Nicole Pradain naît le 24 mai 1924 à Pithiviers dans le Loiret. Son père,
patron aisé d'une entreprise de métallerie/ferronnerie en Auvergne, décède de
la tuberculose alors qu'elle n'a pas cinq ans. Sa mère, soudainement sans
ressources, doit devenir institutrice et s'installe à Olivet, près d'Orléans.
Volontaire, menant une vie austère en lien avec ses modestes revenus, elle
répète à ses deux filles qu'il faut avoir un métier pour assurer son indépendance
financière.
Une jeune pionnière
La simple chronologie du parcours de Nicole
Pradain montre sa détermination très précoce à exercer les fonctions de juge.
Bonne élève, elle poursuit après le
baccalauréat des études de droit, et décide de devenir attachée stagiaire au
tribunal d'Orléans à 22 ans, en septembre 1946, alors que la loi ouvrant la
magistrature aux femmes date à peine d'avril1.
Lors d'une formation au barreau, elle constate
la difficulté pour une femme d'évoluer dans un monde judiciaire masculin. Elle
garde en mémoire les mots d'un prévenu qu'elle devait assister et qui avait
commenté : « C'est quand même malheureux de ne pas pouvoir avoir
un vrai avocat ! 2 »
À la première occasion, elle s'inscrit à
l'examen d'entrée dans la magistrature qu'elle passe en même temps que Suzanne
Challe, dont elle restera très proche tout au long de sa vie, et qui deviendra
la première femme Première présidente3. Elle est déclarée apte à
l’exercice des fonctions judiciaires dès décembre 19474, un an après
l'entrée de la première femme dans la magistrature5.
Elle devient juge suppléant à Orléans à
seulement 23 ans. Elle est déléguée au tribunal de Chinon, où elle exerce
les fonctions de juge d'instruction.
25 ans d'administration centrale
Un an plus tard, en 1949, Nicole Pradain est
nommée attachée titulaire au ministère de la Justice, où elle exerce sur plus
de deux décennies. Elle travaille sous les mandats de nombreux gardes des
Sceaux, parmi lesquels Edgar Faure, Robert Schuman, François Mitterrand, Michel
Debré, René Capitant, Jean Lecanuet ou encore Alain Peyrefitte.
Affectée à la Direction des affaires civiles
et du Sceau, elle y atteindra le poste de cheffe de la division des
professions.
Nicole Pradain vit les nombreuses évolutions
juridiques conçues à la Chancellerie : rédaction de la Constitution de la
Ve République en 1958, élaboration du nouveau Code de procédure civile en
1975, réformes successives du droit de la famille qui ont progressivement
permis aux femmes de s’émanciper de l’autorité de leur époux.
La cour d’appel de Paris
À 53 ans, Nicole Pradain rejoint le parquet
général de la cour d’appel de Paris.
Cette nomination en juridiction intervient
alors que le Premier ministre Raymond Barre vient de nommer Alain Peyrefitte
garde des Sceaux. Dans la perspective de l'élection présidentielle, c'est lui
qui élabore les fondements politiques de la loi « sécurité et
liberté », promulguée le 2 février 1981. Très contestée, elle reste
emblématique des débats de la campagne qui verra la victoire de François
Mitterrand.
Nicole Pradain arrive en août 1977 dans une
équipe dirigée par le procureur général Paul-André Sadon. Ce dernier est alors
perçu comme la principale incarnation au sein de la magistrature de la
politique du ministre auquel il apporte publiquement son soutien. Nicole Pradain
devient l'une des substituts de son parquet, avant d’être promue avocate
générale en juin 1980.
Elle vit une période de tension personnelle
alors que le terrorisme de la Fraction Armée Rouge bat son plein en Europe.
Chargée d'examiner des demandes d'extradition de membres de la « bande à
Baader », elle reçoit des menaces de mort à son domicile. Elle est
contrainte de déménager à une adresse tenue secrète et placée sous protection
policière pendant plusieurs mois. Ce n'est que lorsqu'elle change de fonctions
que la situation s'apaise.
Le Conseil supérieur de la
magistrature
Nicole Pradain ne cache pas son admiration
pour Valéry Giscard d'Estaing, dont elle conservera toujours une photo sur son
bureau la montrant décorée par ses soins. Le jeune président veut promouvoir
des femmes et la nomme en 1979 secrétaire générale du Conseil Supérieur de la
Magistrature. Elle n'est que la deuxième femme à occuper ce poste, après sa
collègue Simone Veil avec laquelle elle a toujours entretenu d'excellentes
relations professionnelles.
Elle travaille directement aux côtés du
président de la République alors placé à la tête du Conseil par la
Constitution, et d'Alain Peyrefitte, vice-président en sa qualité de garde des
Sceaux.
La première femme procureure
générale
Nicole Pradain doit à sa visibilité auprès des
responsables politiques d'être repérée comme celle pouvant incarner un symbole
que souhaite le gouvernement : faire accéder pour la première fois une
femme à un poste de procureur général.
Dans une période charnière, le 6 janvier
1981, elle est nommée à la tête du parquet général de la cour d'appel de Riom,
à l'âge de 57 ans. Pour Nicole Pradain, cette nomination est une fierté et
un honneur.
Il s'agit aussi d'un véritable événement
public, marqué par le déplacement exceptionnel du garde des Sceaux en personne
à Riom le 30 janvier à l'occasion de l'audience solennelle réunie pour son
installation.

