ÉCONOMIE

Réglementation et concurrence économique dans le dispositif médical, un équilibre fragile

Réglementation et concurrence économique dans le dispositif médical, un équilibre fragile
Publié le 18/02/2025 à 17:57

Encadré par une réglementation stricte, le marché des dispositifs médicaux (DM) en France fait face à des défis majeurs. Si ces règles garantissent la qualité et la sécurité des produits, elles imposent aussi des contraintes qui freinent la compétitivité des entreprises, notamment des PME qui représentent 93 % de la filière. Entre innovation et complexité administrative, les acteurs du secteur alertent sur les risques de ralentissement du marché et de restrictions d’accès aux innovations pour les patients et les établissements de santé.

Identifier les principales problématiques et vulnérabilités du secteur. Tel est l’enjeu de la consultation nationale lancée en décembre dernier par la Direction générale des entreprises (DGE) et la direction générale de la Santé (DGS), destinée aux opérateurs économiques de la filière du dispositif médical (DM). Les réponses fournies serviront de base à l’élaboration d’une feuille de route pour réduire les tensions et ruptures d’approvisionnement et, in fine, améliorer la disponibilité des produits pour les patients, dans un contexte de forte dépendance de la filière aux fournisseurs étrangers, notamment non-européens. Thierry Herbreteau, président de Peters Surgical, rappelle ainsi que « le marché des DM en France a cette particularité qu’il est à plus de 90 % composé de TPE/PME/ETI. Aussi, le marché domestique devrait être naturellement le premier marché avant même de se lancer à l’exportation. Car pour pénétrer les marchés internationaux, la référence au marché français est un prérequis ».

Une vaste consultation des entreprises du DM

Le questionnaire proposé « permettra d’identifier les processus de fabrication et les produits les plus dépendants, les intrants et composants particulièrement sujets aux tensions d’approvisionnements, ainsi que leur provenance », mais aussi de mieux comprendre « les situations de tensions d’approvisionnement, les solutions appliquées et/ou envisagées » par les entreprises et « les conséquences sur leurs activités », explique le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Cette consultation est également « l’occasion de faire le point sur le marquage CE et l’impact de la réglementation européenne ».

Les problématiques auxquelles sont confrontées les entreprises du secteur du DM sont en effet multiples (industrielles, commerciales…) dans un secteur sensible (la santé), encadré par des règles spécifiques, aussi bien en France qu’à l’échelle européenne. Dans un marché où l’innovation est primordiale, ce cadre réglementaire peut paradoxalement constituer un frein au développement des entreprises. La mise en conformité aux exigences de l’Union européenne, bien que garantissant un haut niveau de sécurité pour les patients, génère des coûts et des délais supplémentaires pour les industriels. Comme le souligne Thierry Herbreteau, « le marché des DM en France est à plusieurs titres difficile : pour les sociétés qui produisent en France, les coûts de production sont en moyenne deux fois supérieurs à la moyenne européenne, les coûts de travail chargés sont eux aussi parmi les plus élevés des pays industrialisés ».

Dispositif médical : de quoi parle-t-on exactement ?

Pour rappel, selon le règlement (UE) 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux, un DM est « tout instrument, appareil, équipement, logiciel, implant, réactif ou autre article destiné à être utilisé chez l’homme à des fins médicales ».

« Cela couvre une large gamme de produits, allant des pansements et seringues aux implants orthopédiques et équipements de diagnostic de haute technologie comme les IRM ou les robots chirurgicaux », détaille Dorothée Camus, responsable Accès au marché du Snitem (Syndicat national de l’industrie des technologies médicales), la principale organisation représentative des entreprises du secteur en France. Ces dispositifs sont soumis à des exigences de certification strictes avant leur mise sur le marché, garantissant leur conformité en termes de sécurité et d’efficacité.

« En effet, tous les dispositifs médicaux doivent obtenir un marquage CE, garantissant leur conformité aux exigences du règlement 2017/745, complète Cécile Vaugelade, directrice des Affaires technico-réglementaires du Snitem. Ce marquage est essentiel pour assurer la libre circulation des produits en Europe et repose sur un processus d’évaluation rigoureux et de surveillance tout au long de la vie du produit impliquant le fabricant, un organisme notifié (chargé de la certification) et une autorité compétente, en France, l’ANSM ». Le cadre réglementaire impose une traçabilité des dispositifs, avec l’attribution d’un identifiant unique et des obligations précises pour chaque acteur de la chaîne de distribution.

