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Pass sanitaire et certificat européen numérique Covid : sécurité sanitaire vs libertés ?

Pass sanitaire et certificat européen numérique Covid : sécurité sanitaire vs libertés ?
Publié le 03/06/2021 à 15:04

Alors que le pass sanitaire devrait bientôt permettre aux Français d’accéder aux lieux rassemblant plus de 1 000 personnes, et le certificat européen, de permettre aux voyageurs de se déplacer, se posent la question des discriminations entre citoyens et celle de l’utilisation de leurs données via le QR Code contenus dans ces documents.

 

Ca y est, après un accord en commission mixte paritaire, le Parlement a adopté jeudi dernier la version finale du projet de loi relatif à la sortie de la crise sanitaire, en vue de son adoption définitive. Le texte fixe notamment le cadre de sortie de l’état d’urgence jusqu’au 30 septembre et institue le fameux pass sanitaire qui aura tant fait débat, tous deux validés hier par le Conseil constitutionnel.

Dans un premier temps écartée par le gouvernement, la mesure a finalement été introduite par un amendement en commission des lois. Afin de permettre la reprise de diverses activités et la réouverture des lieux fermés en minimisant les risques de contamination associés, le pass sanitaire entrera donc en vigueur dès le 9 juin – lors de la troisième phase du déconfinement. Il permettra d’accéder à tous les lieux rassemblant plus de 1 000 personnes (stades, salons, salles de concert…), sur présentation d’un QR code récupéré sur le site de l’Assurance Maladie, format papier ou numérique (stocké sur l’application TousAntiCovid, recyclée pour l’occasion), attestant d’un certificat de vaccination contre le Covid, d’un test PCR négatif ou d’une guérison du Covid-19 dans les 6 derniers mois. Ce nouvel « outil sanitaire » répondra à certaines conditions : les personnes devant contrôler le pass devront être habilitées, et le pass sera temporaire, puisqu’il prendra fin au 30 septembre, en même temps que le régime de sortie de l’état d’urgence.

 


Combiner « exigence démocratique et urgence vaccinale » 

Cela répond notamment à une exigence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) qui, malgré un avis favorable, avait réclamé, le 12 mai, que des « garanties supplémentaires soient apportées ». Même son de cloche du côté de la Défenseure des droits, laquelle avait appelé quelques jours plus tard les autorités à une extrême prudence dans la mise en place du dispositif, qui devait avoir vocation à n’être utilisé « que le temps strictement nécessaire pour répondre à la situation sanitaire ». Il faut dire que depuis le début de la crise sanitaire, le drapeau des libertés individuelles est régulièrement agité. La question a notamment fait l’objet d’un récent webinaire, organisé par le Conseil national des barreaux le 4 mai dernier. Jérôme Gavaudan, président du CNB, y alerte sur la nécessité de combiner « exigence démocratique et urgence vaccinale ». « Avec les vaccins, sont arrivées des questions de consentement, de liberté d’aller et de venir », souligne-t-il. 

Alain Fischer, professeur d’immunologie pédiatrique, chercheur en biologie et président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale anti-Covid-19, fait pour sa part remarquer que le pass sanitaire, utilisé seulement dans un « cadre restreint », puisqu’il ne sera pas exigé dans les lieux de la vie quotidienne, ne semble pas être constitutif d’une discrimination entre les citoyens français. Contrairement, estime-t-il, au passeport vaccinal qui avait été envisagé pendant un temps dans le cadre des voyages, après que la Commission européenne s’est exprimée en faveur d’une « preuve de vaccination standardisée » mi-janvier. « Tant que toute la population n’a pas eu la possibilité d’être vaccinée, un tel passeport romprait forcément l’équité », considère le professeur. 

En lieu et place d’un passeport vaccinal, et afin de favoriser la reprise du tourisme, c’est finalement un « certificat européen numérique Covid » permettant aux citoyens européens de circuler sur le territoire de l’Union européenne qui devra être présenté dès le 1er juillet, selon les mêmes modalités que le pass sanitaire. À ce titre, en France, l'Assurance Maladie fera évoluer les attestations de vaccination pour qu'elles soient téléchargeables au format européen. 

Florian Borg, secrétaire du Conseil national des barreaux, voit un progrès dans cette harmonisation : « Nous avons assisté à une forme de bricolage depuis un an : certains États ont imposé des contrôles, d’autres non. L’Union européenne propose désormais de mettre en place un règlement européen qui s'appliquera directement, via un outil commun contribuant à la restauration de la liberté de circulation. »

 


La question de l’utilisation des données

La difficulté majeure, selon lui, réside toutefois dans l’utilisation des données et leur protection. Une question qui se posait déjà lors des contrôles de température, notamment dans les aéroports, met-il en évidence. Jérôme Gavaudan partage ce point de vue. « La question de la protection des données personnelles et médicales n’est pas uniquement éthique et médicale, elle est aussi juridique », abonde-t-il.

Le président du CNB rappelle qu’il existe déjà un certificat de vaccination contre la fièvre jaune : toutefois, il ne s’agit pas des mêmes enjeux, précise-t-il. « Est-ce qu’un certificat de vaccination est la même chose qu’un règlement européen avec une mécanique de numérisation ? Une inscription sur un carnet peut-elle être comparée à un QR Code qui va, sur le plan européen, vous inscrire dans un cloud ? » 

De son côté, Jean-Paul Hamon, médecin généraliste, président d’honneur de la Fédération française des médecins de France, se dit « étonné » des « états d’âme » quant à l’utilisation des données de santé, « alors que personne ne s’offusque de celle qui en est faite sur Doctolib ». « Or, quand vous prenez rendez-vous en ligne sur Doctolib, par exemple chez le gynécologue, et que vous devez préciser s’il s’agit d’un rendez-vous pour votre contraception, pour un frottis ou pour de la chirurgie, ne me dites pas qu’il ne s’agit pas de données de santé. D’ailleurs, la plateforme vient d’obtenir le statut d’hébergeur de données de santé via Amazon (l’un de ses hébergeurs, ndlr).

Le fait qu’Amazon héberge des données de santé ne donne lieu à aucun débat, alors que l’on s’indigne d’un pass où figurent deux vaccinations et des résultats de tests PCR. Cela me paraît surréaliste. » 

Le professeur Fischer, qui se range de l’avis de son confrère, ajoute que paradoxalement, la législation française encadre fortement la protection des données, à tel point que la France est en retard sur ses voisins en matière de suivi épidémiologique, en particulier concernant la pandémie : « Il est très difficile en France de croiser les données qui concernent le dépistage des tests et le fait d’avoir été hospitalisé pour le Covid. » Selon le médecin, avoir des données collectives globales est aujourd’hui « mission impossible », alors même que la Cnam (Caisse nationale d’assurance maladie) essaie de mettre au point un système reliant différentes bases de données de santé. Pour le professeur Fischer, les textes actuels entraînent un trop grand déséquilibre : « Les données doivent certes être protégées, mais le fait qu’elles ne puissent pas être utilisées de façon collective, même anonymisées, pose problème. C’est honteux de devoir se fier aux données des pays voisins, car on n’arrive pas à exploiter les nôtres. » 

 

Bérengère Margaritelli

 

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