Très attendue par les professionnels du droit des mineurs, la réforme de
la justice pénale des mineurs promettait un texte profondément refondu et des
procédures modernisées. Trois ans plus tard, la réalité des tribunaux et du
travail de terrain semble surtout témoigner du manque de moyens déployés et
d'un chantier considérable, qui peine à aboutir. Lors des Assises des avocats d'enfants organisées par le barreau de Bordeaux, une table ronde a permis de faire le bilan.
Quel bilan pour les modules
de mesures éducatives instaurés au cœur du parcours des mineurs délinquants ?
Fruit de la réforme du Code de justice pénale des mineurs (CJPM) portée par
Éric Dupond-Moretti en septembre 2021, cette thématique était débattue,
vendredi 29 novembre 2024, lors des 24e Assises des avocats
d’enfants organisées par le barreau de Bordeaux. Présenté par la Chancellerie comme un « texte d’équilibre entre éducation et sanction », « aboutissement de 10 années de travail »,
le CJPM devait, à sa publication, améliorer et combler les carences de
l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante (modifiée 39
fois en 75 ans), qui régissait jusque-là le droit des mineurs.
Principale mesure de la
réforme, la « césure », qui prévoit un jugement opéré en deux temps.
Elle contracte le temps judiciaire en fixant la première audience de
culpabilité trois mois maximum après la sollicitation de la justice. Si le
mineur est déclaré coupable, le juge des enfants peut ordonner une période de
mise à l’épreuve éducative qui va de six à neuf mois. C’est à ce stade
qu’interviennent les fameux « modules », en parallèle des mesures
éducatives « uniques », statuées en fonction d’une évaluation de
la situation personnelle, familiale, sanitaire et sociale. Ces modules viennent
cadrer les modalités du travail éducatif engagé en suivant plusieurs catégories
: insertion (scolarisation), placement (en foyer, en famille d’accueil, en
internat scolaire), santé (prise en charge médicale) et réparation de
l’infraction commise (envers la victime, avec son accord, ou envers la
société).
Le changement dans la continuité
Alors, trois ans après, avec ces nouvelles mesures, le CJPM est-il plus efficace par rapport à l'ordonnance de 1945 ?
Pour Marion Wiszniak, juge des
enfants au tribunal judiciaire de Bordeaux, « Si
procéduralement, il autorise une nouvelle souplesse, puisque les modules
peuvent être supprimés, ajoutés ou cumulés, et si la mesure éducative demeure
unique, le fond du travail reste le même ». Au palais de la Bourse de Bordeaux, le ton est donné.
La magistrate reconnaît toutefois que la mesure applicable jusqu’aux 21 ans du prévenu
(et non plus 18 ans) constitue une véritable révolution. Tout en doutant de
l'innovation réelle des contenus des modules. Selon elle, la majorité de ces
mesures existaient déjà auparavant : santé, réparation, placement… « Pour moi, la vraie nouveauté, mais qu'on n'a
pas encore expérimentée, c'est plutôt la notion de médiation, que je considère
notamment pour les mineurs violents. C’est vraiment quelque chose qui tend à
être développé et encore trop peu pratiqué aujourd’hui ». Mise
en œuvre à la demande ou avec l’accord de la victime, la médiation envisage la
restauration d’un dialogue entre les deux parties. A noter : le CJPM lie
désormais réparation et médiation au sein d’un même module.
De retour au tribunal pour
enfants depuis un an, Marion Wiszniak a fait face, avant tout, à un « changement d'appellations »,
mais pas de fond. Au-delà de ce constat plutôt terne, la magistrate se
questionne sur la contrainte de ces mesures. « En tant que juge, quand on prononce tel ou tel module, on va toujours
se poser la question du caractère vraiment contraignant. Est-ce que, parce
qu'on prononce une mesure éducative avec un module santé, cela va plus inciter
le jeune à accepter des soins ou à aller vers le soin ? ». Rien
n’est moins sûr. Le principe même d’une mesure éducative repose sur le fait
qu’aucune sanction n’est envisagée si le mineur ne la respecte pas.
Entre
les jeunes et la justice, une communication simplifiée
Sur ce plan, la juge pour
enfants admet que le CJPM lui permet de communiquer plus facilement auprès des
jeunes. Elle raconte : « Dans
nos audiences, on leur dit toujours beaucoup de choses et on se demande souvent
ce qu’ils en retiennent. Mais il n’empêche que cette procédure, désormais
séquencée en deux temps, nous permet de clarifier nos demandes : on peut
maintenant leur fixer une date, pour vérifier si les attendus ont été
respectés. Nous sommes mieux entendus, parce que notre discours est simplifié ».
Lors des Assises des avocats d'enfants, fin novembre, une table ronde a permis de faire le bilan sur la réforme © Aurélien Marquot
Trois ans après son
déploiement, la magistrate déplore par ailleurs que la réforme n’ait pas été
pensée en faveur des partenaires santé de la justice. « Depuis le début, nous avançons avec l’idée
de nous saisir de cette réforme pour aller à la rencontre de nos partenaires
tels que l’ARS ou l’Education nationale pour leur dire : voici les objectifs
que nous avons décidé de mettre en œuvre. Que nous proposez-vous en face ?
