Le juge qui est saisi d'un recours contre
une mesure d'isolement judiciaire doit-il statuer en urgence ? C'est la
question à laquelle la Cour de cassation a répondu mardi 20 mai. La haute juridiction,
se basant sur la décision du Conseil constitutionnel du 14 février dernier, n'a
pas statué en faveur de ce droit. Explications.
Alors que le garde des Sceaux projette la
construction d'une prison conçue pour isoler les narcotrafiquants des autres
détenus, la chambre criminelle de la Cour de cassation vient de juger, mardi 20 mai, qu'une mesure d'isolement judiciaire ne
fait pas l'objet d'un recours urgent.
L'administration pénitentiaire n'a certes pas
publié de statistiques récentes sur le nombre d'isolements prononcés par les
juges, mais le projet de durcissement carcéral du ministre inspiré de la lutte
antimafia (« carcere duro ») pourrait sensiblement augmenter
le nombre de détenus sous ce régime.
Cette mesure, qui concerne les personnes
détenues avant leurs jugements, est prononcée par le juge d'instruction ou le
juge des libertés et de la détention uniquement si une mise à l'écart du reste
de l'établissement pénitentiaire est nécessaire à l'information judiciaire. À
la différence d'un isolement disciplinaire décidé par l'administration pénitentiaire,
elle peut être exécutée pour une longue durée.
Dans l'affaire qui a conduit la chambre
criminelle à se prononcer sur les délais de recours contre une telle mesure, un
homme, accusé d'assassinat, avait été placé en détention le 4 décembre 2023. Le
7 mai 2024, le juge d'instruction a prononcé une mesure d'isolement contre
laquelle le détenu s'est opposé devant le président de la chambre de
l'instruction de Paris.
À la suite d'un nouveau refus prononcé par celui-ci, le
détenu a saisi la Cour de cassation d'une question prioritaire de
constitutionnalité (QPC 2024-1122) que la chambre criminelle a renvoyée au
Conseil constitutionnel le 3 décembre dernier.
Le requérant invoquait une
inconstitutionnalité de l'article 145-4-1 du Code de procédure pénale selon
laquelle il n'est pas prévu que le réexamen d'une mesure d'isolement judiciaire
doive être effectué dans un court délai pour assurer un droit au recours
effectif.
Mesure exclue du champ des privations de
liberté
Par sa décision rendue le 14 février
dernier, le Conseil constitutionnel a considéré que l'isolement judiciaire
n'est pas un régime privatif de liberté. Les décisions des sages s'imposent aux
juridictions selon l'article 62 de la Constitution. La chambre criminelle a
donc dû l'intégrer
dans ses motifs, après avoir pourtant retenu, dans son arrêt de renvoi de
ladite QPC, que la mesure en cause entraine un durcissement du régime de
détention.
La notion de « modalité » du
régime utilisée par la chambre criminelle dans son arrêt de renvoi « vole
globalement en éclat, lorsqu'on est face aux conséquences réelles et concrètes
d'une mesure d'isolement » plaidait Patrice Spinosi, avocat de
l'Observatoire international des prisons, devant le Conseil constitutionnel.
Qualifiée de « torture
blanche » par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme,
l'isolement est aussi décrit par la Cour européenne (CEDH) comme la prison dans
la prison. Les sages n'ont, eux, pas considéré qu'il s'agissait d'un
durcissement des conditions carcérales et ainsi refusé qu'un détenu placé en
isolement judiciaire ne bénéficie d'un droit particulier à voir sa situation
réexaminée rapidement.
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Il a été reproché au texte de loi de ne
pas prévoir expressément de délai. Celui-ci ne saurait excéder celle de la
détention provisoire en vertu du même texte. Un délai plus court n'est donc pas
exigible en vertu des dispositions législatives qu'il a donc fallu confronter
aux normes constitutionnelles. Selon le Conseil constitutionnel, l'isolement
est une mesure accessoire au placement en détention, laquelle fait déjà l'objet
d'un réexamen dans un délai qui n'est pas bref, mais qui doit être raisonnable.
Pour les sages, l'isolement ne justifie
pas, en tant que tel, qu'un juge doive se prononcer en urgence sur son
opportunité parce qu'il n'est qu'une mesure liée au mandat de dépôt, lequel est
seul considéré comme privatif de liberté. Le détenu qui souhaite contester son
isolement judiciaire ne peut donc pas obtenir un nouvel examen de sa situation
dans un court délai.
La position de la haute juridiction de
l'ordre judiciaire se distingue de celle de la haute juridiction de l'ordre
administratif. Le Conseil d'État a reconnu l'urgence du recours contre
l'isolement d'un détenu dans une décision du 7 juin 2019. L'isolement litigieux
était, comme ici, une mesure qui s'ajoutait au régime de la détention, mais il
était contestable par la voie d'un référé devant le juge administratif. La
discordance qui se fait jour entre les deux cours suprêmes tient uniquement au
fait que le Conseil constitutionnel a désormais tranché la question en défaveur
du droit revendiqué.
Une saisine de la CEDH envisagée
Le Conseil constitutionnel ne pouvait pas
se prononcer sur la conventionnalité de l'article 145-4-1 du Code de procédure
pénale, mais uniquement sur sa constitutionnalité. La chambre criminelle, en
disqualifiant l'isolement judiciaire des régimes privatifs de liberté a ensuite
déclaré les dispositions litigieuses comme étant également conformes à
l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Cet article
énonce que toute personne détenue a droit de voir sa situation de nouveau
examinée par un tribunal « afin qu'il statue à bref délai sur la
légalité de sa détention ».
L'avocate du requérant, Sophie Ansary, indique
au JSS qu'elle envisage avec son client de déposer un recours devant la
Cour européenne des droits de l'Homme. « En
effet, les dispositions du Code de procédure pénale en l’état sont, à mon sens,
insatisfaisantes et insuffisamment respectueuses des droits garantis par la
Convention EDH sur la question du recours contre les ordonnances de placement à
l’isolement judiciaire ».
Pour mémoire, la Cour de cassation ne
juge que de la conformité des lois à la Convention européenne, et le Conseil
constitutionnel ne se prononce que sur
la constitutionnalité des lois. Les juges européens, eux, ne sont pas liés par
les décisions du Conseil constitutionnel pour statuer et peuvent se prononcer
sur l'effectivité des recours au regard des conditions particulières de
détention, et non sur la seule interprétation des textes.
La vigilance de la
CEDH vis-à-vis des régimes privatifs de liberté et du droit au recours effectif
l'amène à examiner les circonstances propres aux recours qui ont d'abord été
intentés devant les instances nationales.
La jurisprudence de la Cour de cassation
pourrait donc à nouveau évoluer suite à une décision du juge européen. Une fois
que la Cour européenne a condamné la France, sa décision s'impose à la Cour de
cassation, qui est à nouveau saisie et doit se prononcer dans le même sens que
la juridiction supranationale. La CEDH pourrait statuer en faveur d'un droit du
détenu isolé à voir sa situation réexaminée à bref délai. Dès 2006, dans un arrêt
du 4 juillet, elle considérait que le régime français de l'isolement durcit
davantage la détention.
Le 20 mars dernier, la Défenseure des
droits Claire Hédon tirait
la sonnette d'alarme sur les conditions liées aux isolements prolongés et
attend désormais de Gérald Darmanin une évolution des textes règlementaires
concernant les isolements administratifs exceptionnels, qu'il est le seul à
pouvoir décider en tant que garde des Sceaux.
Antonio
Desserre