SOCIÉTÉ

Maires et mères : « Nous représentons l’inverse de l’image de l’homme politique »

Maires et mères : « Nous représentons l’inverse de l’image de l’homme politique »
Hélène Bidard, adjointe (PCF) à la mairie de Paris, accompagnée de son nouveau-né, le 25 novembre.
Publié le 08/03/2025 à 13:32

Alors que 80 % des maires sont des hommes, le rôle d'élue municipale n’est pas adapté aux femmes. Entre impensé politique et résistances sur le terrain, les maires et mères se battent pour exercer leur mandat.

Le 25 novembre 2015, Hélène Bidard n’a accouché que depuis 28 jours. Pourtant, l’adjointe (Parti communiste français) à l’égalité femmes-hommes, également en charge de la jeunesse et de l'éducation populaire à la mairie de Paris se dresse fièrement pour rappeler l’importance de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Au-dessus de son écharpe, son nouveau-né se niche dans son porte-bébé kangourou. Ce jour-là, personne n’a accepté de la remplacer et elle n’a donc pas eu d’autre choix que d’emmener son enfant avec elle. Maires, adjointes et conseillères municipales, toutes doivent se battre contre des fonctions qui n’ont pas été pensées pour des femmes.

Dans le langage courant, « mairesse » a longtemps désigné la femme du maire. Cette tradition linguistique révèle tout de l’impensé que représentent les femmes dans les municipalités. Pourtant, depuis l’ordonnance du 21 avril 1944, les femmes ont le droit de vote et d’éligibilité. Lors de la première élection municipale de 1947, la représentation des femmes au sein des conseils municipaux était de 3,1 %. Aux dernières élections, en 2020, elle a atteint 42,4 % mais seulement 19,8 % des maires, 37,6 % des conseils municipaux de moins de 1 000 habitants et 35,8 % des conseils communautaires sont des femmes.

Parité dans la loi mais pas dans les faits

L’élue parisienne en est sûre : « C’est grâce à la parité qu’on est là ! » Ces chiffres, encore contrastés, sont bien le fruit d’un long travail législatif. La révision constitutionnelle en 1999 complète l’article 3 de la Constitution en ajoutant « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. » L’année suivante, la loi du 6 juin 2000 dite sur « la parité », contraint « les partis politiques à présenter un nombre égal d’hommes et de femmes pour les élections régionales, municipales (dans les communes de 3 500 habitants et plus), sénatoriales (à la proportionnelle) et européennes ». Treize ans plus tard, la loi du 17 mai 2013 précise qu’il faut que la liste électorale de tout candidat dans une commune de plus de 1 000 habitants soit paritaire.

Pas si évident pour Alexandre Touzet, maire (Les Républicains) de Saint-Yon et membre du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, qui raconte : « Les inégalités pèsent sur l’engagement politique en plus des mécanismes d’auto-censure très forts présents chez les femmes. 100 % des femmes que j’ai sollicitées pour les trois listes que j’ai conduites m’ont posé la question de leurs compétences, dont une directrice de recherche au CNRS ! » Marie*, ancienne conseillère municipale d’une ville de plus de 10 000 habitants en Bretagne, se désole : « À chaque élection, les maires vont chercher les femmes, sous couvert de parité, mais ils ne leur donnent pas plus la parole lors des conseils municipaux. »

Murielle Fabre, secrétaire générale de l’Association des Maires de France (AMF), maire de la commune de Lampertheim et vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg (Une Eurométropole des proximités) témoigne même des remarques sexistes qu’elle a pu entendre : « J’ai déjà entendu des collègues masculins, en conseil métropolitain, dire : 'Toutes les femmes arrivent, où sont les hommes ?’ »

Malgré les avancées législatives et sociétales, la politique reste un métier d’hommes. L’ensemble des maires-mères et des hommes maires interrogés confirme ce constat. Alexandre Touzet explique : « La vie politique souffre des mêmes traces du machisme que l’ensemble de la société. » Pour Cécile Gallien, maire de Vorey (MoDem), et co-présidente du groupe de travail « Promotion des femmes dans les exécutifs locaux » de l’AMF, « se présenter aux élections lorsqu’on est un homme c’est normal, mais lorsqu’on est qu’une femme c’est être ambitieuse ».

