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Les entreprises invitées à veiller au formalisme strict des lettres de crédit stand-by

Les entreprises invitées à veiller au formalisme strict des lettres de crédit stand-by
Publié le 05/07/2023 à 16:54

Dans le climat économique actuel, marqué par une augmentation significative du nombre de procédures collectives et de défaillances de sociétés, les entreprises doivent veiller à soigner particulièrement la présentation de leurs appels de garantie, dont le formalisme exigeant, mal maitrisé, peut entraîner le refus légitime de la banque de s’exécuter, souligne Guillaume Legall, avocat chez Swift Litigation.

Par un arrêt du 15 mars 2023[1], la chambre commerciale de la Cour de cassation a été amenée à trancher une question qui paraît pourtant simple, savoir : l’exécution d’une lettre de crédit standby par compensation est-elle valable ?   

La Cour a évidemment répondu par l’affirmative puisque la compensation est un mode de paiement valable comme le précisent suffisamment les textes[2] et comme le rappellent régulièrement les juges[3] et la doctrine[4], tout particulièrement dans les relations d’affaires.

Cette décision n’en est pas moins intéressante car elle illustre le fait que les acteurs de la vie économique ne sont pas très à l’aise lorsqu’il est question de mettre en jeu ces garanties. Cela s’explique assez aisément car elles servent, le plus souvent, à instaurer un climat de confiance dans le commerce international sans avoir, en pratique, réellement vocation à être actionnées par leurs bénéficiaires.

Toutefois, dans le climat économique actuel, marqué par une augmentation significative du nombre de procédures collectives et de défaillances de sociétés dont personne ne soupçonnait qu’elles pourraient connaître un tel sort, la situation risque de changer.

Les entreprises devront donc veiller à soigner particulièrement la présentation de leurs appels de garantie, dont le formalisme exigeant, mal maitrisé, peut entraîner le refus légitime de la banque de s’exécuter[5].

Les lettres de crédit stand-by, qu’est-ce que c’est ?

La lettre de crédit stand-by est l’engagement autonome pris par une personne morale, le plus souvent un établissement de crédit, de payer, d’ordre et pour compte du « donneur d’ordre »,  une somme d’argent déterminée à une tierce partie, le « bénéficiaire », contre remise par celui-ci de documents présentant une conformité apparente avec ceux qui sont requis aux termes de la garantie[6] (généralement, une déclaration attestant de la défaillance du donneur d’ordre,  les factures correspondant à la prestation ou livraison promise et les documents de transport afférents etc.).

Cet instrument repose ainsi sur « une relation triangulaire » dont l’économie générale se comprend par la faculté de la banque émettrice, en cas de paiement au bénéficiaire, de recouvrer contre son client les sommes dont elle lui a fait l’avance.

Elle constitue ainsi, en droit français, « une variété de crédit documentaire[7] » par la remise obligatoire de documents conformes pour qu’elle se réalise mais également « une technique hybride » la rapprochant des garanties autonomes par le fait qu’elle n’est levée qu’en cas de défaillance du donneur d’ordre[8].

Quelles sont les règles applicables aux lettres de crédit stand-by ?

Les lettres de crédit stand-by sont traditionnellement régies par les Règles et usances uniformes en matière de crédit documentaire révision 2007, publication de l’ICC n°600[9] (RUU).

Ce sont ces règles, avec les Pratiques bancaires internationales standards (PBSI), sur renvoi de la garantie elle-même, qui gouvernent les modalités de présentation des documents par le bénéficiaire et les conditions dans lesquelles la banque se retrouve dans l’obligation de payer ou de refuser de payer, sauf à perdre son recours contre le donneur d’ordre.


Certes, il existe également des « Règles et pratiques internationales relatives aux stand-by » (RPIS) mais ces dernières, du moins en France, ne sont presque jamais visées par les parties compte tenu du peu de littérature permettant d’en saisir la portée véritable.

