JUSTICE

Les prisons sont saturées et les procureurs montrés du doigt

Les prisons sont saturées et les procureurs montrés du doigt
Publié le 27/02/2025 à 18:00

Les prisons françaises débordent et les tribunaux sont sous-dimensionnés par rapport aux cadences auxquelles ils sont soumis.

Les moyens restent fébriles, c’est le constat récurrent du parquet, du barreau, du siège et de la pénitentiaire. L’ensemble du système peine à absorber le flux des affaires. En réponse, le budget de la Justice 2025 bénéficie d’une hausse de 0,3 Md€ de ses crédits. Ce coup de pouce devrait permettre d’assurer le programme de recrutement qui prévoit 1 500 magistrats supplémentaires. Mais l'institution est par ailleurs confrontée à des difficultés structurelles importantes.

Les juges n’y arrivent plus

Il existe une situation d'embolie de la justice criminelle, estimait Rémy Heitz, procureur général de la Cour de cassation, lors de l'audience solennelle de début d'année judiciaire 2025. Une observation qu’il a répétée à la fin du mois de janvier devant le cercle des constitutionnalistes : « Nous n'arrivons plus à juger les crimes, parce que les cours criminelles départementales, institutions récentes, et les cours d'assises, sont submergées. Les procès, mais aussi les délais d'attente, sont de plus en plus longs. Avant le Covid, nous avions 2 000 affaires à juger, aujourd'hui, c'est 4 000. »

L'incapacité à juger dans un délai raisonnable l'ensemble des accusés, relevant à la fois de la cour criminelle départementale et de la cour d'assises, entraine nécessairement des remises en liberté. Or, les d’individus en question présentent parfois une certaine dangerosité. Le procureur général en conçoit « un sujet essentiel de préoccupation dans les cours d'appel françaises. Toutes les régions sont gagnées par le phénomène de saturation de la justice criminelle ».

Les cellules sont suroccupées

Avec plus de 80 000 détenus, la situation carcérale est extrêmement compliquée, alors que toutes les peines ne sont pas exécutées. « Les perspectives sont très préoccupantes, les matelas au sol dans les cellules se multiplient. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la difficulté ne vient pas du flux entrant qui serait plus important », explique Rémy Heitz. « La difficulté vient principalement de l'allongement des quantums de peine. C’est un biais de la loi de programmation de 2019 qui n'a pas été anticipé. »

En effet, raisonnant sur le fait que les courtes peines d'emprisonnement ne produisent pas d'effets bénéfiques, le législateur a voulu avec ce texte contraindre les juges à prononcer des peines alternatives. Il a donc rendu obligatoire les aménagements pour les peines de moins de 6 mois d'emprisonnement et pour les peines de moins d'un an. Mais en pratique, on observe des quantums supérieurs aux seuils. Car les magistrats, lorsqu'il n'y a pas de peines alternatives possibles, comme la détention sous surveillance électronique, ou comme le travail d'intérêt général, se replient sur des emprisonnements. « Et nous avons une augmentation des quantums moyens, légère, mais suffisante en tout cas pour créer un phénomène de saturation dans les établissements et notamment dans les maisons d'arrêt », conclut le procureur général.

L’allongement du quantum des peines criminelles vient aussi de la sévérité des jurys populaires, particulièrement dans les affaires à caractère sexuel. Face à cette dureté souveraine qui accentue la saturation des prisons, une solution consisterait à disposer d’établissements différenciés pour les personnes présentant les profils les moins dangereux.

S’agissant des moyens, rappelons que notre pays est à la traîne par rapport à ses voisins européens. Quand on compare les effectifs de juges et de procureurs, le rapport est d’un sur quatre pour le ministère public, et d’un sur deux pour le siège. Le budget 2025 attribué à la Justice représente 2 % du budget de la nation. C'est un début de rattrapage encourageant.

Le statut du Parquet doit afficher son indépendance

Face aux membres du cercle des constitutionnalistes, Rémy Heitz, a développé un autre point, celui de la remise en question récurrente de l’indépendance des parquetiers. « Notre pays, notre État de droit seraient consolidés par une réforme du statut du Parquet. De quoi s'agit-il ? Les magistrats du parquet, à la différence des magistrats du siège, sont nommés, après un avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le pouvoir exécutif peut aller contre cet avis. Mais, depuis 15 ans, tous les gardes des sceaux successifs ont respecté ces avis. Ce n'est qu'une pratique vertueuse qui n'est pas inscrite dans le marbre de la Constitution. » Et en réalité, ce détail retient beaucoup les attentions. Il nuit à la crédibilité des juridictions et les affaiblit même au plan international. « Les cours suprêmes, comme la Cour européenne des droits de l'homme, rappellent parfois, qu’elles ne considèrent pas le parquet en France comme une autorité judiciaire totalement indépendante. Les pouvoirs du ministère public sont parfois limités en raison de cette faille statutaire », souligne le haut magistrat.


Le procureur général Rémy Heitz (au centre) entouré des membres du cercle des constitutionnalistes

En pratique, il semble légitime que le garde des Sceaux propose les procureurs généraux et les procureurs. Mais les avis rendus par le CSM pourraient être des avis liants le pouvoir exécutif. De plus, le règlement de la procédure disciplinaire du parquet pourrait être aligné sur celui qui s’applique au magistrat du siège.

Rémy Heitz note qu’aujourd'hui, « le CSM rend des décisions quand le Conseil ne rend que des avis qui ne lient pas complètement le garde des Sceaux, même s’il les suit en réalité. Ces changements passent par une petite réforme de la Constitution qui a déjà été votée deux fois en termes conformes en 1999 et en 2016. Donc, il s'agit maintenant de saisir le Congrès de cette réforme. »

Certains perçoivent cette évidence comme une revendication corporatiste des magistrats. En vérité, il s’agit uniquement de conforter le ministère public, et de renforcer la garantie de son indépendance devant les justiciables, et cela, alors que le parquet a de plus en plus de prérogatives. « Les textes successifs depuis 20 ou 30 ans et les pratiques donnent au pénal de plus en plus de responsabilités au Parquet. »

Les difficultés de juger sont lourdes et la part de la justice négociée a tendance à se développer (plaider coupable/ CRPC, convention judiciaire d'intérêt public, CJIP). Le parquet opère dans ces procédures. Il a aussi un pouvoir de sanction, par exemple, en décidant de composition pénale sans la validation du juge pour les peines les moins sévères. Un seuil est prévu par la loi en fonction de la gravité de l'infraction et de la peine proposée. L'orientation pénale décidée par le parquet est décisive. Elle conditionne souvent le sort de l'intéressé. Les procédures d'informations judiciaires représentent 3 % des affaires. Les 97 % d’autres affaires sont entre les mains du Parquet qui choisit la poursuite. En fonction de quoi, comparution immédiate ou procédure longue, l’issue du procès ne sera pas la même…

Toutes ces raisons expliquent que chaque citoyen veut avoir en face de lui un parquet composé de magistrats indépendants. Pour Rémy Heitz, cela ne fait aucun doute : « les parquetiers sont imprégnés de cette culture d'indépendance. J’ai été président, premier président, procureur et procureur général. J'ai exercé des fonctions au siège et au parquet, et donc ma carrière s'est construite avec ces allers-retours. Et je peux vous dire que la culture d'indépendance est exactement de même niveau au parquet qu’au siège. Aujourd'hui, les jeunes magistrats qui sortent de l'école, qu'ils aillent au parquet ou qu'ils aillent au siège, sont imprégnés par le même souci d'impartialité et d'indépendance. D'où la nécessité d'aligner les statuts. »

C2M

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