Famille, politique, ou les deux

Rien n’a été pensé dans la fonction d'élu pour l’accueil d’enfants. Lamia Bensarsa Reda est maire de Juvisy-sur-Orge (Renaissance) et mère de deux enfants nés pendant son mandat. Elle a même fait sa campagne enceinte de son premier. « Je n’avais pas à choisir entre ma vie familiale et mon engagement politique. » L’édile le concède : « Pendant la campagne, mes opposants me demandaient tout le temps de choisir. L’injonction du choix continue de revenir régulièrement mais c’est important en tant que femme de faire ce que je veux quand je veux, y compris ma maternité. »

Murielle Fabre était déjà mère de trois jeunes garçons, de 9, 12 et 19 ans, avant de devenir maire. Elle décrit « la réflexion familiale et collective » qui a précédé son engagement mais précise : « C’était important pour moi d’avoir leur avis. Au final, c’était une décision, non pas familiale, mais personnelle. »

Leurs homologues masculins ne le voient pas toujours sous cet œil. L’adjointe à la maire de Paris, Hélène Bidard, approuve : « C’est insidieux mais on vous efface petit à petit. On vous répète que de toute façon, vous serez en congé maternité et que vous ne pourrez pas participer à telle ou telle action. Ça part d’une action bienveillante mais c’est aussi une manière de prendre nos places et de nous dire de rester à la maison. »

Or, rester à la maison est une mission impossible pour un élu ou une élue municipale. Il leur faut être disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pour leurs administrés. La maire-mère de Lampertheim appuie : « Ça reste un emploi comme un autre qui implique un partage des tâches et une organisation de la vie familiale mais il demande une disponibilité beaucoup exigeante. La mairie et nos obligations d’élue ne s’arrêtent ni les soirs ni les week-ends. » En cas d’urgence, tous témoignent avoir dû tout arrêter pour régler le problème.

« Je ne suis pas plus forte qu’une autre mais c’était marche ou crève », témoigne Lamia Bensarsa-Reda, maire de Juvisy

D’autant plus que ce dernier mandat a été marqué par les crises : sanitaire, géopolitique, économique et politique. La maire-mère de Juvisy-sur-Orge a ainsi dû se rendre sur le théâtre des émeutes, après la mort de Nahel en juin 2023 : « Enceinte de quatre mois, j’ai méchamment glissé sur une flaque d’essence, ça aurait pu être grave et dangereux. Mais il est impossible de répartir la charge avec mes collègues, à la fin c’est toujours la maire responsable. »

Manque d’humanité

Quelques mois plus tard, l’élue de l’Essonne raconte avoir dû gérer la fermeture prochaine des urgences de sa ville, annoncée par le directeur de l’hôpital sans concertation, alors qu’elle venait d’y entrer pour accoucher. Arrivée en fin de journée le vendredi, son enfant naîtra le lundi matin. Entre-temps, elle tente de régler la situation, appelle le préfet, le directeur de l’hôpital et le responsable de l’Agence régionale de santé (ARS). La goutte qui fera déborder le vase arrivera dans la foulée. « Mes opposants politiques ont demandé l’organisation d’un conseil municipal extraordinaire, dont j’étais la seule responsable. Mais j’étais en post-partum, incapable physiquement et psychologiquement. »

Ce manque d’humanité de la part de certains élus masculins se traduit aussi par un manque de flexibilité. « Les réunions des collectivités commencent souvent avant 8h30 quand l’école des enfants ne commence qu’à cette heure-là », détaille Hélène Bidard. L’élue bretonne, Marie, complète : « C’est aussi de nombreuses réunions de commissions qui ont lieu en fin d’après-midi de 18h à 20h, les conseils débutent, eux, à 20h30. »