Entourée des procureurs
du ressort de la cour d’appel de Riom
Alain Peyrefitte prononce un discours, dans
lequel il souligne que « cette installation rend totalement effective
l’égalité des sexes dans la magistrature, égalité instaurée par la loi du 11
avril 1946 ».
Il ajoute alors à l’adresse de Nicole
Pradain : « Vous êtes la première femme procureur général de
l’histoire de France. Mais vous n’êtes assurément pas la dernière (…). L’image
de la justice française n’aura sans doute qu’à gagner à se féminiser,
c’est-à-dire à s’humaniser6. »
Les médias s’intéressent à cette
nouveauté. Paris Match lui consacre quatre pages avec
photographies et entretien, Femmes d'aujourd'hui la cite en couverture, elle
est invitée sur les plateaux télévisés. Le journal local La Montagne titre :
« La magistrature s'ouvre de plus en plus au “sexe
faible” ».
Elle trouve en arrivant dans le Puy-de-Dôme
des équipes exclusivement composées d'hommes, tant au niveau de la Cour que des
sept tribunaux de grande instance du ressort : Riom, Clermont-Ferrand,
Moulins, Montluçon, Cusset, Le Puy-en-Velay, et Aurillac. La photographie la
montrant entourée des procureurs de la République de l'époque en témoigne.
Certains de ses avocats généraux, plus âgés,
voient cependant d’un mauvais œil cette nomination. « Une femme
procureure générale, ce n’est pas possible ! », peut-on entendre
dans les couloirs de la cour d’appel de Riom7.
Dotée d’une autorité naturelle, elle organise,
dirige les réunions, et s'impose pleinement dans ce rôle inédit. Si elle n'est
pas une technicienne, n'ayant que peu exercé en juridiction, elle se montre
attentive aux demandes et aux difficultés, faisant preuve de force de
caractère. Un des jeunes procureurs alors sous son autorité se souvient :
« elle était tout à fait à la hauteur (…) personne ne remettait en
cause sa légitimité8 ».
Consciente de sa place dans l'institution,
Nicole Pradain impose le respect de sa position. Elle n'apprécie pas que l'on
parle de « Mademoiselle » ; elle préfère « Madame ».
Face à un collaborateur qui l’appelle « Madame le procureur »,
elle ne manque pas de signaler à ce dernier son erreur, en répliquant « Général,
monsieur ! Procureur général ! ».
Son aisance dans la prise de parole et dans
son rôle de représentation est relevée. Elle s’exprime toujours sans notes et
avec une grande facilité. Une de ses secrétaires se souvient : « Jamais
on n’a entendu un autre magistrat parler comme ça9. » Femme
de grande distinction, « très classe », elle « rend
fiers » ses procureurs, qui voient en elle une belle image de la
magistrature10.
Elle reste discrète sur sa vie privée même
lorsqu'elle invite les procureurs à dîner dans son logement de fonction. Sans
époux ni enfants, elle est très proche de sa sœur et de ses trois neveux,
qu'elle rejoint souvent dans leur maison de famille auvergnate. Cette période
restera pour elle la plus heureuse de sa carrière.
La Cour de cassation
Après six années d'exercice à Riom, Nicole
Pradain n'accède pas à une Cour plus importante. Elle est nommée avocate
générale à la Cour de cassation en décembre 198611. Elle y achève sa
carrière et organise dans ses salons une cérémonie à l'occasion de son
accession au grade de commandeure de la légion d’honneur en avril 1999.
Son décès le 18 août 2005, à l'âge de
81 ans, ne donne lieu ni à une mention au sein du monde judiciaire, ni à
une nécrologie journalistique. En 2018, c'est la procureure générale de Riom
Joëlle Rieutort, première femme à succéder à Nicole Pradain, qui prend l'initiative
de lui rendre hommage en nommant une salle de la cour d’appel du nom de sa
prédécesseure.
La dernière référence qui lui est faite12 date
de janvier 2020, à l’occasion de l’installation de la première femme nommée
procureure générale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence13.
Quant à la première présidence de la cour de
Riom, ce n'est que 25 ans plus tard qu'elle échoit pour la première fois à
une femme, Marie-Colette Brenot14.
1) Loi du 11
avril 1946.
2) Souvenirs
de Jean-Louis Pansard, neveu de Nicole Pradain - entretien avec l'autrice le
10 juin 2020.
3) Nommée le
19 décembre 1978 à la cour d'appel de Nîmes.
4) Journal
Officiel de la République Française (JORF) du 24 décembre 1947.
5) Portrait
de Charlotte Béquignon-Lagarde, JSS du 6 octobre 2018,
n° 71, p. 8.
6) Le
Monde, 2 février 1981, « La féminisation humanise la justice
estime le garde des Sceaux ».
7) Souvenirs
de Michèle Madubot – secrétaire du procureur général à l’époque – entretien
avec l’autrice le 15 juin 2020.
8) Souvenirs
de Gildas Pavy, avocat général à la cour d'appel d'Aix-en-Provence – entretien
avec l'autrice le 2 juin 2020.
9) Souvenirs
de Michèle Madubot, pré-citée.
10)
Souvenirs de Daniel Mira, alors substitut du procureur de Cusset, puis
procureur de Montluçon – entretien avec l'autrice le 4 juin 2020.
11) JORF du
2 décembre 1986.
12) Par
Gildas Pavy, pré-cité.
13)
Marie-Suzanne Le Quéau.
Gwenola Joly-Coz,
Présidente du tribunal judiciaire
de Pontoise,
Membre de l’association Femmes de
justice

Retrouvez tous les portraits de femmes pionnières, réalisés par Gwenola Joly-Coz