pour piloter son activité.
Bien que le risque soit limité, certains sont novices et ne connaissent pas
l’entrepreneuriat. Aussi, depuis 10 ans,
l’objectif de notre association est de professionnaliser ces personnes qui
démarrent leur activité. L’homogénéité de l’information n’existe pas sur le
territoire entre les différents acteurs : les gens sont perdus. Notre but
est de les informer, les accompagner et diffuser les connaissances. Une équipe
d’experts du régime et une sélection de partenaires privés choisis par l’UAE
pour leur implication dans l’accompagnement des entrepreneurs sont à l’écoute
de nos adhérents. Il faut apporter de la pédagogie et rassurer les travailleurs
indépendants. Ils constituent un vivier. Ce sont peut-être eux les employeurs
de demain.
Comme vous le disiez, ce régime offre une
certaine souplesse. Pourquoi, selon vous, a-t-il rencontré un tel succès ?
Quels sont ses autres atouts ?
La facilité de création et le faible risque qu’il représente sont en
effet des qualités importantes qui expliquent le succès de ce régime. Le fait
de pouvoir le cumuler avec son statut de demandeur d’emploi ou avec une autre
activité est également un avantage non négligeable. De plus en plus de
fonctionnaires, attirés par la sécurité de l’emploi au départ, expriment
désormais l’envie de faire autre chose. La possibilité de cumuler évite une
rupture trop brutale, et permet de se lancer en douceur, sans trop de risque,
avant de devenir totalement autonome.
L’agilité du régime permet enfin de s’adapter à chaque période de vie,
en offrant aux gens la liberté d’agir et de se prendre en main. Les maîtres
mots étant : « soyez fiers de ce que vous faites et proposez vos
compétences ! ».
Pensez-vous que ce statut répond à une envie
d’entrepreneuriat de plus en plus développée ?
D’entrepreneuriat, je ne sais pas, mais à une envie de prise
d’autonomie, certainement.
Au moment de la création de ce régime, en 2009, nous étions en pleine
crise.
Sa naissance visait aussi à répondre à ce besoin de se prendre en main. Une
porte s’est ainsi ouverte et certaines personnes ont voulu essayer de se lancer.
Après avoir muri leurs projets, elles ont créé de nouveaux concepts et elles
les ont parfois transformés par la suite en sociétés.
Ce régime répond à une envie de faire à SA façon, en revisitant pourquoi pas
des métiers classiques. La millionième personne en auto-entrepreneur est par
exemple une esthéticienne qui propose ses services à domicile, en triporteur.
En revisitant ce métier, en l’adaptant, elle propose désormais un
service écologique, mobile, et utilise des produits bio. Aujourd’hui, elle transmet
son savoir-faire en formation et a créé sa micro franchise.
L’auto-entrepreneuriat laisse part à l’envie de créer en levant les freins
administratifs. Reste encore à répondre à la problématique liée à la protection
sociale obligatoire…
C’est-à-dire ?
Par exemple, une adhérente de l’UAE, ayant dû arrêter son activité
salariale, a choisi de lancer aussitôt son projet, lequel était déjà arrivé à
maturité. Elle ne s’était pas inscrite à Pôle emploi, et attendait un enfant.
Elle n’avait alors droit à aucune protection de congé maternité n’ayant pas
encore cotisé en tant qu’indépendante, et bien qu’elle ait cotisé en tant que
salariée. Ce n’est pas normal, le congé maternité étant un devoir au-delà
d’être un droit. Son cas a été suivi par l’UAE, et elle a pu, au final
bénéficier de cette protection. Depuis très récemment, le congé maternité s’est
désormais aligné sur celui du salarié. Mais il faut aller plus loin, en mettant
en place la portabilité des droits, attachés à la personne et non au statut.
Quelqu’un ayant cotisé en amont doit pouvoir être protégé à ce titre, mais pour
cela, il faudrait une portabilité des droits.
