Le quatrième baromètre de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes,
publié le 30 avril, confirme la tendance baissière de l’activité de la
profession, malgré une diversification des missions en lien avec les enjeux de
RSE.
Une activité en baisse mais des missions
plus nombreuses. Voilà comment synthétiser les grandes lignes du quatrième
baromètre de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC).
L’organisme qui représente les plus de 11 400 commissaires du pays dresse
depuis 2021 un état des lieux annuel de la profession et constate, chaque
année, le recul lent mais constant de sa présence dans les entreprises. Le
rapport, qui porte sur les déclarations de 2023 (donc sur l’exercice 2022),
annonce une perte de près de 11 000 mandats avec 229 457 missions effectuées
par les commissaires aux comptes. Depuis la naissance de l’étude, le recul est
sensiblement le même chaque année.
Dans le détail, la création de 11 000
nouveaux mandats ne compense pas les 8 000 perdus à cause de l’érosion dite
naturelle (fin d’activité, fusion, etc), auxquels s’ajoutent 14 000 mandats
ayant pris fin des conséquences de la loi Pacte, d’après la CNCC. En 2019, le
Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises avait acté
un rehaussement inédit des critères imposant aux entreprises de faire certifier
leurs comptes. Jusqu’alors, plusieurs seuils coexistaient selon les types de
structures. La loi Pacte a fixé un nouveau cadre commun moins contraignant en
s’alignant sur les attentes européennes. Toute entreprise dépassant deux des
trois seuils suivants doit faire appel à un commissaire aux comptes : un bilan
de 4 millions d’euros, un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros, un nombre
de salariés de 50. « Cette réévaluation des critères perturbe
considérablement l’activité avec une baisse inévitable du nombre de mandats »,
déplore Yannick Ollivier, président de la CNCC, qui rappelle que l’État n'était
pas contraint par l’Europe de revoir ces seuils.
Le recul de l’activité
devrait se prolonger
Puisque les désignations d’auditeurs
s’étalent en général sur six ans, celles entamées avant la loi Pacte ne sont
donc pas encore toutes arrivées à leur terme. La tendance de recul devrait donc
se confirmer dans les prochaines années. D’autant qu’en février dernier, le
gouvernement a décidé d’une nouvelle hausse des seuils financiers, montant les
critères de chiffres d’affaires à 10 millions d’euros et de bilan à 5 millions
d’euros. Un changement qui s’applique tout juste et qui se répercutera lui
aussi dans les années à venir. De quoi agacer le président de la CNCC : « 25
% d’augmentation, ce n’est pas rien et cela peut mettre en danger l’exercice
libéral de la profession. Certains cabinets vont voir leur portefeuille de
clients vraiment diminuer. » Un bruit court pourtant : Bercy
réfléchirait à un second rehaussement dès cet été, plus important cette fois
(jusqu’à 15 millions d’euros de CA et 7,5 millions d’euros de bilan), malgré le récent recul du gouvernement face à la grogne de la profession. « Nous
avons été informés et militons évidemment pour éviter ce que nous estimons être
une très mauvaise idée, confie Yannick Ollivier. Il faut arrêter de nous
dépeindre comme une complexité administrative. Nous sommes au contraire un
atout pour la sécurité de l’économie et le développement des entreprises. »
À ce sujet, la CNCC met en avant ses relations avec les représentants des
entreprises qui, s’ils étaient favorables aux changements de la loi Pacte, sont
plus mesurés sur l’idée d’un nouveau rehaussement.
Car, malgré tout, les commissaires aux
comptes demeurent encore très sollicités par les entreprises. « Pour
les petites structures dont les dirigeants n’ont pas plusieurs conseillers
autour d’eux, et même si nous n’avons pas un rôle de conseil, notre action est
précieuse pour leur bon développement », estime Fabrice Vidal, qui
gère les questions liées aux petites entreprises à la CNCC. Avec la moitié des
mandats, les entreprises de moins de 50 salariés représentent le gros de
l’activité des commissaires aux comptes, même si elles sont aussi la principale
catégorie de perte depuis la loi Pacte. Pour Yannick Ollivier, elles témoignent
de la réalité du marché face aux seuils fixés par le ministère. « Une
grande partie des mandats renouvelés le sont avec des chiffres d’affaires
inférieurs à 8 millions par exemple. C’est la preuve que nous restons des
interlocuteurs importants pour ceux qui nous connaissent et qui veulent
continuer d’avoir notre expertise », avance le président de la CNCC. Il
craint cependant que les structures qui n’ont pas encore traité avec un
commissaire aux comptes perçoivent ce dernier comme une contrainte plutôt qu’un
avantage.
La directive CSRD
booste les enjeux de durabilité
Pour pallier le recul de leur activité principale, les auditeurs
s’appuient sur la dynamique de leurs autres missions, dont certaines leur
avaient été attribuées en compensation par la loi Pacte, comme la certification
de RSE. Les deux tiers des commissaires aux comptes ont effectué une mission
autre que la certification des comptes en 2023, d’après l’enquête réalisée
auprès de 1700 commissaires qui complète le baromètre. La plupart de ces
missions consiste en des attestations, mais les enjeux de durabilité sont
croissants, portés par l’application récente de la directive européenne CSRD
sur le reporting extra-financier des données ESG (environnement, social,
gouvernance). Un commissaire sur trois déclare dans l’étude de la CNCC avoir au
moins un client concerné par cette mesure, d’où l’importance de se former.
L’organisme de formation de la Compagnie a pour cela développé le visa
durabilité, un cursus de 90 heures pour devenir auditeur de durabilité et déjà
suivi par plus de 3 000 professionnels. « Nous constatons un réel
engouement sur ces sujets qui, au-delà de la mission supplémentaire qu’ils
peuvent constituer, sont aussi des éléments d’identité pour les cabinets,
observe Fabrice Vidal. Aujourd’hui, les nouvelles générations accordent une
grande importance à ces questions. » Cet outil supplémentaire dans les
mains des commissaires aux comptes pourrait faire naître des vocations. En
2023, 581 nouveaux auditeurs ont rejoint la liste des commissaires, dont 277
ayant bénéficié du plan jeunes diplômés qui vise à faciliter l’accès à la
profession dès l’obtention du diplôme.
Louis Faurent