Alors que 80 % des maires sont des hommes, le rôle
d'élue municipale n’est pas adapté aux femmes. Entre impensé politique et
résistances sur le terrain, les maires et mères se battent pour exercer leur
mandat.
Le 25 novembre 2015, Hélène
Bidard n’a accouché que depuis 28 jours. Pourtant, l’adjointe (Parti communiste
français) à l’égalité femmes-hommes, également en charge de la jeunesse et de
l'éducation populaire à la mairie de Paris se dresse fièrement pour rappeler
l’importance de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Au-dessus
de son écharpe, son nouveau-né se niche dans son porte-bébé kangourou. Ce
jour-là, personne n’a accepté de la remplacer et elle n’a donc pas eu d’autre
choix que d’emmener son enfant avec elle. Maires, adjointes et conseillères
municipales, toutes doivent se battre contre des fonctions qui n’ont pas été
pensées pour des femmes.
Dans
le langage courant, « mairesse » a longtemps désigné la femme du maire. Cette
tradition linguistique révèle tout de l’impensé que représentent les femmes
dans les municipalités. Pourtant, depuis l’ordonnance du 21 avril 1944, les femmes ont le droit de
vote et d’éligibilité. Lors de la première élection municipale de 1947, la
représentation des femmes au sein des conseils municipaux était de 3,1 %. Aux
dernières élections, en 2020, elle a atteint 42,4 % mais seulement 19,8 % des
maires, 37,6 % des conseils municipaux de moins de 1 000 habitants et 35,8 % des
conseils communautaires sont des femmes.
Parité dans la
loi mais pas dans les faits
L’élue parisienne en est sûre : « C’est grâce à la parité qu’on est là ! »
Ces chiffres, encore contrastés, sont bien le fruit d’un long travail
législatif. La révision constitutionnelle en 1999 complète l’article 3 de
la Constitution en ajoutant « la loi favorise l’égal accès des femmes et
des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. » L’année suivante, la loi du 6 juin
2000 dite sur « la parité », contraint « les partis politiques à présenter un
nombre égal d’hommes et de femmes pour les élections régionales, municipales
(dans les communes de 3 500 habitants et plus), sénatoriales (à la
proportionnelle) et européennes ». Treize ans plus tard, la loi du 17 mai 2013
précise qu’il faut que la liste électorale de tout candidat dans une commune de
plus de 1 000 habitants soit paritaire.
Pas si évident pour Alexandre Touzet,
maire (Les Républicains) de Saint-Yon et membre du Haut Conseil à l’Égalité
entre les femmes et les hommes, qui raconte : « Les inégalités pèsent sur l’engagement politique en plus des
mécanismes d’auto-censure très forts présents chez les femmes. 100 % des femmes
que j’ai sollicitées pour les trois listes que j’ai conduites m’ont posé la
question de leurs compétences, dont une directrice de recherche au CNRS ! »
Marie*, ancienne conseillère municipale d’une ville de plus de 10 000 habitants
en Bretagne, se désole : « À chaque
élection, les maires vont chercher les femmes, sous couvert de parité, mais ils
ne leur donnent pas plus la parole lors des conseils municipaux. »
Murielle
Fabre, secrétaire générale
de l’Association des Maires de France (AMF), maire de la commune de Lampertheim
et vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg (Une Eurométropole des
proximités) témoigne même des remarques sexistes qu’elle a pu entendre : « J’ai déjà entendu des collègues masculins,
en conseil métropolitain, dire : 'Toutes les femmes arrivent, où sont les
hommes ?’ »
Malgré les avancées législatives et
sociétales, la politique reste un métier d’hommes. L’ensemble des maires-mères
et des hommes maires interrogés confirme ce constat. Alexandre Touzet explique
: « La vie politique souffre des mêmes
traces du machisme que l’ensemble de la société. » Pour Cécile Gallien,
maire de Vorey (MoDem), et co-présidente du groupe de travail « Promotion des
femmes dans les exécutifs locaux » de l’AMF, « se présenter aux élections lorsqu’on est un homme c’est normal, mais
lorsqu’on est qu’une femme c’est être ambitieuse ».