Il en est de même concernant les accidents du travail et les indemnités
journalières : l’auto-entrepreneur doit justifier d’un an d’exercice et de
cotisations pour pouvoir en bénéficier. Il doit ainsi adhérer à une
complémentaire santé privée et prévoyance. Lorsque l’on n’est plus salarié, on
doit donc bâtir sa propre protection sociale, mais ce n’est pas évident pour
tout le monde.
C’est pourquoi il faut informer, accompagner, former. Il s’agit de ne
pas discriminer les personnes qui veulent être actives ! Aider les
demandeurs d’emploi relève de la solidarité, mais il faut surtout encourager à
l’activité. Les travailleurs
indépendants, même lorsqu’ils se lancent, sont dans une démarche active, il
faut leur reconnaître cela. Pourtant, leur image est encore trop souvent
associée à une instabilité, à un manque de confiance, et la société ne les aide
pas suffisamment.
«Il faut apporter de la pédagogie et rassurer les travailleurs indépendants. Ils constituent un vivier. Ce sont peut-être eux les employeurs de demain».
Il a également été évoqué l’idée d’un droit au chômage en cas d’échec. Le régime est-il amené à évoluer ?
En effet, ce droit au chômage en cas d’échec devrait être mis en
application cette année. Il ne s’applique que dans certaines conditions. En cas
de perte subite d’activité, il permettra à l’auto-entrepreneur ayant plus d’une
année d’existence, avec un certain CA et après demande de liquidation auprès du
tribunal de commerce, de bénéficier d’une indemnité de six mois à hauteur de
800 euros par mois. Cela donnera un léger filet de sécurité
permettant au travailleur indépendant de rebondir.
Cette accumulation de
plusieurs professions que permet ce statut n’illustrerait-elle pas aussi un
manque financier rencontré par certains qui, pour y répondre, doivent ainsi développer
une seconde activité pour arrondir leurs fins de mois ?
Cela existe certainement, surtout auprès de
personnes en temps partiel notamment.
Mais je pense que cela reste assez minime. Il faut
toutefois que les professionnels de l’emploi s’adaptent à ces nouvelles façons
de travailler. Le marché de l’emploi évolue, les demandes et services aussi.
Par exemple, dans les lycées, les conseillers d’orientation ne sont peut-être
plus totalement adaptés à cette évolution. Chaque personne dispose de multiples
compétences ; nous avons la chance de pouvoir désormais les exploiter de
différentes manières. Nous savons aujourd’hui que les nouvelles générations
seront amenées à exercer différentes activités, répondant à leur palette de
connaissances et savoir-faire. Il faut valoriser les compétences et les mettre
en application. On peut changer de secteur, changer d’activité. Chacun peut
avoir plusieurs caquettes.
Dans une société qui
développe de plus en plus le service, pensez-vous que l’émergence des
plateformes collaboratives a été favorable à ce dispositif ?
De façon générale, nous rencontrons dans ce régime
beaucoup d’activités libérales, de services aux entreprises, consultants,
conseils, formations, des activités liées au bien être aussi et aux services à
domicile (notamment en régions et zones rurales), car il y a une forte demande.
L’activité de chauffeurs VTC est par exemple un secteur en augmentation, via le
développement des plateformes collaboratives et numériques.
Lors de la création du régime en 2009, ces
plateformes n’existaient pas encore, et leur développement s’est accéléré en
même temps que le nombre d’auto-entrepreneurs, c’est certain. Car en effet, ce
régime apparaissait comme une réponse adaptée à la demande des consommateurs
souhaitant de plus en plus de services agiles. C’est pourquoi il serait
impossible d’imaginer viables ces activités sous un régime salarial.
Les besoins évoluent, et la souplesse du régime
permet encore une fois à chacun d’exercer son activité au moment où il le
souhaite. Toutefois, leur formation pour trouver des clients directs est
nécessaire. La plateforme est un des moyens d’accéder à de la clientèle et
d’être ainsi rapidement actif, le temps de compléter par sa propre clientèle
trouvée directement, mais cela n’est pas toujours évident dans la tête de
chacun.
Justement, entreprendre
ne s’improvise pas. Comment les auto-entrepreneurs novices sont-ils accompagnés
lors de leur création ?
