Alors que le pass sanitaire devrait bientôt
permettre aux Français d’accéder aux lieux rassemblant plus de
1 000 personnes, et le certificat européen, de permettre aux
voyageurs de se déplacer, se posent la question des discriminations entre
citoyens et celle de l’utilisation de leurs données via le QR Code contenus
dans ces documents.
Ca y est,
après un accord en commission mixte paritaire, le Parlement a adopté jeudi
dernier la version finale du projet de loi relatif à la sortie de la crise
sanitaire, en vue de son adoption définitive. Le texte fixe notamment le cadre
de sortie de l’état d’urgence jusqu’au 30 septembre et institue le fameux
pass sanitaire qui aura tant fait débat, tous deux validés hier par le Conseil
constitutionnel.
Dans un
premier temps écartée par le gouvernement, la mesure a finalement été
introduite par un amendement en commission des lois. Afin de permettre la
reprise de diverses activités et la réouverture des lieux fermés en minimisant
les risques de contamination associés, le pass sanitaire entrera donc en
vigueur dès le 9 juin – lors de la troisième phase du déconfinement. Il
permettra d’accéder à tous les lieux rassemblant plus de
1 000 personnes (stades, salons, salles de concert…), sur
présentation d’un QR code récupéré sur le site de l’Assurance Maladie, format
papier ou numérique (stocké sur l’application TousAntiCovid, recyclée pour
l’occasion), attestant d’un certificat de vaccination contre le Covid, d’un
test PCR négatif ou d’une guérison du Covid-19 dans les 6 derniers mois. Ce
nouvel « outil sanitaire » répondra à certaines conditions : les
personnes devant contrôler le pass devront être habilitées, et le pass sera
temporaire, puisqu’il prendra fin au 30 septembre, en même temps que le
régime de sortie de l’état d’urgence.
Combiner
« exigence démocratique et urgence vaccinale »
Cela répond
notamment à une exigence de la Commission nationale de l’informatique et des
libertés (CNIL) qui, malgré un avis favorable, avait réclamé, le 12 mai,
que des « garanties supplémentaires soient apportées ». Même
son de cloche du côté de la Défenseure des droits, laquelle avait appelé
quelques jours plus tard les autorités à une extrême prudence dans la mise en
place du dispositif, qui devait avoir vocation à n’être utilisé « que
le temps strictement nécessaire pour répondre à la situation sanitaire ».
Il faut dire que depuis le début de la crise sanitaire, le drapeau des libertés
individuelles est régulièrement agité. La question a notamment fait l’objet
d’un récent webinaire, organisé par le Conseil national des barreaux le
4 mai dernier. Jérôme Gavaudan, président du CNB, y alerte sur la
nécessité de combiner « exigence démocratique et urgence vaccinale ».
« Avec les vaccins, sont arrivées des questions de consentement, de
liberté d’aller et de venir », souligne-t-il.
Alain
Fischer, professeur d’immunologie pédiatrique, chercheur en biologie et
président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale anti-Covid-19,
fait pour sa part remarquer que le pass sanitaire, utilisé seulement dans un
« cadre restreint », puisqu’il ne sera pas exigé dans les
lieux de la vie quotidienne, ne semble pas être constitutif d’une
discrimination entre les citoyens français. Contrairement, estime-t-il, au
passeport vaccinal qui avait été envisagé pendant un temps dans le cadre des
voyages, après que la Commission européenne s’est exprimée en faveur d’une
« preuve de vaccination standardisée »
mi-janvier. « Tant que toute la population n’a pas eu la
possibilité d’être vaccinée, un tel passeport romprait forcément l’équité »,
considère le professeur.
En lieu et
place d’un passeport vaccinal, et afin de favoriser la reprise du tourisme,
c’est finalement un « certificat européen numérique Covid »
permettant aux citoyens européens de circuler sur le territoire de l’Union
européenne qui devra être présenté dès le 1er juillet, selon
les mêmes modalités que le pass sanitaire. À ce titre, en France, l'Assurance
Maladie fera évoluer les attestations de vaccination pour qu'elles soient
téléchargeables au format européen.
Florian
Borg, secrétaire du Conseil national des barreaux, voit un progrès dans cette
harmonisation : « Nous avons assisté à une forme de bricolage
depuis un an : certains États ont imposé des contrôles, d’autres non.
L’Union européenne propose désormais de mettre en place un règlement européen
qui s'appliquera directement, via un outil commun contribuant à la restauration
de la liberté de circulation. »
La
question de l’utilisation des données
La difficulté majeure, selon lui,
réside toutefois dans l’utilisation des données et leur protection. Une
question qui se posait déjà lors des contrôles de température, notamment dans
les aéroports, met-il en évidence. Jérôme Gavaudan partage ce point de vue.
« La question de la protection des données personnelles et médicales
n’est pas uniquement éthique et médicale, elle est aussi juridique »,
abonde-t-il.
Le président du CNB rappelle
qu’il existe déjà un certificat de vaccination contre la fièvre jaune :
toutefois, il ne s’agit pas des mêmes enjeux, précise-t-il. « Est-ce
qu’un certificat de vaccination est la même chose qu’un règlement européen avec
une mécanique de numérisation ? Une inscription sur un carnet peut-elle
être comparée à un QR Code qui va, sur le plan européen, vous inscrire dans un
cloud ? »
De son côté, Jean-Paul Hamon,
médecin généraliste, président d’honneur de la Fédération française des
médecins de France, se dit « étonné » des « états
d’âme » quant à l’utilisation des données de santé, « alors
que personne ne s’offusque de celle qui en est faite sur Doctolib ».
« Or, quand vous prenez rendez-vous en ligne sur Doctolib, par exemple
chez le gynécologue, et que vous devez préciser s’il s’agit d’un rendez-vous
pour votre contraception, pour un frottis ou pour de la chirurgie, ne me dites
pas qu’il ne s’agit pas de données de santé. D’ailleurs, la plateforme vient
d’obtenir le statut d’hébergeur de données de santé via Amazon (l’un de ses
hébergeurs, ndlr).
Le fait qu’Amazon héberge des
données de santé ne donne lieu à aucun débat, alors que l’on s’indigne d’un
pass où figurent deux vaccinations et des résultats de tests PCR. Cela me
paraît surréaliste. »
Le professeur Fischer, qui se
range de l’avis de son confrère, ajoute que paradoxalement, la législation
française encadre fortement la protection des données, à tel point que la
France est en retard sur ses voisins en matière de suivi épidémiologique, en
particulier concernant la pandémie : « Il est très difficile en
France de croiser les données qui concernent le dépistage des tests et le fait
d’avoir été hospitalisé pour le Covid. » Selon le médecin, avoir des
données collectives globales est aujourd’hui « mission impossible »,
alors même que la Cnam (Caisse nationale d’assurance maladie) essaie de mettre
au point un système reliant différentes bases de données de santé. Pour le
professeur Fischer, les textes actuels entraînent un trop grand
déséquilibre : « Les données doivent certes être protégées, mais
le fait qu’elles ne puissent pas être utilisées de façon collective, même
anonymisées, pose problème. C’est honteux de devoir se fier aux données des
pays voisins, car on n’arrive pas à exploiter les nôtres. »
Bérengère
Margaritelli