CULTURE

Pourquoi l'amende jadis était-elle honorable ?

Pourquoi l'amende jadis était-elle honorable ?
Les Bourgeois de Calais, d'Auguste Rodin, exemplaire du Kunstmuseum de Bâle. (c) Étienne Madranges
Publié le 04/05/2025 à 07:00
EMPREINTES D’HISTOIRE. Notre chroniqueur remonte dans le passé cette semaine à la découverte d’un rituel judiciaire destiné à marquer les esprits qui a souvent accompagné les décisions de justice. Il y est question d’un cierge, d’une chemise, d’un tombereau, d’une porte d’église, d’un pardon… L’amende honorable était indissociable de la pratique judiciaire.

Elle a longtemps reflété les valeurs médiévales puis elle a persévéré sous l’Ancien Régime, précédant parfois des punitions d’une incroyable cruauté. Puisant ses racines dans le système féodal où l’honneur revêtait une importance capitale, l’amende honorable, scène judiciaire, a longtemps constitué un spectacle interactif réglé par un cérémonial précis.

Le contexte historique

L’amende honorable trouve au moyen âge son origine en partie dans le concept romain de « deditio » qui permet au vainqueur d’imposer sa loi au vaincu, lequel remet son territoire et accepte de soumettre ses gens et ses biens, et également dans la nécessité d’éviter la justice privée, de maintenir la paix sociale, de restaurer l’honneur des parties lésées.

L’amende honorable est une sanction pénale, qui peut être prononcée seule ou accompagner une autre peine comme le bannissement, ou précéder une mise à mort.

Elle peut être ordonnée pour des fautes mineures (insultes publiques, attentats à la pudeur…), des malversations, des crimes graves.

Les juridictions ecclésiastiques, qui peuvent excommunier, ordonner la prison pénitentielle, contraindre au pèlerinage expiatoire, peuvent, tout comme les juridictions royales, ordonner l’amende honorable, d’autant qu’elle a pour objet une repentance publique dans une posture humble au cours d’une cérémonie ritualisée et que le condamné peut se confesser en public.

L’ordonnance de 1670 de Louis XIIII (le roi-soleil voulait que l’on écrivît Louis XIIII et non Louis XIV*) évoque l’amende honorable. Elle figure à l’époque au 7ème rang de l’échelle des peines, après les « galères à temps » et le fouet. La procédure requise, précédant le repentir à genoux et la demande de pardon à Dieu, au roi et à la justice, est toujours la même : le condamné doit être « nu en chemise, la corde au col, tenant en ses mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, au-devant de la principale porte de l’Eglise de… où il sera mené et conduit par l’Exécuteur de la haute Justice, dans un tombereau servant à enlever les immondices de la Ville, ayant écriteaux devant et derrière, avec ce mot, Sacrilège ».

Le refus de faire amende honorable entraîne, après trois injonctions, une peine plus forte.

Un acte de contrition, rituel aux conséquences importantes

Le rituel est immuable et le cérémonial est précis. L’apparence est importante : le condamné est toujours pieds nus, en chemise, nu sous la chemise, quel que soit le temps. Il porte un cierge d’un poids de deux livres au moins, et doit le conserver jusqu’au bout dans ses mains. Une corde est enroulée autour de son cou. Il doit demander pardon devant un portail d’église. L’humiliation doit être publique : il doit suivre un parcours et s’exposer ainsi aux quolibets et insultes du public. L’impact est réel : on attend du condamné une prise de conscience puis une réhabilitation sociale. L’acte de pénitence publique doit annuler l’outrage, avoir une dimension réparatrice, rétablir un équilibre, signifier le pardon. C’est un rituel de réconciliation sociale.

Le condamné observe une sorte de liturgie judiciaire dont il est curieusement l’officiant. Son aveu le purifie mais purifie aussi la communauté dont il a transgressé les règles.

Il participe activement à l’accomplissement de la justice.


Amende honorable en enluminure dans les « Coutumes de Toulouse », manuscrit latin de 1296 (cote 9187)
. © BnF / Gallica

Les autorités judiciaires et civiles sont présentes, de même que les autorités religieuses si la sanction a été prononcée par une juridiction ecclésiastique.

