Le
mouvement « Bloquons tout », lancé sur
les réseaux sociaux depuis quelques mois, a fixé la date du 10 septembre pour
une journée de mobilisation contre la politique gouvernementale, débordant les
syndicats. Mais la capacité de mobilisation des salariés, du privé comme du
public, pourrait être impactée par l’issue du vote de confiance des députés
demandé par le Premier ministre, François Bayrou, ce lundi 8 septembre.
« Ce n’est pas en
ajoutant du chaos et du désordre qu’on va résoudre les difficultés qui sont
devant nous ». Cette affirmation d’Eric
Chevée, vice-président de la CPME en charge des Affaires sociales, montre
combien les appels à la mobilisation, à la grève, au blocage, par le mouvement « Bloquons
tout » pour ce 10 septembre interrogent et inquiètent en cette rentrée sociale
électrique. L’échec – fort probable – de François Bayrou à décrocher le vote de
confiance des députés, ce lundi 8 septembre, pourrait-il rebattre les cartes
avant l’échéance du 10 ?
Un secteur
privé peu mobilisé ?
L’une
des grandes inconnues autour de cet appel à la mobilisation reste la capacité de
mobilisation des salariés du secteur privé qui souhaiteraient s’opposer au
programme budgétaire prévu par le gouvernement pour 2026. «
Ce qu’on sait, traditionnellement, c’est que le [secteur] privé se mobilise
moins que le [secteur] public » souligne Michel Kokoreff, professeur des
universités à Paris 8. « Il n’y a quasiment pas de conflictualité dans les
sociétés privées aujourd’hui. Je ne
vois pas trop les concernés poser des journées de grève ou de RTT pour cette
manifestation-là », assène Eric Chevée. En
cause, selon lui : des questions de pouvoir d’achat. Par ailleurs, la
récupération politique de la part de la France insoumise est susceptible de «
démobiliser les derniers motivés », ajoute le vice-président de la CPME.
« On
a pas mal de salariés qui nous demandent s’ils peuvent faire grève le 10
septembre. C’est déjà un signe qu’il se passe quelque chose ! », rétorque,
de son côté, Muriel Guilbert, co-déléguée générale de l’Union syndicale
Solidaires. Elle pense que les salariés du privé vont se
mobiliser en raison de l’impact potentiel des mesures budgétaires annoncées par
le gouvernement sur leur quotidien. « Il y
a, a priori, peu de mobilisation de la part de nos adhérents pour cette
manifestation du 10 septembre » tempère
auprès du JSS, Christine Lê, secrétaire nationale de la CFE-CGC, estimant
toutefois que la journée du 10 septembre pourrait mobiliser des personnes de
tout type de statut, citant pêle-mêle des salariés, des étudiants, des
demandeurs d’emploi, des indépendants.
Le spectre des Gilets
jaunes
A ce
stade, la tentation est grande de comparer le mouvement « Bloquons tout »
au mouvement des Gilets jaunes, qui a lui aussi émergé sur les réseaux sociaux pour
s’exprimer dans la rue à partir de novembre 2018. Et certains, probablement, rêvent ou cauchemardent le même impact. « Je pense que cet épisode
des Gilets jaunes hante le pouvoir, les gouvernements, les ministres de
l’Intérieur », analyse le sociologue Michel Kokoreff. Pour l’auteur de La
diagonale de la rage (Divergences, 2021), « Bloquons tout » est «
un mouvement qui rappelle, un peu, par son côté transversal, à bonne
distance des organisations classiques - syndicats, partis politiques -, les
Gilets jaunes, dans un contexte où il y a une sorte d’apathie générale depuis
2023, de sidération, de désenchantement sur la capacité des mouvements sociaux
à changer la donne, à se faire entendre », estimant toutefois qu’il est
inexact de parler de « giletjaunisation » des mouvements sociaux.
D’ailleurs,
faut-il mettre en opposition un mouvement social comme « Bloquons tout »
et les syndicats ? Pour Muriel Guilbert de Solidaires, cette logique n’a pas de
raison d’être. « Tous les syndicats n’ont pas analysé qu’il fallait
appeler au 10 septembre. Un mouvement spontané, citoyen, n’est ni en
concurrence avec le syndicat, ni à regarder de manière trop méfiante »
affirme-t-elle, rappelant que Solidaires compte parmi les quelques syndicats soutenant
l’appel à la mobilisation de ce mercredi.
« Nous
n’appelons pas à rejoindre la manifestation du 10 septembre parce que c’est un
mouvement dont on ne sait pas comment il est né, ni quelles sont ses
revendications », répond Christine Lê, de la CFE-CGC, sachant que
l’intersyndicale a prévu sa journée de manifestation pour le 18 septembre. Elle
considère par ailleurs qu’il est « toujours de bon augure de construire un
cahier de revendications pour pouvoir le porter auprès des interlocuteurs ».
En l’occurrence ici, le gouvernement.
Pour le
sociologue Michel Kokoreff, cette opposition entre mouvements sociaux et
syndicats s’inscrit dans une trajectoire de long terme, remontant au 19ème
siècle et à l’émergence des syndicats à la suite de révoltes sociales. « Il
y a toujours eu une ligne de tension entre des mouvements indépendants,
autonomes, peut-être plus violents, et des mouvements davantage régulés »
précise-t-il.
D'après
lui, il y a eu ces dernières années un changement générationnel dans la façon
d'envisager les actions à mener, lié notamment aux suites du mouvement Gilets
jaunes. « Les syndicats ont été débordés sur leur gauche par de nouvelles
générations qui en avaient un peu marre des manifestations plan-plan, qui
optaient pour d’autres moyens d’actions, peut-être plus radicaux, moins
ritualisés, avec l’espoir de changer la donne », estime-t-il.
« Sans Bayrou, la mobilisation perd son objet »
Reste à savoir si
l’échec, fort probable, de François Bayrou à obtenir le vote de confiance des
députés change la donne par rapport à la date fatidique du 10 septembre. Pour Michel Kokoreff, la fin du gouvernement Bayrou peut avoir
un impact sur la mobilisation : « Il me semble qu’il y a un télescopage dans
le temps qui peut plutôt renforcer la mobilisation du 10 et du 18 ». Christine Lê, de la CFE-CGC, relève pour sa part, « que les choses sont lancées du point du logistique et organisationnel
».
Pour Martèle
Guilbert, la question est de construire un rapport de force face à tout
gouvernement qui mettrait en place des mesures budgétaires « austéritaires » et
que les travailleurs paieraient au prix fort, ce qui la conduit à dire que « même
si le gouvernement tombe, l’appel à la grève continue, de toute manière ».
Pour le
vice-président de la CPME, Eric Chevée, l’appel au vote de confiance de la part
du Premier ministre et son issue changent effectivement la donne, mais d’une
autre manière. « Si le gouvernement vient à tomber le 8 au soir, je crois
plutôt à une démobilisation pour le 10 au matin. C’est plus facile quand la
lutte est matérialisée et là, elle perd d’un seul coup de son objet »,
souligne-t-il. Les prochains jours promettent d’être scrutés de près.
Jonathan
Baudoin