La
péremption d’instance est un moyen de défense nécessaire et efficace que les
praticiens manipulent régulièrement, mais force est de constater que son régime
juridique est compliqué et source d’insécurité juridique. La réforme annoncée,
si elle permet de clarifier les choses et de combler les lacunes de ce régime
juridique, est donc la bienvenue, estime Aurélien Gazel, counsel chez Swift
Litigation.
Empruntée
au latin peremptio, « destruction », la
péremption est définie comme l’« anéantissement d’un acte ou perte d’un
droit qui résulte de l’expiration d’un délai déterminé ou du non-exercice de ce
droit pendant un certain temps ».
Juridiquement,
il s’agit d’un incident d’instance régit par les articles 386 à 393 du Code de
procédure civile ayant pour effet d’éteindre l’instance. L’article 386 du Code
de procédure civile dispose ainsi que « L'instance est périmée
lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ».
Un
moyen de défense nécessaire et efficace
Applicable
devant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière civile, commerciale, sociale, rurale ou
prud'homale ainsi que devant le Juge de
l’exécution, la péremption, qui a « pour
objet de sanctionner le défaut de diligence des parties », est un moyen de défense nécessaire et
efficace que les avocats contentieux invoquent régulièrement.
Selon
la Cour européenne des droits de l’homme, les « délais légaux de
péremption ou de prescription, qui figurent parmi les restrictions légitimes au
droit d’accès à un tribunal, ont plusieurs finalités importantes :
garantir la sécurité juridique en fixant un termes aux actions, mettre les
défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à
contrer, et empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux
étaient appelés à se prononcer sur des évènements survenus loin dans le passé à
partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui
seraient incomplets en raison du temps écoulé ».
Il
est donc admis que la péremption d’instance, qui tire les conséquences de
l’absence de diligences des parties en vue de voir aboutir le jugement de
l’affaire et poursuit un but légitime de bonne administration de la justice et
de sécurité juridique afin que l’instance s’achève dans un délai raisonnable,
« ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès
équitable ».
Nécessaire
donc, la péremption d’instance est au surplus très efficace car elle emporte
« extinction de l’instance sans que l’on puisse jamais opposer aucun
des actes de la procédure périmée ou s’en prévaloir ». L’instance périmée se trouve ainsi
dépourvue de tout effet interruptif de prescription ce qui constitue un redoutable effet. A
cet égard, il sera souligné que la péremption d’un simple commandement valant
saisie immobilière en application de l'article R. 321-20 du Code des procédures
civiles d’exécution est moins sévère puisqu’elle n'a pas pour conséquence
d'anéantir l'effet interruptif de prescription attaché à la délivrance de ce
commandement. Cette différence de traitement s’explique par le fait que
l’article 2243 du Code civil ne concerne que l’effet interruptif de
prescription attaché à la demande en justice…
…
mais un régime toutefois source d’insécurité juridique
Le
régime de la péremption n’est toutefois pas aisé à maîtriser et est donc source
de confusion et d’insécurité juridique. C’est pourquoi la profession est
actuellement favorable à une réforme de la péremption pour que cette sanction
reste équilibrée. La jurisprudence antérieure au
revirement du 7 mars 2024 conduisait en effet à ce que des parties qui avaient
respecté l’ensemble des délais impératifs des décrets « Magendie »
puissent se voir « opposer la péremption d’instance tant que le
conseiller de mise en état n’avait pas fixé leur affaire, par l’effet de
l’allongement dramatique des délais de procédure », ce qui était particulièrement sévère et
injuste.
Malheureusement
le décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la
procédure d’appel en matière civile n’a pas modifié le régime de la péremption.
Cette situation a conduit la deuxième chambre civile de la Cour de cassation,
après avoir sollicité l’analyse du CNB en qualité d’amicus curiae, à
opérer un revirement de jurisprudence par quatre arrêts remarqués du 7 mars
2024.