Quelques exemples historiques

Les Bourgeois de Calais

En 1346-1347, le roi Edouard III d’Angleterre assiège la ville de Calais dont il affame les habitants. Il propose de laisser la vie aux Calaisiens si on lui livre six bourgeois afin de les exécuter. Eustache de Saint-Pierre et cinq autres bourgeois se sacrifient. Ils viennent au-devant du roi, en chemise, la corde au cou, porteurs des clefs de la ville. Influencé par son épouse, le roi anglais, magnanime, finit par les épargner. Calais restera anglaise jusqu’en 1558.

Dans cette affaire, Eustache de Saint-Pierre et ses amis ont repris le rituel de l’amende honorable à laquelle ils n’étaient pas astreints mais pour symboliser la reddition de la ville et reconnaître la victoire du monarque anglais.

Les trois sergents de Paris

En 1440, trois sergents de Paris entrent dans le couvent des Grands-Augustins (site de l’actuelle Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts) et arrêtent un frère augustin, Pierre Gougis. La violence de l’interpellation est telle que le moine meurt. Un autre moine, Nicolas Aymery, également arrêté, survit.

L’Université de Paris et l’Ordre des Augustins crient aussitôt à la violation d’un lieu sacré et à l’atteinte à la juridiction universitaire dont dépendait la victime.

Les sergents sont accusés d’avoir enfreint les règles élémentaires propres aux privilèges des Augustins et aux lieux conventuels.

La fin de la Guerre de Cent ans approche. La ville de Paris a été reprise aux Anglais par Charles VII en 1436. Le pouvoir royal doit se réaffirmer face à l’instabilité institutionnelle.

Le Prévôt de Paris, qui exerce la justice royale, est chargé de la riposte judiciaire. Il confisque les biens des sergents et ordonne leur bannissement.

Mais surtout, il leur impose de faire amende honorable en reconnaissant leur faute et en demandant pardon dans trois lieux : au Châtelet devant le procureur du roi, devant le Couvent des Augustins, là où ils ont tué Pierre Gougis, et devant les autorités de l’Université (sur l’actuelle place Maubert ?).

Il s’agit bien, plus que d’une humiliation, d’une réparation d’un affront et de la reconnaissance de la primauté du droit d’asile dans les établissements religieux, du respect dû aux membres de l’Université, et du pouvoir royal délégué qui garantit l’ordre public et se pose en arbitre.

Un bas-relief est aussitôt sculpté afin de perpétuer la mémoire de l’évènement. Il est placé à l’endroit même du crime, à la base d’une croix en pierre. Il figure (illustration ci-après) les trois sergents, agenouillés, en posture de pénitents devant les représentants de l’Université et de l’Ordre des Augustins.


« L’amende honorable », bas-relief commémorant l’amende honorable infligée aux sergents de Paris ayant tué en 1440 un religieux, Pierre Gougis, conservé dans la chapelle des Petits-Augustins à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris**
. © Étienne Madranges

Ravaillac

François Ravaillac, assassin du roi Henri IV, a été condamné en mai 1610 à être « tenaillé aux mamelles, bras, cuisses, gras des jambes », puis brûlé dans ces endroits tenaillés avec du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la résine fondue, avant d’être écartelé par quatre chevaux, non sans avoir auparavant été soumis à la torture (« la question ») afin de livrer ses complices.

Mais le Parlement de Paris a également contraint Ravaillac, « convaincu du crime de lèse-majesté », auteur du « très méchant, très abominable et très détestable parricide », à faire amende honorable, « devant la principale porte de l’Eglise de Paris, où il sera mené et conduit dans un tombereau, nu en chemise, tenant une torche ardente d’un poids de deux livres », opération lors de laquelle il doit se repentir, demander « pardon à Dieu, au roi et à la justice ».

