La glaçante disparition
d’un Traité relié en cuir blanc adopté devant des Glaces
18 janvier 1871. Le
chancelier Bismarck, dont les armées ont envahi la France vaincue après la
capitulation de Napoléon III à Sedan, fait proclamer dans la galerie des Glaces
à Versailles la création de l’Empire allemand. Il a réussi à faire céder le roi
de Bavière qui résistait à son intégration dans le nouvel État impérial. Le roi
de Prusse Guillaume 1er devient l’empereur germanique.
11 novembre 1918. L’Allemagne,
après avoir commencé son invasion en bombardant l’emblématique cathédrale de
Reims, après avoir détruit des dizaines de villes et villages du nord-est de la
France, capitule. L’armistice met fin aux hostilités à l’issue d’un conflit qui
a fait des millions de morts. L’étudiant serbe de Bosnie au prénom d’archange Gavrilo
Princip ne se doutait pas en assassinant le 28 juin 1914 un archiduc d’Autriche
et son épouse morganatique qu’il allait provoquer un tel chaos en Europe !
Juin 1919. Les Allemands sont
contraints de signer à Versailles, dans cette même galerie des Glaces qu’ils
appellent « Spiegelsaal » où leur empire avait été créé, le Traité de
paix qui fait suite à l’armistice du 11 novembre 1918.
Deux exemplaires officiels
sont établis : un original relié en cuir blanc, un second document relié
en cuir marron, portant les signatures des plénipotentiaires allemands.

La Galerie des Glaces au château de
Versailles
L’original porte le sceau en
cire rouge de Clemenceau. Un sceau réalisé à partir d’une empreinte d’une
monnaie athénienne, reproduisant la chouette de la déesse Athéna et un rameau
d’olivier. Clemenceau aimait l’histoire de la Grèce antique et lisait le grec
ancien.
Le Traité comporte 440
articles et 436 pages. Il impose à l’Allemagne des mesures très contraignantes
et même particulièrement humiliantes. Il contient quelques curiosités. Ainsi,
l’article 127 du Traité évoque les « indigènes habitant les anciennes
possessions allemandes d’outre-mer ».
L’article 227 du Traité, en forme
de loi pénale rétroactive, prévoit que « les puissances alliées et
associées mettent en accusation publique Guillaume II de Hohenzollern,
ex-empereur d’Allemagne, pour offense suprême contre la morale internationale
et l’autorité sacrée des traités. Un tribunal spécial sera constitué pour juger
l’accusé en lui assurant les garanties essentielles du droit de défense. Il
sera composé de cinq juges nommés par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la
France, l’Italie et le Japon. Le tribunal jugera sur motifs inspirés des
principes les plus élevés de la politique entre les nations avec le souci
d’assurer le respect des obligations solennelles et des engagements
internationaux ainsi que de la morale internationale. Il lui appartiendra de
déterminer la peine qu’il estimera devoir être appliquée. »
Une annexe dispose que, dans
les trois mois de la signature, l’Allemagne livrera à la France 500 étalons,
30 000 pouliches et juments, 2 000 taureaux, 90 000 vaches
laitières, 1 000 béliers, 100 000 brebis et 10 000 chèvres. Mais
curieusement pas de truies alors qu’elle doit en livrer 15 000 à la
Belgique, de même que 40 000 génisses.
Le gouvernement allemand doit
aussi fournir pendant 10 ans 7 millions de tonnes de charbon par an, et pendant
3 ans, 30 000 tonnes de sulfate d’ammoniaque chaque année.
Il contient également des
dispositions judiciaires.
L’article 78 du Traité
prévoit en effet diverses mesures judiciaires transitoires ou à effet immédiat
et en particulier que les jugements rendus depuis le 3 août 1914 contre les
Alsaciens-Lorrains pour crimes ou délits politiques par des juridictions
allemandes sont réputés nuls, ou encore que les pourvois formés devant le
Tribunal d’Empire sont transférés devant la Cour de cassation française.
Les deux exemplaires du
Traité sont rangés dans des layettes, ces coffres en bois spécifiques destinés
à l’archivage des actes diplomatiques importants entreposés dans les services
du ministère des Affaires étrangères qui en ont la conservation.
