JUSTICE

Violences conjugales : vers une ordonnance de protection immédiate pour les enfants co-victimes ?

Violences conjugales : vers une ordonnance de protection immédiate pour les enfants co-victimes ?
Publié le 05/11/2024 à 20:27

Entendues par l’Assemblée nationale mardi 5 novembre, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et l’association France Victimes se sont prononcées en faveur d’une ordonnance de protection immédiate pour les mineurs victimes de violences familiales, sur le même modèle de celle élaborée pour la protection des victimes de violences conjugales. Tout en appelant à renforcer des dispositifs déjà existants.  

Comment renforcer la protection des enfants dans le cadre familial, alors qu’au moins un enfant sur cinq décéderait tous les cinq jours en France à la suite de mauvais traitements infligés par ses parents ou par un proche ? Lors de la précédente législature, la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale avait alerté sur la question des morts violentes de mineurs et choisi de consacrer un cycle d’auditions sur cette thématique.

En ouverture de la nouvelle mandature, les députés ont entendu la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et la Fédération France Victimes, respectivement autrices d’un avis sur les morts violentes d’enfants (2024) et d’un rapport sur les féminicides (2024), deux phénomènes étroitement liés.

Des mesures de protection dans un tiers des cas

En 2022, 12 enfants ont été tués dans un contexte de violences conjugales, dont huit parallèlement à l’homicide d’un parent, et quatre séparément, selon la Délégation aux Victimes (DAV). « Sans aller jusqu’aux violences paroxystiques qui conduisent à la mort d’un enfant, il faut aussi penser aux dégâts du traumatisme sur ces personnes », soulève en début d’audition Magali Lafourcade, secrétaire générale de la CNCDH.

Le dernier rapport de France Victimes, qui porte sur des données de 2022, révèle quant à lui que sur 113 féminicides, 33 femmes avaient des enfants mineurs, dont 19 étaient présents au moment des faits et 11 ayant directement assisté aux faits.  

« Dans près un tiers des cas seulement - 14 cas, des mesures de protection pour les mineurs ont été mises en place après les faits : placement des enfants, désignation d'un administrateur ad hoc, dans six situations, et désignation d'un tiers de confiance dans trois cas seulement », rapporte Isabelle Sadowski, directrice générale adjointe de France Victimes.

 « Un outil d’urgence particulièrement opportun »

Face à ces manquements, faut-il envisager de légiférer sur une ordonnance de protection immédiate, sur le modèle de celle envisagée pour les victimes de violences conjugales ? La question est posée par la présidente de la délégation, Perrine Goulet. Cette mesure, émise par le parquet dans un délai de 24h seulement, pourrait être délivrée en cas de danger grave et immédiat. Isabelle Sadowski y voit « un outil d'urgence particulièrement opportun pour renforcer concrètement la protection des mineurs ». « Mais, ajoute-t-elle, il ne faut pas oublier l'après, et l'accompagnement dans la durée de ces enfants co-victimes ».

« L’ordonnance de protection connaît une montée en puissance ; les avocats s’en saisissent de plus en plus, complète Magali Lafourcade. Cet outil permet d'avoir une cohérence, de sécuriser une victime, pour lui permettre d'avoir un récit des faits plus construit, quand elle a rencontré des difficultés à dénoncer. Il prend en compte son cheminement par rapport à une plainte. Je crois que c'est un dispositif qui rentre dans les mœurs : c'est donc d’autant plus facile de l'appliquer aux enfants, puisque le cadre de pensée est déjà là ».

Renforcer le protocole féminicide 

Jérôme Moreau, vice-président de France Victimes, interpelle : « Il faut d’abord acter ce qui existe. Un certain nombre de dispositifs légaux permettent déjà de protéger les enfants ». Nul besoin, selon lui, d’un recours à l’ordonnance de protection, mécanisme qui reste encore « trop confidentiel par rapport au nombre de faits actés par les tribunaux. Le problème est celui du non-recours aux droits existants, et de l'absence de possibilité pour les enfants de les faire valoir ».  

Dans le viseur de France Victimes : le déclenchement beaucoup trop aléatoire du protocole féminicide. Ce dispositif, expérimenté depuis 2015 en Seine-Saint-Denis et généralisé au reste de la France en 2022, prévoit qu’à la suite d’un féminicide/homicide ou d’une tentative de féminicide/homicide, le procureur de la République prenne dans l’urgence une ordonnance de placement provisoire (OPP) au profit des enfants mineurs.  

Un outil qui reste sous-exploité : « Notre enquête montre que le protocole féminicide est utilisé de manière trop disparate selon les territoires ». Interrogées cet été, les 130 associations du réseau France Victimes n’ont fait état du déploiement de ce protocole que dans une quinzaine de territoires.

Désigner systématiquement un administrateur ad hoc 

Le réseau d’associations d’aide aux victimes, qui a accompagné en 2023 plus de 30 000 mineurs, est également favorable à la désignation « immédiate et généralisée » d'administrateurs ad hoc pour protéger les enfants. Un rôle « pas seulement de défenseur judiciaire, ni de celui qui argue simplement des dommages-intérêts au moment d'un procès. Son rôle va bien au-delà. L’administrateur ad hoc a une approche pluridisciplinaire en lien avec des juristes, mais aussi des psychologues. Il désigne également un avocat pour l’enfant de manière totalement indépendante et libre », plaide Jérôme Moreau. 

La protection des enfants co-victimes doit s’inscrire dans la durée, préconise encore l’association. « Après un féminicide, des marges de progression sont à réaliser s’agissant de la prise en charge des enfants par une association, alors que nous avons tous les outils juridiques existants », indique Isabelle Sadowski. « Le Code de procédure pénale permet par exemple de réquisitionner une association agréée par le ministère de la Justice. Or, notre rapport Féminicides montre que ce suivi a été mis en place dans 37,5% des cas seulement, soit moins de la moitié ».

Delphine Schiltz


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