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Quand l’amour se recherche sur le net

Quand l’amour se recherche sur le net
Publié le 14/02/2021 à 09:39

En 2020, près de 40 % des Français de moins de 35 ans ont reconnu avoir déjà utilisé un site ou une application pour faire une rencontre amoureuse. Au total, 26 % des Français se sont inscrits au moins une fois, dans les dix dernières années, sur un site de rencontre. Que recherchent ceux qui s’y inscrivent ? Quels sont les principaux acteurs du marché. Quelles sont leurs offres et quel est leur poids économique ? Peut-on vraiment trouver l’amour sur la toile ?

 

Le marché des sites de rencontres est florissant en France, où ils sont près de 2 000 à coexister. L’Hexagone est, ainsi à l’heure actuelle, le troisième plus gros marché des rencontres en ligne en Europe, et le nombre d’utilisateurs ne cesse d’augmenter. Dans le cadre du lancement de la fonctionnalité « Dating » de Facebook, Facebook France et l’IFOP ont mené une étude comparative entre janvier et octobre 2020 sur l’usage et la fréquentation des applications de rencontre, et sur l’impact du premier confinement sur les rencontres en ligne. Résultat : le confinement a accru l’utilisation des applications de plus de 2 points en 6 mois, entre janvier et octobre 2020. D’après Statista – un site Internet qui publie des statistiques sur de nombreux sujets –, les revenus générés par les sites de rencontres en 2025 devraient s’élever à plus de 200 millions d’euros.

Le succès des sites de rencontre est en grande partie lié à l’essor du numérique, à l’explosion du taux d’équipement en smartphones, mais surtout au nombre croissant de célibataires en France.

 

DE PLUS EN PLUS DE CŒURS À PRENDRE

Les premiers sites de rencontres en ligne sont apparus en France dans les années 2000. Très rapidement, grâce à la généralisation de l’usage d’Internet, le nombre d’inscrits s’est envolé.

Notre pays compte près de 130 000 divorces par an : plus de 45 % des mariages finissent en rupture. En outre, ceux qui se marient le font de plus en plus tard : l’âge moyen en 2020 s’établissait à 36,4 ans pour les femmes, et 38,9 ans pour les hommes. Les individus restent donc de plus en plus longtemps célibataires.

En 2020, selon l’INSEE, près de 10 millions de personnes vivaient seules (sans conjoint, enfant, colocataire ou proche). Le nombre de célibataires a donc doublé en 30 ans. Le rallongement de la durée de vie explique également que de nombreux séniors – les femmes notamment – se retrouvent seuls plus longtemps quand leur conjoint est décédé.

Parmi ces individus célibataires, divorcés ou veufs, un grand nombre souhaite trouver ou retrouver un conjoint. Les sites de rencontres se sont engouffrés dans cette brèche. Les plus réputés et généralistes leur promettent de belles rencontres avec des offres de base gratuites et d’autres paramètres payants. 40 % des inscrits n’ont cependant pas vraiment l’espoir d’être comblés et admettent s’y être inscrits « juste pour voir ».

En outre, ceux qui s’y inscrivent n’ont pas tous l’âme de Roméo et Juliette. 20 % d’entre eux avouent chercher davantage une aventure d’un soir qu’une vraie rencontre. D’ailleurs, selon une enquête IFOP de 2018, 72 % des hommes inscrits et 47 % des femmes inscrites ont déjà eu une relation sexuelle d’un soir, et 64 % des hommes et 34 % des femmes ont avoué y avoir eu une relation sexuelle en sachant qu’ils ne reverraient pas cette personne. En outre, les sites de rencontres n’attirent pas seulement les célibataires… Mariés, pacsés, en couple, ils attirent tout le monde, notre société de consommation nous incitant à penser que l’on peut toujours trouver mieux ailleurs. Ainsi, 41 % des hommes inscrits sur un site, et ayant déjà rencontré quelqu’un sur ce même site, avouent continuer à chercher quelqu’un d’autre, et 22 % des femmes le font également. « Plus on rencontre des personnes, plus on prend conscience de ce qui leur manque. Tout ce processus s’inscrit dans une nouvelle phase de l’individualisme où le moi s’affirme précisément par ce qu’il rejette » résume Éva Illouz, sociologue, dans son livre La fin de l’amour.

