ENTREPRISE

« Les chefs d’entreprise pensent que c’est uniquement lorsqu’ils ont des problèmes qu’il faut se tourner vers l’avocat »

« Les chefs d’entreprise pensent que c’est uniquement lorsqu’ils ont des problèmes qu’il faut se tourner vers l’avocat »
Publié le 02/05/2025 à 08:20

INTERVIEW. Alors que les procédures collectives étaient en hausse de 4,4 % sur un an au premier trimestre, le Conseil national des barreaux entend bien, à travers sa nouvelle campagne, insuffler un « réflexe avocat ». Catherine Gazzeri, présidente de la commission communication et avocate spécialisée en droit des entreprises, rappelle que cet expert peut apporter sérénité et sécurité au dirigeant, qui ne maitrise pas toujours les normes.

JSS : De quel constat part la campagne lancée mi-avril par le CNB pour mettre en lumière le travail des avocats auprès des entrepreneurs ?  

Catherine Gazzeri : Cette nouvelle campagne, qui prendra fin le 15 mai prochain, est née d’un constat réciproque de la commission Communication et de la commission Droit et entreprise du Conseil national des barreaux : un certain nombre de jeunes chefs d’entreprise n’ont pas le réflexe de s’entourer d’un avocat au moment de lancer leur activité. De même que les entrepreneurs déjà en place, d’ailleurs !

En effet, ces derniers n’ont pas conscience de tout ce qu’un avocat peut leur apporter, surtout au moment de la création : ils démarrent une activité mais loupent des conseils qui auraient pu leur être donnés, des stratégies qui auraient pu être mises en place, etc. Or, quand une difficulté se présente, il est plus difficile de colmater les brèches que d’éviter qu’il y ait des fissures grâce à un accompagnement en amont.

C’est pourquoi notre campagne est essentiellement dédiée aux chefs d’entreprise qui débutent d’une façon ou d’une autre, en autoentrepreneur, avec une start-up, une PME, et craignent que l’accompagnement soit trop difficile pour eux. L’idée est de créer un réflexe avocat pour ces jeunes chefs d’entreprise ; de leur montrer que nous sommes là pour leur proposer un accompagnement personnalisé.

Nous ciblons également les thématiques propres aux commerçants, artisans, solopreneurs… Au préalable, nous avons listé un certain nombre de catégories et de difficultés, mais aussi essayé de réaliser une communication qui corresponde à une attente, et qui parle davantage à ces dirigeants-là plutôt qu’aux grandes entreprises, bien souvent déjà sensibilisées sur le sujet.

Par ailleurs, un podcast a été réalisé dans ce cadre. Là aussi, nous avons déterminé un certain nombre de profils et de questions que peuvent se poser les jeunes chefs d’entreprise. Des confrères spécialisés membres de nos deux commissions interviennent sur plusieurs thématiques, et répondent aux besoins que nous avons identifiés. Une avocate spécialisée en propriété intellectuelle explique par exemple l’intérêt de ne pas se faire voler une idée et comment la protéger. La rédaction des contrats, le recouvrement d’impayés, les garanties de vente sont également des sujets abordés.

JSS : 17 845 procédures collectives ont été ouvertes au premier trimestre 2025, en hausse de 4,4 % sur un an, selon Altares. Que vous inspirent ces chiffres?? Quel rôle l’avocat peut-il jouer?dans la prévention de ces risques??

C. G : Il est vraisemblable que l’ensemble de cet accroissement de faillites est lié, d’abord, à la répercussion covid, avec les prêts accordés que les entreprises doivent rembourser alors que certaines pouvaient penser qu’il s’agissait de dons. C’est aussi lié à la conjoncture internationale et aux incertitudes qui sont telles à l’heure actuelle dans notre monde économique et au regard des chocs violents qui se passent au niveau international.

On est dans un attentisme général, mais quand tout le monde y est, à un moment donné, si les affaires ne vont pas, le chiffre d’affaires ne se développe pas, et on a un certain nombre d’activités en état de cessation de paiements. Auquel cas il vaut peut-être mieux déposer le bilan plutôt que d’avoir que des liquidations sèches, et ainsi tenter d’endiguer le phénomène et remonter les activités.

Dans le cadre des faillites, tous ces dépôts de bilans sont un véritable chemin de croix, car le chef d’entreprise, soumis à une procédure collective, se retrouve dans une sorte de nasse où il voit tout ce qu’il a construit se perdre. Un bon spécialiste des procédures collectives et un avocat qui accompagne les chefs d’entreprise habituellement auront quant à eux le recul et la possibilité d’avoir une stratégie.

L’avocat va pouvoir négocier avec le tribunal de commerce et les mandataires, liquidateurs ou administrateurs - le cas échant - pour sauver si possible l’activité de l’entreprise, et, en cas de reprise de l’activité, monter un dossier qui soit bien fait.

En plus de cet accompagnement très spécifique, il y a aussi celui du chef d’entreprise qui a pu de son côté prendre des engagements de garantie et qu’il faut défendre, car là encore, il faut l’aider à sortir de l’ornière dans laquelle il est. L’accompagnement peut donc se faire de tous les côtés, dans un moment de difficulté intense des chefs d’entreprise.