Une réglementation en évolution permanente

Depuis les années 1990, la réglementation européenne des dispositifs médicaux a connu plusieurs évolutions, aboutissant à la refonte complète du cadre juridique avec le règlement (UE) 2017/745 (MDR) et le règlement (UE) 2017/746 (IVDR), pour les DM de diagnostic in vitro. Entrés en vigueur le 26 mai 2021 pour le premier et un an après pour le deuxième, ces textes renforcent notamment les exigences de sécurité et de performance, de démonstration de conformité, de transparence et de surveillance post-commercialisation des DM, y compris pour ceux déjà mis sur le marché précédemment. « Cette évolution implique des délais de mise sur le marché plus longs et des coûts supplémentaires pour les fabricants ; ce qui impacte particulièrement les PME, souvent moins bien armées pour absorber ces surcoûts », souligne Cécile Vaugelade. « Et surtout, le coût réglementaire est plus important qu’ailleurs avec très souvent des règlementations européennes qui sont transposées en sus par la France (MDR & CSRD) », ajoute Thierry Herbreteau.

L’un des points clés de cette réglementation concerne la classification des dispositifs médicaux, qui repose sur quatre classes de risque (I, IIa, IIb et III). « De nombreux dispositifs ont été reclassés dans une catégorie supérieure, impliquant des exigences de certification plus strictes. Par exemple, les implants du rachis sont passés de la classe IIb à la classe III », ajoute Cécile Vaugelade.

Un autre effet notable de cette réforme est l’augmentation des exigences en matière d’évaluation pré-clinique et clinique. Par exemple, les fabricants d’implants orthopédiques doivent systématiquement fournir des études cliniques approfondies et des données renforcées sur la durabilité et la biocompatibilité des matériaux, rallongeant ainsi considérablement le délai de mise sur le marché. « Pour certains dispositifs déjà commercialisés depuis des années, il est nécessaire de produire des études complémentaires à celles réalisées dans l’ancien cadre réglementaire, ce qui allonge encore les délais de mise en conformité », poursuit Cécile Vaugelade. Les délais de certification ont donc augmenté. Ils sont passés en moyenne à plus de 18 mois aujourd’hui.

Le résultat de cette complexité administrative est sans appel : « La réindustrialisation est à l’arrêt, or c’est elle qui fait vivre nos entreprises du DM (fabricants et sous-traitants) en région. Nos dépenses de santé, qui sont pourtant à un niveau élevé (11-12 % du PIB), ne favorisent ni la souveraineté économique ni la souveraineté sanitaire », regrette Thierry Herbreteau. La réglementation française applique directement les règles européennes mais introduit parfois des particularités supplémentaires, notamment en matière environnementale ou de pratiques hospitalières spécifiques. « La grande majorité de la commande de santé est publique, or les appels d’offres ne favorisent en aucune façon le « travailler, produire et investir en France », ce qui constitue une menace directe sur l’avenir du secteur », insiste Thierry Herbreteau.

Les DM numériques et connectés pris en charge par l’Assurance maladie doivent quant à eux répondre aux exigences du MDR et aux spécificités françaises, comme l’obtention d’un certificat délivré par l’Agence du numérique en santé (ANS). Le certificat reste valable tant que les éventuelles améliorations/modifications du DM n’impactent pas les exigences du référentiel. En revanche, le marquage CE doit être renouvelé tous les 5 ans. Cette superposition de normes peut compliquer davantage la mise sur le marché des dispositifs médicaux.

Pas de spécificité en matière de droit commercial

Il n’y a pas de spécificité propre au secteur du DM en matière de droit commercial. Les entreprises doivent se conformer aux mêmes règles que celles en vigueur dans d’autres secteurs économiques.

Cela comprend : la lutte contre les ententes et abus de position dominante, interdisant exclusivités abusives et prix excessifs ; le contrôle des concentrations, imposant la notification des fusions.

