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La transition énergétique, facteur clé de la compétitivité des pays ?

La transition énergétique, facteur clé de la compétitivité des pays ?
Publié le 05/10/2024 à 10:40

La révolution énergétique, capable, selon une étude, de « redéfinir en profondeur les dynamiques du marché mondial », passe notamment par la maîtrise du coût de l'électricité, un enjeu majeur que les nations, dont la France, vont devoir apprendre à gérer pour préserver et maintenir la compétitivité de leur secteur industriel.

« Comment la transition énergétique a-t-elle redéfini les dynamiques des marchés, et dans quelle mesure la transformation de nos systèmes électriques, incluant les énergies renouvelables et les nouvelles infrastructures, a-t-elle engendré des coûts et surcoûts susceptibles de peser sur la compétitivité ? ». C'est cette question cruciale qu'a soulevée Astrid Lalouette, consultante au sein du cabinet E-CUBE, spécialisé dans le conseil stratégique dédié à la décarbonation et à la transition énergétique, lors d'une conférence donnée mardi 24 septembre 2024, à la suite de la publication de son étude intitulée « Compétitivité énergétique : Coût de l'électricité et transition énergétique – quelles conséquences pour la compétitivité industrielle des pays ? ».

Une étude qui, selon Alexandre Bouchet, fondateur du cabinet, « s’inscrit dans une réflexion plus large à l’échelle européenne, portant sur la compétitivité de l’Europe et sur le grand débat autour de l’évolution du mix électrique ». Il met particulièrement en avant le cas de la France, qui se retrouve face à un double défi : non seulement maintenir un haut niveau de décarbonation, voire l’accentuer, mais aussi s’assurer de préserver des tarifs énergétiques compétitifs, que ce soit pour les particuliers ou pour les industriels.

L’étude souligne également que, pour ces derniers, rester compétitifs tout en investissant sans subir des coûts excessifs nécessite une gestion rigoureuse des coûts d'approvisionnement en électricité. Cela est d’autant plus crucial, rappelle-t-elle, pour prévenir une possible délocalisation.

La France dépendante de son énergie nucléaire pour les coûts de production d’énergie

La maîtrise des coûts d'approvisionnement en électricité repose sur plusieurs facteurs déterminants, selon l’étude, pour assurer des conditions favorables aux usages industriels tout en limitant les risques financiers inhérents à la transition énergétique. Parmi ces éléments, l'un des plus décisifs est le développement et le coût des sources de production d’énergie, avance-t-elle. Les pays qui disposent de ressources énergétiques abondantes et peu coûteuses, telles que l’hydroélectricité, l’énergie nucléaire, les énergies renouvelables ou encore des turbines à gaz alimentées par du gaz à bas prix, sont en mesure de proposer aux industriels des tarifs d’approvisionnement plus compétitifs.

Concernant la France, l’étude souligne que le pays a « historiquement bénéficié de prix relativement compétitifs pour sa consommation d’électricité industrielle, grâce notamment à ses centrales nucléaires », qui ont permis un accès à une électricité stable à des coûts réduits. D’ailleurs, selon un rapport de la Cour des comptes publié en 2021, le coût de production de l’énergie nucléaire historique oscillait en France entre 42 et 60 €/MWh. En comparaison, des nations comme la Norvège, la Suède, la Finlande, ou encore certains États américains tels que la Louisiane, Idaho, Washington ainsi que le Québec, qui tirent massivement profit de l'hydroélectricité, ont pu proposer des prix d’électricité encore plus avantageux à leurs industries. Les coûts de production de l'hydroélectricité dans certains États américains, par exemple, étaient estimés entre 12 et 15 €/MWh en 2020, selon les données fournies par le National Renewable Energy Laboratory (NREL).

