Entendues par l’Assemblée
nationale mardi 5 novembre, la Commission nationale consultative des droits de
l'homme (CNCDH) et l’association France Victimes se sont prononcées en faveur
d’une ordonnance de protection immédiate pour les mineurs victimes de violences
familiales, sur le même modèle de celle élaborée pour la protection des
victimes de violences conjugales. Tout en appelant à renforcer des dispositifs
déjà existants.
Comment renforcer la
protection des enfants dans le cadre familial, alors qu’au
moins un enfant sur cinq décéderait tous
les cinq jours en France à la suite de mauvais traitements
infligés par ses parents ou par un proche ? Lors de la précédente législature,
la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale avait alerté sur
la question des morts violentes de mineurs et choisi de consacrer un cycle
d’auditions sur cette thématique.
En ouverture de la nouvelle
mandature, les députés ont entendu la Commission nationale consultative des
droits de l’homme (CNCDH) et la Fédération France Victimes, respectivement
autrices d’un avis sur les morts violentes d’enfants (2024) et d’un rapport sur
les féminicides (2024), deux phénomènes étroitement liés.
Des mesures de protection
dans un tiers des cas
En 2022, 12 enfants ont été tués
dans un contexte de violences conjugales, dont huit parallèlement à l’homicide
d’un parent, et quatre séparément, selon la Délégation aux Victimes (DAV). « Sans
aller jusqu’aux violences paroxystiques qui conduisent à la mort d’un enfant,
il faut aussi penser aux dégâts du traumatisme sur ces personnes », soulève
en début d’audition Magali Lafourcade, secrétaire générale de la CNCDH.
Le dernier rapport de France
Victimes, qui porte sur des données de 2022, révèle quant à lui que sur 113
féminicides, 33 femmes avaient des enfants mineurs, dont 19 étaient présents au
moment des faits et 11 ayant directement assisté aux faits.
« Dans près un tiers
des cas seulement - 14 cas, des mesures de protection pour les mineurs ont été
mises en place après les faits : placement des enfants, désignation d'un
administrateur ad hoc, dans six situations, et désignation d'un tiers de
confiance dans trois cas seulement », rapporte Isabelle Sadowski,
directrice générale adjointe de France Victimes.
« Un outil
d’urgence particulièrement opportun »
Face à ces manquements,
faut-il envisager de légiférer sur une ordonnance de protection immédiate, sur
le modèle de celle envisagée pour les victimes de violences conjugales ? La
question est posée par la présidente de la délégation, Perrine Goulet. Cette
mesure, émise par le parquet dans un délai de 24h seulement, pourrait être
délivrée en cas de danger grave et immédiat. Isabelle Sadowski y voit « un
outil d'urgence particulièrement opportun pour renforcer concrètement la
protection des mineurs ». « Mais, ajoute-t-elle, il ne
faut pas oublier l'après, et l'accompagnement dans la durée de ces enfants
co-victimes ».
« L’ordonnance de
protection connaît une montée en puissance ; les avocats s’en saisissent de
plus en plus, complète Magali Lafourcade. Cet outil permet d'avoir une
cohérence, de sécuriser une victime, pour lui permettre d'avoir un récit des
faits plus construit, quand elle a rencontré des difficultés à dénoncer. Il
prend en compte son cheminement par rapport à une plainte. Je crois que c'est
un dispositif qui rentre dans les mœurs : c'est donc d’autant plus facile de
l'appliquer aux enfants, puisque le cadre de pensée est déjà là ».
Renforcer le protocole
féminicide
Jérôme Moreau, vice-président
de France Victimes, interpelle : « Il faut d’abord acter ce qui
existe. Un certain nombre de dispositifs légaux permettent déjà de protéger les
enfants ». Nul besoin, selon lui, d’un recours à l’ordonnance de
protection, mécanisme qui reste encore « trop confidentiel par
rapport au nombre de faits actés par les tribunaux. Le problème est
celui du non-recours aux droits existants, et de l'absence de possibilité pour
les enfants de les faire valoir ».
Dans le viseur de France
Victimes : le déclenchement beaucoup trop aléatoire du protocole féminicide. Ce
dispositif, expérimenté depuis 2015 en Seine-Saint-Denis et généralisé au reste
de la France en 2022, prévoit qu’à la suite d’un féminicide/homicide ou d’une
tentative de féminicide/homicide, le procureur de la République prenne dans
l’urgence une ordonnance de placement provisoire (OPP) au profit des enfants
mineurs.
Un outil qui reste
sous-exploité : « Notre enquête montre que le protocole féminicide est
utilisé de manière trop disparate selon les territoires ». Interrogées
cet été, les 130 associations du réseau France Victimes n’ont fait état du
déploiement de ce protocole que dans une quinzaine de territoires.
Désigner systématiquement un
administrateur ad hoc
Le réseau d’associations
d’aide aux victimes, qui a accompagné en 2023 plus de 30 000 mineurs, est
également favorable à la désignation « immédiate et généralisée »
d'administrateurs ad hoc pour protéger les enfants. Un rôle « pas
seulement de défenseur judiciaire, ni de celui qui argue simplement des
dommages-intérêts au moment d'un procès. Son rôle va bien au-delà. L’administrateur
ad hoc a une approche pluridisciplinaire en lien avec des juristes, mais
aussi des psychologues. Il désigne également un avocat pour l’enfant de manière
totalement indépendante et libre », plaide Jérôme Moreau.
La protection des enfants co-victimes
doit s’inscrire dans la durée, préconise encore l’association. « Après
un féminicide, des marges de progression sont à réaliser s’agissant de la prise
en charge des enfants par une association, alors que nous avons tous les outils
juridiques existants », indique Isabelle Sadowski. « Le Code
de procédure pénale permet par exemple de réquisitionner une association agréée
par le ministère de la Justice. Or, notre rapport Féminicides montre que ce
suivi a été mis en place dans 37,5% des cas seulement, soit moins de la moitié ».
Delphine
Schiltz