1939. Les initiatives
outre-Rhin du Reichskanzler provoquent l’échauffaison générale en Europe. La
guerre se profile à l’horizon. Les militaires s’apprêtent à enfiler leur
pantalon bleu horizon et à rejoindre leur garnison. Il n’est pas question de
laisser l’ennemi s’emparer des biens culturels et des archives inestimables. Les
fonctionnaires chargés de la conservation des documents historiques précieux
les envoient, dans leurs layettes, en province et plus particulièrement dans le
Val de Loire, dans divers châteaux comme Valençay dans l’Indre, Chambord dans
le Loir-et-Cher ou Rochecotte à Saint-Patrice dans l’Indre-et-Loire. Ils
décident d’envoyer l’original du Traité de Versailles, en cuir blanc, dans une
cachette à Bordeaux, et le second exemplaire, en cuir marron, à Rochecotte,
considéré comme un lieu sûr. Un lieu qui a la cote, où l’on multiplie les
rayonnages, les pièges à rats, les mesures contre l’incendie et l’humidité afin
de protéger au mieux les trésors de la nation.
Août 1940. Les Allemands sont
à Saint-Patrice depuis quelques semaines. Ils sont pressés. Ils ne vont pas
attendre dans la douceur tourangelle de fêter la Saint-Patrice le 17 mars pour
trouver ce qu’ils cherchent ! Le chef du détachement chargé de retrouver
certains documents sensibles et de s’en emparer est Karl Epting, collaborateur
de l’ambassadeur d’Allemagne en France. Il est secondé par des soldats. A
Rochecotte, il n’attend pas d’eux qu’ils tricotent ! Car le commando doit
retrouver une layette. Une layette peut-être cachée dans une cave, peut-être
posée sur une clayette, peut-être remisée dans une oubliette. Une layette qui contient
le Diktat.
Ils fouillent dans le château
de Rochecotte, au fronton duquel figure la devise des Talleyrand-Périgord,
« Re.que.Diou », que l’on traduit parfois un peu vite par
« Rien que Dieu », mais qui signifie en réalité « Il
n’y a de Roi que Dieu ». Initialement construit par le Comte de
Rochecotte, un chef de la chouannerie exécuté à Paris sur le Champ de mars
pendant le Directoire, il est devenu la propriété au XIXe siècle de la duchesse
de Dino et a abrité pendant des années son amant, le prince de Talleyrand.

La devise figurant au fronton du château
de Rochecotte
Les Allemands veulent à tout
prix retrouver le Diktat et s’en emparer. Le Diktat ? C’est ainsi qu’ils
nomment avec mépris l’humiliant Traité de Versailles ! Ils finissent par
le trouver dans une annexe du château. Pas en copie… mais en original ! Les
agents du ministère se sont en effet trompés et ont envoyé à Bordeaux le second
exemplaire en cuir marron alors que l’original en cuir blanc a
malencontreusement été envoyé par erreur à Rochecotte.
Les Allemands volent ce
dernier dans la nuit du 11 au 12 août 1940. Ils dérobent également le Traité de
Saint-Germain-en-Laye qui avait établi la paix entre l’Autriche et les Alliés
et entériné la fin de l’empire austro-hongrois.
Le Traité de Versailles ne
sera ainsi resté qu’un an à Rochecotte. Il fut peut-être, selon une tradition
orale non vérifiée, présenté à Berlin dans le wagon de Rethondes qu’Hitler
avait fait transférer dans la capitale allemande. Il fut avec certitude remis
au ministre Ribbentrop.
Après la fin de la guerre, on
ne l’a jamais retrouvé. Les historiens n’excluent pas un transfert en Russie
après l’intervention des Soviétiques dans la capitale allemande, mais penchent
majoritairement pour sa destruction, soit par les Allemands pour effacer cette
trace historique de leur humiliation, soit par les bombardements alliés sur
Berlin.
Signé dans un lieu de
splendeur, pour les uns avec ferveur, pour les autres à contrecœur, embelli par
un relieur, caché avec candeur, cherché avec ardeur, dérobé sans pudeur,
emporté par des pilleurs au profit d’un dictateur mû par la rancœur, le Traité
de Versailles semble définitivement soustrait à ses conservateurs et au travail
des chercheurs.
Étienne
Madranges
Magistrat honoraire
Avocat à la Cour
201e