Le 45e et 47e
président des États-Unis a largement remporté les élections de 2024. Il a
compris les frustrations des électeurs américains et se présente comme leur
défenseur. Sa présidence à partir du mois de janvier 2025 augure des
changements bien au-delà des frontières de l’Amérique du Nord.
En 2016, la première élection
de Donald Trump, président de États-Unis, a surpris, comme le brexit, comme
toute disruption. Invité du Cercle mi-novembre, Gérard Araud, ambassadeur à
Washington de 2014 à 2019, nous rappelle qu’à l’époque, les occidentaux ne
perçoivent pas de crise dans la société américaine. Les chiffres
macroéconomiques, résultats de l’administration Obama, font bonne figure, et,
dans l’esprit de tout le monde, la candidate démocrate, Hillary Clinton, doit
être élue.
2016, la surprise
Mais de son côté, Donald
Trump a une autre perception. Il a senti sourdre deux colères profondes dans
les États américains, et su les unifier. La première tient à l’économie. Car,
en dépit des chiffres flatteurs et des statistiques, la classe moyenne
inférieure et la classe ouvrière se voient en victimes de la globalisation. De
leur point de vue, le néolibéralisme, au cours de ces 30 dernières années, a
augmenté le nombre de pauvres et de riches dans le monde. « Et si vous
êtes pauvre dans un pays riche, c'est un vrai problème », pointe
l’ambassadeur.
La seconde révolte vise
l’identité. Aux États-Unis, depuis 15 ans, les projections démographiques
démontrent qu’en 2060, les caucasiens non hispaniques ne seront plus
majoritaires dans la population. Une partie de l’électorat redoute que « la
majorité des jeunes Américains ne [soit] plus des Caucasiens. Toute une
Amérique, blanche, chrétienne, masculine, a l'impression de perdre le pouvoir
et se révolte contre cette perspective aussi bien en termes de questions
sociétales qu’en termes d'immigration. » Donald Trump a entendu et a
promu cette double demande de la population, tout en faisant preuve de
charisme.
Pour beaucoup d’Européens, il
incarne un personnage caricatural, alors qu’en réalité, c’est une idole dans
son pays. « Moi, j'ai assisté à des meetings de Trump et je peux vous
dire que l’auditoire vibre avec lui. Toutes les demi-heures à peu près, il se
met à chanter : We love you, we love you », témoigne Gérard Araud.
La relation est affective. « He’s our guy, il est notre mec. Et plus
les élites l'attaquent, plus ça le rend populaire. Plus on dit que c'est Adolf
Hitler ou qu'il est fasciste, plus en réalité, on joue en sa faveur. »
Les instituts de recherche,
les universités ont réalisé des études pour tenter de comprendre comment s’est
déroulé le
scrutin de 2016. Lors de ce vote, des dizaines de districts électoraux sont
passés de +10 pour Obama à +10 pour Trump. La motivation des électeurs était
toute simple, ils ont voté Obama pour le changement. À l’élection suivante, ils
ont voté Trump pour le changement.
Le scrutin exprimait la
rébellion d’un nombre substantiel d'Américains contre le système, et leur
défiance envers les élites. L’ambassadeur a sillonné les États-Unis. Partout,
il a été témoin d’un ressentiment envers les dirigeants. « Des élites
qui ne parlent plus notre langue, des élites, qui ne se préoccupent plus de nos
intérêts », a-t-il maintes fois entendu. « Aux USA,
l’establishment, c'est Wall Street ou Washington. Or, Hillary Clinton, c'est
précisément Wall Street et Washington. » Donald Trump a battu Hillary
Clinton.
2024, l’état d’esprit n’a pas
changé
Joe Biden est élu en 2020. Sa
politique lutte efficacement contre la crise économique, et souvent en
reprenant des recettes de son prédécesseur à la Maison Blanche, comme le
protectionnisme. « Le protectionnisme ne fera pas marche arrière »,
prophétise Gérard Araud, « même la Commission européenne a fini par
s’en rendre compte ». Donald Trump avait instauré des droits de douane
aux importations chinoises, européennes et canadiennes. Joe Biden les a
suspendus pour les Canadiens et les Européens. Mais en 2022, il met en place l’inflation
reduction act qui est un texte totalement protectionniste. Et récemment, il
a imposé des droits de douane de plus de 100% sur les véhicules électriques
chinois.
