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Nicole Pradain, première femme procureure générale

Nicole Pradain, première femme procureure générale
Publié le 17/07/2020 à 10:00


Nicole Pradain naît le 24 mai 1924 à Pithiviers dans le Loiret. Son père, patron aisé d'une entreprise de métallerie/ferronnerie en Auvergne, décède de la tuberculose alors qu'elle n'a pas cinq ans. Sa mère, soudainement sans ressources, doit devenir institutrice et s'installe à Olivet, près d'Orléans. Volontaire, menant une vie austère en lien avec ses modestes revenus, elle répète à ses deux filles qu'il faut avoir un métier pour assurer son indépendance financière.

 

 

Une jeune pionnière

La simple chronologie du parcours de Nicole Pradain montre sa détermination très précoce à exercer les fonctions de juge.

Bonne élève, elle poursuit après le baccalauréat des études de droit, et décide de devenir attachée stagiaire au tribunal d'Orléans à 22 ans, en septembre 1946, alors que la loi ouvrant la magistrature aux femmes date à peine d'avril1.

Lors d'une formation au barreau, elle constate la difficulté pour une femme d'évoluer dans un monde judiciaire masculin. Elle garde en mémoire les mots d'un prévenu qu'elle devait assister et qui avait commenté : « C'est quand même malheureux de ne pas pouvoir avoir un vrai avocat ! 2 »

À la première occasion, elle s'inscrit à l'examen d'entrée dans la magistrature qu'elle passe en même temps que Suzanne Challe, dont elle restera très proche tout au long de sa vie, et qui deviendra la première femme Première présidente3. Elle est déclarée apte à l’exercice des fonctions judiciaires dès décembre 19474, un an après l'entrée de la première femme dans la magistrature5.

Elle devient juge suppléant à Orléans à seulement 23 ans. Elle est déléguée au tribunal de Chinon, où elle exerce les fonctions de juge d'instruction.

 


 

25 ans d'administration centrale

Un an plus tard, en 1949, Nicole Pradain est nommée attachée titulaire au ministère de la Justice, où elle exerce sur plus de deux décennies. Elle travaille sous les mandats de nombreux gardes des Sceaux, parmi lesquels Edgar Faure, Robert Schuman, François Mitterrand, Michel Debré, René Capitant, Jean Lecanuet ou encore Alain Peyrefitte.

Affectée à la Direction des affaires civiles et du Sceau, elle y atteindra le poste de cheffe de la division des professions.

Nicole Pradain vit les nombreuses évolutions juridiques conçues à la Chancellerie : rédaction de la Constitution de la Ve République en 1958, élaboration du nouveau Code de procédure civile en 1975, réformes successives du droit de la famille qui ont progressivement permis aux femmes de s’émanciper de l’autorité de leur époux.

 

 

La cour d’appel de Paris

À 53 ans, Nicole Pradain rejoint le parquet général de la cour d’appel de Paris.

Cette nomination en juridiction intervient alors que le Premier ministre Raymond Barre vient de nommer Alain Peyrefitte garde des Sceaux. Dans la perspective de l'élection présidentielle, c'est lui qui élabore les fondements politiques de la loi « sécurité et liberté », promulguée le 2 février 1981. Très contestée, elle reste emblématique des débats de la campagne qui verra la victoire de François Mitterrand.

Nicole Pradain arrive en août 1977 dans une équipe dirigée par le procureur général Paul-André Sadon. Ce dernier est alors perçu comme la principale incarnation au sein de la magistrature de la politique du ministre auquel il apporte publiquement son soutien. Nicole Pradain devient l'une des substituts de son parquet, avant d’être promue avocate générale en juin 1980.

Elle vit une période de tension personnelle alors que le terrorisme de la Fraction Armée Rouge bat son plein en Europe. Chargée d'examiner des demandes d'extradition de membres de la « bande à Baader », elle reçoit des menaces de mort à son domicile. Elle est contrainte de déménager à une adresse tenue secrète et placée sous protection policière pendant plusieurs mois. Ce n'est que lorsqu'elle change de fonctions que la situation s'apaise.

 

 

 

Le Conseil supérieur de la magistrature 

Nicole Pradain ne cache pas son admiration pour Valéry Giscard d'Estaing, dont elle conservera toujours une photo sur son bureau la montrant décorée par ses soins. Le jeune président veut promouvoir des femmes et la nomme en 1979 secrétaire générale du Conseil Supérieur de la Magistrature. Elle n'est que la deuxième femme à occuper ce poste, après sa collègue Simone Veil avec laquelle elle a toujours entretenu d'excellentes relations professionnelles.

Elle travaille directement aux côtés du président de la République alors placé à la tête du Conseil par la Constitution, et d'Alain Peyrefitte, vice-président en sa qualité de garde des Sceaux.

 

 

 

La première femme procureure générale

Nicole Pradain doit à sa visibilité auprès des responsables politiques d'être repérée comme celle pouvant incarner un symbole que souhaite le gouvernement : faire accéder pour la première fois une femme à un poste de procureur général.

Dans une période charnière, le 6 janvier 1981, elle est nommée à la tête du parquet général de la cour d'appel de Riom, à l'âge de 57 ans. Pour Nicole Pradain, cette nomination est une fierté et un honneur.

Il s'agit aussi d'un véritable événement public, marqué par le déplacement exceptionnel du garde des Sceaux en personne à Riom le 30 janvier à l'occasion de l'audience solennelle réunie pour son installation.