Famille,
politique, ou les deux
Rien n’a été pensé dans la fonction d'élu
pour l’accueil d’enfants. Lamia Bensarsa Reda est maire de Juvisy-sur-Orge
(Renaissance) et mère de deux enfants nés pendant son mandat. Elle a même fait sa
campagne enceinte de son premier. « Je
n’avais pas à choisir entre ma vie familiale et mon engagement politique. »
L’édile le concède : « Pendant la
campagne, mes opposants me demandaient tout le temps de choisir. L’injonction
du choix continue de revenir régulièrement mais c’est important en tant que
femme de faire ce que je veux quand je veux, y compris ma maternité. »
Murielle Fabre était déjà mère de trois
jeunes garçons, de 9, 12 et 19 ans, avant de devenir maire. Elle décrit « la réflexion familiale et collective »
qui a précédé son engagement mais précise : « C’était important pour moi d’avoir leur avis. Au final, c’était une
décision, non pas familiale, mais personnelle. »
Leurs homologues masculins ne le voient
pas toujours sous cet œil. L’adjointe à la maire de Paris, Hélène Bidard,
approuve : « C’est insidieux mais on vous
efface petit à petit. On vous répète que de toute façon, vous serez en congé
maternité et que vous ne pourrez pas participer à telle ou telle action. Ça
part d’une action bienveillante mais c’est aussi une manière de prendre nos
places et de nous dire de rester à la maison. »
Or, rester à la maison est une mission
impossible pour un élu ou une élue municipale. Il leur faut être disponible 24
heures sur 24, 7 jours sur 7 pour leurs administrés. La maire-mère de
Lampertheim appuie : « Ça reste un emploi
comme un autre qui implique un partage des tâches et une organisation de la vie
familiale mais il demande une disponibilité beaucoup exigeante. La mairie et
nos obligations d’élue ne s’arrêtent ni les soirs ni les week-ends. » En
cas d’urgence, tous témoignent avoir dû tout arrêter pour régler le problème.

« Je ne suis pas plus forte qu’une autre mais c’était marche ou crève », témoigne Lamia Bensarsa-Reda, maire de Juvisy
D’autant plus que ce dernier mandat a été
marqué par les crises : sanitaire, géopolitique, économique et politique. La
maire-mère de Juvisy-sur-Orge a ainsi dû se rendre sur le théâtre des émeutes,
après la mort de Nahel en juin 2023 : «
Enceinte de quatre mois, j’ai méchamment glissé sur une flaque d’essence, ça
aurait pu être grave et dangereux. Mais il est impossible de répartir la charge
avec mes collègues, à la fin c’est toujours la maire responsable. »
Manque
d’humanité
Quelques mois plus tard, l’élue de
l’Essonne raconte avoir dû gérer la fermeture prochaine des urgences de sa
ville, annoncée par le directeur de l’hôpital sans concertation, alors qu’elle
venait d’y entrer pour accoucher. Arrivée en fin de journée le vendredi, son
enfant naîtra le lundi matin. Entre-temps, elle tente de régler la situation,
appelle le préfet, le directeur de l’hôpital et le responsable de l’Agence
régionale de santé (ARS). La goutte qui fera déborder le vase arrivera dans la
foulée. « Mes opposants politiques ont
demandé l’organisation d’un conseil municipal extraordinaire, dont j’étais la
seule responsable. Mais j’étais en post-partum, incapable physiquement et
psychologiquement. »
Ce manque d’humanité de la part de
certains élus masculins se traduit aussi par un manque de flexibilité. « Les réunions des collectivités commencent
souvent avant 8h30 quand l’école des enfants ne commence qu’à cette heure-là »,
détaille Hélène Bidard. L’élue bretonne, Marie, complète : « C’est aussi de nombreuses réunions de
commissions qui ont lieu en fin d’après-midi de 18h à 20h, les conseils
débutent, eux, à 20h30. »
Sa consœur parisienne développe son
organisation quasi militaire : « J’arrive
à la mairie à 8h45 après les avoir déposés, je repars à 17h30 pour les
récupérer à 18h. Puis je passe deux heures avec eux pour les voir et en
profiter mais aussi pour m’en occuper. A 20h, trois fois par semaine, je
ressors pour assister à des réunions. Le week-end, je dédie une journée à mes
fonctions. » Pour l’édile alsacienne, qui voit peu ses enfants le soir,
c’est aussi une manière de leur montrer « l’importance
de l’engagement pour la société, pour qu’ils ne soient pas autocentrés. »
Bien que juridiquement, la fonction d’élu
ne soit pas une profession, il est politiquement difficile de s’arranger avec
les horaires. Alors même si Lamia Bensarsa Reda ne veut pas prôner l’injonction
à être une super héroïne, elle insiste sur le fait qu’elle n’a pas eu le choix.