Le plan de sauvetage (2021),
les grands travaux déployés montrent que les démocrates ont mené des actions en
faveur de la classe moyenne inférieure et de la classe ouvrière américaine.
Mais, attachés à leurs convictions, notamment sur les questions d’immigration,
les démocrates n’ont pas traité la crise identitaire. « Alors en 2024,
force est de reconnaître que la radicalisation de l'opinion publique américaine
n'a pas changé. L’administration Biden n'a pas inversé la tendance »,
en conclut le conférencier.
Le mandat de Joe Biden a
hérité de l'inflation du covid, alors qu’elle a été le résultat des mesures
prises par Donald Trump contre la covid. Les Américains ont beaucoup souffert
de cette inflation, avec des taux violents, très supérieurs à ceux vécus en
Europe. « D’autant qu’outre-Atlantique, les taux d'intérêt variables,
qui sont très largement utilisés, ont fait des ravages », relève le
diplomate. Le taux de la Fed est passé de 1,5 à 5,5 % en quelques mois –
augmentation la plus rapide depuis 1945. Malgré ce handicap, la gestion du
gouvernement a bien fonctionné, et aujourd’hui l’économie américaine, comparée
à l'économie européenne dans son ensemble, prospère. Ce bon point n’a pas
profité à Kamala Harris.
L'échec des démocrates tient
aussi à Joe Biden lui-même, qui, bien qu’octogénaire, a voulu être candidat une
seconde fois. « Dans l’esprit de tous, en raison de son âge, c’était un
one mandate president », observe Gérard Araud. « Alors, il a
finalement cédé la place, mais trop tard, et Kamala Harris n’a eu que trois
mois de campagne. Dans un délai si restreint, elle est apparue comme le seul
choix possible. Trop court pour qu’un autre démocrate, avec peut-être plus de
chance de l’emporter, puisse prétendre à une audience nationale. »
De plus, pendant les quatre
années passées, la vice-présidente n’a pas vraiment séduit. La campagne éclaire
ne lui a pas permis non plus d’imposer sa personnalité, ni son programme. D’où
la victoire éclatante de Donald Trump qui, de son côté, a disposé de temps et
d’alliances efficaces.
Gérard
Araud tient à souligner un évènement majeur : « il
a réussi à faire supprimer la protection fédérale de l'avortement. L’avortement
constitue LE combat sociétal américain par excellence. Plus d'une vingtaine
d’États ont interdit l'avortement, et pour beaucoup, même dans les cas de viol
ou d'inceste. Cette interdiction absolue a valu à Donald Trump le soutien de la
droite chrétienne dans un pays profondément religieux ». Observons que
quand environ 6 % des
Français vont à l'église, à la synagogue ou à la mosquée chaque semaine, 31%
des Américains le font. Aux États-Unis, la religion est un élément fort. Le
47e président a donc eu ce soutien. Il a aussi eu les voix de tous
ceux qui pensent que son mandat va induire croissance, et augmentation des
salaires, y compris des bas salaires. « De plus, les électeurs ont
attribué, très injustement, les sinistres conséquences de l’inflation à la
présidence Biden », estime l’intervenant.
Les USA retrouveront donc
bientôt une administration républicaine. Le président élu nomme peu à peu ses
collaborateurs, « même s’ils ne comptent pas beaucoup »,
constate le diplomate, « car en pratique, une seule personne décide,
Donald Trump ». Dans son premier mandat, la rotation de ses
collaborateurs a suivi un rythme soutenu : 4 conseillers à la sécurité
nationale en 4 ans, 3 secrétaires à la défense, etc. Beaucoup d’entre eux ont
appelé à voter Kamala Harris…
Le 47e président
américain parait imprévisible, mais l’ambassadeur est sûr d’une chose, « ce
n’est pas un belliciste ». Il a effectivement parlé à plusieurs
reprises dans ses campagnes de la fin de l'interventionnisme américain. C’est
une singularité par rapport aux autres dirigeants du pays, qu’ils soient
démocrates ou républicains. Jean Castelain, président du Cercle, demande à
l’ambassadeur ce que l’administration américaine prochaine laisse présager pour
les conflits en cours en Ukraine et au Moyen-Orient.