Il y a en effet un travail pédagogique à faire. Pour
reprendre l’exemple ci-dessus, les chauffeurs VTC ou les livreurs à vélo
exercent dans un format de travailleurs indépendants ! Ils ne sont donc ni
associés en société, ni salariés subordonnés à un seul employeur. Qui dit être
« indépendant » dit n’avoir aucune dépendance. C’est une
relation « clients/prestataire-indépendant » et non pas une
relation « employeur/employé-exécutant ». En prenant le chemin
de l’indépendance, ils doivent ainsi être acteurs de leur activité en ciblant
et en démarchant des clients.
Nous sommes l’association de référence pour
accompagner les porteurs d’un projet qui se lancent comme auto-entrepreneurs en
leur proposant des solutions concrètes.
En adhérant à l’association (4 euros par mois, 48 euros par an), ils
bénéficient ainsi d’un service de renseignement par téléphone illimité, tous
les jours, de 8h à 18h, il s’agit d’un vrai service d’assistance juridique
(fiscal, social, juridique, administratif) lancé depuis février, en réponse à
une forte demande à ce sujet.
Le programme du PASS UAE mis en place depuis mars
propose la mise en place d’un parcours vertueux avec un accompagnement
personnalisé. L’UAE offre également à chaque membre, gratuitement pendant un
an, un site Internet avec un nom de domaine, un compte en banque, ainsi que des
avantages avec la création de son logo, une solution pour cibler et trouver ses
clients, un outil simple de compta et facturation, des solutions nécessaires
pour se professionnaliser et assurer sa visibilité.
Toutefois, nos adhérents ne sont pas que des
novices, loin de là. Ils restent généralement inscrits car nous les aidons tout
au long de leur développement, en leur
apprenant notamment à aller chercher des clients. L’information sur le web
n’est pas toujours facile à trouver et peut même, selon les sources, être différente.
Il faut donc simplifier l’accès à une information juste et former les
auto-entrepreneurs.
Nous avons élargi notre association, qui s’appelle
l’Union des Auto-Entrepreneurs et des Travailleurs Indépendants, car l’objectif
de ces professionnels est le même : devenir autonome et vendre leurs
services. Pour rappel, l’appellation « micro-entrepreneur »
est celle donnée aux auto-entrepreneurs par l’INSEE, depuis deux ans, mais
l’Urssaf, quant à elle, a gardé le nom d’origine qui évoque dans sa terminologie
cette notion d’autonomie. Bien que ces différents vocables aient tendance à
embrouiller, auto-entrepreneur, micro-entrepreneur ou freelance, c’est la même
chose ! Ce sont des travailleurs indépendants sans salariés fixes (il est
toutefois possible pour l’auto-entrepreneur de réaliser des contrats de travail
à durée déterminée pour répondre à un besoin ponctuel, sur le site de l’Urssaf
avec le Tese les bulletins de salaire se font automatiquement).
Comment imaginez-vous ce
dispositif dans 10 ans ?
Concernant les évolutions attendues, comme évoqué
plus haut, je souhaite vivement que la protection sociale obligatoire soit
homogénéisée, et que les auto-entrepreneurs bénéficient d’une protection proche
de celle des salariés. Il faut arrêter
de stigmatiser les travailleurs indépendants, tant auprès des banques par
exemple, que des bailleurs, pour que ces actifs puissent accéder aux mêmes
conditions d’octroi de prêts, d’accès au logement et de droits sociaux.
Les entreprises doivent pouvoir saisir des opportunités
de développement et puiser – sans risque de requalification – dans les palettes
de compétences des auto-entrepreneurs. Cette forme d’entrepreneuriat est vouée
à se développer, nous le savons. On attend encore l’arrivée de beaucoup
d’inscrits dans les années à venir, auprès des nouvelles générations surtout.
Il faut alors former ceux qui sont en contact avec les jeunes, pour leur
permettre cette liberté de créer, et promouvoir ainsi les talents des
Français !
Propos recueillis par Constance Périn