Le nombre de possibilités en ligne conduisent certains individus à développer une forme d’addiction aux sites de rencontres (Online dating anxiety disorder (ODAD)). 30 % des répondants avouent ainsi avoir ressenti une forme d’addiction à ce genre de site, plus particulièrement les jeunes hommes âgés de 20 à 35 ans.

Depuis quelques années, le marché des sites de rencontres est arrivé à maturité et a même amorcé une croissance négative. En effet, même si le nombre de personnes inscrites augmente, ce sont les sites les plus populaires qui en profitent. Pour se faire une place, les nouveaux acteurs doivent faire preuve d’ingéniosité, car la concurrence est féroce.

 

UNE CONCURRENCE FÉROCE

Nombre d’acteurs qui veulent investir le secteur des sites de rencontres considèrent ce marché comme une jungle. Il faut en permanence s’adapter à l’évolution des besoins pour conserver ses parts de marché. Les sites dits « généralistes » comme Meetic, Attractive World, Adopte Un Mec, eDarling et Tinder génèrent à eux seuls 60 % du chiffre d’affaires total du marché des sites de rencontres.

Pour investir un marché où les acteurs sont de plus en plus nombreux, les nouveaux venus doivent redoubler d’ingéniosité. La plupart proposent des options spécialisées (géolocalisation, swiper) et des offres toujours plus attractives.

Loin du romantisme mis en avant par les sites classiques, certains visent par exemple des personnes en recherche uniquement d’aventures érotiques type libertinage, échangisme, fétichisme (exemples : AdultFriendFinder.com, CasuelDating.fr). D’autres, comme Gleeden ou Justinfideles, permettent aux personnes mariées de faire des rencontres d’un soir.

D’autres sont destinés à une catégorie de personnes précise : ceux qui aiment les animaux (Animaniacs), la moto, le bio (Bioalaune), ou qui partagent la même religion (Theotokos, Jdate).

D’autres encore développent des thèmes très originaux : sites de rencontre pour les personnes moches (TheUglyBugBall), fans de blondes, site réservé aux roux (Oulfa), site réunissant les haters (ceux qui détestent quelque chose), etc. L’idée étant avant tout de créer un marché de niche.

En outre, la généralisation des smartphones a favorisé l’essor des applications mobiles de rencontres. La plupart des sites ont également développé leur chat en ligne avec un design de conversation SMS.

Meetic, de son côté, ne cesse de diversifier ses services pour rester en tête de liste. Le groupe organise désormais des dîners et des ateliers loisirs chaque dimanche soir (pas depuis la crise de la Covid) durant lesquels sont conviés tous les membres.

Bref, la rencontre amoureuse en ligne a de beaux jours devant elle.

 

UN MARCHE TRÈS LUCRATIF

Economiquement, le secteur se porte très bien. Le groupe Match, leader du marché de la rencontre dans le monde, génère un chiffre d’affaires de plus de 1,8 milliard de dollars. Ce groupe comprend de nombreux sites et applications de rencontres comme Tinder, Match.com, Meetic, DisonsDemain, Pairs, OKCupid, etc. En 2019, le bénéfice net du groupe a représenté 25 %, voire 30 %, du CA total. En comparaison, la même année, le bénéfice net de Netflix correspondait à 7 % de son chiffre d’affaires.De nos jours, les rencontres se font davantage sur smartphones que sur ordinateur. Comme en Europe, c’est ainsi Tinder qui arrive en tête des applications en France, avec 1,2 milliard de dollars de revenus.

Dans un article publié en février 2020 dans le magazine économique Challenges (1), un investisseur américain, Daniel McMurtrie, assure que la drague en ligne a des conséquences économiques mésestimées.

Avec le net et les applications, les « coûts » d’une rencontre, en argent, en temps, en rejets potentiels, ont par exemple diminué.

Il suffit en effet de télécharger quelques photos et de fournir des informations pour faire défiler les photos sur son écran. Un simple mouvement de doigt (swipe) permet de signaler son intérêt et, s’il est réciproque, d’engager une conversation.