Sachant qu'évidemment, il n'y avait pas une ligne budgétaire spécifique pour
financer l’un de ces modules. Tout est à faire ». De
l’importance, donc, de partenariats à tisser entre les juridictions et les
acteurs adéquats pour obtenir de véritables résultats (à l’échelle bordelaise,
en tout cas), et d’une temporalité allongée, imputable pour gagner en
efficacité.
Les
textes dépassés par la réalité du terrain
Du côté des éducateurs, le CJPM et ses nouvelles procédures ne
semblent pas avoir fondamentalement modifié les pratiques, avant tout basées
sur du « bon sens », dans l'intérêt des mineurs. Gabrielle Carre,
éducatrice à la PJJ invitée par les Assises de Bordeaux, illustre cette réalité
avec un exemple concret : « Quand
un jeune est à la rue, le module d'insertion n'est pas prioritaire. Parce qu'il
n'a pas de logement et parce que son urgence à lui, c'est d'en trouver un ».
Elle rejoint cependant la juge des enfants, saluant la nouvelle temporalité
établie : « La plupart du
temps, les familles des mineurs délinquants ne leur donnent pas la possibilité
d'un espace-temps construit pour eux. L'audience de culpabilité passée, il y a
quelque chose de plus facilitant, pour nous, à travailler avec eux. Pourquoi ?
Parce qu'à partir de ce moment-là, notre place d'éducateur de PJJ a plus de sens
pour eux ».
Gabrielle Carre relativise
pourtant l'impact du CJPM à son échelle : la théorie peut vite être
compromise par la réalité du terrain. « Le temps judiciaire et le temps éducatif ne sont pas les mêmes. Au
niveau éducatif, on parle avant tout de la maturité d'un mineur, de la manière
dont il comprend les choses, du lien de confiance qu'on tente tant bien que mal
de tisser avec lui. Ces jeunes ne font pas confiance rapidement, ils sont là
parce qu'ils n'ont pas le choix et se méfient de nous. Qui plus est, dans le
cadre de MJIE[1],
notre intrusion dans leur famille peut être violente à vivre »,
explique-t-elle.
En plus de cette
problématique de temporalité complexe, l'aspect non-contraignant de la mesure
est lui aussi avancé par l'éducatrice. « Si le jeune n'est pas acteur de son projet, les
modules, on peut les balayer... Il faut qu'il ait l’envie. Je rappelle qu'ils
ne sont pas une contrainte, mais bien un axe de travail. Alors quand, par
exemple, dans le cadre du module santé, vous dites à un mineur : je pense que
tu pourrais être aidé par un psychologue et qu'il répond oui... Vous avez déjà gagné
beaucoup. En réalité, cela arrive très rarement. Notre rôle et celui des
modules, c'est surtout de tendre vers quelque chose. » A ce
stade, la PJJ a-t-elle pris le train du CJPN ? Gabrielle Carre répond - malgré ce
décevant état des lieux - avec une pointe d'optimisme. « Je pense qu'on est un peu au ralenti, mais
que cela va se faire. C'est-à-dire qu'il faudrait proposer une espèce de
catalogue des possibles avec les partenaires. Qu'est-ce qui est faisable, avec
les moyens que nous possédons respectivement ? »
Pour
obtenir des résultats, un partenariat nécessaire entre les parties prenantes
Ophélie Ruby, éducatrice PEAT[2] à
Bordeaux, confirme également l'intérêt d’une collaboration entre acteurs de la
chaîne, en soumettant notamment des modules ; mais elle précise que ces
initiatives sont assez occasionnelles. « Le temps entre le déferrement et l'audience de culpabilité est
extrêmement réduit », expose-t-elle. « On sait pertinemment que si l’on propose un
module de réparation, les collègues n'auront ni les moyens matériels ni le
temps pour construire quelque chose de qualité. En revanche, dans certaines
situations, si on devine que la culpabilité chez un mineur est importante ou si
on sent qu'il y a une démarche de réflexion entamée chez lui, alors on
s'autorise à le faire quand même, même si ce n’est pas suivi par un magistrat
plus tard. Nos observations seront de toute façon rassemblées dans les RRSE[3] ».
En parallèle de cette
collaboration recherchée entre les parties prenantes, consensus sur lequel tous
les acteurs présents semblent se retrouver, Gabrielle Carre pointe l’importance
des efforts à mener dans la formation. « La médiation, par exemple, est un travail à part, qui nécessite un
diplôme de médiateur différent de celui d'éducateur. C'est une philosophie
particulière qui ne nous a pas été enseignée à l'université. Et je crois que
nous avons intérêt à nous pencher sur cette question et à entamer une réflexion
réelle, notamment dans le cadre de la justice restaurative, pour penser le
travail et la formation autrement, si l’on veut faire bouger les lignes ».
Une proposition qui, à
l'image de la table-ronde organisée pendant ces assises nationales, montre à
nouveau l'amplitude d’un chantier à peine débuté et dont les avancées semblent
surtout dépendre des bonnes volontés et de la ténacité des acteurs concernés.
Laurène
Secondé
[1] Mesures judiciaires
d'investigation éducatives
[2] Permanence éducative auprès
des tribunaux
[3] Recueil de renseignements
socio-éducatifs