Et ce que nous souhaitons à travers notre campagne, c’est que même lorsque l’entrepreneur est perdu et dans la pire des situations, l’avocat peut s’avérer un véritable allié qui va venir sécuriser les choses, et ainsi déclencher le réflexe avocat auprès des chefs d’entreprise qui ne l’ont pas à un moment où c’est indispensable.

JSS : De quelles autres façons l’avocat peut-il accompagner les chefs d’entreprise?et pourquoi recommandez-vous?aux entreprises de s’entourer de ce professionnel ?  Qu’ont-elles à y gagner, même quand tout se passe bien ?

C. G : Un certain nombre de choix stratégiques doivent se faire au moment de la création d’une entreprise. Sur la forme juridique, plutôt autoentrepreneur, SARL, SCI ? Est-ce que dans le cas où l’entreprise grandit il faut changer la forme ? Quelles fiscalité ? Comment protéger une idée particulière d’entreprise pour ne pas se la faire voler, etc. ? Il est important de bien déterminer tout cela avec quelqu’un qui vous accompagne dans cette stratégie.

Puis bien souvent au départ, il faut trouver des finances. Là encore, l’avocat peut intervenir. Il démarre ainsi avec l’entrepreneur, évolue dans le conseil avec lui et continue à développer des stratégies juridiques pour le protéger dans la durée. Mais en considérant que cette évolution va arriver, on peut avoir aussi des problèmes avec du personnel pour les PME/PMI qui se profilent par exemple.

Finalement on retrouve à la fois le droit social qui n’est jamais simple, le droit fiscal et le juridique qui continue d’évoluer. Mais si on un avocat dès le départ capable de suivre l’entrepreneur et d’être l’avocat de famille de l’entreprise en quelque sorte, on évolue ensemble, on se connait, on s’entraide.

« Même lorsque l’entrepreneur est perdu et dans la pire des situations, l’avocat peut s’avérer un véritable allié »

Certains chefs d’entreprise préfèrent aller chercher des clients, des marchés, améliorer leur formation technique négligeant de fait le carcan juridique estimant que ce n’est pas le nerf de la guerre. Nous voulons aussi faire prendre conscience aux chefs d’entreprise que même s’ils pensent n’avoir besoin de rien, on a toujours besoin d’être accompagné. Il y a des boucliers à mettre en place dès le départ.

Un chef entreprise ne pense par exemple pas forcément à mettre sa maison de côté pour éviter que les créanciers ne la saisissent en cas de difficultés. En tant qu’avocats, on est là pour leur signifier ce risque et leur expliquer comment faire.

D’ailleurs, les grandes entreprises dotées de services juridiques ont elles aussi besoin d’un avocat, car l’œil externe et indépendant est une garantie importante. Il est parfois compliqué de déterminer certains bons choix, même avec un beau service juridique. Toutefois, le besoin est un peu différent à ce moment-là, car l’entreprise est déjà structurée et n’hésite pas à se tourner vers l’avocat en fonction des spécialités ou vers un avocat d’accompagnement qui connait bien l’entreprise.

S’entourer d’un avocat dès le départ, c’est aussi créer un lien de confiance et, pour l’avocat en question, une connaissance de l’entreprise. Il est ainsi plus facile pour ce dernier d’apporter un conseil avisé quand il a vu l’entreprise grandir et qu’on connait tout le monde, ses partenaires économiques etc.

JSS : Entre 2018 et 2023, conséquence directe de la loi Pacte, le nombre de mandats des commissaires aux comptes dans les petites entreprises a chuté de presque 40 %, comme l’a souligné début avril Philippe Vincent, président de la CNCC. Les PME se tournent-elles davantage aujourd’hui vers les avocats pour assurer leur sécurité et leurs démarches ?

C. G :  Je n’ai pas de statistiques en la matière, toutefois je ne suis pas sûre que cette loi ait une répercussion sur l’apport de clientèle chez les avocats…

JSS : Quels freins subsistent chez les entreprises?qui rechignent à solliciter un avocat?? Est-ce par méconnaissance ou une volonté de ne pas faire appel à eux ?

C. G : Je ne pense pas que ce soit une volonté de ne pas recourir à un avocat, c’est peut-être dû effectivement à une méconnaissance de ce que l’avocat peut apporter sur le plan du conseil, de la stratégie, alors qu’en parallèle, une entreprise qui se créé est confrontée à une multiplicité de normes ; on est les champions en France !

Et on a des chefs d’entreprise qui ne maitrisent pas l’ensemble des textes qu’ils doivent appliquer sans le savoir. On l’entend souvent, mais il est difficile de s’alléger entre toutes les normes, textes et procédures, d’où l’importance d’avoir un professionnel aguerri qui peut suivre ce maquis législatif réglementaire, lequel peut être déstabilisant pour celui qui démarre.

