DROIT

Substituer le percepteur italien au percepteur français : une idée séduisante sur le papier

Substituer le percepteur italien au percepteur français : une idée séduisante sur le papier
Publié le 12/08/2025 à 11:00

SÉRIE (2/3). La loi italienne pose un cadre fiscal incitatif pour que des Français s’établissent sur son territoire. Il s’adresse tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales.

Impatriation en Italie

La république de la dolce vita, entre sa langue, son histoire, son art, sa gastronomie, et son climat, a de quoi faire envie, d’autant plus que, comme Jean Cocteau l’a observé, « les Italiens sont des Français de bonne humeur ».

Néanmoins, nos compatriotes qui désirent franchir le pas de l’impatriation en Italie, avec leur famille, voire leur entreprise, sont confrontés à des aspects pratiques. À quoi doivent-ils s’attendre ? Une question à laquelle des universitaires italiens et français ont donné des réponses au cours d’un colloque animé par la professeure Sophie Schiller, organisé à l’université Paris Dauphine-PSL fin mai. Le JSS vous propose trois volets de cette réflexion :

Pour Louis Poumeaud, doctorant à l’université Paris Dauphine – PSL, la fiscalité italienne est plus intéressante que la fiscalité française sur de nombreux points, notamment celui des successions. Or, bénéficier de la fiscalité italienne implique deux choses : un transfert de résidence fiscale effectif, c’est-à-dire ne plus remplir les critères de résidence de l'article 4B du Code général des impôts français ; et en contrepartie satisfaire aux critères de résidence prévus par le droit italien.

« Si un contribuable ne part pas totalement de France parce qu'il y conserve des actifs ou parce qu’il continue d'y venir trop souvent », complète Louis Poumeaud, « il se place dans une situation où finalement il se verra appliquer la convention fiscale franco-italienne signée en 1989. Celle-ci détermine de quel État un tel individu est véritablement considéré comme résident ».

Les conditions de la résidence italienne

Caterina Corrado Oliva, professeure à l’université Mercatorum remarque que les mesures fiscales prises par l’Italie semblent de plus en plus généreuses pour les ressortissants étrangers à fort patrimoine. « La péninsule était déjà vue ces dernières années comme un paradis fiscal en raison de ses impôts de succession très bas, fixés à un taux de 4%, avec une exonération d’un million d'euros pour chaque enfant. Le pays a, de plus, mis en place des dispositifs favorables de transmission générationnelle des entreprises. Les parents qui transmettent le contrôle d’une société à leurs enfants sont exonérés de tout impôt de succession sur les actions. »

L’Italie a instauré d’autres mécanismes profitables exclusivement aux étrangers. Une réforme importante sur les critères de résidence en Italie a vu le jour en 2024. Avant cette modification, le Code civil italien estimait que le domicile était le lieu principal lié aux intérêts et à la famille. Ce principe a changé pour le fisc italien. Désormais, le domicile fait seulement référence aux aspects personnels et familiers, exit les critères économiques. Est considéré comme résident en Italie tout individu qui y a une habitation permanente. Au facteur personnel et familial s’est ajouté celui de la présence réelle en Italie. Si une période d'impôt compte 365 jours, en théorie, l’individu doit séjourner 183 jours en Italie. Est également résident en Italie tout inscrit à l'anagrafe (registre d’état civil italien). Quand la résidence habituelle ne se détache pas clairement, la convention de 1989 prend le relai.

Attention lorsqu’une personne physique qui demande à bénéficier du régime fiscal italien part en Italie, mais conserve sa société en France. Louis Poumeaud suggère « qu’il faut alors se méfier du risque que l’adresse française du centre de ses intérêts vitaux amène l’administration à se référer au nombre de jours de présence sur le territoire italien pour statuer. C’est pourquoi, il est conseillé pour les candidats au départ d’expatrier simultanément, si possible, leur outil professionnel. » Il constitue souvent l’essentiel du patrimoine et de la source de revenus. Cela représente également un intérêt pour la société. Car maintenue en France, mais gérée depuis l'Italie, elle pourrait être vue comme ayant un établissement stable en Italie et tomber sous le coup de l'imposition italienne.

Le transfert est donc aussi important pour la personne morale que physique.

Le transfert de société, bonne ou mauvaise idée ?

Toute entreprise exploitée en France est soumise à l'impôt sur les sociétés en France, qu’elle soit immatriculée en France ou à l’étranger. Pour une entreprise qui transfère son siège social depuis la France vers l’Italie, en théorie, les règles d'imposition demeurent. L’administration française se réfère au lieu d’exploitation.

L'article 221 du Code général des impôts prévoit deux cas.

Soit la société transfère son siège en Italie, mais maintient une partie de ses actifs en France, où elle est encore capable d’exercer une activité. Dans ce cas, à raison de ce qui est conservé en France, la base taxable reste en France. Tous les actifs transférés en Italie entraînent les effets d'une cession d'entreprise et donc la question implicite de la plus-value latente. Depuis la loi de finances en 2012, le paiement s’effectue sous 2 mois, ou fractionné sur 5 ans.

