L’huître, un
mollusque marin sessile bivalve, dont la coquille est composée d’aragonite. Un
mets gourmand considéré comme excitant par le philosophe romain Sénèque qui,
après avoir ouvert des milliers de coquillages, compromis dans une conjuration
(sans rapport avec son amour des huîtres…), finit par s’ouvrir les veines sur
ordre de Néron. Un aliment considéré comme aphrodisiaque par le séducteur
italien Casanova et par le Bourbon au long règne Louis XIV (qui en dévora 400?avant sa nuit de noces). Un
animal vivant avalé par centaines par l’empereur Vitellius. Et par cent par
l’écrivain Balzac, rendant le trésor de Cancale ainsi honoré.
L’huître, un sujet de fable. Le castelthéodoricien Jean de la Fontaine
l’opposa, tandis qu’elle bâillait sous un doux zéphyr, à un rongeur qu’elle
piégea dans « L’huître et le rat », puis, dans « L’huître
et les Plaideurs », la fit avaler par un juge improbe départageant
malicieusement deux plaideurs qui se la disputaient.
L’huître,
indispensable sur une table royale, dont l’absence due à un retard
d’acheminement des bourriches à Chantilly amena le maître-queux François Vatel,
affolé à l’idée de ne pouvoir l’ouvrir à temps pour la cour et les invités du
Prince de Condé, à s’ouvrir la poitrine d’un coup d’épée pour se suicider dans
le château cantilien.
L’huître, un délice vital pour un monarque au physique de gros
mollusque.
Qu’en rien la gourmandise n’offusque. Un chef d’État débonnaire, sexagénaire, à
l’appétit extraordinaire, considéré par certains comme le souverain du retour
en arrière. Frère d’un roi décapité que le manque d’huîtres rend dépité. Louis
XVIII, né Louis-Stanislas, comte de Provence, exilé outre-Quiévrain, puis roi
de France pour un règne serein, décrit par Victor Hugo dans « Les
Misérables » : « Ce roi impotent avait le goût du grand
galop ». C’est bien au galop qu’en Flandre, pendant les Cent-Jours, ce
roi de France mange des huîtres à gogo. Le savoureux produit de l’ostréiculture
d’Ostende pour atténuer la contrariété de la villégiature flamande. Car,
momentanément chassé en 1815 par
l’Empereur s’échappant de l’Ile d’Elbe, il trouve asile à Gand. Et l’exil lui
va comme un gant, dans cette cité du nord située au confluent de la Lys et de
l’Escaut… tant qu’il y trouve des huîtres !
Louis
s’installe au centre de Gand le 30 mars 1815 à 17 heures chez le comte
Jean-Baptiste d’Hane de Steenhuyse. Rembruni d’avoir perdu ses pantoufles qui
avaient pris la forme de ses pieds…car elles ont été dérobées pendant le
voyage ! Le comte, chambellan du roi des Pays-Bas, marié à la comtesse
Isabelle Rodriguez d’Evora y Vega, est le gouverneur de la Flandre orientale.
Louis a déjà séjourné dans le passé dans le bel hôtel particulier de son ami
Jean-Baptiste qui offre régulièrement l’hospitalité à des souverains d’Europe.
La demeure (qui se visite toujours) est imposante avec sa splendide façade du
18e, ses boudoirs et cabinets, sa salle de bal, ses somptueux
papiers-peints, ses plaques de cheminée armoriées, ses fresques. Louis s’y sent
bien. Il est veuf. Son épouse, Marie-Joséphine de Savoie, fille du roi de
Sardaigne, est décédée en 1810.
Le jour de
son arrivée chez le comte, il dîne à 18 heures et avale un copieux repas. Il se fait ensuite servir « un
cent d’huîtres », provoquant l’admiration des badauds qui
s’agglutinent, car la salle à manger, située au rez-de-chaussée, est visible de
la rue. L’anecdote est relatée dans un document conservé en Belgique. La
bibliothèque universitaire de Gand possède en effet une chronique manuscrite
d’une centaine de pages, publiée en 1831, rédigée en 1815 par un journaliste qui, rendant
compte de la présence de Louis XVIII et de sa cour à Gand, évoque notamment la
gourmandise du monarque. On y trouve, à la date du 30 mars 1815, la phrase « Hij
Z.M. van zeer gœden appetijt, naer andere spijzen geheeten te hebben, slœg hij
nog een honderd hœsters binnen » que l’on peut traduire par « Sa
Majesté avait bon appétit, car après avoir mangé quelques plats, il se tapait
(sic) une centaine d’huîtres ». On voit qu’en néerlandais du 19e
siècle, « huître » s’écrit « Hoester » avec un « h »
alors que l’actuel vocable s’écrit « Oester », proche de
l’anglais « Oyster » et de l’allemand « Auster ».
Rapidement,
les Belges surnomment le souverain français « Louis des huîtres ».
Ce surnom sera parfois déformé en « Louis dix huîtres ». Dans
certains textes anglais, le roi est nommé « Oyster Louis ».
Revenu en France, Louis continue à faire le bonheur et la fortune de la
filière conchylicole et à avaler sans compter les mangeuses de plancton. Il est
vrai qu’après la disparition de la gabelle en 1790, l’ostréiculture s’est
développée en France, certains marais salants étant transformés en claires, ces
bassins de bord de côte séparés par des abotteaux.
Le roi finit podagre et gangréneux, diabétique et handicapé, se
déplaçant en fauteuil roulant ou avec des béquilles, se décomposant
littéralement avant son décès en 1824.
Une partie de la population surnomme alors ce disciple d’Épicure au ventre
rebondi
« Cochon XVIII ». Mais les mareyeurs, qu’ils soient
royalistes, ultras ou modérés, bonapartistes, républicains ou neutres, ne
peuvent que pleurer la disparition de celui qui, pour les producteurs
d’huîtres, était incontestablement une perle.
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire