SOCIÉTÉ

Les procédures d’émancipation des mineurs n’ont décidément plus la cote

Les procédures d’émancipation des mineurs n’ont décidément plus la cote
Publié le 27/05/2025 à 11:48

Depuis l’abaissement de la majorité en 1974, les dossiers ne sont pas légion. Un quart d’entre eux visent en réalité à permettre à un jeune de passer un examen professionnel. Les demandes formulées dans le cadre de conflits familiaux sont étonnamment peu courantes, et majoritairement rejetées par les juges.

L’émancipation des mineurs, une procédure assez rare ? C’est ce que révèle le rapport intitulé « Des adultes en mode mineurs : enquêtes sur les procédures d’émancipation judiciaire » que Baptiste Coulmont, professeur de sociologie et chercheur, a présenté, le 6 mai dernier, devant l’Institut des études et de la recherche sur le Droit et la Justice (IERDJ).

Entre 2016 et 2020, période ciblée pour mener les travaux, le nombre de dossiers en la matière s’établit à 1 450 par an en moyenne, à un niveau stable depuis les années 1980.

Un chiffre qui s’explique notamment par l’abaissement de la majorité de 21 à 18 ans en 1974, période avant laquelle ont pu être dénombrées près de 30 000 demandes annuelles au plus haut. À noter que les demandes ne peuvent être faites que sur prérogative de l’autorité parentale, les enfants ne pouvant « pas s’émanciper seuls », rappelle Baptiste Coulmont.

En plus de la baisse significative des dossiers à l’échelle nationale, certaines juridictions connaissent une vraie pénurie des demandes. C’est par exemple le cas à Lyon, indique Florence Neple, avocate spécialisée en droit de la famille et droit de l’enfant. Une réalité qui fait également écho aux propos de plusieurs juges interrogés dans le cadre de la recherche. L’une d’entre elle évoque ainsi n’avoir eu à traiter que deux dossiers d’émancipation durant sa carrière.

Un quart des dossiers pour travailler ou étudier

Si l’émancipation peut notamment être réclamée par des parents souhaitant se dégager de la responsabilité d’un mineur qui commet des infractions, l’étude présentée devant l’IERDJ montre que dans les faits, la procédure poursuit, la plupart du temps, des buts bien différents.   

Sur une base de 401 dossiers judiciaires issus de procédures d’émancipation collectés auprès de huit tribunaux*, il ressort qu’un quart des demandes ont été formulées par les parents pour permettre à leur enfant de passer un examen professionnel type brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique – BNSSA.

Un diplôme qui peut être obtenu seulement en tant que mineur émancipé, précise Baptiste Coulmont, et qui peut lui permettre de travailler comme maître-nageur l’été, par exemple. L’émancipation permet aussi à un mineur de souscrire à un contrat de travail, chose impossible avant la majorité. Ces demandes « BNSSA » sont ainsi majoritairement formulées dans des tribunaux du littoral, avec un taux d’acceptation de l’ordre de 88 %.

Les demandes concernant la scolarité nationale de l’enfant mineur représentent quant à elles 24 % des dossiers. Typiquement, elles sont réclamées lorsqu’un jeune né en fin d’année ou ayant un an d’avance entre dans le supérieur et a besoin de s’émanciper afin de pouvoir louer un bail pour des études dans une autre ville ou pour entrer dans en pensionnat.

Certains d’entre eux, qui appliquent encore « de vieilles règles issues du 20e siècle », sont enclins à accepter des mineurs à condition qu’ils soient émancipés, détaille Baptiste Coulmont.

Ces deux demandes entrent respectivement dans le champ des affaires « répétitives et sans enjeux ». Elles sont plutôt formulées par les familles de classes supérieures et moyennes et acceptées dans une large majorité.

Comme l’explique le chercheur, l’émancipation dans ces cas permet à l’enfant de faire des « petits boulots », de gagner de l’argent et de suivre leurs études en métropole. « Cela ne change rien à leur vie, si ce n’est la capacité de travailler et d’être responsable de leurs actes. »

Conflits familiaux : 77 % des demandes rejetées

En revanche, du côté des demandes d’émancipation dans le cadre de conflits familiaux, les refus sont légion. Bien qu’elles représentent seulement 18 % des dossiers recueillis, ces affaires sont rejetées dans 77 % des cas par les juges des tutelles.

Car si les justiciables se saisissent de cette procédure « comme un instrument de régulation des relations et des conflits familiaux », les juges « refusent, le plus souvent, de donner ce rôle », est-il expliqué dans le rapport. Ils estiment en effet que les parents ont une responsabilité envers l’enfant et qu’ils ne peuvent pas s’y soustraire… même si un parent supplie le juge de placer l’enfant au motif qu’il « n’en veut plus », témoigne Florence Neple.

Ces dossiers engendrent des contentieux, au point que la présence de l’avocat s’avère plus fréquente, alors même que l’émancipation est une matière « où l’avocat n’est pas obligatoire », pointe Florence Neple. En cause : la nature « complexe » de la demande.


Certains parents demandent le placement de leur enfant au motif qu'ils "n'en veulent plus", explique l'avocate Florence Neple

Celle-ci peut en effet être formulée lorsqu’un conflit entre parents et enfant survient, ou entre les deux parents pour une question de droit de visite du mineur chez l’un de ses parents, voire lorsqu’il souhaitent échapper aux juges des enfants dans le cas des dossiers d’assistance éducative via l’émancipation de l’enfant.

Par ailleurs, étonnamment, les demandes d’émancipation dans le cadre d’une grossesse ne représentent « que » 8 % des dossiers recueillis. « Peu de jeunes filles sont mères avant la majorité », explique Baptiste Coulmont, du fait notamment d’une « société plutôt “contraceptée” » aujourd’hui.

Des demandes « assez floues » pour « autonomie » sont également déposées et représentent quant à elles 6 % des dossiers. Mais « l’émancipation n’ouvre pas tous les droits », insiste florence Neple. Un mineur émancipé ne pourra pas, par exemple, légalement, passer son permis de conduire, voter, se marier ni même se pacser. Néanmoins la parentalité des mineurs va leur conférer « une sorte de majorité vis-à-vis de leurs enfants », poursuit l’avocate, et leur permettra de prendre des décisions pour ces derniers, ou d’ester en justice.

Une appréciation fluctuante d’un juge à l’autre

Les travaux de recherche mettent par ailleurs au jour des variabilités dans la façon de juger des magistrats. L’émancipation étant une matière juridique « pauvre » - comprendre : plutôt absente des décisions de la Cour de cassation et des cours d’appel, ou des commentaires d’arrêts -, souligne Baptiste Coulmont, il ressort des entretiens menés dans le cadre du rapport que les magistrats ont tendance à juger selon leur appréciation.

Certes, ils peuvent notamment s’appuyer sur les notions de « juste motif » et « d’intérêt supérieur de l’enfant », la première inscrite dans la loi, l’autre dans la Convention internationale des droits de l’enfant (article 3). Mais d’un juge à un autre, un motif avancé par des parents pour une demande d’émancipation ne trouve pas le même écho, relate le professeur.

« Dans une matière avec peu de droit, l’aspect humain va forcément affecter les décisions qui vont être rendues par le juge qui a lui-même un vécu et un avis tranché sur certains sujets », abonde Florence Neple. Certains juges refuseraient par exemple systématiquement une demande d’émancipation dans le cadre d’une grossesse, estimant qu’il ne s’agit pas d’un juste motif, contrairement à d’autres magistrats.

Même scénario concernant l’intérêt supérieur de l’enfant. « Si un enfant doit aller faire ses études à l’autre bout la France, c’est un juste motif. Mais est-ce que cela correspondra à l’intérêt de l’enfant ? Selon son degré de maturité, ou bien s’il est porteur d’un potentiel handicap, le juge peut alors dire oui il y a un juste motif, mais ne correspond pas à l’intérêt sup de l’enfant », illustre-elle.

« 16 ou 17 ans, ce n’est pas la même chose ! »

En outre, les magistrats utilisent parfois des catégories extérieures au droit pour juger, en se basant sur la maturité du mineur face à eux par le biais de questions sur son rapport à l’argent, sur son bulletin de notes, sa façon de se tenir, de s’exprimer etc., observe Baptiste Coulmont.

Mais la question du risque se pose également ; risque qui se mesure par la durée durant laquelle le mineur va être émancipé. « Si c’est pour deux mois, le risque est limité, si c’est plus d’un an, le risque s’amplifie » développe le professeur, avant d’ajouter : « Les juges nous le disent : juger un mineur de 16 ans ou de 17 ans, ce n’est pas la même chose ! »

« Parfois la technique pour certains juges qui voient un dossier un peu compliqué et que le mineur concerné à 17 ans et demi, c’est de retarder un peu l’enrôlement, jusqu’à ce que la majorité arrive » en ont déduit les chercheurs au regard des délais de traitement de certains dossiers.

Sans formation en matière d’émancipation, les juges auraient tendance à reproduire ce qui se fait déjà en demandant à leurs pairs comment ils procèdent ; ce que le rapport nomme pompeusement « le transfert de normes et de dispositions professionnelles ». Une façon de compenser le flou, souligne Baptiste Coulmont.

Traitement inégal des dossiers

Côté traitement des dossiers, là encore des disparité apparaissent. Des juges demandent systématiquement au greffe d’enrôler les affaires, quand d’autres estiment que ce n’est pas nécessaire, puisque pas obligatoire, rapporte le professeur. Résultat, « il n’y a aucune trace dans le travail du tribunal », explique-t-il.

Un certain nombre de magistrats envoient des courriers pour indiquer, avant même l’audience, que la demande est irrecevable, et d’autres encore se rendent à l’audience, mais à défaut d’accord, ils redirigent les parents vers d’autres recours, poursuit Baptiste Coulmont. « C’est presque du travail en plus pour les juges finalement », conclut-il.

Des juges des tutelles admettent lors des entretiens faire souvent le choix de suivre l’avis du juge des enfants, quand d’autres estiment qu’ils n’ont pas à en tenir compte et vont rendre une décision qui leur appartient.

Malgré ces disparités, la majorité des juges interrogés s’accordent à dire que l’émancipation « change des tutelles des mineurs avec beaucoup de dossiers mais pas d’audience ». « Là, on voit les gens ».

Par ailleurs, le juge donne une émancipation plutôt qu’une peine, « c’est gratifiant, quelque part », avance pour sa part Baptiste Coulmont. Ce que confirme Florence Neple : « Les juges ont l’impression de rendre service, d’être utiles. C’est très positif et valorisant ! »

Allison Vaslin

*parmi lesquels un gros tribunal, un tribunal de région et un tribunal de banlieue

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