Parallèlement, les chercheurs de l’amour sur le net dépensent de l’argent dans d’autres domaines. Depuis quelques années, on note le succès grandissant des cosmétiques pour hommes, des crèmes hydratantes et des soins pour la barbe. En effet, les hommes ont envie de paraître plus beaux sur les visuels qu’ils mettent sur leur profil. A contrario, du fait de l’allongement de la durée de vie, d’un célibat souvent prolongé, les nouvelles générations effectuent leur premier achat immobilier bien plus tard que les générations qui les ont précédées.

Les sites de rencontres sont également une mine d’or pour les restaurants, les lieux de spectacles, les vendeurs de vêtements qui créent des partenariats avec ce genre de sites. Pas moins de 67 % de ceux qui décident de se rencontrer pour la première fois le font en effet autour d’une assiette ou d’un verre.

Enfin, on y pense moins, mais les rencontres en ligne sont une aubaine pour les escroqueurs en ligne et les économies parallèles.

Ainsi, comme l’indique Le Monde dans un article publié en octobre 2019 (2)2, la Côte d’Ivoire est depuis longtemps l’une des capitales mondiales de l’arnaque en ligne. Ceux qu’on appelle les « brouteurs ivoiriens » ciblent les « mugu », des personnes à piéger qui résident en Europe. Les brouteurs font partie intégrante du tissu économique local en Côte d’Ivoire ou au Nigeria, le premier s’attaquant à des Francophones, le second à des Anglophones. Avec une fausse identité, ils entretiennent des correspondances pendant des semaines avec leur interlocuteur pour le mettre en confiance et faire naître le sentiment d’amour. Longtemps après le premier contact, ils inventent des motifs divers et variés pour solliciter une « aide » financière : agression, maladie, accident. En Côte d’Ivoire, le salaire moyen est de 300 euros par mois, les arnaqueurs, parfois protégés par la police locale, peuvent gagner jusqu’à plusieurs milliers d’euros.

En 2012, le gouvernement de ce pays a créé une plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC). En 2018, celle-ci a enregistré 2 860 plaintes pour des préjudices financiers évalués à 5 595 milliards de Fcfa, soit 9,44 millions de dollars (3). Le développement des nouvelles technologies s’accompagne d’une hausse de ce fléau. La situation ne risque donc pas de s’améliorer. 

Rencontrer quelqu’un en ligne peut s’avérer dangereux. N’oublions cependant pas que 9 % des couples installés durablement se sont connus via le net. Certes, cela n’est pas la majorité, mais ça démontre que l’amour en ligne est possible.

 

TROUVER L’AMOUR SUR UN SITE, DIFFICILE, MAIS PAS IMPOSSIBLE

Dans une tribune publiée dans Le Monde le 17 juillet 2020 (4), l’économiste François Lévêque explique que les plateformes en ligne permettent de sortir d’un milieu souvent homogène et d’élargir le nombre de partenaires potentiels, et donc de multiplier les chances de rencontrer un partenaire plus proche de ses préférences. Ce qui est fondamental pour former un couple durable. « La connaissance des préférences – les siennes et celles des autres – est indispensable pour la réussite des assortiments, pour un bon matching » assure l’économiste. Et ce dernier va même plus loin, François Lévêque a en effet observé qu’en comparaison des formes traditionnelles, les mariages consécutifs à une première rencontre en ligne durent plus longtemps, et se concluent par moins de divorces. 

Bien entendu, le lieu de travail, les soirées entre amis et les lieux publics restent des valeurs plus sûres pour trouver l’âme sœur que l’écran d’un ordinateur ou d’un smartphone, mais finalement, les sites de rencontres sont désormais un moyen comme un autre de trouver l’amour, pourvu que chacun des partenaires, une fois la relation commencée, accepte de retirer son profil du ou des sites sur lesquels il est inscrit. 

Bref, trouver l’amour sur un site de rencontre est possible à condition de faire un bon usage de ce dernier, de l’utiliser comme un moyen et non comme une fin.

 

NOTES

1) Les rencontres en ligne bousculent aussi l’économie, Challenges, 10 février 2020.

2) En Côte d’Ivoire, les cyberarnaqueurs se réinventent au gré des nouvelles technologies, Le Monde, 11 octobre 2019.

3) Cybercriminalité en Côte d’Ivoire : la police scientifique tire la sonnette d’alarme, La Tribune Afrique, 16 août 2019.

4) De l’utilité sociale des sites de rencontres, Le Monde, 17 juillet 2020.

 

Maria-Angélica Bailly

 

 

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