Les chefs d’entreprise pensent que c’est uniquement lorsqu’ils ont des problèmes qu’il faut se tourner vers l’avocat, mais il y a toute une partie d’accompagnement de base qui peut déterminer l’avenir et les conséquences pour l'entreprise.

Aussi, lorsque l’on démarre une activité, on a la tête dans le guidon. L’aspect conseil devient finalement un peu secondaire car au moment de créer une activité, ce qu’il faut c’est d’abord avoir l’idée, le produit, aller chercher les fonds et le client. Donc je pense que c’est plutôt le fait d’aller à l’essentiel qui fait que les chefs d’entreprise n’ont pas ce réflexe avocat.

La crainte du coût peut aussi s’avérer dissuasif dans l’esprit de l’entrepreneur, mais là-dessus, il y a des garanties qui viennent sécuriser la relation.

JSS : Pour les petites entreprises que le prix peut décourager, quel budget «?a minima?» faut-il prévoir pour se faire accompagner par un avocat?et éviter les mauvaises surprises liées à la vie d’entrepreneur??

C. G : D’un entrepreneur à un autre, le coût sera différent mais toujours raisonnable. On adapte en effet nos prestations aux capacités financières de l’entreprise. Il ne faut pas oublier la convention d’honoraires, obligatoire, qui empêche les mauvaises surprises. Elle permet en effet au chef d’entreprise et à l’avocat de se mettre d’accord sur un coût préalable par rapport à une mission. Par exemple, sur la rédaction des statuts, l’avocat va indiquer qu’il va passer 2 ou 3 heures pour tant, et tous deux se mettent d’accord sur le prix. Cette prévisibilité instaure ainsi un climat sécurisant et de confiance.

« A une période où on a l’impression que tout devient robotisé, pour nous avocats, ça ne l’est pas. »

Et puis c’est aussi dans l’intérêt de l’avocat de s’adapter aux finances du client. S’il arrive en disant « ça fera tant et si vous n’êtes pas content vous pouvez aller voir ailleurs », ça n’a pas de sens. L’idée est d’arriver à cheminer ensemble dans l’intérêt du client mais aussi du cabinet.

On propose un accompagnement qui permettra au chef d’entreprise d’avoir une sérénité pour se consacrer aux tâches essentielles de son activité, dont celle de la faire prospérer économiquement et d’avoir un bel outil pour potentiellement le revendre plus tard.

Il y a aussi de l’investissement à faire en vue de la patrimonialisation des entreprises qui est à prendre en compte, et c’est cet accompagnement qui se fait au fil de la création, dès l’instant où l’entreprise grandit, et jusqu’à sa cession ou cessation. C’est un aspect sur lequel nous n’avons peut-être pas assez mis l’accent auparavant et sur lequel nous communiquons davantage aujourd’hui.

Parallèlement, les avocats peuvent traiter les petites questions du quotidien qui surviennent dans l’esprit d’un chef d’entreprise à travers un abonnement. Cela se fait dans des conventions d’honoraires, on détermine à l’avance avec le client son besoin et le type de questions qu’il peut adresser. Si on met par exemple le droit social dans l’abonnement alors que le chef d’entreprise n’a pas de salariés, il n’y a pas d’intérêt, donc on va adapter l’intervention au besoin du client, on circonscrit le domaine d’intervention. Il s’agit là encore d’un accompagnement personnalisé qui n’engage pas des sommes faramineuses.

Un processus idéal pour les entrepreneurs qui ont justement la tête dans le guidon et ont un besoin rapide de réponse sur une question particulière. Ils n’ont qu’à appeler l’avocat avec lequel ils ont abonnement et obtenir une réponse dans l’instant T. Je trouve qu’il s’agit d’une formule vraiment bien adaptée aux besoins de l’entrepreneur et à ses capacités financières, et on sait que le quotidien, pour eux, c’est d’être plein de questions pour lesquelles ils n’ont pas forcément la réponse.

JSS : À titre personnel, combien d’entreprises avez-vous pu accompagner tout au long de votre carrière ? Que retenez-vous du chemin parcouru à leurs côtés ?

C. G : Difficile de chiffrer après 42 ans de barreau, mais aujourd’hui encore, j’ai des clients entrepreneurs que j’accompagne depuis de nombreuses années sur le plan professionnel, mais également personnel, pour leur patrimoine par exemple. On s’aperçoit que le droit de la famille, le droit du travail, commercial, sont des droits vivants qui nécessitent d’avoir une relation avec l’autre ; ce sont pour moi des droits complémentaires.

Dans mon exercice professionnel, quand je regarde en arrière, j’ai réalisé un accompagnement lié à l’humain et aux différents relais de mes clients. On pourrait se dire que le droit des affaires est un droit déconnecté, mais pas du tout. On évolue ensemble dans nos activités réciproques, on bâtit une confiance, avec, pour ma part, une connaissance approfondie du client.

Quand on y réfléchit, à une période où on a l’impression que tout devient robotisé, c’est ce lien humain qui se traduit dans tous les domaines du chef d’entreprise.

Propos recueillis par Allison Vaslin

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