Gérard Araud (au centre) : "En pratique, une seule personne décide, Donald Trump".
La fin de la guerre en
Ukraine
Donald Trump a prévu depuis
le début de mettre un terme à la guerre en Ukraine et, pour remplir cette
mission, il vient de nommer Keith Kellogg envoyé spécial pour l'Ukraine et la
Russie. Les questions sur la table sont en premier lieu un armistice sur
les lignes de front actuelles et la fermeture de l’OTAN à l'Ukraine.
Évidemment, l’issue dépendra des deux opposants.
Dès le départ, les chiffres
étaient contre les Ukrainiens : 140 millions de Russes, avec la deuxième
industrie d'armement au monde, des ressources financières substantielles, et
une indifférence cynique pour les pertes humaines.
Après bientôt trois ans de
conflit, malgré tout son courage, l'Ukraine est fatiguée, et ses soldats
reculent kilomètre après kilomètre. Le pays est dévasté. Le président Volodimir
Zelenski voit bien cet épuisement. La Crimée et le Donbass deviennent chaque
jour plus irrécupérables. Il parle désormais de céder provisoirement des
territoires à la Russie si l’OTAN se porte garant de ceux qu’il contrôle.
Gérard Araud observe que « dans
ce conflit, l'Europe fournit le tiers des munitions fournies par la République
de Corée du Nord (qui a le PIB de l'Isère) ». Les ressortissants de
l’UE ne souhaitent donc pas payer pour l’Ukraine, et encore moins mourir. Par
conséquent, dans l’hypothèse d’un armistice, L’UE prendra acte de
l’accord de paix, soulageant ainsi les opinions publiques.
Cependant, Vladimir
Vladimirovitch Poutine peut choisir de continuer à avancer. Les expatriés
russes sont nombreux dans les pays de l’Est de l’Europe. Par exemple, on compte
pratiquement 25%
de Russes parmi les populations estonienne et lettone. Cela offre de
multiples manières de commanditer des troubles. La Russie peut être tentée
d’exercer une menace, une pression de type militaire ou économique, sur des
pays membres de l’UE si les Américains s’en désintéressent.
Car, si l’article 5
de l’OTAN établit un soutien des alliées au pays attaqué, l’intervention
militaire y apparaît comme une éventualité, pas une obligation. Par ailleurs,
la défense européenne n’existe pas à ce jour. La majorité des pays européens
considèrent que leur sécurité est euro-atlantique et que la garantie américaine
est existentielle pour eux. La France n’adhère pas à cette idée.
Aux États-Unis, Donald Trump
et Keith Kellogg estiment qu'il est temps de mettre un terme à ce conflit. « Un
objectif louable serait de préserver une Ukraine viable et indépendante. Les
dirigeants pourraient s’engager dans cette voie », conclut
l’ambassadeur.
Les sites nucléaires iraniens
bientôt ciblés ?
Au Moyen-Orient actuellement,
Israël est maitre du jeu. Sa supériorité militaire semble absolue dans la
région. Même les États-Unis n’ont obtenu aucune retenue. Les Américains ont
demandé plusieurs fois aux Israéliens de laisser un accès humanitaire à la
bande de Gaza. Ça n'a pas été fait, ce qui n’a occasionné aucune représailles.
« En janvier, il est à
peu près sûr que Benjamin Netanyahu ira à Washington avec un dessein
précis », prévoit le diplomate. « Pour lui, la
victoire de Donald Trump qui a été le président américain le plus pro-israélien
de l'histoire, sonne comme un triomphe. » Il sera question du programme
nucléaire iranien. Rappelons que celui-ci a été soumis à un contrôle sévère, à
partir de 2015. Mais, Donald Trump a décidé d’en désengager son pays en 2018.
