DROIT

Mes droits civils changent-ils si je pars vivre en Italie avec ma famille ?

Mes droits civils changent-ils si je pars vivre en Italie avec ma famille ?
Publié le 05/08/2025 à 11:00

SÉRIE (1/3). France Diplomatie chiffre à 2.500.000 le nombre de Français expatriés. Pour les candidats indécis tentés par la démarche, l’Italie fait partie des choix de prédilection. Il faut dire qu’outre le charme du pays, les lois transalpines ont des arguments convaincants en matière de fiscalité et de patrimoine familial.

Impatriation en Italie 

La république de la dolce Vita, entre sa langue, son histoire, son art, sa gastronomie, et son climat, a de quoi faire envie, d’autant plus que, comme Jean Cocteau l’a observé, « les Italiens sont des Français de bonne humeur ».

Néanmoins, nos compatriotes qui désirent franchir le pas de l’impatriation en Italie, avec leur famille, voire leur entreprise, sont confrontés à des aspects pratiques. À quoi doivent-ils s’attendre ? Une question à laquelle des universitaires italiens et français ont donné des réponses au cours d’un colloque animé par la professeure Sophie Schiller, organisé à l’université Paris Dauphine-PSL fin mai. Le JSS vous propose trois volets de cette réflexion :

  • Mes droits civils changent-ils si je pars vivre en Italie avec ma famille ?
  • Substituer le percepteur italien au percepteur français : une idée séduisante sur le papier
  • Est-ce que je préfère emmener ma société avec moi en Italie

Selon la professeure Sophie Schiller, « les catégories socioprofessionnelles les plus élevées se lancent plus que les autres dans un tel projet. Elles englobent les associés de sociétés familiales, si bien que le départ d’une personne physique entraine aussi parfois celui d’une personne morale. »

Mais comment se déroule l’impatriation pour la personne physique et pour la personne morale ? Que se passe-t-il du point de vue civil, fiscal ? Comment s’articule le droit de l'Union européenne ?

La liberté de circulation dans l'Union européenne facilite le phénomène. Des pays membres déploient d’ailleurs des politiques concurrentielles pour attirer les patrimoines. L'Espagne a voté la loi dite Beckham en 2005. Le Portugal a longtemps utilisé le statut de résident non permanent. Aujourd'hui, c'est au tour de l'Italie, d'offrir des conditions attractives.

Les implications civiles de l’expatriation en Italie

L’Europe facilite la migration de ses ressortissants dans son espace. Environ 70.000 Français vivent en Italie. Quitter la France pour s’installer de l’autre côté des Alpes induit un ensemble de conséquences patrimoniales qui affectent la situation de l'intéressé. Le droit français et le droit italien se ressemblent. Ils appartiennent à la même famille juridique tout en conservant chacun ses propres spécificités, notamment d'ordre matériel. Elles concernent le droit interne comme le droit international privé. Sur le terrain du droit interne, Louis Perreau Saussine, professeur à l’université Paris Dauphine - PSL cite quelques exemples : « le Quantum et les bénéficiaires de la réserve héréditaire ne seront pas les mêmes dans les 2 pays ; la validité des donations entre époux, acquise en France ne l'est pas en Italie ; la prohibition des pactes sur succession future existe dans les 2 pays, mais sous des jours différents ». Le professeur en déduit qu’en conséquence, « le risque que les prévisions patrimoniales mises en place en France ne produisent pas les effets escomptés lors du déplacement en Italie est réel ».

Les différences tiennent aussi aux règles de droit international privé. Les règlements européens communs interviennent en matière de régimes matrimoniaux, de succession, de partenariats, d'effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, d'obligations alimentaires, de divorce. Mais, un certain nombre de distinctions perdurent, notamment en matière de régimes matrimoniaux pour les époux qui se sont mariés avant le 29 janvier 2019, et l'entrée en vigueur des règlements européens en la matière. Le professeur pointe que « là, une divergence se présente entre le droit français et le droit italien. Les Français appliquent la convention de La Haye de 1978 traitant des régimes matrimoniaux, pas les Italiens. »

L’hypothèse d'une expatriation vers l’Italie entraine un changement de résidence habituelle de l'intéressé. Ce changement en amène d’autres mécaniquement. Il détermine le rattachement aux règlements européens de droit international privé. Il peut redésigner la loi applicable à la succession, au régime matrimonial, aux obligations alimentaires, aux effets patrimoniaux des partenariats, aux divorces, etc. Tous ces évènements civils sont potentiellement impactés par une expatriation en Italie.

