POLITIQUE

Mobilisation du 10 septembre : à quoi s’attendre ?

Mobilisation du 10 septembre : à quoi s’attendre ?
©Hans Lucas via AFP
Publié le 08/09/2025 à 13:29

Le mouvement « Bloquons tout », lancé sur les réseaux sociaux depuis quelques mois, a fixé la date du 10 septembre pour une journée de mobilisation contre la politique gouvernementale, débordant les syndicats. Mais la capacité de mobilisation des salariés, du privé comme du public, pourrait être impactée par l’issue du vote de confiance des députés demandé par le Premier ministre, François Bayrou, ce lundi 8 septembre.

« Ce n’est pas en ajoutant du chaos et du désordre qu’on va résoudre les difficultés qui sont devant nous ». Cette affirmation d’Eric Chevée, vice-président de la CPME en charge des Affaires sociales, montre combien les appels à la mobilisation, à la grève, au blocage, par le mouvement « Bloquons tout » pour ce 10 septembre interrogent et inquiètent en cette rentrée sociale électrique. L’échec – fort probable – de François Bayrou à décrocher le vote de confiance des députés, ce lundi 8 septembre, pourrait-il rebattre les cartes avant l’échéance du 10 ?

Un secteur privé peu mobilisé ?

L’une des grandes inconnues autour de cet appel à la mobilisation reste la capacité de mobilisation des salariés du secteur privé qui souhaiteraient s’opposer au programme budgétaire prévu par le gouvernement pour 2026. « Ce qu’on sait, traditionnellement, c’est que le [secteur] privé se mobilise moins que le [secteur] public » souligne Michel Kokoreff, professeur des universités à Paris 8. « Il n’y a quasiment pas de conflictualité dans les sociétés privées aujourd’hui. Je ne vois pas trop les concernés poser des journées de grève ou de RTT pour cette manifestation-là », assène Eric Chevée. En cause, selon lui : des questions de pouvoir d’achat. Par ailleurs, la récupération politique de la part de la France insoumise est susceptible de « démobiliser les derniers motivés », ajoute le vice-président de la CPME.

« On a pas mal de salariés qui nous demandent s’ils peuvent faire grève le 10 septembre. C’est déjà un signe qu’il se passe quelque chose ! », rétorque, de son côté, Muriel Guilbert, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires. Elle pense que les salariés du privé vont se mobiliser en raison de l’impact potentiel des mesures budgétaires annoncées par le gouvernement sur leur quotidien. « Il y a, a priori, peu de mobilisation de la part de nos adhérents pour cette manifestation du 10 septembre » tempère auprès du JSS, Christine Lê, secrétaire nationale de la CFE-CGC, estimant toutefois que la journée du 10 septembre pourrait mobiliser des personnes de tout type de statut, citant pêle-mêle des salariés, des étudiants, des demandeurs d’emploi, des indépendants.

Le spectre des Gilets jaunes

A ce stade, la tentation est grande de comparer le mouvement « Bloquons tout » au mouvement des Gilets jaunes, qui a lui aussi émergé sur les réseaux sociaux pour s’exprimer dans la rue à partir de novembre 2018. Et certains, probablement, rêvent ou cauchemardent le même impact. « Je pense que cet épisode des Gilets jaunes hante le pouvoir, les gouvernements, les ministres de l’Intérieur », analyse le sociologue Michel Kokoreff. Pour l’auteur de La diagonale de la rage (Divergences, 2021), « Bloquons tout » est « un mouvement qui rappelle, un peu, par son côté transversal, à bonne distance des organisations classiques - syndicats, partis politiques -, les Gilets jaunes, dans un contexte où il y a une sorte d’apathie générale depuis 2023, de sidération, de désenchantement sur la capacité des mouvements sociaux à changer la donne, à se faire entendre », estimant toutefois qu’il est inexact de parler de « giletjaunisation » des mouvements sociaux.

D’ailleurs, faut-il mettre en opposition un mouvement social comme « Bloquons tout » et les syndicats ? Pour Muriel Guilbert de Solidaires, cette logique n’a pas de raison d’être. « Tous les syndicats n’ont pas analysé qu’il fallait appeler au 10 septembre. Un mouvement spontané, citoyen, n’est ni en concurrence avec le syndicat, ni à regarder de manière trop méfiante » affirme-t-elle, rappelant que Solidaires compte parmi les quelques syndicats soutenant l’appel à la mobilisation de ce mercredi.

« Nous n’appelons pas à rejoindre la manifestation du 10 septembre parce que c’est un mouvement dont on ne sait pas comment il est né, ni quelles sont ses revendications », répond Christine Lê, de la CFE-CGC, sachant que l’intersyndicale a prévu sa journée de manifestation pour le 18 septembre. Elle considère par ailleurs qu’il est « toujours de bon augure de construire un cahier de revendications pour pouvoir le porter auprès des interlocuteurs ». En l’occurrence ici, le gouvernement.

Pour le sociologue Michel Kokoreff, cette opposition entre mouvements sociaux et syndicats s’inscrit dans une trajectoire de long terme, remontant au 19ème siècle et à l’émergence des syndicats à la suite de révoltes sociales. « Il y a toujours eu une ligne de tension entre des mouvements indépendants, autonomes, peut-être plus violents, et des mouvements davantage régulés » précise-t-il.

D'après lui, il y a eu ces dernières années un changement générationnel dans la façon d'envisager les actions à mener, lié notamment aux suites du mouvement Gilets jaunes. « Les syndicats ont été débordés sur leur gauche par de nouvelles générations qui en avaient un peu marre des manifestations plan-plan, qui optaient pour d’autres moyens d’actions, peut-être plus radicaux, moins ritualisés, avec l’espoir de changer la donne », estime-t-il.

« Sans Bayrou, la mobilisation perd son objet »

Reste à savoir si l’échec, fort probable, de François Bayrou à obtenir le vote de confiance des députés change la donne par rapport à la date fatidique du 10 septembre. Pour Michel Kokoreff, la fin du gouvernement Bayrou peut avoir un impact sur la mobilisation : « Il me semble qu’il y a un télescopage dans le temps qui peut plutôt renforcer la mobilisation du 10 et du 18 ». Christine Lê, de la CFE-CGC, relève pour sa part, « que les choses sont lancées du point du logistique et organisationnel ».

Pour Martèle Guilbert, la question est de construire un rapport de force face à tout gouvernement qui mettrait en place des mesures budgétaires « austéritaires » et que les travailleurs paieraient au prix fort, ce qui la conduit à dire que « même si le gouvernement tombe, l’appel à la grève continue, de toute manière ».

Pour le vice-président de la CPME, Eric Chevée, l’appel au vote de confiance de la part du Premier ministre et son issue changent effectivement la donne, mais d’une autre manière. « Si le gouvernement vient à tomber le 8 au soir, je crois plutôt à une démobilisation pour le 10 au matin. C’est plus facile quand la lutte est matérialisée et là, elle perd d’un seul coup de son objet », souligne-t-il. Les prochains jours promettent d’être scrutés de près.

Jonathan Baudoin


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