Les Iraniens ont alors pu continuer leur développement sous
un œil externe limité. Aujourd'hui, les experts considèrent que l’Iran est
à quelques mois d'avoir une bombe. Les infrastructures sont enterrées sous des
montagnes. Les détruire réclamerait de puissants engins militaires. Quand bien
même ce serait le cas, les spécialistes envisagent que six mois plus tard elles
seraient reconstruites.
Néanmoins, Benjamin Netanyahu
pourrait rechercher le soutien des Américains pour bombarder l'Iran afin de
détruire son programme nucléaire. Israël ne peut pas mener un tel assaut tout
seul. Il faut des moyens militaires, comme des bunkers busters et leur
logistique, que seuls les États-Unis possèdent.
Toutes les nominations déjà
annoncées, en particulier celle du futur ambassadeur à Jérusalem, prouvent que
Donald Trump est toujours pro-israélien. Mais, par ailleurs, « n’étant
pas belliciste », il est difficile d’affirmer qu’il suivra le premier
ministre israélien.
Personne ne peut dire quel
est l'objectif de Benjamin Netanyahu. Éradiquer le Hamas, le Hezbollah ?
On n’éradique pas un mouvement. Faire disparaitre les Cananéens de la terre
où ils vivent depuis six mille ans ? Impossible. Aujourd’hui, dans la
bande de Gaza rasée, 2 millions de civils sont parqués dans des conditions
sanitaires et humanitaires tragiques.
Le premier ministre israélien
peut compter sur le soutien de la prochaine administration américaine. Dans les
premières nominations, annoncées par Donald Trump, se trouvent le secrétaire
d'État Marco Rubio, sénateur de Floride, fervent ami d’Israël, le secrétaire à
l’Intérieur, Doug Burgum qui déclare soutenir les communautés juives, ou encore
l'ambassadeur qui va être nommé à Jérusalem, Mike Huckabee. Mike Huckabee,
gouverneur de l’Arkansas de 1996 à 2007, a affirmé que les Palestiniens
n'existaient pas, que la Cisjordanie n'était pas un territoire occupé, et que
les implantations israéliennes n'étaient pas des colonies, mais simplement des
villages. Dans ces conditions, les Palestiniens n'ont pas grand-chose à
espérer.
L’affrontement des blocs
économiques
Quid de la relation
sino-américaine dans le futur ? Les deux superpuissances
parviendront-elles à un modus vivendi ? Un tel duel s’est déjà présenté.
Il opposait l’URSS et les États-Unis. Des incidents, des périodes de tension
ont surgi. L’expérience du passé suggère que des crises, des accidents
surviendront.
En attendant, pour Gérard
Araud, la situation est claire : « Nous vivons une guerre
commerciale. Le 47e président américain a déclaré que le plus beau mot de la
langue anglaise, c'est tariff (droit de douane). » Donald Trump entend
imposer des droits de douane sur les importations, qu’elles soient chinoises ou
européennes. En plus du protectionnisme général, les Européens vont devoir
assumer leur législation sur l'intelligence artificielle et sur la high tech.
Le diplomate en est persuadé : « Moi les gens de la high tech que
je connais aux États-Unis sont absolument furieux et ils accusent nos
règlements d’être anti-américains. Ils veulent les démanteler, notamment par la
contrainte en augmentant les taxes. »
Comment les Européens
vont-ils réagir ? Au moment de l'inflation reduction act, encore un
texte protectionniste, qui s’affranchit des lois internationales, les Français
ont protesté. Mais, les grandes compagnies commerciales se sont immédiatement
précipitées à Bruxelles pour demander qu’aucune contre-mesure ne soit adoptée.
Elles ont besoin du marché américain et de l'accès à la liquidité de New York.
« Depuis, les États-Unis
ont imposé 100% de droits de douane sur les véhicules électriques chinois, le
Canada, 107 %. L’Union européenne, de son côté, a fixé les droits à 37%. Nous
n'arrêterons rien avec ce taux. L’Europe fait tout, mais trop tard et trop
peu. »
C2M