Quel régime pour les couples ?

Pour un couple désireux de s’expatrier en Italie, les règles de droit international privé applicables dépendent de la date du mariage.

En France, se sont succédé le droit commun français, puis la convention de La Haye, puis le règlement européen. Pendant ce temps, en Italie, ont été appliqués le droit international privé, puis le règlement européen. La date du 29 janvier 2019 tient une place importante dans ces chronologies. En effet, depuis cette date, la France et l'Italie suivent les mêmes lignes, s’agissant des régimes matrimoniaux et des effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. Quels sont les points communs et les divergences qui demeurent ?

« Deux principes dominent en matière d'organisation patrimoniale du couple : soit l’expatriation n'implique pas un changement de la loi applicable, soit au contraire, elle en implique un », schématise le professeur Louis Perreau Saussine.

Les textes comportent des règles qui mettent les époux ou les partenaires à l'abri d'un changement de loi induit par l'expatriation. Autrement dit, les époux, les partenaires initialement établis en France qui déménagent en Italie et qui auraient par exemple organisé leur régime matrimonial en France peuvent considérer comme acquis que les règles ne changeront pas du simple fait de vivre en Italie.

La Cour de cassation reconnait aux époux mariés avant le 1er septembre 1992 la liberté de choisir la loi applicable à leur régime matrimonial. Pour ceux mariés après le 1er septembre 1992 – date d'entrée en vigueur de la convention de La Haye – le choix se fait entre la résidence habituelle de l'un des époux et la nationalité de l'un des époux. Ce point de départ cristallise la loi applicable. En général, elle ne changera pas à la suite de l’établissement du couple dans un autre pays.

En l’absence de choix, l'expatriation n'a pas d'effet sur la loi applicable au régime matrimonial. La règle de principe suivie dans ce cas veut que s’impose la loi de la première résidence habituelle des époux, après le mariage. Ainsi, le régime matrimonial des mariés, ayant initialement vécu en France, est soumis à la loi française. Il le reste, sauf exception, même si le couple s’installe dans un autre pays ultérieurement.

S’agissant des partenariats enregistrés, la loi de l'État du lieu d'enregistrement s’applique. Louis Perreau Saussine relève une « particularité pour les personnes pacsées après le 29 janvier 2019 – date d'entrée en vigueur du règlement –, elles ont également la possibilité de choisir la loi applicable à leur partenariat. Là encore, c'est soit la résidence habituelle de l'un des partenaires, soit la nationalité de l'un des partenaires. »

Des exceptions existent pour un départ de la France vers l’Italie

D’abord, quelle que soit la date du mariage, la loi applicable au régime matrimonial est, comme déjà évoqué, en l’absence de choix, celle de la première résidence habituelle commune des époux. Cependant, la durée écoulée entre le mariage et le départ en Italie compte pour valider cette désignation. Suivant cette logique, une expatriation vers l’Italie qui surviendrait rapidement après le mariage conduirait à la substitution de la loi italienne à la loi française.

Ensuite, une règle particulière de la convention de La Haye de 1978, risque d’entrainer un changement automatique de régime matrimonial. Il s’agit de son article 7. Le professeur explique « qu’étrangement, cette règle fait que sans s'en apercevoir, les époux, du simple fait qu'ils traversent la frontière, peuvent se trouver dans des situations où leur régime matrimonial change d’office ». Cela se produit pour les non-Italiens mariés en France, sans contrat de mariage, n’ayant pas opté pour une loi applicable à leur régime matrimonial, qui s'implantent plus tard en Italie. Si le régime matrimonial était initialement français, au bout de 10 ans, il devient automatiquement italien. Seconde hypothèse, un couple d'Italiens mariés en France ne choisit pas de loi pour son régime matrimonial et déménage plus tard en Italie. Leur résidence habituelle devient italienne comme leur nationalité. Leur régime matrimonial devient également italien, et non plus français.