Cependant, pour que la France continue de maintenir ses coûts bas tout en répondant à une demande croissante, exacerbée par l’accélération de l’électrification des usages (mobilité, industries, chauffage, etc.), et dans un contexte mondial bouleversé par des événements comme le conflit en Ukraine, le rapport insiste sur la nécessité d’« accélérer le développement des énergies renouvelables ». Un progrès essentiel pour garantir une capacité de production suffisante, tout en évitant le recours au délestage ou à des prix excessivement élevés, un défi que de nombreux pays européens doivent également relever.

La transition énergétique, le nerf de la guerre ?

Il devient ainsi évident que pour rester compétitives, les entreprises devront impérativement ajuster leur mix énergétique et se restructurer en conséquence. Comme le souligne l’étude, de nombreux pays ont déjà établi des objectifs ambitieux de décarbonation de leur mix électrique, reposant essentiellement sur les énergies renouvelables et/ou le nucléaire.

En effet, « la part des énergies renouvelables dans la production mondiale d'électricité devrait passer de 29 % en 2022 à 35 % en 2025 ». Quant à l’Europe, celle-ci vise « 42,5 % de consommation d'énergie renouvelable à horizon 2030 et 74 % de pénétration dans son mix électrique, les énergies renouvelables devant représenter plus de 80 % de l'approvisionnement en électricité dans la plupart des pays européens ». Toutefois, pour la France, qui repose largement sur son parc nucléaire, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique devrait rester sous la barre des 50 %, avec un objectif de 40 % d'ici 2030.

L’étude met en lumière le fait que, dans les années à venir, les pays dotés de ressources en énergies renouvelables, comme l'hydroélectricité, bénéficieront d’une flexibilité précieuse, polyvalente et peu coûteuse. Ce constat s'applique notamment aux pays nordiques, au Québec et à l'État de Washington. Astrid Lalouette précise d'ailleurs que « l'Espagne, la Suède, la Finlande, le Danemark et le Texas disposent déjà de coûts de production d'électricité renouvelable inférieurs à ceux de la France ou de l'Allemagne, ce qui leur confère un avantage concurrentiel non négligeable sur le long terme ». Des pays qui sont bien placés pour « gagner en compétitivité dans les prochaines années, combinant les atouts de systèmes de production d'électricité historiquement performants avec des ressources renouvelables récentes et à bas coût ».

En revanche, les pays d’Europe occidentale, comme la France ou l’Allemagne, « où les coûts de production des énergies renouvelables ou nucléaires sont plus élevés », risquent de voir leur compétitivité diminuer, malgré une augmentation de la production d'énergie renouvelable. Ces écarts de compétitivité peuvent notamment s’expliquer par des facteurs naturels : « les pays nordiques bénéficient de vents plus forts, permettant un facteur de charge de 28-30 % pour l'énergie éolienne en Suède et en Finlande, contre une moyenne de 24 % dans l'UE. Les pays à fort ensoleillement comme l'Espagne tirent également parti d'un facteur de charge élevé pour l'énergie solaire, atteignant entre 16 et 20 % ».

Cependant, même si cette flexibilité renouvelable offre des perspectives intéressantes, elle pourrait être mise à mal par une demande croissante en énergie. En outre, les effets du changement climatique risquent de fragiliser cet équilibre entre approvisionnement et durabilité, ce qui rend les défis énergétiques encore plus complexes pour les années à venir.

Un impact irréversible sur le prix de l’électricité

À terme, la majorité du coût de l'électricité, largement influencée par la transition vers les énergies renouvelables, sera déterminée par trois composantes principales, augure E-CUBE. Premièrement, les coûts de production des énergies renouvelables, nécessaires pour remplacer l'ancien mix électrique tout en répondant à la croissance de la demande.

