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Règlement sur l'intelligence artificielle : du retard sur le sujet des droits fondamentaux

Règlement sur l'intelligence artificielle : du retard sur le sujet des droits fondamentaux
Publié le 24/12/2024 à 08:46

Une des échéances s’agissant de la désignation d’une autorité compétente, fixée au 2 novembre, n’a pas été honorée par la France.

Alors que le rapport de la mission relative à la mise en œuvre du règlement européen sur l’intelligence artificielle (RIA ; ou IA Act en anglais), qui propose des pistes pour plus de transparence sur les données d’entraînement des modèles d’IA, vient d’être présenté au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique mi-décembre, une échéance manquée par n’a, pour sa part, pas fait beaucoup parler d’elle.

Première législation générale sur l’intelligence artificielle, le RIA, adopté le 13 juin 2024, vise à encadrer le développement et l’utilisation de systèmes d'intelligence artificielle qui peuvent faire courir des risques pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux, et définit quatre niveaux de risques.

Si le règlement doit connaître une mise en application progressive de 2025 à 2027, il prévoyait cependant qu’ « au plus tard le 2 novembre 2024, chaque État membre identifie les autorités ou organismes publics [qui contrôlent ou veillent au respect des obligations en matière de protection des droits fondamentaux, y compris le droit à la non-discrimination, en ce qui concerne l'utilisation des systèmes d'IA à haut risque (…) ] et met une liste de ceux-ci à la disposition du public ». Un rendez-vous allègrement raté par la France, donc - et la plupart de ses voisins européens.

La CNIL en pole position ?

À ce jour, toujours aucune information n’a été rendue publique par la France pour signifier le choix de cet/ces organisme(s). Ce(s) dernier(s) semble(nt) pourtant distinct(s) de ceux visés à l’article 70 du RIA, lequel précise que « Chaque État membre établit ou désigne en tant qu’autorités nationales compétentes au moins une autorité notifiante et au moins une autorité de surveillance du marché (…) au plus tard le 2 août 2025 ».

Dans une étude publiée en 2022 sur l’intelligence artificielle et l’action publique, le Conseil d’Etat plaidait pour confier à une CNIL « transformée » « le pilotage de la régulation des systèmes d’intelligence artificielle ». En évoquant l’articulation du RIA avec le règlement sur la protection des données (RGPD), le rapport remarquait que « la très forte adhérence entre la régulation des systèmes d’intelligence artificielle et celle des données, en particulier des données à caractère personnel, et l’intérêt d’une internalisation institutionnelle de l’articulation des deux régimes juridiques, plaident assez naturellement pour que la CNIL se voie confier les deux fonctions ». Il soulignait qu’un tel choix supposerait de renforcer les moyens de l’instance, notamment en termes d’effectifs. 

Le 7 novembre, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a publié une décision relative à l’organisation de ses services, dans laquelle elle fait part de l’ajout de la mention de l’intelligence artificielle dans les fonctions de ses différentes directions. 

Au soutien de cette possibilité, l’avocat Pascal Alix, spécialiste des sujets liés à la protection des données et à l’intelligence artificielle, estime que « si l’on n’a pas beaucoup parlé du RGPD pour l'IA, en réalité, ce dernier va trouver à s'appliquer assez souvent. D'où la grande légitimité de la CNIL d'avoir un rôle important, en tout cas dans la surveillance de l'application du RIA ». Il souligne qu'il y a, « dans l'article 2 du RIA, des dispositions qui prévoient [que le règlement] ne peut pas déroger au RGPD si jamais il y a un conflit entre les deux règles ».

Néanmoins, au vu de l’éventail des compétences impliquées par les trois autorités nationales (minimum) requises par le règlement, Pascal Alix juge que différents organismes pourraient être réquisitionnés : « Le rôle de l'autorité de surveillance du marché est assez vaste, il y a beaucoup de choses à surveiller. Parmi les autorités existantes, il n'y en a donc aucune qui est parfaitement légitime pour assumer l'intégralité des rôles. On pense à l'ARCOM, pour les contenus, l'ANSSI pour la sécurité des systèmes d'information. Mais aujourd’hui, aucun n'a l'intégralité des compétences nécessaires pour assumer la mission qui est prévue par le RIA. »

Un article publié par vie-publique.fr, mis à jour le 10 décembre, indique certes que « les autorités françaises identifiées sont : la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ;  la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ; le Défenseur des Droits. Cette liste pourra être complétée ». Une information qui ne semble, actuellement, pas avoir été reprise ailleurs, et qui n’apporte pas de précisions sur la façon dont ces organismes ont été identifiés, ni sur leur périmètre. Ce qui paraît illustrer le manque d’avancement sur la question. 

Qu’en est-il des autres pays européens ?

Le 29 novembre dernier, au Luxembourg, les ministres réunis en conseil ont donné leur accord sur un projet mettant en œuvre certaines dispositions du RIA. Le communiqué gouvernemental se félicite que le Luxembourg soit un des premiers pays européens à mettre en œuvre l’AI Act. Le projet de loi prévoit ainsi de charger la Commission nationale pour la protection des données « de la coordination des autorités nationales compétentes sectorielles », mais aussi de lui donner les fonctions de « point de contact unique et d'autorité de surveillance du marché par défaut ».

En Grèce, quatre autorités distinctes ont été désignées : l’Autorité de protection des données à caractère personnel, le Médiateur de la République, l’Autorité de confidentialité des communications, et la Commission nationale des droits de l’Homme.

Dans les autres pays, les choses semblent être encore en cours d’élaboration. Les États membres de l’Union européenne ont encore huit mois pour faire connaître leurs autorités de surveillance du marché et leurs autorités notifiantes. Cette fois, seront-ils au rendez-vous ?

Etienne Antelme

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