Les prisons françaises
débordent et les tribunaux sont sous-dimensionnés par rapport aux cadences
auxquelles ils sont soumis.
Les moyens restent fébriles,
c’est le constat récurrent du parquet, du barreau, du siège et de la
pénitentiaire. L’ensemble du système peine à absorber le flux des affaires. En
réponse, le budget
de la Justice 2025 bénéficie d’une hausse de 0,3 Md€ de ses
crédits. Ce coup de pouce devrait permettre d’assurer le programme de
recrutement qui prévoit 1 500 magistrats supplémentaires. Mais l'institution
est par ailleurs confrontée à des difficultés structurelles importantes.
Les juges n’y arrivent plus
Il existe une situation
d'embolie de la justice criminelle, estimait Rémy Heitz, procureur général de
la Cour de cassation, lors de l'audience solennelle de début d'année judiciaire 2025. Une observation qu’il a répétée à la fin
du mois de janvier devant le cercle des constitutionnalistes : « Nous
n'arrivons plus à juger les crimes, parce que les cours criminelles
départementales, institutions récentes, et les cours d'assises, sont
submergées. Les procès, mais aussi les délais d'attente, sont de plus en plus
longs. Avant le Covid, nous avions 2 000 affaires à juger, aujourd'hui, c'est 4 000. »
L'incapacité à juger dans un
délai raisonnable l'ensemble des accusés, relevant à la fois de la cour
criminelle départementale et de la cour d'assises, entraine nécessairement des
remises en liberté. Or, les d’individus en question présentent parfois une
certaine dangerosité. Le procureur général en conçoit « un sujet
essentiel de préoccupation dans les cours d'appel françaises. Toutes les
régions sont gagnées par le phénomène de saturation de la justice
criminelle ».
Les cellules sont suroccupées
Avec plus de 80 000 détenus,
la situation carcérale est extrêmement compliquée, alors que toutes les peines
ne sont pas exécutées. « Les perspectives sont très préoccupantes, les
matelas au sol dans les cellules se multiplient. Contrairement à ce qu'on
pourrait penser, la difficulté ne vient pas du flux entrant qui serait plus
important », explique Rémy Heitz. « La difficulté vient
principalement de l'allongement des quantums de peine. C’est un biais de la loi
de programmation de 2019 qui n'a pas été anticipé. »
En effet, raisonnant sur le
fait que les courtes peines d'emprisonnement ne produisent pas d'effets
bénéfiques, le législateur a voulu avec ce texte contraindre les juges à
prononcer des peines alternatives. Il a donc rendu obligatoire les aménagements
pour les peines de moins de 6 mois d'emprisonnement et pour les peines de moins
d'un an. Mais en pratique, on observe des quantums supérieurs aux seuils. Car
les magistrats, lorsqu'il n'y a pas de peines alternatives possibles, comme la
détention sous surveillance électronique, ou comme le travail d'intérêt
général, se replient sur des emprisonnements. « Et nous avons une
augmentation des quantums moyens, légère, mais suffisante en tout cas pour
créer un phénomène de saturation dans les établissements et notamment dans les
maisons d'arrêt », conclut le procureur général.
L’allongement du quantum des
peines criminelles vient aussi de la sévérité des jurys populaires,
particulièrement dans les affaires à caractère sexuel. Face à cette dureté
souveraine qui accentue la saturation des prisons, une solution consisterait à
disposer d’établissements différenciés pour les personnes présentant les
profils les moins dangereux.
S’agissant des moyens,
rappelons que notre pays est à la traîne par rapport à ses voisins européens.
Quand on compare les effectifs de juges et de procureurs, le rapport est d’un
sur quatre pour le ministère public, et d’un sur deux pour le siège. Le budget
2025 attribué à la Justice représente 2 % du budget de la nation. C'est un début
de rattrapage encourageant.