Sa consœur parisienne développe son organisation quasi militaire : « J’arrive à la mairie à 8h45 après les avoir déposés, je repars à 17h30 pour les récupérer à 18h. Puis je passe deux heures avec eux pour les voir et en profiter mais aussi pour m’en occuper. A 20h, trois fois par semaine, je ressors pour assister à des réunions. Le week-end, je dédie une journée à mes fonctions. » Pour l’édile alsacienne, qui voit peu ses enfants le soir, c’est aussi une manière de leur montrer « l’importance de l’engagement pour la société, pour qu’ils ne soient pas autocentrés. »

Bien que juridiquement, la fonction d’élu ne soit pas une profession, il est politiquement difficile de s’arranger avec les horaires. Alors même si Lamia Bensarsa Reda ne veut pas prôner l’injonction à être une super héroïne, elle insiste sur le fait qu’elle n’a pas eu le choix. Pas de congé maternité et retour au travail au bout d’une semaine après la naissance pour continuer à assurer. « Je ne suis pas plus forte qu’une autre mais c’était marche ou crève. »

Besoin d’une nouvelle loi

Pour soutenir ces héroïnes sans capes, la loi ne prévoit rien. Alors, Alexandre Touzet déplore : « Impossible d’avoir des élues avec des enfants en primaire. » La maire du 12e arrondissement parisien confirme : « Les jeunes femmes ou jeunes mères ne peuvent pas être maires de grandes villes. »

En 2024, la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy (Les Ecologistes), s’indigne et réclame que son indemnité d’élue ne soit pas suspendue pendant son congé maternité et que son remplacement soit prévu. Dans les faits, une élue en congé maternité perçoit les indemnités journalières de la Sécurité sociale mais contrairement au privé, elle ne peut pas toucher de « complément employeur ». Or, souvent, les maires sont à plein temps et n’ont plus d’activité professionnelle autre pour compléter les indemnités journalières. Leur niveau de rémunération est donc nécessairement moindre.

Autre préoccupation financière majeure : la garde des enfants. « Si l’on veut plus de femmes et plus de jeunes, il faut en faire plus pour elles », affirme Hélène Bidard. Une enveloppe pour financer les moyens de garde des enfants serait une solution. L’élue parisienne a fait une « grève passive » en emmenant ses enfants aux réunions au Parti communiste français jusqu’à ce que le parti « mette en place une garde collective ». Autre possibilité : l’inscription systématique des enfants d’élus locaux en crèche municipale. Cela représenterait un soulagement pour toutes les maires-mères si cela venait à être adopté.

Lutter contre les violences sexistes

Plus globalement, c’est la fin du patriarcat qui s’exerce par du sexisme ordinaire ou un manque de parité qui est demandé. L’AMF travaille, via le groupe « Promotion des femmes dans les exécutifs locaux », à un effet incitatif pour que les femmes s’engagent dans les communes de moins de 1 000 habitants mais aussi dans les intercommunalités, chasse gardée des hommes. Sa secrétaire générale martèle : « On a besoin des regards des femmes et de leurs expertises. » A condition de ne pas perpétrer des biais sexistes pour Marie qui s’indigne : « Les femmes restent cantonnées aux postes d’adjointes à la communication ou à l’école. »

En parallèle de l’exacerbation des violences vécues par les élus, le sexisme ordinaire fleurit encore en politique. C’est ce que vit quotidiennement Emmanuelle Pierre-Marie, à la tête du 12e arrondissement de Paris, depuis le premier mois de son mandat, il y a cinq ans. Cyberharcèlement, menaces de mort et diffamation dans la presse réactionnaire, elle est désormais placée sous protection policière constante : « Je représente l’inverse de l’image masculine et masculiniste de l’homme en politique. »

France Urbaine et l’Association des maires de France (AMF) ont tenté de faire pression sur les parlementaires pour faire progresser la loi et combler ces vides juridiques. En mars 2024, une proposition de loi transpartisane visant à créer un « statut de l'élu local » a été adoptée à l'unanimité par le Sénat. Freiné par la dissolution de l’Assemblée nationale, le texte devrait être adopté par la Chambre avant les prochaines élections municipales de 2026.

Marie-Agnès Laffougère

*Le prénom a été modifié.

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