En 2024, ces juridictions ont
enregistré 280 000 affaires nouvelles, particulièrement en contentieux des
étrangers. A lui seul, ce sujet représente pas loin de la moitié des requêtes
et a bondi de 9 %. C’est ce qui ressort du rapport annuel du Conseil d’Etat
rendu public il y a quelques jours.
2024, une année particulière pour
la justice administrative ? Le dernier rapport du Conseil d’Etat qui rend
compte de l’activité des juridictions administratives a été publié mi-mai. Dans
son édito, le vice-président Didier-Roland Tabuteau revient sur les « bouleversements
de toutes natures » qui ont agité l’année passée et le fonctionnement
de la justice administrative.
Celle-ci a notamment « été
confrontée aux évènements dramatiques qui ont marqué certains territoires, en
particulier dans le département de Mayotte, dévasté par le cyclone Chido, mais
aussi en Nouvelle-Calédonie, qui a connu des situations d’une rare violence »,
rappelle-t-il. « Dans des circonstances difficiles, nos collègues ont
assuré la continuité du service public de la justice administrative »,
souligne à ce titre Christophe Chantepy, président de la section du
contentieux.
Didier-Roland Tabuteau évoque aussi
« les attaques et les menaces dont la juridiction et certains de ses
membres ont été la cible, notamment sur les réseaux sociaux ». Ce, en
écho aux réactions suscitées après une décision du tribunal administratif de
Melun (Seine-et-Marne) annulant début février l'obligation de quitter le
territoire français sans délai dont faisait l'objet l'influenceur algérien
Doualemn.
Cette décision avait entraîné un
« déchaînement de haine sur les réseaux sociaux », avait
relaté un magistrat sur France Inter. Sur X, le nom et photo de la
présidente et de ses magistrats avaient été diffusés. « “Des têtes
doivent tomber”, commente un internaute, quand un autre propose de “caillasser” les femmes du tribunal de Melun », relevait Libération.
Des faits dénoncés alors par le
Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives
d'appel (CSTA) le 11 février, d’ordinaire peu prolixe, qui avait indiqué
« condamne[r] avec la plus grande fermeté » les menaces
« dirigées nominativement contre des juges et des avocats » et
« qui mettent en cause l'indépendance et l'impartialité des
juridictions administratives ». Une enquête avait été ouverte pour
cyberharcèlement et menaces de mort.
« Malgré [cela], la
communauté de la juridiction administrative continue sans relâche, avec fermeté
et détermination, à assumer les responsabilités que la Constitution et les lois
lui ont confiées » pointe aujourd'hui Didier-Roland Tabuteau via son édito. Le vice-président en profite pour rappeler que « le
juge administratif garantit au quotidien l’application des règles qui régissent
notre société. Il est ainsi le protecteur des libertés et des droits
fondamentaux et le garant de l’efficacité de l’action publique ».
8 % d’affaires supplémentaires pour
les tribunaux administratifs
Côté chiffres, en 2024, les
juridictions relevant du Conseil d’État ont été saisies de près de 600 000
recours. Si le nombre de saisines est resté stable devant la plupart d’entre
elles, une donnée se démarque : les tribunaux administratifs ont
enregistré 280 000 affaires nouvelles, soit une hausse d’un peu plus de 8 % par
rapport à 2023, 21 % par rapport à 2019 et 42 % par rapport à 2017, apprend la
lecture du rapport.
« Ce niveau croissant
d’activité invite à poursuivre la réflexion et le travail sur l’organisation du
service public de la justice administrative, réagit le vice-président
du Conseil d’Etat, mais également sur les dysfonctionnements
administratifs et les textes qui peuvent être source de contentieux évitables
comme sur les moyens alloués aux juridictions. »
Le rapport précise par ailleurs que
pour répondre à l’augmentation des recours, une nouvelle salle d’audience a été
créée au tribunal administratif de Grenoble, tandis que ceux de Cergy-Pontoise
et de Nantes ont été dotés de salles supplémentaires pour y juger les référés.
Au tribunal administratif d’Amiens, cette fois, une annexe du bâtiment dispose
désormais d’une grande salle d’audience et d’une autre pour les référés.
Alors que les entrées ont progressé
dans « la plupart » des tribunaux administratifs, la hausse
concerne surtout Grenoble (+ 24 %), Montreuil (+ 21 %), Lyon (+ 19 %), Dijon (+
17 %) et Lille (+ 15 %). Six contentieux sont en augmentation, et
notamment le contentieux des étrangers.
A lui seul, ce dernier représente
43 % des affaires enregistrées et a crû de près de 9 %. Pour autant, « ce
volume, déjà très important, est susceptible de croître encore avec l’entrée en
vigueur en 2026 du Pacte sur la migration et l’asile, qui modifie en profondeur
le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile »,
pointe le rapport.
Les contentieux sociaux, soit
l’ensemble des litiges relatifs à l’aide sociale, au logement et aux droits des
travailleurs sans emploi, qui représentent quant à eux 14 % des affaires
enregistrées, ont bondi de 10 % par rapport à 2023 (et même de 31 % par rapport
à 2019). Ainsi, les contentieux en lien avec le droit au logement opposable -
le plus courant -, le RSA, les aides financières au logement et l’aide sociale
aux personnes handicapées ont tous grimpé.
Autre évolution sensible, le
contentieux de la fonction publique - 8 % de l’ensemble des entrées - est en
augmentation de 9 %. Cette fois, ce sont les contentieux des fonctionnaires de
l’État, celui des fonctionnaires territoriaux et, de façon encore plus notable,
celui des enseignants, qui se sont envolés. En revanche, celui des
fonctionnaires des établissements hospitaliers a légèrement diminué.
A noter qu’un contentieux est en
baisse : l’urbanisme et l’environnement (5 % des entrées au total), qui diminue
de 7 % par rapport à l’an dernier, en raison d’un ralentissement des
contentieux des installations classées et des autorisations d’occupation du
sol.
Quant au nombre d’affaires jugées
par les tribunaux administratifs, celui-ci a progressé de 3 % (données brutes)
au regard de l’année passée, avec 259 000 sorties. Parmi les tribunaux qui
tirent leur épingle du jeu, Bastia, Dijon, Montreuil, Saint-Barthélemy, Lyon et
Clermont-Ferrand ont traité 15 à 34 % de dossiers supplémentaires. Le délai
prévisible moyen de jugement a toutefois augmenté de 20 jours pour s’établir à
11 mois et 7 jours.
975 projets de texte passés au
crible par le Conseil d’Etat
Au fil de son rapport plutôt
fourni, la plus haute juridiction administrative revient également sur sa
propre fonction consultative, dont l’activité « est restée très
chargée ». En 2024, le Conseil d’État a en effet examiné plus de 975
projets de texte (vs. 922 un an auparavant, mais bien en-dessous des chiffres
de la période Covid), dont 46 projets de loi.
Parmi eux, le projet de loi relatif
à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, travail qui a servi de
base aux deux textes étudiés en séance depuis le lundi 12 mai : la proposition
de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement et celle relative à la
fin de vie.
Sur ce projet de loi, le Conseil d’Etat
s’est montré nuancé. Le texte entendait notamment renforcer l’accompagnement
des personnes atteintes d’une affection grave en instituant l’obligation
d’établir un plan personnalisé d’accompagnement et en créant des « maisons
d’accompagnement » destinées aux personnes en fin de vie.
La plus haute juridiction de l’ordre
administratif a approuvé cette idée, puisque « l’offre de soins
palliatifs demeure très hétérogène sur le territoire et globalement
insuffisante », mais elle a souligné que « des dispositions
législatives, voire réglementaires, sont insuffisantes, à elles seules, [sans]
dispositions budgétaires permettant de fixer des objectifs clairs à l’action
de l’Etat ».
Par ailleurs, le Conseil d’Etat s’est
alarmé que le projet de loi introduise « une double rupture par rapport
à la législation en vigueur », « d’une part, en inscrivant
la fin de vie dans un horizon qui n’est plus celui de la mort imminente ou
prochaine et, d’autre part, en autorisant, pour la première fois, un acte
ayant pour intention de donner la mort. Il met en cause ce principe aussi ancien
que fondamental qu’est l’interdit de tuer. »
Boom des requêtes devant le Tribunal
du stationnement payant
Autre statistique intéressante, le
Tribunal du stationnement payant, nouvelle dénomination, depuis le 1er janvier,
de la Commission du contentieux du stationnement payant, a fait « face
à un accroissement important du nombre de requêtes qui lui ont été
adressées », observe Didier-Roland Tabuteau. La juridiction
spécialisée a en effet connu 200 000 requêtes supplémentaires, autrement dit, plus de
15 % en un an.
Le 18 novembre dernier, face au
« risque d’erreur non négligeable » relatif aux dispositifs de
contrôle du stationnement payant utilisant la géolocalisation, le Conseil
d’État avait été amené à en préciser les contours, après avoir été saisi d’un recours portant
sur le lieu précis de stationnement d’un véhicule qui avait fait l’objet de
forfaits de post-stationnement.
Il avait notamment rappelé que les
communes et intercommunalités « doivent prendre toutes les mesures pour
assurer la fiabilité » du système et « qu’avant l’émission du
forfait de post-stationnement, une intervention humaine par des agents
assermentés doit vérifier la localisation sur la base de photographies montrant
l’emplacement du véhicule stationné de façon suffisamment claire et précise ».
A l’inverse du Tribunal du
stationnement payant, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a quant à elle
enregistré une baisse significative, avec 56 497 recours enregistrés en 2024, soit
une diminution de 13 % en un an.
De la même façon, le nombre de
décisions rendues par la Cour en 2024 a chuté de 8,4 %, bien que cette dernière
ait reconnu le statut de réfugié ou octroyé la protection subsidiaire à 13 106
personnes (21,3 % des requérants, contre 20,5 % en 2023). Conséquence de cette
activité réduite, le délai prévisible moyen de jugement s’est lui aussi amoindri
: fin 2024, il a atteint 4 mois et 9 jours contre 4 mois et 22 jours fin 2023.
Ces différents chiffres peuvent en
partie s’expliquer par l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 « pour
contrôler l’immigration et améliorer l’intégration ». Loi qui a procédé à « une
importante réforme de l’organisation et du contentieux de l’asile », précise
le Conseil d’Etat, à travers deux principales mesures : une déconcentration de
la Cour grâce au déploiement de chambres territoriales, et l’extension de la
compétence du juge unique.
Cinq chambres territoriales ont été
installées auprès de quatre cours administrative d’appel ; à Bordeaux,
Lyon, Nancy et Toulouse. Deux nouvelles chambres territoriales devraient maintenant
être installées à Marseille et à Nantes, au 1er septembre 2025.
Bérengère
Margaritelli