Damiens

Le 26 mars 1757, le Parlement de Paris juge le régicide Damiens qui a donné un coup de canif sans gravité à Louis XV. Le Parlement « condamne ledit Damien à faire amende honorable devant la principale porte de l’Église de Paris, où il sera mené et conduit dans un tombereau, nu en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de deux livres ; et là, à genoux, dire et déclarer que méchamment et proditoirement, il a commis le très méchant, très abominable et très détestable parricide, et blessé le Roi d’un coup de couteau dans le côté droit, ce dont il se repend et demande pardon à Dieu, au Roi et à la Justice ;

Ce fait, mené et conduit dans ledit tombereau à la Place de Grève ; et sur un échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras de jambes, sa main droite, tenant en icelle le couteau dont il a commis ledit parricide, brûlée de feu de souffre ; et, sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix-résine fondue, de la cire et du soufre fondus ensemble ;

Et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux, et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendre, et ses cendres jetées au vent ; Déclare tous ses biens, meubles et immeubles, acquis et confisqués au Roi ; Ordonne qu’avant ladite exécution, ledit Damien sera appliqué à la question ordinaire et extraordinaire pour avoir révélation de ses complices ».

Damiens demande pardon devant la cathédrale Notre Dame avant d’être conduit Place de Grève devant l’Hôtel de ville où, en présence d’une foule tant aristocratique que populaire, il est atrocement et longuement supplicié, écartelé puis brûlé.

On considère cette amende honorable ayant précédé cet épouvantable supplice comme la dernière amende honorable ayant montré sa pleine fonction symbolique, destinée à rappeler que le roi n’est pas un homme comme les autres mais qu’il incarne l’ordre divin.


A gauche : « La Esmeralda fait amende honorable » aquarelle de Boulanger (1831) pour « Notre-Dame de Paris » de Hugo, conservée à la Maison de Victor Hugo à Paris
. © Parismuséescollections. A droite : « L’amende honorable » par Alphonse Legros (1868) (Musée d’Orsay à Paris). © Étienne Madranges

L’amende honorable n’est pas la seule mesure humiliante

Il convient de dissocier de l’amende honorable d’autres évènements ou concepts médiévaux comme « la pénitence de Canossa » et « la course publique ».

En 1076, le pape Grégoire VII s’oppose à la nomination des évêques par les souverains européens, qui sont des laïcs. Le roi des Romains Henri IV, futur empereur germanique, obtient d’un concile la déposition du pontife. Le pape excommunie alors le souverain germanique. Les princes se révoltent. Finalement, le roi traverse les Alpes dans des conditions hivernales très difficiles et se rend à Canossa (région italienne de Reggio en Emilie-Romagne) où séjourne le pape afin de reconnaître ses torts et d’obtenir la levée de l’excommunication qui le frappe. Le pape lève la mesure mais le fait attendre et il est contraint de porter une robe de bure.

L’expression contemporaine « aller à Canossa » signifie que l’on reconnaît ses torts et qu’on finit par plier.

La course publique est un châtiment spectaculaire issu des normes patriarcales infligé aux femmes adultères au moyen âge. Les femmes condamnées doivent courir à travers la ville, parfois dénudées afin d’être humiliées. Leur partenaire adultère peut être contraint de les accompagner afin de partager la honte. Pendant la course qui l’expose au mépris public, la femme est l’objet de quolibets, d’insultes, de jets d’objets. Le port de vêtements déchirés ou d’accessoires destinées à la ridiculiser renforce le statut de pécheresse de celle qui a enfreint les règles matrimoniales. L’objectif est dissuasif. L’opération vise à rétablir l’honneur du mari bafoué et à restaurer l’ordre social.

Un rituel disparu il y a plus de deux siècles

Pendant plusieurs siècles, l’amende honorable, véritable institution interrogeant conjointement les notions de responsabilité, de culpabilité et de rédemption, est apparue comme une réponse à une crise d’honneur, permettant au condamné dans une démarche à la forte dimension morale et symbolique de restaurer son statut par un acte public de repentir. Evoluant au fil du temps en fonction des changements politiques et sociaux, n’effaçant pas le crime mais dramatisant la mémoire, parfois préface d’une exécution dans une scénographie marquante, elle est devenue un outil de distinction des classes sociales. Son caractère discriminatoire et révoltant, la honte imposée comme la honte ressentie lui ont fait perdre sa valeur d’exemplarité, entraînant sa disparition en 1791.

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 255

* voir à ce sujet notre chronique n° 193 dans le JSS n° 19 du 11 mai 2022
** l’auteur de cette chronique remercie chaleureusement Alice Thomine-Berrada, conservatrice générale à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts à Paris, qui lui a permis d’accéder à ce bas-relief en lui ouvrant la chapelle des Petits-Augustins, fermée au public

 

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