Enfin, l'article 26 des règlements européens concerne les époux – ou les partenaires – qui se sont unis en France sans contrat de mariage préalable, sans choix de loi, et dont le régime matrimonial est soumis à la loi française. Lorsqu’ils s'expatrient en Italie, cet article pose deux conditions pour que s’opère un changement de loi. D’une part, la résidence habituelle en Italie a duré significativement plus longtemps que celle en France. D’autre part, les époux ont organisé leur régime matrimonial en considération de la loi italienne. Par exemple, ils ont consulté un notaire italien pour rédiger des actes. Ces deux conditions cumulatives permettent à l’un des époux de demander au juge compétent, italien ou français selon les cas, à titre exceptionnel, d'appliquer la loi italienne à leur régime matrimonial en lieu et place de la loi française.

L’Italie est un beau pays pour vivre, mais pour mourir ?

Pour développer les aspects liés au décès, Louis Perreau Saussine se focalise sur deux éventualités, d’une part celle d’une succession préparée en France par un individu qui ensuite s’installe en Italie, et d’autre part celle d’un individu qui meurt en Italie. Dans les deux cas, les textes sont proches. Le règlement européen sur les successions internationales tient lieu de référence. Diffusé le 4 juillet 2012, il est entré en vigueur le 17 août 2015. Il prévoit des cas d'expatriation. Son article 21 indique que la loi applicable à une succession internationale est celle de la dernière résidence habituelle du de cujus. Si l'intéressé s’est expatrié en Italie et y décède, la loi italienne a donc vocation à être exécutée.

Mais, plusieurs situations dérogatoires sont prévues d'application de la loi française à la succession. Le préambule du règlement sur les successions fournit en effet diverses indications qui visent ce type d’hypothèses.

Le premier cas de figure concerne l'expatrié qui a conservé un lien étroit et stable avec son État d'origine. C’est-à-dire par exemple, un expatrié français installé en Italie mais, sans sa famille, restée en France. Dans une telle situation, d'un point de vue successoral, la loi française s’applique.

Le deuxième cas se produit lorsque l’expatriation s’est déroulée relativement peu de temps avant le décès et que par ailleurs, toutes les circonstances de la cause impliquent que le de cujus entretenait manifestement des liens avec son État d'origine. Là encore, on considère que sa résidence habituelle se situe en France.

Le troisième cas est celui de l'expatrié nomade. C’est-à-dire que le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États, voyageait sans être installé nulle part de façon permanente. Dans ce contexte précis, la loi s’écarte du critère de la résidence habituelle. Elle lui substitue, pour déterminer le centre effectif de la vie de l'intéressé, sa nationalité et la situation géographique de ses biens.

Le quatrième et dernier cas est associé aux articles 24 et 25 du règlement européen sur les successions internationales. Les articles en question se concentrent sur l’existence d’un pacte successoral, ou d’un testament établi en France quand l'intéressé décède en Italie. C’est alors la loi de la résidence habituelle au jour où l'acte a été élaboré qui désigne la loi applicable à sa validité et à sa recevabilité.

Une autre hypothèse se produit, celle où la loi de la dernière résidence habituelle du de cujus est écartée conformément à l'article 22 du règlement européen sur les successions. La loi applicable est choisie par le de cujus. C’est celle de sa nationalité ou de l'une de ses nationalités dans l'hypothèse où il en aurait plusieurs. L'article 22 prévoit la possibilité, pour un Français, qui s'expatrierait en Italie, de décider d'organiser sa succession à l'avance en application du droit français. Des conditions sont à remplir. Il faut que le choix revête la forme d'une disposition à cause de mort, comme un testament. L'intérêt de cette option est de s’assurer que le changement de résidence habituelle du de cujus n'aura aucune incidence sur les prévisions patrimoniales et successorales qu'il aura mises en place avant son expatriation.

C2M


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