Pas de congé maternité et retour au travail au bout d’une semaine après la
naissance pour continuer à assurer. « Je
ne suis pas plus forte qu’une autre mais c’était marche ou crève. »
Besoin d’une
nouvelle loi
Pour soutenir ces héroïnes sans capes, la
loi ne prévoit rien. Alors, Alexandre Touzet déplore : « Impossible d’avoir des élues avec des enfants en primaire. »
La maire du 12e arrondissement parisien confirme : « Les jeunes femmes ou jeunes mères ne
peuvent pas être maires de grandes villes. »
En 2024, la maire de Poitiers, Léonore
Moncond’huy (Les Ecologistes), s’indigne et réclame que son indemnité d’élue ne
soit pas suspendue pendant son congé maternité et que son remplacement soit
prévu. Dans les faits, une élue en congé maternité perçoit les indemnités
journalières de la Sécurité sociale mais contrairement au privé, elle ne peut
pas toucher de « complément employeur ».
Or, souvent, les maires sont à plein temps et n’ont plus d’activité
professionnelle autre pour compléter les indemnités journalières. Leur niveau
de rémunération est donc nécessairement moindre.
Autre préoccupation financière majeure :
la garde des enfants. « Si l’on veut
plus de femmes et plus de jeunes, il faut en faire plus pour elles »,
affirme Hélène Bidard. Une enveloppe pour financer les moyens de garde des
enfants serait une solution. L’élue parisienne a fait une « grève passive » en emmenant ses enfants
aux réunions au Parti communiste français jusqu’à ce que le parti « mette en place une garde collective ». Autre possibilité : l’inscription systématique
des enfants d’élus locaux en crèche municipale. Cela représenterait un
soulagement pour toutes les maires-mères si cela venait à être adopté.
Lutter contre
les violences sexistes
Plus globalement, c’est la fin du
patriarcat qui s’exerce par du sexisme ordinaire ou un manque de parité qui est
demandé. L’AMF travaille, via le groupe « Promotion des femmes dans les
exécutifs locaux », à un effet incitatif pour que les femmes s’engagent dans
les communes de moins de 1 000 habitants mais aussi dans les intercommunalités,
chasse gardée des hommes. Sa secrétaire générale martèle : « On a besoin des regards des femmes et de
leurs expertises. » A condition de ne pas perpétrer des biais sexistes pour
Marie qui s’indigne : « Les femmes
restent cantonnées aux postes d’adjointes à la communication ou à l’école. »
En parallèle de l’exacerbation des
violences vécues par les élus, le sexisme ordinaire fleurit encore en
politique. C’est ce que vit quotidiennement Emmanuelle Pierre-Marie, à la tête
du 12e arrondissement de Paris, depuis le premier mois de son mandat, il y a
cinq ans. Cyberharcèlement, menaces de mort et diffamation dans la presse
réactionnaire, elle est désormais placée sous protection policière constante :
« Je représente l’inverse de l’image
masculine et masculiniste de l’homme en politique. »
France Urbaine et l’Association des
maires de France (AMF) ont tenté de faire pression sur les parlementaires pour
faire progresser la loi et combler ces vides juridiques. En mars 2024, une proposition de loi transpartisane visant à créer un « statut de l'élu local » a été adoptée à
l'unanimité par le Sénat. Freiné par la dissolution de l’Assemblée nationale,
le texte devrait être adopté par la Chambre avant les prochaines élections
municipales de 2026.
Marie-Agnès
Laffougère
*Le prénom a été
modifié.