Malgré des informations parfois contradictoires, les zones
à faibles émissions mobilité (ZFE-m) entrent progressivement dans le paysage
urbain français. Rendues obligatoires par la loi « Climat et résilience » de
2021 pour les agglomérations de plus de 150 000 habitants, elles visent à
restreindre l’accès à certaines zones – souvent les centres-villes – pour les
véhicules les plus polluants. L’objectif ? Améliorer la qualité de l’air. Mais
derrière l’outil juridique, la mise en œuvre des ZFE se heurte à des réalités
contrastées sur le terrain, entre reculs, dérogations et inégalités sociales.
Un dispositif à la croisée des chemins entre droit, écologie et acceptabilité
sur fond d’enjeux sanitaires.
Selon la dernière étude sur la qualité de
l’air ambiant de Santé publique France, la pollution de l’air aux
particules fines est responsable de quelque 40 000 décès prématurés chaque
année en France. Une exposition à long terme à la pollution de l’air peut en
effet provoquer ou aggraver de nombreuses maladies respiratoires (asthme,
bronchopneumopathies chroniques obstructives, cancer du poumon…),
cardiovasculaires, neurologiques ou métaboliques (diabète de type 2). Les
émissions de dioxyde d’azote seraient quant à elles responsables de 7 000
décès par an. Or, le trafic routier est responsable de 57% des émissions
d’oxydes d’azote et d’une part significative (10 %) des émissions de
particules fines.
Les ZFE : pourquoi, comment ?
Déjà condamné par l’Europe (1) et par le Conseil d’État (2) pour insuffisance d’actions pour améliorer la qualité de
l’air, l’État français se devait d’agir. Et parmi la panoplie d’outils conçus
par le législateur pour réduire la pollution locale de l’air, figurent les zones
à faibles émissions mobilité (ZFE-m), créées par la loi d’orientation et de
mobilités (LOM) de 2019 puis rendues obligatoires pour les agglomérations de
plus de 150 000 habitants par la loi « Climat et résilience » de 2021.
Concrètement, « une ZFE-m est un périmètre
dans lequel certains types de véhicules, considérés comme trop polluants, n’ont
pas le droit de rouler et de stationner. Ces restrictions reposent sur le
système de la vignette Certificat Qualité de l’Air, communément appelée ‘Crit’Air’ »,
définit le rapport « Les zones à faibles émissions – 25 propositions pour
allier transition écologique et justice sociale » (janvier 2023).
« Globalement, les ZFE ont été mises en place
dans une démarche d’amélioration de la qualité de l’air, en particulier dans
les centres urbains où elle est dégradée et où se concentre une part importante
de population, entre les habitants et les usagers », explique
Charlotte Liotta, chercheuse à l’université autonome de Barcelone spécialisée
sur les politiques climatiques.
Si la première ZFE française a été mise en place dès
2015 à Paris, leur généralisation n’intervient dans les villes de plus de 150 000
habitants qu’en 2021 « sous conditions de critères de qualité de l’air, précise
Charlotte Liotta. En effet, il n’y a pas seulement un critère de taille mais
également un niveau de pollution de l’air. »
Des agglomérations entre obligations et libre-arbitre
En effet, avec la loi « Climat et Résilience », 43
territoires étaient concernés au 31 décembre 2024 avec « toutefois des
nuances selon les niveaux de pollution de l’air de ces agglomérations,
complètent Nadine Dueso et Chantal Derkenne, expertes au sein du service
qualité de l’air de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de
l’énergie). Seules les métropoles qui dépassent régulièrement les seuils
réglementaires (à ce jour, Paris et Lyon) sont tenues de respecter le
calendrier de restriction inscrit dans la loi, la dernière étape franchie au
1er janvier 2025 étant la restriction de la circulation des véhicules CRIT’AIR
Non Classés à 3 inclus. »
Les autres agglomérations de plus de 150 000
habitants peuvent établir le calendrier de restriction de leur choix, voire ne
pas mettre en place de ZFE si les moyennes annuelles en dioxyde d’azote sont
conformes sur les cinq dernières années (trois années sur cinq au-dessous des
valeurs guides préconisées par l’Organisation mondiale de la santé) ou si elles
mettent en place des dispositifs alternatifs aussi efficaces du point de vue de
la qualité de l’air.
Reports, expérimentations et dérogations
Mais, en pratique, la latitude laissée aux
agglomérations entraîne, par endroit, un recul de la mise en place de ZFE : «
de fait, certaines agglomérations qui avaient prévu, dans un premier temps, de
prendre de l’avance sur le calendrier national reviennent sur leur décision,
pointe Charlotte Liotta. C’est le cas, par exemple, à Grenoble où
l’interdiction des voitures Crit’Air 2 a été repoussée à 2028 alors qu’elle
était initialement prévue pour 2025. » D’autres villes demandent des
exemptions ou des délais supplémentaires : « On constate donc des reports ou
des allongements des périodes d’expérimentation durant lesquelles les ZFE sont
effectivement mises en place mais il n’y a pas de pénalisation comme à
Perpignan et à Dijon par exemple », poursuit la chercheuse.
À noter que seules les agglomérations du Mans, de
Saint-Nazaire et d’Amiens ont obtenu, à ce jour, une dérogation officielle à
l'obligation de mettre en place une ZFE. Mais pour l’Ademe, d’autres villes
font au contraire figure de bonnes élèves et « quelques communes de taille
inférieure à 150 000 habitants s’interrogent sur la mise en place d’une
ZFE à titre volontaire ».