Le statut du Parquet doit
afficher son indépendance
Face aux membres du cercle
des constitutionnalistes, Rémy Heitz, a développé un autre point, celui de la
remise en question récurrente de l’indépendance des parquetiers. « Notre
pays, notre État de droit seraient consolidés par une réforme du statut du
Parquet. De quoi s'agit-il ? Les magistrats du parquet, à la différence des magistrats du siège, sont nommés, après un avis du Conseil supérieur de la
magistrature (CSM). Le pouvoir exécutif peut aller contre cet avis. Mais,
depuis 15 ans, tous les gardes des sceaux successifs ont respecté ces avis. Ce
n'est qu'une pratique vertueuse qui n'est pas inscrite dans le marbre de la
Constitution. » Et en
réalité, ce détail retient beaucoup les attentions. Il nuit à la
crédibilité des juridictions et les affaiblit même au plan international. « Les
cours suprêmes, comme la Cour européenne des droits de l'homme, rappellent
parfois, qu’elles ne considèrent pas le parquet en France comme une autorité
judiciaire totalement indépendante. Les pouvoirs du ministère public sont parfois
limités en raison de cette faille statutaire », souligne le haut
magistrat.

Le
procureur général Rémy Heitz (au centre) entouré des membres du cercle des
constitutionnalistes
En pratique, il semble
légitime que le garde des Sceaux propose les procureurs généraux et les
procureurs. Mais les avis rendus par le CSM pourraient être des avis liants le
pouvoir exécutif. De plus, le règlement de la procédure disciplinaire du
parquet pourrait être aligné sur celui qui s’applique au magistrat du siège.
Rémy Heitz note
qu’aujourd'hui, « le CSM rend des décisions quand le Conseil ne rend
que des avis qui ne lient pas complètement le garde des Sceaux, même s’il les
suit en réalité. Ces changements passent par une petite réforme de la
Constitution qui a déjà été votée deux fois en termes conformes en 1999 et en
2016. Donc, il s'agit maintenant de saisir le Congrès de cette réforme. »
Certains perçoivent cette
évidence comme une revendication corporatiste des magistrats. En vérité, il
s’agit uniquement de conforter le ministère public, et de renforcer la garantie
de son indépendance devant les justiciables, et cela, alors que le parquet a de
plus en plus de prérogatives. « Les textes successifs depuis 20 ou 30
ans et les pratiques donnent au pénal de plus en plus de responsabilités au
Parquet. »
Les difficultés de juger sont
lourdes et la part de la justice négociée a tendance à se développer (plaider
coupable/ CRPC, convention judiciaire d'intérêt public, CJIP). Le parquet opère
dans ces procédures. Il a aussi un pouvoir de sanction, par exemple, en
décidant de composition pénale sans la validation du juge pour les peines les
moins sévères. Un seuil est prévu par la loi en fonction de la gravité de
l'infraction et de la peine proposée. L'orientation pénale décidée par le
parquet est décisive. Elle conditionne souvent le sort de l'intéressé. Les
procédures d'informations judiciaires représentent 3 % des affaires. Les 97 %
d’autres affaires sont entre les mains du Parquet qui choisit la poursuite. En
fonction de quoi, comparution immédiate ou procédure longue, l’issue du procès
ne sera pas la même…
Toutes ces raisons expliquent
que chaque citoyen veut avoir en face de lui un parquet composé de magistrats
indépendants. Pour Rémy Heitz, cela ne fait aucun doute : « les
parquetiers sont imprégnés de cette culture d'indépendance. J’ai été président,
premier président, procureur et procureur général. J'ai exercé des fonctions au
siège et au parquet, et donc ma carrière s'est construite avec ces
allers-retours. Et je peux vous dire que la culture d'indépendance est
exactement de même niveau au parquet qu’au siège. Aujourd'hui, les jeunes
magistrats qui sortent de l'école, qu'ils aillent au parquet ou qu'ils aillent
au siège, sont imprégnés par le même souci d'impartialité et d'indépendance.
D'où la nécessité d'aligner les statuts. »
C2M