Soit la société part avec tous ses actifs, et elle est soumise à une imposition totale sur les plus-values latentes, les bénéfices non encore taxés, les provisions, etc.

Louis Poumeaud souligne un point essentiel : « Que l’imposition soit partielle ou totale, elle ne concerne pas les associés, puisque le transfert entre dans le cadre d'une mobilité au sein d'un État de l'Union européenne. L’associé ne sera pas considéré comme ayant perçu un boni de liquidation taxable à l'occasion de l’opération. »

En Italie, les personnes morales s’acquittent de l'impôt appelé IRES (Imposta sul reddito delle società). Il concerne les revenus des activités dans le pays et touche les sociétés résidentes, les sociétés de capital, les entités publiques et privées, commerciales ou non, et aussi les sociétés non-résidentes.

« Son taux de base est de 24 %, de 27,5 % pour les banques et de 34 % pour les società di comodo (société écran). Les mesures pour taxer les dividendes et les plus-values sont avantageuses, notamment pour les cessions à une personne morale. », détaille la professeure Caterina Corrado Oliva.

Si une société distribue des dividendes à une autre, ils sont exonérés à 95 %. Seuls 5 % des dividendes sont taxés au taux de 24 % (soit 1,2 % du total). Pour la vente d’actions d'une société à une autre, la même exemption de 95 % et le même taux existent pour les plus-values (soit encore une fois 1,2 % du total). Toutefois, pour les plus-values, quatre conditions doivent être remplies, deux touchent la société qui contrôle et deux celle contrôlée. Pour la société qui contrôle, il faut qu’elle ait détenu sa participation au moins 12 mois avant la vente. Cette dernière doit apparaitre dans les immobilisations financières au bilan. Par ailleurs, la société contrôlée ne doit pas se situer dans un paradis fiscal et elle doit réellement exercer une activité. Si toutes les conditions sont satisfaites, la taxe est bien de 1,2 %.

Pour les personnes physiques qui reçoivent des dividendes d’une société s’applique une taxe substitutive de 26 %, idem pour les plus-values.

« Finalement, le régime d'imposition des entreprises en Italie est assez proche du régime français. », note Louis Poumeaud. « Il connait un régime mère-fille, l'origine des titres de participation est très efficace et concernant les impositions de dividendes, la France est à 30 % contre 26 % en Italie. »

Signalons que selon le focus réalisé par le Conseil d’analyse économique (CAE) en juillet, l’exil fiscal de France a peu d’incidence économique.

Le fisc italien est moins gourmand sur les donations

Les personnes physiques qui choisissent l’Italie pour un motif fiscal pensent plutôt à leur succession. En France, cette fiscalité est élevée, notamment pour la transmission d’entreprise familiale. Des droits de donation sont perçus dans l’Hexagone, dès lors qu'un donataire reçoit plus de 100.000 € sur une période glissante de 15 ans. Le taux d'imposition commence à 5 % et atteint rapidement 45 %. De l’autre côté des Alpes, est appliquée une exonération de 1.000.000 €, à vie, et le taux d'imposition est de 4 % sans condition particulière. En matière de transmission d’entreprise familiale en France, même avec un pacte Dutreil, c'est-à-dire dans un régime de faveur, le taux effectif monte, dans tous les cas, au-dessus de 4 %. En Italie, il existe un équivalent au pacte Dutreil. Lorsqu’il est mis en œuvre, l’exonération est intégrale (taux de 0 %).

L'Italie, comme la France, connaît le démembrement de propriété. Pour les Français, la taxation augmente avec l’âge du donateur. Les Italiens ont aussi leur barème qui est parfois plus avantageux que le nôtre. Par exemple, si un contribuable de 51 ans part en Italie et fait une donation, la nue-propriété sera évaluée à 30 % quand, en France, elle le serait à 50 %. De plus, en France la donation d'un actif est valorisée sur la base de sa valeur vénale, sa valeur de marché, quand en Italie elle est valorisée sur la base des capitaux propres de la société.

« En somme, une même donation de société selon qu’elle s’opère d'un côté ou de l'autre de la frontière obéit à des règles fiscales complètement différentes et plus avantageuses en Italie. », selon le doctorant. « Pour les personnes qui s’interrogent sur l’impatriation, cela peut constituer une forte incitation à franchir le pas. »

En France, des droits de donation sont perçus dans trois cas : le donateur est en France ; la société donnée est française ; ou le donataire est résident français depuis au moins six des dix dernières années.

La France et l’Italie ont signé une convention fiscale en matière de droit de donation. Elle s’applique pour un résident dans les deux États. Si un résident italien n'est imposé que sur ses biens italiens, la convention peut ne pas s'appliquer. C'est la position de l’administration fiscale. Dans ce cadre, qu’un donataire soit en France ou pas, le troisième cas n’est pas pris en compte. Le seul cas d'imposition restant est celui où la société donnée est française.