Or, comme les RUU ou les Règles uniformes relatives aux garanties sur demande, les RPIS sont un corps de règles dont l’application est entièrement laissée au choix des parties, sans considération pour le libellé de la garantie émise[10].

Il en résulte que pour solliciter la mise en œuvre de la lettre de crédit stand-by, le bénéficiaire, se référant au RUU 600, devra donc adresser à la banque émettrice tous les documents convenus dans le délai de validité de la lettre de crédit stand-by afin de les soumettre à l’examen de la banque, qui dispose pour cela d’un délai de 5 jours ouvrés[11].

Les textes imposent un contrôle strict des documents présentés

La banque garante doit s’assurer que les documents remis sont « en conformité avec les termes et conditions du crédit, les dispositions applicables de ces règles et les pratiques bancaires internationales standard »[12].

L’examen doit ainsi permettre de vérifier que les informations contenues dans un document, lues dans le contexte du crédit, du document lui-même et des pratiques bancaires internationales standard, ne rentrent pas en contradiction avec les données dudit document, celles de tout autre document stipulé ou du crédit lui-même[13].

Le Guide pratique bancaire internationale standard, dans sa section relative à la « description des marchandises, services ou prestations et autres questions générales se rapportant aux factures », assouplit quelque peu la règle en précisant que le détail des marchandises peut, par exemple, être scindé dans plusieurs rubriques, dont la lecture combinée correspond à la description des marchandises figurant dans la garantie.

Mais cette exception n’autorise pas la banque émettrice à interpréter les autres documents fournis ou à en extraire les éléments éventuellement manquants des factures afin de pallier les irrégularités qui pourraient les affecter.

De même, l’article A40) des PBIS dispose que « les documents requis dans un crédit doivent être présentés comme des documents distincts », de sorte que chaque document dont la présentation est requise doit comporter l’intégralité des informations nécessaires à sa validité, sans que les informations contenues dans un autre document ne puissent permettre d’en régulariser la non-conformité.

C’est ainsi que l’article A40) précité, qui illustre lui-même la portée de sa règle, indique que « l’exigence d’une liste de colisage originale et d’une liste de poids originale [(parfois demandée en complément des factures)] sera satisfaite par la présentation de deux exemplaires originaux de la liste combinée colisage/poids ».

Il en résulte que la présentation d’un seul document contenant la liste combinée colisage et poids, alors même qu’elle contiendrait à elle seule toutes les données nécessaires, constituerait une présentation non conforme, justifiant un refus de paiement.

Il s’agira donc pour l’entreprise souhaitant bénéficier de ce type de garantie d’être attentive à la rédaction de la lettre de crédit, voire de s’investir dans l’élaboration de son  texte, pour éviter que les termes choisis, souvent à l’initiative du donneur d’ordre, ne l’empêchent d’en respecter les conditions.

Il faudra ensuite que le bénéficiaire, avant toute appel en garantie et présentation de document, s’assure de leur correspondance avec les termes de la lettre de crédit, en particulier la description des marchandises qui peut y figurer, puisque la banque serait dans le cas contraire fondée à refuser le paiement d’une garantie régie par les RUU 600 lorsque le bénéficiaire n’a pas fourni des documents répondant strictement aux exigences posées dans la lettre de crédit[14].

La présentation est indivisible

Les entreprises bénéficiaires devront avoir à l’esprit qu’il ne leur sera pas possible, après présentation d’une série de factures, de demander à la banque garante qui aurait relevé des irrégularités,  qu’elle règle le montant des factures régulières et écarte du champ de la présentation celles qui présenteraient des anomalies.

En effet, et contrairement à certaines idées reçues, la présentation s’analyse dans sa globalité et il suffit que l’un des documents seulement soit non conforme pour que la garantie ne soit pas appliquée.

L’appel en garantie étant « indivisible », tel que cela ressort de la combinaison des articles 7, 14 et 15 des RUU 600, il ne sera pas permis à la banque d’honorer partiellement un appel de garantie dont seulement une partie des documents présentés seraient réguliers.

La jurisprudence a d’ailleurs eu l’occasion de le rappeler récemment en retenant expressément que les textes n’autorisent pas : « la banque à effectuer un paiement partiel dès lors que la validité de la mise en jeu de la lettre de crédit standby est indivisible et s’apprécie donc dans son ensemble[15] ».

Une solution pour contourner le risque d’un rejet intégral en pareil hypothèse peut être, pour peu que les parties soient convenues d’une faculté de tirage partiel de la lettre de crédit, de séquencer l’appel de la garantie afin d’appeler dans un premier temps le paiement des factures sur lesquelles il n’existe pas de doute et, dans un second temps, celles sur lesquelles la banque pourrait émettre des réserves.

Une solution en cas de refus de paiement ?

Le bénéficiaire évincé n’est toutefois pas laissé sans recours puisque la sévérité du formalisme, qui n’est que la contrepartie naturelle de l’automaticité du paiement lorsque toutes les conditions sont remplies, est atténuée par la faculté du bénéficiaire de régulariser son appel, en procédant à une nouvelle présentation, cette fois-ci conforme.

Cette faculté doit toutefois être impérativement exercée à l’intérieur du délai de validité de la lettre de crédit stand-by[16] sauf à prendre le risque de perdre le bénéfice de l’intégralité de la garantie, dont la banque se retrouverait déliée [17].

Il convient donc de prendre garde à la date d’expiration de la garantie et de conserver a minima un délai de 15 jours avant son échéance pour en solliciter l’exécution puisque la banque dispose d’un délai de cinq jours ouvrés pour se prononcer.



[1] Cass, Com, 15 mars 2023, n° 20-23.552

[2] Article 1347 et suivants du code civil

[3] CA Paris, Pôle 5 chambre 9, 1er juin 2023, n°  22/01787 ; Cass, Com, 16 septembre 2014, n° 1319.294

[4] J.-Cl. Droit bancaire et financier, fasc. 1080 par J. Stoufflet, n° 165

[5] Crédits documentaires, lettre de crédit stand-by, cautions et garanties Guide pratique Hubert Martini, Dominique Deprée, Christian Cazenove, 3è Edition, Revue banque 2019 p 228

[6] Crédits documentaires, lettre de crédit stand-by, cautions et garanties Guide pratique H. Martini, D. Deprée, C.Cazenove, 3è Edition, Revue banque 2019 p 225

[7] CA Paris, 13 novembre 2008, n°99/02051

[8] CA Amiens, 2 avril 2013, n° 11/02416

[9] Lettre de crédit stand-by,  Respect du formalisme, RTD Com. 2006 p.464 / Cass. com., 28 mars 2006, n° 04-15.682

[10] RPIS 98, Rapport du Secrétaire général, Commission des nations Unies pour le droit commercial

[11] Droit et pratique de la lettre de crédit stand-by, Jean-Laurent Anglade, Litec, 233 ; Com, du 7 janvier 2004, 01-02.572

[12] Article 2 des RUU 2007 révision, publication de l’ICC n°600

[13] Article 14 des RUU 2007 révision, publication de l’ICC n°600

[14] TC Paris, 18 Novembre 2021, n°2020019456 ; CA Versailles, Ch. 12 section 2, 25 octobre 2007 ; CA Paris, ch. 14 section A, 6 février 2002, n°2001/15839 ; CA PARIS, ch. 5 section c, 10 mai 1996, n°95/001689 ;   Com, 7 janvier 2004, n°01-02.572 ;

[15] TC PARIS, 18 NOVEMBRE 2021, N°2020019456

[16] Droit et pratique de la lettre de crédit stand-by, Jean-Laurent Anglande, LITEC, 2000, P. 262

[17] Cass. Com. 20 novembre 1990, n°89-10057 ; Cass, Com, 3 MARS  2004, n°01-16.046 ; LAMY DROIT DU FINANCEMENT, N°5375

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