SÉRIE (1/3).
France Diplomatie chiffre à 2.500.000 le nombre de Français expatriés. Pour les candidats indécis tentés par la démarche, l’Italie fait partie des
choix de prédilection. Il faut dire qu’outre le charme du pays, les lois
transalpines ont des arguments convaincants en matière de fiscalité et de
patrimoine familial.
Impatriation en Italie
La république de la dolce Vita, entre sa langue, son histoire, son art,
sa gastronomie, et son climat, a de quoi faire envie, d’autant plus que, comme
Jean Cocteau l’a observé, « les Italiens sont des Français de bonne
humeur ».
Néanmoins, nos
compatriotes qui désirent franchir le pas de l’impatriation en Italie, avec
leur famille, voire leur entreprise, sont confrontés à des aspects pratiques. À
quoi doivent-ils s’attendre ? Une question à laquelle des universitaires
italiens et français ont donné des réponses au cours d’un colloque animé par la
professeure Sophie Schiller, organisé à l’université Paris Dauphine-PSL fin
mai. Le JSS vous propose trois volets de cette réflexion :
- Mes droits civils changent-ils si je pars vivre en Italie avec ma famille ?
- Substituer le percepteur italien au percepteur français : une idée séduisante sur le papier
- Est-ce que je préfère emmener ma société avec moi en Italie
Selon la professeure Sophie
Schiller, « les catégories socioprofessionnelles les plus élevées se
lancent plus que les autres dans un tel projet. Elles englobent les associés de
sociétés familiales, si bien que le départ d’une personne physique entraine
aussi parfois celui d’une personne morale. »
Mais comment se déroule
l’impatriation pour la personne physique et pour la personne morale ? Que
se passe-t-il du point de vue civil, fiscal ? Comment s’articule le droit
de l'Union européenne ?
La liberté de circulation
dans l'Union européenne facilite le phénomène. Des pays membres déploient
d’ailleurs des politiques concurrentielles pour attirer les patrimoines.
L'Espagne a voté la loi dite Beckham en 2005. Le Portugal a longtemps utilisé
le statut de résident non permanent. Aujourd'hui, c'est au tour de l'Italie,
d'offrir des conditions attractives.
Les implications civiles de
l’expatriation en Italie
L’Europe facilite la migration de ses ressortissants dans
son espace. Environ 70.000 Français vivent en Italie. Quitter la France pour
s’installer de l’autre côté des Alpes induit un ensemble de conséquences
patrimoniales qui affectent la situation de l'intéressé. Le droit français et
le droit italien se ressemblent. Ils appartiennent à la même famille juridique
tout en conservant chacun ses propres spécificités, notamment d'ordre matériel.
Elles concernent le droit interne comme le droit international privé. Sur le
terrain du droit interne, Louis Perreau Saussine, professeur à l’université
Paris Dauphine - PSL cite quelques exemples : « le Quantum et les
bénéficiaires de la réserve héréditaire ne seront pas les mêmes dans les 2
pays ; la validité des donations entre époux, acquise en France ne l'est
pas en Italie ; la prohibition des pactes sur succession future existe dans
les 2 pays, mais sous des jours différents ». Le professeur en déduit
qu’en conséquence, « le risque que les prévisions patrimoniales mises
en place en France ne produisent pas les effets escomptés lors du déplacement
en Italie est réel ».
Les différences tiennent
aussi aux règles de droit international privé. Les règlements européens communs
interviennent en matière de régimes matrimoniaux, de succession, de
partenariats, d'effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, d'obligations
alimentaires, de divorce. Mais, un certain nombre de distinctions perdurent,
notamment en matière de régimes matrimoniaux pour les époux qui se sont mariés
avant le 29 janvier 2019, et l'entrée en vigueur des règlements européens en la
matière. Le professeur pointe que « là, une divergence se présente
entre le droit français et le droit italien. Les Français appliquent la
convention de La Haye de 1978 traitant des régimes matrimoniaux, pas les
Italiens. »
L’hypothèse d'une
expatriation vers l’Italie entraine un changement de résidence habituelle de l'intéressé. Ce
changement en amène d’autres mécaniquement. Il détermine le rattachement aux
règlements européens de droit international privé. Il peut redésigner la loi
applicable à la succession, au régime matrimonial, aux obligations
alimentaires, aux effets patrimoniaux des partenariats, aux divorces, etc. Tous
ces évènements civils sont potentiellement impactés par une expatriation en
Italie.
