Le personnage de
Mickey, en tant qu’œuvre protégée par le droit d’auteur, devrait tomber dans le
domaine public en 2023. Mais sera-t-il pour autant librement exploitable ?
En droit français, les œuvres dont la durée de
protection est expirée entrent dans le domaine public. En revanche, le calcul de
cette durée peut s’avérer particulièrement complexe s’agissant des œuvres
audiovisuelles. En outre, l’entrée d’une œuvre dans le domaine public ne
signifie pas nécessairement qu’elle devient exempte de toute protection.
Une protection du personnage de « Mickey »
par le droit d’auteur
Le droit d’auteur protège notamment les œuvres
littéraires, audiovisuelles et graphiques, peu importe le genre, la forme
d’expression, le mérite ou la destination. Il apparaît ainsi que les
personnages de fiction peuvent être protégés par le droit d’auteur. En
revanche, pour bénéficier de cette protection, le personnage doit s’incarner à
travers une forme tangible – notamment par le dessin – mais également être
original, c’est-à-dire refléter l’empreinte de la personnalité de son auteur.
C’est ainsi que, répondant à ces conditions, les personnages de Maya l’Abeille,
Goldorak et la Panthère rose ont été protégés par le droit d’auteur en tant
qu’œuvres de l’esprit. De ce fait, les personnages de dessins animés tels que « Mickey »
peuvent être protégés par le droit d’auteur.
Cette protection accorde à son auteur un monopole
d’exploitation sur son personnage, dont il peut interdire la reproduction et en
contrôler l’utilisation.
À la mort d’un auteur, se pose alors la question
du sort de ses personnages. D’autres auteurs peuvent-ils continuer de narrer
leurs aventures ou doit-on mettre un point final à leur parcours afin de
respecter l’intégrité de l’œuvre ? Cela dépend des personnages, des
auteurs… et de leurs ayants droit. Les Aventures de Blake et Mortimer se
poursuivent depuis 1996, alors même qu’Edgar P. Jacobs s’est éteint en
1987. A contrario, pour le jeune reporter Tintin, la société
Moulinsart n’a pas souhaité donner suite à ses aventures.
Si le droit d’auteur semble depuis des années être
très protecteur des auteurs en leur permettant de bénéficier à titre exclusif
des droits sur leur personnage de fiction, l’exception de parodie paraît,
toutefois, relativiser cette tendance. Dans une affaire opposant les ayants
droit d’Hergé aux Éditions du Léopard, spécialisées dans la publication
d’ouvrages humoristiques, la cour d’appel de Paris a décidé, le 18 février
2011, de rejeter la demande des ayants droit d’Hergé relative à la condamnation
des prétendus contrefacteurs. Ainsi, les ouvrages Le Crado pince fort, Le
Vol 714 porcineys, L’Oreille qui sait, La Lotus bleue et Saint
Tin au Gibet ont bénéficié de l’exception de parodie, dans la mesure
où l’humour et l’absence de risque de confusion avec l’œuvre originale ont été
retenus.
Le domaine public au sens du droit d’auteur
Une œuvre entre dans le domaine public à la fin de la
durée de protection des droits patrimoniaux de l’auteur. Elle se retrouve ainsi
à la libre disposition du public.
Les prérogatives patrimoniales permettent à l’auteur
de valoriser sa création. Toutefois, ce monopole d’exploitation est accordé à
l’auteur pendant toute sa vie et est limité pour ses héritiers à une durée de
70 ans à compter du 1er janvier de l’année suivant le décès de
l’auteur.
En revanche, l’auteur conservera toujours son droit
moral qui est perpétuel, inaliénable, imprescriptible et qui sera transmis à
ses héritiers.
Le point de départ du délai de 70 ans se calcule différemment selon le type d’œuvre.
Pour les œuvres de collaboration, on prend en compte le décès du dernier
coauteur vivant. En revanche, pour les œuvres collectives ou anonymes, le point
de départ est fixé au 1er janvier suivant l’année de
publication de l’œuvre. Qu’en est-il des dessins animés qualifiables d’œuvres audiovisuelles ?
Lire aussi : Disney et l’Unifab en chasse contre la contrefaçon -
Entretien avec Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l’Unifab
La durée de protection des œuvres audiovisuelles en
tant qu’œuvre de collaboration
Un dessin animé résulte du travail de différents
auteurs : mais celui-ci se rattache-t-il au régime de l’œuvre collective
ou de l’œuvre de collaboration ?
L’œuvre de collaboration se définit comme l’œuvre à la
création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. Elle nécessite
une inspiration commune et une pluralité d’apports originaux.
À ce titre, le Code de la propriété intellectuelle
dispose que par principe, une œuvre audiovisuelle ou radiophonique est une
œuvre de collaboration. Par conséquent, le délai de 70 ans commencera à
courir à la mort du dernier co-auteur.
Il convient de rappeler qu’il s’agit d’une présomption
simple. En effet, une œuvre audiovisuelle qui répondrait aux critères de
l’œuvre collective pourrait être qualifiée comme telle.
Le Code de la propriété intellectuelle, pris en son
article L. 113-7,
dresse la liste des co-auteurs présumés d’œuvres audiovisuelles : l’auteur du scénario, l’auteur de l’adaptation, l’auteur du
texte parlé, l’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles
spécialement réalisées pour l’œuvre, et le réalisateur.
Cette liste non exhaustive est, elle aussi, souvent
complétée par la jurisprudence qui a pu ajouter notamment des créateurs
d’effets spéciaux, ou encore des monteurs cadres, sous réserve de démontrer
l’originalité de leur contribution.
Bien que cette durée de protection par le droit
d’auteur soit particulièrement favorable aux œuvres de collaboration – car
conditionnée au décès de plusieurs personnes – certains ayants droit se
montrent parfois assez gourmands. Ainsi, l’héritière du réalisateur Max Linder avait
invoqué la qualité de co-auteur de la personne qui avait rédigé les intertitres
d’un film muet du réalisateur allemand, le tout pour bénéficier de la durée de
protection des œuvres de collaboration.
Cette durée de protection de 70 ans post mortem peut aussi,
exceptionnellement, être plus courte quand l’œuvre remplit deux conditions
cumulatives : si son pays d’origine est un pays tiers à l’Union européenne
et si son auteur n’est pas ressortissant d’un État membre de l’Union. La
Convention de Berne de 1886 et le Code de la propriété intellectuelle prévoient
que cette durée ne peut alors excéder « celle accordée dans le pays d’origine de l’œuvre ».
Pour rappel, cette même convention accorde aux œuvres
une durée de protection a minima de 50 ans à compter de la mort du dernier des co-auteurs.
La durée de protection aux États-Unis, pays de Mickey
Aux États-Unis, pays de notre cher Mickey, les œuvres
originales sont protégées par le biais du Copyright Act de
1976. Or, ce dernier a subi de nombreuses réformes comme par exemple le Copyright
Term Extension Act de 1998 (aussi appelé le Mickey Mouse Act)
qui a allongé la durée de protection des œuvres de 50 à 70 ans post
mortem, au terme d’une campagne de lobbying effectuée par Walt Disney.
Un domaine public payant : le cas Mickey Mouse
Au début des années 1990, le personnage de Mickey,
protégé par le droit d’auteur, allait ainsi entrer dans le domaine public. Pour
contrer cet événement, Buenavista International, qui s’occupait des productions
Walt Disney aux États-Unis, a eu, pour la première fois, l’idée de faire appel
au droit des marques. Le dépôt de la marque Mickey a permis d’empêcher le
public et les entreprises de pouvoir utiliser librement le personnage de Mickey
en vue de son exploitation commerciale.
C’est ce que Walt Disney a bien compris en France,
puisque l’entreprise a développé différentes stratégies afin de continuer à
pouvoir exploiter son personnage emblématique, alors même que le droit d’auteur
de Mickey entre dans le domaine public en 2023. Pour contourner sa libre
utilisation, Disney a déposé une multitude de marques à l’INPI. Seulement, si
cette stratégie a le mérite d’être efficace, elle implique d’exploiter chacune
des marques Mickey dans la vie des affaires, au minimum une fois sur une
période de cinq ans afin de ne pas encourir la déchéance des marques. C’est
d’ailleurs pour éviter ce risque que la société de production a introduit dans
les génériques de films Mickey plusieurs versions de Mickey allant de
l’iconique « Steamboat Willie » en noir et blanc (1928), au Mickey
Mouse colorisé que l’on connaît aujourd’hui.
Le respect du droit moral
Si les œuvres audiovisuelles tombées dans le domaine
public peuvent, en principe, être librement exploitées, c’est sous réserve de
respecter le droit moral. Ce dernier demeure perpétuel et peut être exercé par
les héritiers de l’auteur.
C’est pourquoi, même après avoir intégré le domaine
public, une œuvre audiovisuelle ne perd pas, stricto sensu, sa
qualité d’œuvre, et doit donc être encore différenciée des simples idées et
simples documents audiovisuels.
En effet, il conviendra d’éviter toute atteinte au
droit à la paternité en respectant le droit au nom et au respect de la qualité
des auteurs.
Seront aussi prohibées toutes les atteintes,
modifications ou altérations de l’œuvre telle qu’elle a été voulue et créée par
les auteurs.
À titre d’illustration, la qualité d’une projection en
streaming peut laisser à désirer au détriment du droit au respect de
l’intégrité de l’œuvre.
La Cour de cassation a notamment eu à se pencher sur
la problématique de la colorisation des films dans une affaire Asphalt
Jungle.
En l’espèce, la société de télévision La Cinq avait
diffusé une version colorisée de ce film. La Cour a estimé qu’aucune atteinte
ne peut être portée à l’intégrité d’une œuvre littéraire ou artistique, quel que
soit l’État sur le territoire duquel elle a été divulguée pour la première fois
et, d’autre part, la personne, qui est l’auteur de cette œuvre du seul fait de
sa création, est investie du droit moral institué à son bénéfice.
Ainsi, même si une œuvre protégée par le droit
d’auteur comme le personnage de Mickey rejoint le domaine public et devient, en
théorie, librement exploitable, il est toujours plus prudent de solliciter
l’autorisation des ayants droit en cas d’adaptation de celle-ci et de vérifier qu’il
n’existe pas de marque déposée.
Emmanuel Pierrat,
Avocat au barreau de Paris,
Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle,
Cabinet Pierrat & Associés
Léopold Kruger,
Avocat au barreau de Paris,
Cabinet Pierrat & Associés