L’article 8 de la convention prévoit que si la société demeure en France, l'imposition demeure en France. L’entreprise sera même imposée en France et en Italie avec une élimination d’imposition. « Donc attention au contribuable français qui veut transférer sa résidence fiscale en Italie pour procéder à une donation », insiste le doctorant. « Car si la société reste en France, la base taxable reste en France. En revanche, si la société est transférée en Italie, la base taxable aussi. »

Autre point de vigilance, ne pas tenter de contourner les règles. L'article 9 de la convention stipule que pour un résident en Italie, les biens qui ne sont ni italiens ni français sont taxés en Italie. Compter sur cet article en enregistrant une holding à l’étranger – par exemple au Luxembourg – pour y intégrer ses biens et ensuite en faire l’apport en Italie serait une mauvaise idée, considérée par le fisc comme un montage abusif répréhensible.

Dernier point, un contribuable qui part de France pour s’installer en Italie et qui détient plus de 50 % d'une société, ou dont la participation vaut plus de 800.000 € est assujetti à un impôt de sortie. Cet impôt théorique calculé n’est pas payé au moment de la sortie. Il bénéficie d’un sursis automatique de paiement et s’éteint après 2 à 5 ans.

Des statuts sur mesure lancent un appel au capital humain et financier

« Comme l’Espagne avec sa loi Beckham, l’Italie a instauré des mesures pour attirer les personnes à venir vivre sur son territoire et à y percevoir leurs revenus. » souligne Caterina Corrado Oliva. « La loi promulguée en 2017, dite loi Ronaldo, accorde beaucoup d’avantages aux étrangers à hauts revenus, tels les joueurs de foot, qui voudraient s’installer dans le pays. » Cette politique vise à drainer du capital humain et des personnes dotées d’un grand patrimoine. Les Britanniques, les Suisses, entre autres, exploitent les mêmes procédés. La professeure s’attarde sur quelques éléments du dispositif italien :

• Le statut de néorésident s’adresse aux étrangers. Les néorésidents sont taxés avec un impôt substitutif forfaitaire de 200.000 € sur tous leurs revenus à l'étranger, quel qu’en soit le montant total. La seule condition est qu’ils aient habité hors d’Italie au moins neuf années sur les dix dernières.

Ainsi, un sportif professionnel étranger paie certes des impôts sur ses revenus en Italie. Cependant pour tous ses revenus étrangers (sponsors, publicité, …), il s’acquitte uniquement de 200.000 € d’impôt. Cette somme est augmentée de 25.000 € pour tout proche (fiancée, enfants, parents, …) qui s’ajoute à ce régime, là aussi quel que soit le montant des revenus de la personne en question à l’étranger. Le résident étranger bénéficie de cet impôt forfaitaire pendant quinze ans.

Ce statut privilégié a de quoi choquer. Caterina Corrado Oliva prend un exemple : « Un étranger vivant en Italie qui gagnerait 10.000.000 € à l’étranger paierait 200.000 € d’impôt, quand un Italien qui gagnerait 10.000.000 € à l’étranger paierait 45 % d’impôt, soit 4.500.000 € ! »

Les plus-values issues de la vente d’une société sont exclues du dispositif pendant les cinq premières années de résidence. Néanmoins, le néorésident, qui à la 6e année vendrait sa société étrangère, peut y prétendre. Est également appliquée une exonération de l'impôt de succession pour les biens à l'étranger. Encore une fois, dans le régime commun italien, le résident, qu’il soit donateur ou de cujus, paie pour tous ses biens partout dans le monde, alors que le néorésident est exempté.

• Une mesure pour les travailleurs impatriés concerne les revenus en Italie issus de leur travail salarié ou indépendant. Ces revenus sont exonérés pour moitié, et l’autre moitié, plafonnée à 600.000 €, est imposable. Pour en bénéficier, deux conditions sont à respecter : ne pas avoir vécu en Italie les trois dernières années, et il faut y rester pour au moins cinq années. L’exonération monte jusqu’à 60 % pour un travailleur impatrié qui vient en Italie avec un enfant mineur.

• Les retraités sont taxés à 7 % sur tous leurs revenus à la condition de s’installer dans une ville de moins de 20.000 habitants du Sud du pays (Sicile, Sardaigne, Pouilles, …). Mathilde Ollivier, sénatrice représentant les Français établis hors de France a interrogé le gouvernement fin mai sur ce sujet. En effet, une partie des 60.000 retraités français vivant en Italie ont été confrontés à des questions de double imposition.

Prudence donc, mais malgré les couacs, l’ensemble des dispositifs proposés par le pouvoir italien concrétisent bien une politique de faveurs pour attirer les hauts revenus et les détenteurs d’actifs ou de patrimoine.

C2M


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