Quel régime pour les
couples ?
Pour un couple désireux de
s’expatrier en Italie, les règles de droit international privé applicables
dépendent de la date du mariage.
En France, se sont succédé le
droit commun français, puis la convention de La Haye, puis le règlement européen. Pendant ce temps, en
Italie, ont été appliqués le droit international privé, puis le règlement
européen. La date du 29 janvier 2019 tient une place importante dans ces
chronologies. En effet, depuis cette date, la France et l'Italie suivent les
mêmes lignes, s’agissant des régimes matrimoniaux et des effets patrimoniaux
des partenariats enregistrés. Quels sont les points communs et les divergences
qui demeurent ?
« Deux principes
dominent en matière d'organisation patrimoniale du couple : soit
l’expatriation n'implique pas un changement de la loi applicable, soit au
contraire, elle en implique un », schématise le professeur
Louis Perreau Saussine.
Les textes comportent des
règles qui mettent les époux ou les partenaires à l'abri d'un changement de loi
induit par l'expatriation. Autrement dit, les époux, les partenaires
initialement établis en France qui déménagent en Italie et qui auraient par exemple
organisé leur régime matrimonial en France peuvent considérer comme acquis que
les règles ne changeront pas du simple fait de vivre en Italie.
La Cour de cassation
reconnait aux époux mariés avant le 1er septembre 1992 la liberté de choisir la
loi applicable à leur régime matrimonial. Pour ceux mariés après le 1er septembre 1992 – date d'entrée en vigueur de la convention de La Haye – le
choix se fait entre la résidence habituelle de l'un des époux et la nationalité
de l'un des époux. Ce point de départ cristallise la loi applicable. En
général, elle ne changera pas à la suite de l’établissement du couple dans un
autre pays.
En l’absence de choix,
l'expatriation n'a pas d'effet sur la loi applicable au régime matrimonial. La
règle de principe suivie dans ce cas veut que s’impose la loi de la première
résidence habituelle des époux, après le mariage. Ainsi, le régime matrimonial
des mariés, ayant initialement vécu en France, est soumis à la loi française.
Il le reste, sauf exception, même si le couple s’installe dans un autre pays
ultérieurement.
S’agissant des partenariats
enregistrés, la loi de l'État du lieu d'enregistrement s’applique. Louis
Perreau Saussine relève une « particularité pour les personnes pacsées
après le 29 janvier 2019 – date d'entrée en vigueur du règlement –, elles ont
également la possibilité de choisir la loi applicable à leur partenariat. Là
encore, c'est soit la résidence habituelle de l'un des partenaires, soit la
nationalité de l'un des partenaires. »
Des exceptions existent pour
un départ de la France vers l’Italie
D’abord, quelle que soit la
date du mariage, la loi applicable au régime matrimonial est, comme déjà
évoqué, en l’absence de choix, celle de la première résidence habituelle
commune des époux. Cependant, la durée écoulée entre le mariage et le départ en
Italie compte pour valider cette désignation. Suivant cette logique, une
expatriation vers l’Italie qui surviendrait rapidement après le mariage
conduirait à la substitution de la loi italienne à la loi française.
Ensuite, une règle
particulière de la convention de La Haye de 1978, risque d’entrainer un
changement automatique de régime matrimonial. Il s’agit de son article 7. Le
professeur explique « qu’étrangement, cette règle fait que sans s'en
apercevoir, les époux, du simple fait qu'ils traversent la frontière, peuvent
se trouver dans des situations où leur régime matrimonial change
d’office ». Cela se produit pour les non-Italiens mariés en France,
sans contrat de mariage, n’ayant pas opté pour une loi applicable à leur régime
matrimonial, qui s'implantent plus tard en Italie. Si le régime matrimonial
était initialement français, au bout de 10 ans, il devient automatiquement
italien. Seconde hypothèse, un couple d'Italiens mariés en France ne choisit
pas de loi pour son régime matrimonial et déménage plus tard en Italie. Leur
résidence habituelle devient italienne comme leur nationalité. Leur régime
matrimonial devient également italien, et non plus français.