« Les règles en matière de distribution (au sens commercial, c’est-à-dire achat/vente) sont les mêmes que pour les autres produits, confirme Carine Faudon-Hubner, directrice des affaires juridiques et questions éthiques du Snitem. Les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs (au sens commercial) sont régies par le code de commerce et le code de la commande publique pour les achats publics ». Contrairement aux médicaments, il n’y a pas de monopole pharmaceutique sur le DM. « En revanche, la vente de certains DM comme les lentilles et verres, les audioprothèses ou les prothèses sur mesures est réglementée ». La vente en ligne de DM est également réglementée avec un délai de rétractation destiné à l’acheteur en ligne.

Le 12 décembre 2024, la cour d’appel de Paris a ainsi, par exemple, confirmé l’amende de 125 millions d’euros infligée par l’Autorité de la concurrence à l’entreprise Luxottica, fabricant de lunettes (1) pour restriction de la liberté tarifaire des opticiens et interdiction de la vente en ligne. Il était, entre autres, fait grief à l’entreprise de s'être entendue, depuis au moins 2005, avec l’ensemble de ses distributeurs pour fixer le prix de vente aux consommateurs et faire obstacle à la libre fixation des prix par le libre jeu de la concurrence, en violation du code de commerce et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Cependant, en pratique, la réglementation peut également entraîner des distorsions de concurrence, notamment dans les appels d’offres hospitaliers, régis par le Code de la commande publique. Ces appels d’offres garantissent en principe égalité de traitement et transparence, mais favorisent souvent les grands groupes capables d’absorber les coûts de mise en conformité et d’assurer un suivi réglementaire rigoureux, au détriment des PME plus fragiles financièrement.

L’accès au remboursement : un parcours du combattant

Le remboursement par l’Assurance maladie constitue un enjeu central pour les fabricants de dispositifs médicaux. Comme l’indique Dorothée Camus, « le marquage CE est une première montagne à franchir, mais le remboursement est une deuxième montagne ».

En effet, pour être pris en charge, les DM à usage individuel doivent être inscrits sur la Liste des produits et prestations remboursables (LPP) après évaluation par la Haute autorité de santé (HAS). Les tarifs étant négociés avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). Pour les DM non remboursés, la fixation des tarifs est libre. Leur non prise en charge par l’Assurance maladie peut toutefois freiner leur utilisation.

Ces critères de remboursement influencent directement les stratégies commerciales des industriels qui doivent parfois renoncer à commercialiser certains produits faute de conditions financières viables en France. Le processus de validation, long et complexe, conduit de nombreux fabricants à privilégier des marchés plus réactifs, comme les États-Unis.

Une baisse d’attractivité du marché européen

« La complexité croissante du cadre réglementaire freine l’innovation et pousse certains fabricants à privilégier d’autres marchés que le marché européen, comme les États-Unis, constate Cécile Vaugelade, directrice des affaires technico-réglementaires. Cette situation soulève des interrogations sur la compétitivité de l’Europe face à des régions où les procédures d’homologation et de mise sur le marché sont plus souples et plus rapides ».

Le secteur des dispositifs médicaux est donc soumis à une régulation stricte garantissant la sécurité des patients et l’équité du marché. Toutefois, l’accumulation des contraintes économiques et réglementaires fragilise l’innovation et restreint l’accès des nouveaux entrants. Face à cette situation, les industriels français risquent de se retrouver à la traîne dans la course à l’innovation : « Le danger principal est effectivement que nous connaissions de plus en plus de ruptures d’approvisionnement sur notre marché domestique, sachant qu’aujourd’hui déjà les États-Unis captent plus de 80 % des innovations en santé, insiste Thierry Herbreteau. A commencer par les start-ups en santé qui n’hésitent pas à se lancer de plus en plus sur le marché américain ou à lever des fonds aux États-Unis pour se lancer ».

Un ajustement des règles apparaît nécessaire pour favoriser une concurrence saine sans freiner le développement technologique et l’accès aux soins L’enjeu est de trouver un équilibre entre les impératifs de régulation et la nécessité de soutenir l’innovation et le dynamisme économique du secteur.

Peggy Cardin (Agence PI+)

(1) Luxottica détient, fabrique et commercialise en propre des marques telles que Ray-Ban, Persol et Oakley ; il dispose également d'un portefeuille important de marques de luxe, comme Chanel, sous contrat de licence, ou encore Armani, Michael Kors et Valentino.

(2) Ordonnance n°2017-49 du 19 janvier 2017 ratifiée par la loi n°2019-776 du 24 juillet 2019, complétée par un décret et quatre arrêtés, les deux derniers ayant été publiés en septembre 2020.

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles