ARCHIVES

Mickey et le domaine public

Mickey et le domaine public
Publié le 03/01/2022 à 11:04

Le personnage de Mickey, en tant qu’œuvre protégée par le droit d’auteur, devrait tomber dans le domaine public en 2023. Mais sera-t-il pour autant librement exploitable ?

En droit français, les œuvres dont la durée de protection est expirée entrent dans le domaine public. En revanche, le calcul de cette durée peut s’avérer particulièrement complexe s’agissant des œuvres audiovisuelles. En outre, l’entrée d’une œuvre dans le domaine public ne signifie pas nécessairement qu’elle devient exempte de toute protection.

 


 

Une protection du personnage de « Mickey » par le droit d’auteur

Le droit d’auteur protège notamment les œuvres littéraires, audiovisuelles et graphiques, peu importe le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Il apparaît ainsi que les personnages de fiction peuvent être protégés par le droit d’auteur. En revanche, pour bénéficier de cette protection, le personnage doit s’incarner à travers une forme tangible – notamment par le dessin – mais également être original, c’est-à-dire refléter l’empreinte de la personnalité de son auteur. C’est ainsi que, répondant à ces conditions, les personnages de Maya l’Abeille, Goldorak et la Panthère rose ont été protégés par le droit d’auteur en tant qu’œuvres de l’esprit. De ce fait, les personnages de dessins animés tels que « Mickey » peuvent être protégés par le droit d’auteur.

Cette protection accorde à son auteur un monopole d’exploitation sur son personnage, dont il peut interdire la reproduction et en contrôler l’utilisation.

À la mort d’un auteur, se pose alors la question du sort de ses personnages. D’autres auteurs peuvent-ils continuer de narrer leurs aventures ou doit-on mettre un point final à leur parcours afin de respecter l’intégrité de l’œuvre ? Cela dépend des personnages, des auteurs… et de leurs ayants droit. Les Aventures de Blake et Mortimer se poursuivent depuis 1996, alors même qu’Edgar P. Jacobs s’est éteint en 1987. A contrario, pour le jeune reporter Tintin, la société Moulinsart n’a pas souhaité donner suite à ses aventures.

Si le droit d’auteur semble depuis des années être très protecteur des auteurs en leur permettant de bénéficier à titre exclusif des droits sur leur personnage de fiction, l’exception de parodie paraît, toutefois, relativiser cette tendance. Dans une affaire opposant les ayants droit d’Hergé aux Éditions du Léopard, spécialisées dans la publication d’ouvrages humoristiques, la cour d’appel de Paris a décidé, le 18 février 2011, de rejeter la demande des ayants droit d’Hergé relative à la condamnation des prétendus contrefacteurs. Ainsi, les ouvrages Le Crado pince fortLe Vol 714 porcineysL’Oreille qui saitLa Lotus bleue et Saint Tin au Gibet ont bénéficié de l’exception de parodie, dans la mesure où l’humour et l’absence de risque de confusion avec l’œuvre originale ont été retenus.

 

 


Le domaine public au sens du droit d’auteur

Une œuvre entre dans le domaine public à la fin de la durée de protection des droits patrimoniaux de l’auteur. Elle se retrouve ainsi à la libre disposition du public.

Les prérogatives patrimoniales permettent à l’auteur de valoriser sa création. Toutefois, ce monopole d’exploitation est accordé à l’auteur pendant toute sa vie et est limité pour ses héritiers à une durée de 70 ans à compter du 1er janvier de l’année suivant le décès de l’auteur.

En revanche, l’auteur conservera toujours son droit moral qui est perpétuel, inaliénable, imprescriptible et qui sera transmis à ses héritiers.

Le point de départ du délai de 70 ans se calcule différemment selon le type d’œuvre. Pour les œuvres de collaboration, on prend en compte le décès du dernier coauteur vivant. En revanche, pour les œuvres collectives ou anonymes, le point de départ est fixé au 1er janvier suivant l’année de publication de l’œuvre. Qu’en est-il des dessins animés qualifiables d’œuvres audiovisuelles ?

 



Lire aussi :  Disney et l’Unifab en chasse contre la contrefaçon - Entretien avec Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l’Unifab 

 



La durée de protection des œuvres audiovisuelles en tant qu’œuvre de collaboration

Un dessin animé résulte du travail de différents auteurs : mais celui-ci se rattache-t-il au régime de l’œuvre collective ou de l’œuvre de collaboration ?

L’œuvre de collaboration se définit comme l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. Elle nécessite une inspiration commune et une pluralité d’apports originaux.

À ce titre, le Code de la propriété intellectuelle dispose que par principe, une œuvre audiovisuelle ou radiophonique est une œuvre de collaboration. Par conséquent, le délai de 70 ans commencera à courir à la mort du dernier co-auteur.

Il convient de rappeler qu’il s’agit d’une présomption simple. En effet, une œuvre audiovisuelle qui répondrait aux critères de l’œuvre collective pourrait être qualifiée comme telle.

Le Code de la propriété intellectuelle, pris en son article L. 113-7, dresse la liste des co-auteurs présumés d’œuvres audiovisuelles : l’auteur du scénario, l’auteur de l’adaptation, l’auteur du texte parlé, l’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre, et le réalisateur.

Cette liste non exhaustive est, elle aussi, souvent complétée par la jurisprudence qui a pu ajouter notamment des créateurs d’effets spéciaux, ou encore des monteurs cadres, sous réserve de démontrer l’originalité de leur contribution.

Bien que cette durée de protection par le droit d’auteur soit particulièrement favorable aux œuvres de collaboration – car conditionnée au décès de plusieurs personnes – certains ayants droit se montrent parfois assez gourmands. Ainsi, l’héritière du réalisateur Max Linder avait invoqué la qualité de co-auteur de la personne qui avait rédigé les intertitres d’un film muet du réalisateur allemand, le tout pour bénéficier de la durée de protection des œuvres de collaboration.

Cette durée de protection de 70 ans post mortem peut aussi, exceptionnellement, être plus courte quand l’œuvre remplit deux conditions cumulatives : si son pays d’origine est un pays tiers à l’Union européenne et si son auteur n’est pas ressortissant d’un État membre de l’Union. La Convention de Berne de 1886 et le Code de la propriété intellectuelle prévoient que cette durée ne peut alors excéder « celle accordée dans le pays d’origine de l’œuvre ».

Pour rappel, cette même convention accorde aux œuvres une durée de protection a minima de 50 ans à compter de la mort du dernier des co-auteurs.

 

 


La durée de protection aux États-Unis, pays de Mickey

Aux États-Unis, pays de notre cher Mickey, les œuvres originales sont protégées par le biais du Copyright Act de 1976. Or, ce dernier a subi de nombreuses réformes comme par exemple le Copyright Term Extension Act de 1998 (aussi appelé le Mickey Mouse Act) qui a allongé la durée de protection des œuvres de 50 à 70 ans post mortem, au terme d’une campagne de lobbying effectuée par Walt Disney.

 


 

Un domaine public payant : le cas Mickey Mouse

Au début des années 1990, le personnage de Mickey, protégé par le droit d’auteur, allait ainsi entrer dans le domaine public. Pour contrer cet événement, Buenavista International, qui s’occupait des productions Walt Disney aux États-Unis, a eu, pour la première fois, l’idée de faire appel au droit des marques. Le dépôt de la marque Mickey a permis d’empêcher le public et les entreprises de pouvoir utiliser librement le personnage de Mickey en vue de son exploitation commerciale.

C’est ce que Walt Disney a bien compris en France, puisque l’entreprise a développé différentes stratégies afin de continuer à pouvoir exploiter son personnage emblématique, alors même que le droit d’auteur de Mickey entre dans le domaine public en 2023. Pour contourner sa libre utilisation, Disney a déposé une multitude de marques à l’INPI. Seulement, si cette stratégie a le mérite d’être efficace, elle implique d’exploiter chacune des marques Mickey dans la vie des affaires, au minimum une fois sur une période de cinq ans afin de ne pas encourir la déchéance des marques. C’est d’ailleurs pour éviter ce risque que la société de production a introduit dans les génériques de films Mickey plusieurs versions de Mickey allant de l’iconique « Steamboat Willie » en noir et blanc (1928), au Mickey Mouse colorisé que l’on connaît aujourd’hui.

 

 

Le respect du droit moral

Si les œuvres audiovisuelles tombées dans le domaine public peuvent, en principe, être librement exploitées, c’est sous réserve de respecter le droit moral. Ce dernier demeure perpétuel et peut être exercé par les héritiers de l’auteur.

C’est pourquoi, même après avoir intégré le domaine public, une œuvre audiovisuelle ne perd pas, stricto sensu, sa qualité d’œuvre, et doit donc être encore différenciée des simples idées et simples documents audiovisuels.

En effet, il conviendra d’éviter toute atteinte au droit à la paternité en respectant le droit au nom et au respect de la qualité des auteurs.

Seront aussi prohibées toutes les atteintes, modifications ou altérations de l’œuvre telle qu’elle a été voulue et créée par les auteurs.

À titre d’illustration, la qualité d’une projection en streaming peut laisser à désirer au détriment du droit au respect de l’intégrité de l’œuvre.

La Cour de cassation a notamment eu à se pencher sur la problématique de la colorisation des films dans une affaire Asphalt Jungle.

En l’espèce, la société de télévision La Cinq avait diffusé une version colorisée de ce film. La Cour a estimé qu’aucune atteinte ne peut être portée à l’intégrité d’une œuvre littéraire ou artistique, quel que soit l’État sur le territoire duquel elle a été divulguée pour la première fois et, d’autre part, la personne, qui est l’auteur de cette œuvre du seul fait de sa création, est investie du droit moral institué à son bénéfice.

Ainsi, même si une œuvre protégée par le droit d’auteur comme le personnage de Mickey rejoint le domaine public et devient, en théorie, librement exploitable, il est toujours plus prudent de solliciter l’autorisation des ayants droit en cas d’adaptation de celle-ci et de vérifier qu’il n’existe pas de marque déposée.

 


 

Emmanuel Pierrat,

Avocat au barreau de Paris,

Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle,

Cabinet Pierrat & Associés

 

Léopold Kruger,

Avocat au barreau de Paris,

Cabinet Pierrat & Associés

 

 









0 commentaire
Poster

Nos derniers articles