315 ZFE réparties dans 14 pays européens
Les ZFE ne sont pas une exclusivité française. Loin de
là. Elles sont nées en Suède en 1996 : « Göteborg, Malmö et Stockholm ont
introduit des “zones environnementales” dans leur centres-villes qui ciblaient
les camions diesel et les cars de plus de 3,5 tonnes, relate l’Ademe. En
2005, les régions de l'Italie du Nord se sont réunies pour trouver des accords
sur les mesures relatives à la qualité de l'air à mettre en œuvre. Cela a
abouti à la mise en place de ZFE fonctionnant en hiver dans ces régions. En
juillet 2007, les Pays-Bas ont commencé à mettre en œuvre des ZFE. Les ZFE de
Berlin et Londres ont démarré respectivement en janvier et février 2008. »
Depuis, le nombre de projets européens planifiés n'a
cessé d'augmenter. Fin 2022, on comptait ainsi 315 ZFE à travers 14 pays
européens : l’Allemagne, l’Angleterre, l’Autriche, la Belgique, le Danemark,
l’Écosse, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal,
la République tchèque et la Suède. À noter que ces zones couvrent généralement
les centres-villes et restreignent l'accès en fonction des normes d'émission.
Fin 2024, cependant, l'Allemagne a supprimé plusieurs
ZFE dans plus d’une dizaine de villes, dont Hanovre et Mannheim. Pour Charlotte
Liotta, c’est une décision qui a du sens « dans la mesure où les ZFE sont
mises en place pour améliorer la qualité de l’air. Or, la qualité de l’air de
ces zones étant revenue à un niveau respectant le seuil européen, il n’est pas
incongru de supprimer le dispositif. »
Des premiers résultats positifs sur le plan sanitaire
En France, deux évaluations des ZFE ont été réalisées,
l’une à Strasbourg, l’autre à Grenoble. « Les principales conclusions de
cette dernière montrent notamment une accélération du renouvellement des
véhicules utilitaires légers et des poids lourds les plus polluants ciblés par
la ZFE, détaillent Nadine Dueso et Chantal Derkenne. On relève également
un taux maîtrisé de véhicules non conformes malgré l’absence de contrôle
sanction automatisé et, surtout, une atteinte des objectifs fixés en matière de
qualité de l’air : une réduction d’émissions de 25% pour les oxydes d’azote,
entre 28% et 38% des particules fines et de 2% des gaz à effet de serre. »
« En termes de santé publique, il est un peu tôt pour
dresser un bilan à l’échelle nationale mais, au niveau européen, les ZFE ont
permis de réduire la pollution de l’air et quelques études montrent que ce
système permet de réduire les maladies respiratoires et cardiovasculaires », constate
Charlotte Liotta qui nuance cependant : « Dans certaines villes, les effets
sont très importants, dans d’autres, ils sont un peu moins flagrants. Et les
effets sont inégalitaires : ainsi, les ZFE permettent de réduire la pollution
et donc d’améliorer la qualité de vie et la santé… mais seulement dans
certaines zones et pour les populations qui y vivent. En revanche, les ZFE
impactent négativement les populations qui n’y vivent pas mais ont besoin de
s’y rendre. »
Les ZFE, facteur d’injustice sociale ?
Et c’est bien là ce que certains reprochent au
dispositif qu’ils accusent d’accentuer les inégalités sociales. « Le débat
se retrouve aujourd’hui piégé entre deux alternatives aussi inacceptables l’une
que l’autre : d’un côté abandonner la lutte contre la pollution de l’air et
l’émission de dioxyde d’azote et de particules fines et leurs impacts sur la
santé, et de l’autre côté négliger la justice sociale », rappellent Nadine
Dueso et Chantal Derkenne. En effet, les détenteurs des véhicules les plus
anciens sont aussi le plus souvent ceux qui sont les plus défavorisés.
« Cependant, le débat ne devrait pas opposer ces
enjeux mais chercher à les concilier, insistent les deux expertes de l’Ademe. Car si les
effets injustes des ZFE sont souvent mis en avant, il est possible de concilier
le déploiement des ZFE tout en préservant la justice sociale. » Ainsi, les
collectivités peuvent décider de dérogations aux restrictions de circulation
pour certains types de véhicules ou certaines catégories d'usagers. Elles
peuvent aussi décider de n’appliquer ces restrictions que certains jours ou sur
certains créneaux horaires.
Penser à plus long terme
De fait, « si c’est une mesure à court terme, qui
peut être facilement et rapidement mise en place pour tel ou tel type de
véhicule, le pendant négatif est que cela dispense de penser des solutions à
plus long terme. Or, les villes ont surtout besoin d’infrastructures, notamment
pour les transports en commun et les mobilités douces », pointe Charlotte
Liotta. En effet, les ZFE n’ont d’utilité mais surtout de raison d’être que si
les habitants peuvent se loger assez près ou s’y rendre facilement pour en bénéficier.
D’ailleurs, « certaines collectivités proposent des services de diagnostic
et de conseil en mobilité et accélèrent le déploiement de mobilités
alternatives comme les cars express, le transport à la demande, l'auto-partage,
le covoiturage ou encore les voies express vélos », citent Nadine Dueso et
Chantal Derkenne.
Pour Charlotte Liotta, « les ZFE sont une réponse
au problème de la pollution de l’air mais elles ne sauraient en effet être la
solution à tous les problèmes. La question des voitures en ville pose de
nombreuses questions : accidents, partage de l’espace en ville, qualité de vie
générale… Il faut prendre la question de manière plus globale sur la qualité de
vie en général et comment on imagine la ville du futur. »
Camille Grelle
Pi+
1/ Arrêt du 24 octobre 2019 de la CJUE ;
2/ « Qualité de l’air : le Conseil
d’État constate que les mesures prises pour respecter les seuils de pollution
ont porté leurs fruits », Conseil d’État, 25 avril 2025.