Les 4 arrêts du 7 mars 2024, revirement
bienvenu mais insuffisant
Elle
juge ainsi que « selon les articles 2, 386, 908, 909, 910-4 et 912 du
code de procédure civile, ces quatre derniers dans leur rédaction issue du
décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, interprétés à la lumière de l'article 6, § 1,
de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, en matière de procédure d'appel avec représentation obligatoire,
lorsqu'elles ont accompli, conformément notamment aux dispositions de l'article
910-4 du code de procédure civile, l'ensemble des charges leur incombant dans
les délais impartis, sans plus rien avoir à ajouter au soutien de leurs
prétentions respectives, les parties n'ont plus de diligence utile à effectuer
en vue de faire avancer l'affaire, la direction de la procédure leur échappant
alors au profit du conseiller de la mise en état. Il en résulte qu'une fois que
les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la
péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en
état fixe un calendrier ou leur enjoint d'accomplir une diligence particulière ».
Cette
solution est naturellement bienvenue mais – ainsi que l’Association Droit et
Procédure l’a justement relevé – sa « transposition à la procédure de
première instance reste incertaine en l’état des textes ». Ce revirement est ainsi loin de régler
toutes les difficultés et met en outre en exergue les difficultés rencontrées
sur le terrain liées à l’absence de moyens suffisants de la justice qui conduit
à un allongement tout à fait anormal et préjudiciable pour les justiciables des
délais de procédure.
Ce
revirement de jurisprudence salutaire n’est donc pas suffisant, le régime
juridique de la péremption méritant encore d’être modifié. Une nouvelle réforme est ainsi à l’étude et la
Direction des affaires civiles et du Sceau a annoncé au second semestre 2024 un
autre décret (« Magicobus 2024-2 ») – du nom du bus magique
d’Happy Potter - portant diverses mesures de simplification de la procédure
civile actuellement au stade de projet, qui doit notamment modifier le régime
de la péremption d’instance.
Les
praticiens attendent le décret Magicobus-2
Ce
projet de décret est censé consacrer la jurisprudence selon laquelle la
péremption ne peut plus être opposée aux parties après la clôture des débats et prévoir que le délai de péremption ne
court plus à compter de la demande de clôture ou de fixation de l’affaire à
l’audience des plaidoiries faite par une partie. Le refus de clôture ou de la
fixation par le juge de la mise en état ferait courir un nouveau délai de
péremption, ce qui est évidemment souhaitable.
Les
praticiens attendent par conséquent la version définitive du décret à
intervenir et son entrée en vigueur, car, pour l’heure, si les conditions de la
péremption d’instance sont bien identifiées, il n’en est pas exactement de même
des causes d’interruption de la péremption alors que les effets de la
péremption d’instance sont particulièrement redoutables.
Si le
principe même de la péremption est nécessaire, comme évoqué précédemment, il
convient toutefois d’éviter de basculer dans un « excès de formalisme qui
porterait atteinte à l’équité du procès », d’autant qu’en cas de péremption
d’instance, la responsabilité de l’avocat qui a fait preuve de négligence est
évidemment susceptible d’être engagée. Les effets de la péremption
d’instance étant redoutables, son régime juridique mérite d’être clarifié.
Le
CNB veut aller plus loin
Le
projet de décret Magicobus-2 va ainsi dans le bon sens mais le CNB a de son
côté proposé d’aller plus loin en demandant d’une part, à ce que « le
délai de péremption de l’instance ne court plus à compter de l’ordonnance de
clôture ou de la fixation de l’affaire » et d’autre part, que
l’article 386 du CPC soit modifié comme suit « l’instance est périmée
lorsqu’aucune des parties n’accomplit les diligences expressément mises à sa
charge pendant deux ans ».
Il
est vrai qu’une telle formulation serait plus équitable en ce que la péremption
ne sanctionnerait plus que le praticien effectivement défaillant. Il n’est pas
certain que cette proposition soit adoptée tant la tendance de ces dernières
années est hélas d’ajouter de plus en plus d’obligations à la charge des
avocats, qui certes portent la robe mais ne possèdent pour autant pas de
baguette magique !
Aurélien Gazel
Counsel, Swift Litigation
Retrouvez cet article dans sa version intégrale ici.
Le CNB qui a été consulté début juin 2023 sur le
projet de décret portant réforme de la procédure d’appel avait indiqué que la
profession souhaite une modification de l’article 386 du Code de procédure
civile pour « prévoir que la péremption ne court pas tant que le
conseiller de la mise en état n’a pas fixé l’affaire » . Lexis Nexis,
Projet de décret portant réforme de la procédure d’appel : le compte n’y
est pas pour le CNB – 17/07/2023