Dans le climat économique actuel, marqué par
une augmentation significative du nombre de procédures collectives et de
défaillances de sociétés, les entreprises doivent veiller à soigner
particulièrement la présentation de leurs appels de garantie, dont le
formalisme exigeant, mal maitrisé, peut entraîner le refus légitime de la
banque de s’exécuter, souligne Guillaume Legall, avocat chez Swift Litigation.
Par un arrêt du 15
mars 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation a
été amenée à trancher une question qui paraît pourtant simple, savoir :
l’exécution d’une lettre de crédit standby par compensation est-elle
valable ?
La Cour a évidemment
répondu par l’affirmative puisque la compensation est un mode de paiement
valable comme le précisent suffisamment les textes et comme le rappellent régulièrement les juges et la doctrine, tout particulièrement dans les relations
d’affaires.
Cette décision n’en
est pas moins intéressante car elle illustre le fait que les acteurs de la vie
économique ne sont pas très à l’aise lorsqu’il est question de mettre en jeu
ces garanties. Cela s’explique assez aisément car elles servent, le plus
souvent, à instaurer un climat de confiance dans le commerce international sans
avoir, en pratique, réellement vocation à être actionnées par leurs
bénéficiaires.
Toutefois, dans le climat économique actuel, marqué par une
augmentation significative du nombre de procédures collectives et de
défaillances de sociétés dont personne ne soupçonnait qu’elles pourraient connaître
un tel sort, la situation risque de changer.
Les entreprises
devront donc veiller à soigner particulièrement la présentation de leurs appels
de garantie, dont le formalisme exigeant, mal maitrisé, peut entraîner le refus
légitime de la banque de s’exécuter.
Les
lettres de crédit stand-by, qu’est-ce que c’est ?
La lettre de crédit
stand-by est l’engagement autonome pris par une personne morale, le plus
souvent un établissement de crédit, de payer, d’ordre et pour compte du
« donneur d’ordre », une somme
d’argent déterminée à une tierce partie, le « bénéficiaire », contre
remise par celui-ci de documents présentant une conformité apparente avec ceux
qui sont requis aux termes de la garantie (généralement, une déclaration attestant de la
défaillance du donneur d’ordre, les
factures correspondant à la prestation ou livraison promise et les documents de
transport afférents etc.).
Cet instrument
repose ainsi sur « une relation triangulaire » dont l’économie
générale se comprend par la faculté de la banque émettrice, en cas de paiement
au bénéficiaire, de recouvrer contre son client les sommes dont elle lui a fait
l’avance.
Elle constitue
ainsi, en droit français, « une variété
de crédit documentaire » par la remise obligatoire de documents
conformes pour qu’elle se réalise mais également « une technique hybride »
la rapprochant des garanties autonomes par le fait qu’elle n’est levée qu’en
cas de défaillance du donneur d’ordre.
Quelles
sont les règles applicables aux lettres de crédit stand-by ?
Les lettres de crédit stand-by sont traditionnellement
régies par les Règles et usances uniformes en matière
de crédit documentaire révision 2007, publication de l’ICC n°600
(RUU).
Ce sont ces règles, avec les Pratiques bancaires
internationales standards (PBSI), sur renvoi de la garantie elle-même, qui
gouvernent les modalités de présentation des documents par le bénéficiaire et
les conditions dans lesquelles la banque se retrouve dans l’obligation de payer
ou de refuser de payer, sauf à perdre son recours contre le donneur d’ordre.
Certes, il existe également des « Règles et
pratiques internationales relatives aux stand-by » (RPIS) mais ces
dernières, du moins en France, ne sont presque jamais visées par les parties
compte tenu du peu de littérature permettant d’en saisir la portée véritable.
Or, comme les RUU ou les Règles uniformes relatives
aux garanties sur demande, les RPIS sont un corps de règles dont l’application
est entièrement laissée au choix des parties, sans considération pour le
libellé de la garantie émise.
Il en résulte que pour solliciter la
mise en œuvre de la lettre de crédit stand-by, le bénéficiaire, se référant au RUU
600, devra donc adresser à la banque émettrice tous les documents convenus dans
le délai de validité de la lettre de crédit stand-by afin de les soumettre à
l’examen de la banque, qui dispose pour cela d’un délai de 5 jours ouvrés.
Les textes imposent un
contrôle strict des documents présentés
La banque garante doit s’assurer que les
documents remis sont « en conformité avec les termes et conditions du
crédit, les dispositions applicables de ces règles et les pratiques bancaires
internationales standard ».
L’examen doit ainsi permettre de
vérifier que les informations contenues dans un document, lues dans le contexte
du crédit, du document lui-même et des pratiques bancaires internationales standard,
ne rentrent pas en contradiction avec les données dudit document, celles de
tout autre document stipulé ou du crédit lui-même.
Le Guide pratique bancaire internationale standard,
dans sa section relative à la « description des marchandises, services ou
prestations et autres questions générales se rapportant aux factures », assouplit
quelque peu la règle en précisant que le détail des marchandises peut, par
exemple, être scindé dans plusieurs rubriques, dont la lecture combinée
correspond à la description des marchandises figurant dans la garantie.
Mais cette exception n’autorise pas la banque
émettrice à interpréter les autres documents fournis ou à en extraire les
éléments éventuellement manquants des factures afin de pallier les
irrégularités qui pourraient les affecter.
De même, l’article A40) des PBIS dispose que « les
documents requis dans un crédit doivent être présentés comme des documents
distincts », de sorte que chaque document dont la présentation est requise
doit comporter l’intégralité des informations nécessaires à sa validité, sans
que les informations contenues dans un autre document ne puissent permettre
d’en régulariser la non-conformité.
C’est ainsi que l’article A40) précité, qui illustre
lui-même la portée de sa règle, indique que « l’exigence d’une liste de
colisage originale et d’une liste de poids originale [(parfois demandée en
complément des factures)] sera satisfaite par la présentation de deux
exemplaires originaux de la liste combinée colisage/poids ».
Il en résulte que la présentation d’un
seul document contenant la liste combinée colisage et poids, alors même qu’elle
contiendrait à elle seule toutes les données nécessaires, constituerait une
présentation non conforme, justifiant un refus de paiement.
Il s’agira donc pour l’entreprise
souhaitant bénéficier de ce type de garantie d’être attentive à la rédaction de
la lettre de crédit, voire de s’investir dans l’élaboration de son texte, pour éviter que les termes choisis,
souvent à l’initiative du donneur d’ordre, ne l’empêchent d’en respecter les
conditions.
Il faudra ensuite que le bénéficiaire, avant
toute appel en garantie et présentation de document, s’assure de leur correspondance
avec les termes de la lettre de crédit, en particulier la description des
marchandises qui peut y figurer, puisque la banque serait dans le cas contraire
fondée à refuser le paiement d’une garantie régie par les RUU 600 lorsque le
bénéficiaire n’a pas fourni des documents répondant strictement aux exigences posées
dans la lettre de crédit.
La présentation est
indivisible
Les entreprises
bénéficiaires devront avoir à l’esprit qu’il ne leur sera pas possible, après
présentation d’une série de factures, de demander à la banque garante qui
aurait relevé des irrégularités, qu’elle
règle le montant des factures régulières et écarte du champ de la présentation
celles qui présenteraient des anomalies.
En
effet, et contrairement à certaines idées reçues, la présentation s’analyse dans
sa globalité et il suffit que l’un des documents seulement soit non conforme
pour que la garantie ne soit pas appliquée.
L’appel
en garantie étant « indivisible », tel que cela ressort de la
combinaison des articles 7, 14 et 15 des RUU 600, il ne sera pas permis à la
banque d’honorer partiellement un appel de garantie dont seulement une partie
des documents présentés seraient réguliers.
La
jurisprudence a d’ailleurs eu l’occasion de le rappeler récemment en retenant expressément que les textes n’autorisent
pas : « la banque à effectuer un paiement partiel dès lors que la
validité de la mise en jeu de la lettre de crédit standby est indivisible et
s’apprécie donc dans son ensemble ».
Une
solution pour contourner le risque d’un rejet intégral en pareil hypothèse peut
être, pour peu que les parties soient convenues d’une faculté de tirage partiel
de la lettre de crédit, de séquencer l’appel de la garantie afin d’appeler dans
un premier temps le paiement des factures sur lesquelles il n’existe pas de
doute et, dans un second temps, celles sur lesquelles la banque pourrait
émettre des réserves.
Une solution en cas de refus
de paiement ?
Le bénéficiaire évincé n’est toutefois pas
laissé sans recours puisque la sévérité du formalisme, qui n’est que la
contrepartie naturelle de l’automaticité du paiement lorsque toutes les
conditions sont remplies, est atténuée par la faculté du bénéficiaire de
régulariser son appel, en procédant à une nouvelle présentation, cette fois-ci
conforme.
Cette faculté doit toutefois être
impérativement exercée à l’intérieur du délai de validité de la lettre de
crédit stand-by sauf
à prendre le risque de perdre le bénéfice de l’intégralité de la garantie, dont
la banque se retrouverait déliée .
Il
convient donc de prendre garde à la date d’expiration de la garantie et de
conserver a minima un délai de 15 jours avant son échéance pour en
solliciter l’exécution puisque la banque dispose d’un délai de cinq jours
ouvrés pour se prononcer.
TC Paris, 18 Novembre
2021, n°2020019456 ; CA Versailles, Ch. 12 section 2, 25 octobre 2007 ; CA Paris, ch. 14
section A, 6 février 2002, n°2001/15839 ; CA PARIS, ch. 5 section c, 10 mai
1996, n°95/001689 ; Com, 7 janvier
2004, n°01-02.572 ;