 Entourée des procureurs du ressort de la cour d’appel de Riom



Alain Peyrefitte prononce un discours, dans lequel il souligne que « cette installation rend totalement effective l’égalité des sexes dans la magistrature, égalité instaurée par la loi du 11 avril 1946 ».

Il ajoute alors à l’adresse de Nicole Pradain : « Vous êtes la première femme procureur général de l’histoire de France. Mais vous n’êtes assurément pas la dernière (…). L’image de la justice française n’aura sans doute qu’à gagner à se féminiser, c’est-à-dire à s’humaniser6. »

Les médias s’intéressent à cette nouveauté. Paris Match lui consacre quatre pages avec photographies et entretien, Femmes d'aujourd'hui la cite en couverture, elle est invitée sur les plateaux télévisés. Le journal local La Montagne titre : « La magistrature s'ouvre de plus en plus au “sexe faible” ».

Elle trouve en arrivant dans le Puy-de-Dôme des équipes exclusivement composées d'hommes, tant au niveau de la Cour que des sept tribunaux de grande instance du ressort : Riom, Clermont-Ferrand, Moulins, Montluçon, Cusset, Le Puy-en-Velay, et Aurillac. La photographie la montrant entourée des procureurs de la République de l'époque en témoigne.

Certains de ses avocats généraux, plus âgés, voient cependant d’un mauvais œil cette nomination. « Une femme procureure générale, ce n’est pas possible ! », peut-on entendre dans les couloirs de la cour d’appel de Riom7.

Dotée d’une autorité naturelle, elle organise, dirige les réunions, et s'impose pleinement dans ce rôle inédit. Si elle n'est pas une technicienne, n'ayant que peu exercé en juridiction, elle se montre attentive aux demandes et aux difficultés, faisant preuve de force de caractère. Un des jeunes procureurs alors sous son autorité se souvient : « elle était tout à fait à la hauteur (…) personne ne remettait en cause sa légitimité8 ».

Consciente de sa place dans l'institution, Nicole Pradain impose le respect de sa position. Elle n'apprécie pas que l'on parle de « Mademoiselle » ; elle préfère « Madame ». Face à un collaborateur qui l’appelle « Madame le procureur », elle ne manque pas de signaler à ce dernier son erreur, en répliquant « Général, monsieur ! Procureur général ! ».

Son aisance dans la prise de parole et dans son rôle de représentation est relevée. Elle s’exprime toujours sans notes et avec une grande facilité. Une de ses secrétaires se souvient : « Jamais on n’a entendu un autre magistrat parler comme ça9. » Femme de grande distinction, « très classe », elle « rend fiers » ses procureurs, qui voient en elle une belle image de la magistrature10.

Elle reste discrète sur sa vie privée même lorsqu'elle invite les procureurs à dîner dans son logement de fonction. Sans époux ni enfants, elle est très proche de sa sœur et de ses trois neveux, qu'elle rejoint souvent dans leur maison de famille auvergnate. Cette période restera pour elle la plus heureuse de sa carrière.

 

 

La Cour de cassation

Après six années d'exercice à Riom, Nicole Pradain n'accède pas à une Cour plus importante. Elle est nommée avocate générale à la Cour de cassation en décembre 198611. Elle y achève sa carrière et organise dans ses salons une cérémonie à l'occasion de son accession au grade de commandeure de la légion d’honneur en avril 1999. 

Son décès le 18 août 2005, à l'âge de 81 ans, ne donne lieu ni à une mention au sein du monde judiciaire, ni à une nécrologie journalistique. En 2018, c'est la procureure générale de Riom Joëlle Rieutort, première femme à succéder à Nicole Pradain, qui prend l'initiative de lui rendre hommage en nommant une salle de la cour d’appel du nom de sa prédécesseure.

La dernière référence qui lui est faite12 date de janvier 2020, à l’occasion de l’installation de la première femme nommée procureure générale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence13.

Quant à la première présidence de la cour de Riom, ce n'est que 25 ans plus tard qu'elle échoit pour la première fois à une femme, Marie-Colette Brenot14.

  


1) Loi du 11 avril 1946.

2) Souvenirs de Jean-Louis Pansard, neveu de Nicole Pradain - entretien avec l'autrice le 10 juin 2020.

3) Nommée le 19 décembre 1978 à la cour d'appel de Nîmes.

4) Journal Officiel de la République Française (JORF) du 24 décembre 1947.

5) Portrait de Charlotte Béquignon-LagardeJSS du 6 octobre 2018, n° 71, p. 8.

6) Le Monde, 2 février 1981, « La féminisation humanise la justice estime le garde des Sceaux ».

7) Souvenirs de Michèle Madubot – secrétaire du procureur général à l’époque – entretien avec l’autrice le 15 juin 2020.

8) Souvenirs de Gildas Pavy, avocat général à la cour d'appel d'Aix-en-Provence – entretien avec l'autrice le 2 juin 2020.

9) Souvenirs de Michèle Madubot, pré-citée.

10) Souvenirs de Daniel Mira, alors substitut du procureur de Cusset, puis procureur de Montluçon – entretien avec l'autrice le 4 juin 2020.

11) JORF du 2 décembre 1986.

12) Par Gildas Pavy, pré-cité.

13) Marie-Suzanne Le Quéau.



 

Gwenola Joly-Coz,

Présidente du tribunal judiciaire de Pontoise,

Membre de l’association Femmes de justice

 

 


Retrouvez tous les portraits de femmes pionnières, réalisés par Gwenola Joly-Coz


 


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