EMPREINTES D’HISTOIRE. Notre
chroniqueur remonte dans le passé cette semaine à la découverte d’un rituel judiciaire
destiné à marquer les esprits qui a souvent accompagné les décisions de
justice. Il y est question d’un cierge, d’une chemise, d’un tombereau, d’une
porte d’église, d’un pardon… L’amende honorable était indissociable de la
pratique judiciaire.
Elle a longtemps reflété les
valeurs médiévales puis elle a persévéré sous l’Ancien Régime, précédant
parfois des punitions d’une incroyable cruauté. Puisant ses racines dans le
système féodal où l’honneur revêtait une importance capitale, l’amende
honorable, scène judiciaire, a longtemps constitué un spectacle interactif réglé
par un cérémonial précis.
Le contexte historique
L’amende honorable trouve au
moyen âge son origine en partie dans le concept romain de « deditio »
qui permet au vainqueur d’imposer sa loi au vaincu, lequel remet son territoire
et accepte de soumettre ses gens et ses biens, et également dans la nécessité
d’éviter la justice privée, de maintenir la paix sociale, de restaurer
l’honneur des parties lésées.
L’amende honorable est une
sanction pénale, qui peut être prononcée seule ou accompagner une autre peine
comme le bannissement, ou précéder une mise à mort.
Elle peut être ordonnée pour
des fautes mineures (insultes publiques, attentats à la pudeur…), des
malversations, des crimes graves.
Les juridictions
ecclésiastiques, qui peuvent excommunier, ordonner la prison pénitentielle,
contraindre au pèlerinage expiatoire, peuvent, tout comme les juridictions
royales, ordonner l’amende honorable, d’autant qu’elle a pour objet une
repentance publique dans une posture humble au cours d’une cérémonie ritualisée
et que le condamné peut se confesser en public.
L’ordonnance de 1670 de Louis
XIIII (le roi-soleil voulait que l’on écrivît Louis XIIII et non Louis XIV*) évoque
l’amende honorable. Elle figure à l’époque au 7ème rang de l’échelle
des peines, après les « galères à temps » et le fouet. La procédure
requise, précédant le repentir à genoux et la demande de pardon à Dieu, au roi
et à la justice, est toujours la même : le condamné doit être « nu
en chemise, la corde au col, tenant en ses mains une torche de cire ardente du
poids de deux livres, au-devant de la principale porte de l’Eglise de… où il
sera mené et conduit par l’Exécuteur de la haute Justice, dans un tombereau
servant à enlever les immondices de la Ville, ayant écriteaux devant et
derrière, avec ce mot, Sacrilège ».
Le refus de faire amende
honorable entraîne, après trois injonctions, une peine plus forte.
Un acte de contrition, rituel
aux conséquences importantes
Le rituel est immuable et le
cérémonial est précis. L’apparence est importante : le condamné est
toujours pieds nus, en chemise, nu sous la chemise, quel que soit le temps. Il
porte un cierge d’un poids de deux livres au moins, et doit le conserver
jusqu’au bout dans ses mains. Une corde est enroulée autour de son cou. Il doit
demander pardon devant un portail d’église. L’humiliation doit être
publique : il doit suivre un parcours et s’exposer ainsi aux quolibets et
insultes du public. L’impact est réel : on attend du condamné une prise de
conscience puis une réhabilitation sociale. L’acte de pénitence publique doit
annuler l’outrage, avoir une dimension réparatrice, rétablir un équilibre,
signifier le pardon. C’est un rituel de réconciliation sociale.
Le condamné observe une sorte
de liturgie judiciaire dont il est curieusement l’officiant. Son aveu le
purifie mais purifie aussi la communauté dont il a transgressé les règles.
Il participe activement à
l’accomplissement de la justice.

Amende honorable en enluminure dans les « Coutumes de Toulouse »,
manuscrit latin de 1296 (cote 9187). © BnF / Gallica
Les autorités judiciaires et
civiles sont présentes, de même que les autorités religieuses si la sanction a
été prononcée par une juridiction ecclésiastique.
Quelques exemples historiques
Les Bourgeois de Calais
En 1346-1347, le roi Edouard
III d’Angleterre assiège la ville de Calais dont il affame les habitants. Il
propose de laisser la vie aux Calaisiens si on lui livre six bourgeois afin de
les exécuter. Eustache de Saint-Pierre et cinq autres bourgeois se sacrifient.
Ils viennent au-devant du roi, en chemise, la corde au cou, porteurs des clefs
de la ville. Influencé par son épouse, le roi anglais, magnanime, finit par les
épargner. Calais restera anglaise jusqu’en 1558.
Dans cette affaire, Eustache
de Saint-Pierre et ses amis ont repris le rituel de l’amende honorable à
laquelle ils n’étaient pas astreints mais pour symboliser la reddition de la
ville et reconnaître la victoire du monarque anglais.
Les trois sergents de Paris
En 1440, trois sergents de
Paris entrent dans le couvent des Grands-Augustins (site de l’actuelle Ecole
Nationale Supérieure des Beaux-Arts) et arrêtent un frère augustin, Pierre
Gougis. La violence de l’interpellation est telle que le moine meurt. Un autre
moine, Nicolas Aymery, également arrêté, survit.
L’Université de Paris et
l’Ordre des Augustins crient aussitôt à la violation d’un lieu sacré et à
l’atteinte à la juridiction universitaire dont dépendait la victime.
Les sergents sont accusés
d’avoir enfreint les règles élémentaires propres aux privilèges des Augustins
et aux lieux conventuels.
La fin de la Guerre de Cent
ans approche. La ville de Paris a été reprise aux Anglais par Charles VII en
1436. Le pouvoir royal doit se réaffirmer face à l’instabilité institutionnelle.
Le Prévôt de Paris, qui
exerce la justice royale, est chargé de la riposte judiciaire. Il confisque les
biens des sergents et ordonne leur bannissement.
Mais surtout, il leur impose
de faire amende honorable en reconnaissant leur faute et en demandant pardon
dans trois lieux : au Châtelet devant le procureur du roi, devant le
Couvent des Augustins, là où ils ont tué Pierre Gougis, et devant les autorités
de l’Université (sur l’actuelle place Maubert ?).
Il s’agit bien, plus que
d’une humiliation, d’une réparation d’un affront et de la reconnaissance de la
primauté du droit d’asile dans les établissements religieux, du respect dû aux
membres de l’Université, et du pouvoir royal délégué qui garantit l’ordre
public et se pose en arbitre.
Un bas-relief est aussitôt
sculpté afin de perpétuer la mémoire de l’évènement. Il est placé à l’endroit
même du crime, à la base d’une croix en pierre. Il figure (illustration
ci-après) les trois sergents, agenouillés, en posture de pénitents devant les
représentants de l’Université et de l’Ordre des Augustins.

« L’amende honorable », bas-relief commémorant l’amende honorable
infligée aux sergents de Paris ayant tué en 1440 un religieux, Pierre Gougis,
conservé dans la chapelle des Petits-Augustins à l’Ecole Nationale des
Beaux-Arts de Paris**. © Étienne Madranges
Ravaillac
François Ravaillac, assassin
du roi Henri IV, a été condamné en mai 1610 à être « tenaillé aux
mamelles, bras, cuisses, gras des jambes », puis brûlé dans ces
endroits tenaillés avec du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la résine
fondue, avant d’être écartelé par quatre chevaux, non sans avoir auparavant été
soumis à la torture (« la question ») afin de livrer ses complices.
Mais le Parlement de Paris a
également contraint Ravaillac, « convaincu du crime de
lèse-majesté », auteur du « très méchant, très abominable et très
détestable parricide », à faire amende honorable, « devant la principale
porte de l’Eglise de Paris, où il sera mené et conduit dans un tombereau, nu en
chemise, tenant une torche ardente d’un poids de deux livres »,
opération lors de laquelle il doit se repentir, demander « pardon à
Dieu, au roi et à la justice ».
Damiens
Le 26 mars 1757, le Parlement
de Paris juge le régicide Damiens qui a donné un coup de canif sans gravité à
Louis XV. Le Parlement « condamne ledit Damien à faire amende honorable
devant la principale porte de l’Église de Paris, où il sera mené et conduit
dans un tombereau, nu en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de
deux livres ; et là, à genoux, dire et déclarer que méchamment et
proditoirement, il a commis le très méchant, très abominable et très détestable
parricide, et blessé le Roi d’un coup de couteau dans le côté droit, ce dont il
se repend et demande pardon à Dieu, au Roi et à la Justice ;
Ce fait, mené et conduit dans
ledit tombereau à la Place de Grève ; et sur un échafaud qui y sera
dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras de jambes, sa main droite,
tenant en icelle le couteau dont il a commis ledit parricide, brûlée de feu de
souffre ; et, sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu,
de l’huile bouillante, de la poix-résine fondue, de la cire et du soufre fondus
ensemble ;
Et ensuite son corps tiré et
démembré à quatre chevaux, et ses membres et corps consumés au feu, réduits en
cendre, et ses cendres jetées au vent ; Déclare tous ses biens, meubles et
immeubles, acquis et confisqués au Roi ; Ordonne qu’avant ladite
exécution, ledit Damien sera appliqué à la question ordinaire et extraordinaire
pour avoir révélation de ses complices ».
Damiens demande pardon devant
la cathédrale Notre Dame avant d’être conduit Place de Grève devant l’Hôtel de
ville où, en présence d’une foule tant aristocratique que populaire, il est
atrocement et longuement supplicié, écartelé puis brûlé.
On considère cette amende
honorable ayant précédé cet épouvantable supplice comme la dernière amende
honorable ayant montré sa pleine fonction symbolique, destinée à rappeler que
le roi n’est pas un homme comme les autres mais qu’il incarne l’ordre divin.

A gauche : « La Esmeralda fait amende honorable » aquarelle de
Boulanger (1831) pour « Notre-Dame de Paris » de Hugo, conservée à la
Maison de Victor Hugo à Paris. ©
Parismuséescollections. A droite : « L’amende honorable » par
Alphonse Legros (1868) (Musée d’Orsay à Paris). © Étienne Madranges
L’amende honorable n’est pas
la seule mesure humiliante
Il convient de dissocier de
l’amende honorable d’autres évènements ou concepts médiévaux comme « la
pénitence de Canossa » et « la course publique ».
En 1076, le pape Grégoire VII
s’oppose à la nomination des évêques par les souverains européens, qui sont des
laïcs. Le roi des Romains Henri IV, futur empereur germanique, obtient d’un
concile la déposition du pontife. Le pape excommunie alors le souverain
germanique. Les princes se révoltent. Finalement, le roi traverse les Alpes
dans des conditions hivernales très difficiles et se rend à Canossa (région
italienne de Reggio en Emilie-Romagne) où séjourne le pape afin de reconnaître
ses torts et d’obtenir la levée de l’excommunication qui le frappe. Le pape
lève la mesure mais le fait attendre et il est contraint de porter une robe de
bure.
L’expression contemporaine
« aller à Canossa » signifie que l’on reconnaît ses torts et
qu’on finit par plier.
La course publique est un
châtiment spectaculaire issu des normes patriarcales infligé aux femmes
adultères au moyen âge. Les femmes condamnées doivent courir à travers la
ville, parfois dénudées afin d’être humiliées. Leur partenaire adultère peut
être contraint de les accompagner afin de partager la honte. Pendant la course
qui l’expose au mépris public, la femme est l’objet de quolibets, d’insultes,
de jets d’objets. Le port de vêtements déchirés ou d’accessoires destinées à la
ridiculiser renforce le statut de pécheresse de celle qui a enfreint les règles
matrimoniales. L’objectif est dissuasif. L’opération vise à rétablir l’honneur
du mari bafoué et à restaurer l’ordre social.
Un rituel disparu il y a plus
de deux siècles
Pendant plusieurs siècles,
l’amende honorable, véritable institution interrogeant conjointement les
notions de responsabilité, de culpabilité et de rédemption, est apparue comme
une réponse à une crise d’honneur, permettant au condamné dans une démarche à
la forte dimension morale et symbolique de restaurer son statut par un acte
public de repentir. Evoluant au fil du temps en fonction des changements
politiques et sociaux, n’effaçant pas le crime mais dramatisant la mémoire,
parfois préface d’une exécution dans une scénographie marquante, elle est
devenue un outil de distinction des classes sociales. Son caractère
discriminatoire et révoltant, la honte imposée comme la honte ressentie lui ont
fait perdre sa valeur d’exemplarité, entraînant sa disparition en 1791.
Étienne
Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 255

* voir à ce sujet notre
chronique n° 193 dans le JSS n° 19 du 11 mai 2022
** l’auteur de cette chronique remercie chaleureusement Alice Thomine-Berrada,
conservatrice générale à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts à Paris, qui lui a
permis d’accéder à ce bas-relief en lui ouvrant la chapelle des
Petits-Augustins, fermée au public