Enfin, l'article 26 des
règlements européens concerne les époux – ou les partenaires – qui se sont unis
en France sans contrat de mariage préalable, sans choix de loi, et dont le
régime matrimonial est soumis à la loi française. Lorsqu’ils s'expatrient en
Italie, cet article pose deux conditions pour que s’opère un changement de loi.
D’une part, la résidence habituelle en Italie a duré significativement plus
longtemps que celle en France. D’autre part, les époux ont organisé leur régime
matrimonial en considération de la loi italienne. Par exemple, ils ont consulté
un notaire italien pour rédiger des actes. Ces deux conditions cumulatives
permettent à l’un des époux de demander au juge compétent, italien ou français
selon les cas, à titre exceptionnel, d'appliquer la loi italienne à leur régime
matrimonial en lieu et place de la loi française.
L’Italie est un beau pays
pour vivre, mais pour mourir ?
Pour développer les aspects
liés au décès, Louis Perreau Saussine se focalise sur deux éventualités, d’une
part celle d’une succession préparée en France par un individu qui ensuite
s’installe en Italie, et d’autre part celle d’un individu qui meurt en Italie.
Dans les deux cas, les textes sont proches. Le règlement européen sur les successions internationales
tient lieu de référence. Diffusé le 4 juillet 2012, il est entré en vigueur le
17 août 2015. Il prévoit des cas d'expatriation. Son article 21 indique que la
loi applicable à une succession internationale est celle de la dernière
résidence habituelle du de cujus. Si l'intéressé s’est expatrié en
Italie et y décède, la loi italienne a donc vocation à être exécutée.
Mais, plusieurs situations
dérogatoires sont prévues d'application de la loi française à la succession. Le
préambule du règlement sur les successions fournit en effet diverses
indications qui visent ce type d’hypothèses.
Le premier cas de figure
concerne l'expatrié qui a conservé un lien étroit et stable avec son État
d'origine. C’est-à-dire par exemple, un expatrié français installé en Italie
mais, sans sa famille, restée en France. Dans une telle situation, d'un point de
vue successoral, la loi française s’applique.
Le deuxième cas se produit
lorsque l’expatriation s’est déroulée relativement peu de temps avant le décès
et que par ailleurs, toutes les circonstances de la cause impliquent que le de
cujus entretenait manifestement des liens avec son État d'origine. Là
encore, on considère que sa résidence habituelle se situe en France.
Le troisième cas est celui de
l'expatrié nomade. C’est-à-dire que le défunt vivait de façon alternée dans
plusieurs États, voyageait sans être installé nulle part de façon permanente.
Dans ce contexte précis, la loi s’écarte du critère de la résidence habituelle.
Elle lui substitue, pour déterminer le centre effectif de la vie de
l'intéressé, sa nationalité et la situation géographique de ses biens.
Le quatrième et dernier cas
est associé aux articles 24 et 25 du règlement européen sur les successions
internationales. Les articles en question se concentrent sur l’existence d’un
pacte successoral, ou d’un testament établi en France quand l'intéressé décède
en Italie. C’est alors la loi de la résidence habituelle au jour où l'acte a
été élaboré qui désigne la loi applicable à sa validité et à sa recevabilité.
Une autre hypothèse se
produit, celle où la loi de la dernière résidence habituelle du de cujus
est écartée conformément à l'article 22 du règlement européen sur les
successions. La loi applicable est choisie par le de cujus. C’est celle
de sa nationalité ou de l'une de ses nationalités dans l'hypothèse où il en
aurait plusieurs. L'article 22 prévoit la possibilité, pour un Français, qui
s'expatrierait en Italie, de décider d'organiser sa succession à l'avance en
application du droit français. Des conditions sont à remplir. Il faut que le
choix revête la forme d'une disposition à cause de mort, comme un testament.
L'intérêt de cette option est de s’assurer que le changement de résidence
habituelle du de cujus n'aura aucune incidence sur les prévisions
patrimoniales et successorales qu'il aura mises en place avant son
expatriation.
C2M