Deuxièmement, les investissements dans les infrastructures du réseau, qui deviendront cruciaux pour intégrer des parts importantes d'énergies renouvelables, se traduiront par une hausse des tarifs de réseau pour couvrir l'entretien et l'expansion de ces infrastructures. Enfin, les coûts liés à la flexibilité et à la capacité, résultant de l’installation de nouveaux actifs flexibles, tels que les batteries et les capacités de secours, seront essentiels pour remplacer les centrales au charbon et certaines installations nucléaires en fin de vie, assurant ainsi la sécurité de l'approvisionnement énergétique. Par exemple, dans les régions où existent des marchés de capacité, ces derniers peuvent refléter les coûts d'ajustement de la flexibilité.

Afin de limiter une hausse quasi inévitable des prix de l’électricité, plusieurs solutions se dessinent. Parmi elles, « les interconnexions entre les pays européens, qui sont cruciales pour permettre aux nations ayant des coûts de production élevés, comme la France, de bénéficier des tarifs plus faibles de leurs voisins, tels que l'Espagne ou les pays nordiques », explique Etienne Jan, l’un des associés du cabinet E-CUBE. Ces interconnexions permettent ainsi aux pays à coûts élevés d'importer de l'électricité à moindre coût, tout en offrant aux pays excédentaires la possibilité d'écouler leur surplus de production.

En Europe, de nombreuses entreprises ont déjà compris l'intérêt de tirer parti de ces différences tarifaires en signant des accords d'achat d'électricité (PPAs virtuels) avec des fournisseurs étrangers. Toutefois, elles sont confrontées à un obstacle majeur : la possible décorrélation des marchés énergétiques entre les différents pays. Cette disparité, accentuée par une interconnexion insuffisante, pourrait engendrer des risques considérables si les marchés énergétiques européens deviennent moins alignés. De plus, la modernisation du réseau électrique demeure un défi commun à l'ensemble des pays. Un réseau vieillissant, en effet, risque de ralentir le développement des énergies renouvelables et de créer des goulets d'étranglement pour l’acheminement de l’électricité verte.

Des aides gouvernementales pour rassurer les industriels

Heureusement, « des solutions existent afin d’apporter de l’aide aux industriels », affirme Etienne Jan. Les gouvernements disposent en effet de plusieurs leviers pour amortir les fluctuations des coûts de l’électricité et soutenir la compétitivité industrielle. Parmi ces mesures, on trouve « des aides financières ou des ajustements fiscaux, qui peuvent parfois engendrer des disparités entre les prix payés par les différents consommateurs ». La récente crise énergétique a d’ailleurs mis en évidence cet interventionnisme étatique, avec des milliards d’euros de subventions et d'exonérations fiscales injectés pour protéger tant les ménages que les entreprises, comme en témoigne la Taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) en France.

Bien que la phase la plus aiguë de cette crise énergétique semble derrière nous, relativise l’associé du cabinet, les enjeux de compétitivité industrielle continuent de peser sur les gouvernements, qui restent sous pression pour maintenir ces subventions ou exonérations fiscales. Afin de réduire le coût de l'électricité pour les industriels, il est possible de jouer sur la structure fiscale et d'alléger la charge de la transition énergétique pour les acteurs les plus vulnérables à la concurrence internationale. Plusieurs axes d’intervention s’offrent aux États : ils peuvent ajuster la répartition des impôts entre les ménages et les entreprises, moduler la charge entre petites, moyennes et grandes entreprises, ou encore cibler différemment les entreprises à haute ou basse consommation énergétique. De même, des compromis fiscaux peuvent être envisagés pour attirer de nouvelles usines de fabrication de technologies vertes.

Cependant, malgré ces aides, la France pourrait se retrouver face à un défi considérable dans les années à venir. « Les coûts du nouvel EPR de Flamanville soulèvent des questions sur la compétitivité même de la filière nucléaire », reconnaît Alexandre Bouchet. « Le nucléaire, par rapport à d’autres alternatives, n’est plus aussi compétitif qu’auparavant ». Pour le fondateur du cabinet E-CUBE, la France doit impérativement se réinventer, et la transition énergétique représente probablement l'une des solutions clés pour maintenir sa compétitivité à long terme.

Romain Tardino

 

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