SOCIÉTÉ

« La proposition de loi pour un statut de réfugié scientifique permettrait la création d’un cadre juridique clair »

« La proposition de loi pour un statut de réfugié scientifique permettrait la création d’un cadre juridique clair »
Publié le 05/05/2025 à 16:11

INTERVIEW. Alors que la Sorbonne accueille ce 5 mai le sommet Choose Europe for Science, Justine Mahasela, avocate spécialisée en droit d’asile, décrypte la proposition de loi déposée le 17 avril par le député François Hollande, dans un contexte où la France cherche à attirer des chercheurs et scientifiques étasuniens menacés par la politique de l’administration Trump. Si ce texte a le mérite d’élargir la protection accordée aux personnes ne remplissant pas les critères du statut de réfugié, il doit s’accompagner de moyens concrets. Ce, en plein resserrement budgétaire.

JSS : Quel regard portez-vous sur la proposition de loi du député François Hollande sur la création du statut de « réfugié scientifique », eu égard à la situation des chercheurs aux États-Unis sous le début de mandat de Donald Trump?

Justine Mahasela : Il s’agit d’une proposition intéressante, à la fois sur le plan humain et juridique. D’un point de vue humain, elle répond à un besoin urgent : celui de permettre à des chercheurs menacés de trouver rapidement une solution de repli. Sur le plan juridique, elle soulève une question importante : la situation actuelle de ces chercheurs ne correspond à aucun des cadres prévus par la Convention de Genève.

Cette convention prévoit deux formes principales de protection internationale : le statut de réfugié, dit statutaire, qui suppose que la personne soit persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques ; et la protection subsidiaire, qui s’applique dans des cas particuliers. Or, les chercheurs en question ne rentrent, en l’état, dans aucune de ces deux catégories de manière évidente.

Concernant le statut de réfugié, les critères sont stricts. On pourrait certes envisager une qualification au titre d’un « groupe social » ou d’opinions politiques, mais cela pose plusieurs difficultés. D’une part, il faudrait une position jurisprudentielle claire, ce qui suppose du temps et de l’uniformité dans l’interprétation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. D’autre part, leur qualification en tant que « groupe social » est délicate.

Selon la directive européenne de 2011, un groupe social se caractérise par des traits innés, une histoire commune ou des croyances fondamentales que ses membres ne devraient pas être contraints d’abandonner, ou encore par une identité perçue comme distincte par la société environnante. Les chercheurs menacés ne rentrent pas forcément dans ces critères. Ils s’opposent aux décisions des autorités actuelles, c’est vrai, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont vus comme un groupe social distinct par la société dans son ensemble.

Concernant la protection subsidiaire, elle s’applique dans les cas où une personne ne remplit pas les critères du statut de réfugié, mais risque néanmoins de subir des atteintes graves si elle retourne dans son pays. Ces atteintes sont définies très précisément. Cela comprend la peine de mort, la torture ou les traitements inhumains ou dégradants et la protection des civils en cas de conflit armé. Or, dans la plupart des cas, à l’heure actuelle, les chercheurs rencontrent des mesures hostiles et des pressions politiques de licenciement ou de réduction de financement. C’est évidemment grave, mais leur situation ne coche pas clairement les cases juridiques actuelles de la protection subsidiaire, qui restent limitées à des risques très graves et spécifiques.

C’est pourquoi la création d’un statut spécifique pour ces chercheurs pourrait être pertinente. Elle permettrait de leur offrir un cadre juridique clair, plus adapté à leur situation, et de faciliter leur accueil dans de meilleures conditions, qu’il s’agisse de chercheurs américains ou d’autres nationalités d’ailleurs, le projet de loi ayant vocation à s’appliquer de manière générale.

Il convient cependant de souligner que le terme « réfugié scientifique » est davantage un raccourci médiatique qu’une désignation juridique précise. En réalité, il s’agirait d’une extension de la protection subsidiaire, non de la création d’un nouveau statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

JSS : Cette proposition est-elle applicable dans le domaine du droit d’asile ou relevez-vous des points potentiellement problématiques au niveau constitutionnel ?

Justine Mahasela : D’un point de vue constitutionnel, je ne vois pas d’obstacle majeur à la mise en œuvre de cette proposition. En réalité, elle consiste à élargir le champ de la protection subsidiaire sans remettre en cause les principes fondamentaux du droit d’asile ni les engagements internationaux de la France. En effet, il ne s’agit pas de restreindre les protections existantes prévues par la Convention de Genève de 1951.

Par ailleurs, s’agissant de protection subsidiaire, l’État conserve une large marge de manœuvre. Le principe de souveraineté permet donc une certaine flexibilité dans l’interprétation et l’application de cette protection par les États.

Cette proposition me semble donc compatible avec l’ordre juridique français, tant sur le plan constitutionnel que conventionnel.

JSS : Est-ce que cette proposition de loi, si elle est appliquée, serait en mesure d’attirer des chercheurs étasuniens vers la France, au lieu d’autres pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, selon vous?

Justine Mahasela : Je pense que oui, elle pourrait constituer un facteur d’attractivité. Elle aurait le mérite de simplifier les démarches pour les chercheurs concernés, en particulier ceux qui se trouvent dans une situation d’urgence.

Il existe en France plusieurs dispositifs de visas et demande de titres de séjours qui peuvent s’appliquer aux chercheurs étrangers, mais qui supposent souvent de réunir de nombreux justificatifs avec un projet professionnel structuré. Ces exigences peuvent être difficilement compatibles avec une situation de danger ou d’exil forcé.

La création d’un dispositif de protection spécifique comme celui envisagé par cette proposition changerait la logique d’accueil. Il ne s’agirait plus d’exiger un projet professionnel préalable, mais de reconnaître un besoin de protection fondé sur une situation de persécution ou de menace. Cela permettrait aux chercheurs de fuir leur pays sans avoir à justifier, dans l’immédiat, d’un emploi ou d’un contrat d’accueil. Une fois protégés, ils pourraient alors construire un projet d’installation plus sereinement.

Cela me semble offrir un réel atout par rapport aux systèmes d’accueil actuellement en place en France et ailleurs en Europe.

JSS : Est-ce que le monde de la recherche serait en mesure de répondre à un potentiel afflux de scientifiques en provenance d’outre-Atlantique, dans un contexte de serrage de vis budgétaire dans l’enseignement supérieur et la recherche?

Justine Mahasela : C’est effectivement l’un des défis qui se poseraient en cas de mise en œuvre de cette proposition. Cela dépasse quelque peu le champ de mes compétences, et des spécialistes du secteur de la recherche ou des politiques publiques en matière scientifique seraient sans doute mieux placés pour répondre précisément.

Si le système de recherche en France fait déjà face à des difficultés de financement, il est évident que l’accueil de nouveaux chercheurs ne pourra se faire sans un appui budgétaire supplémentaire. Sans impulsion politique forte, on risque de fragiliser les structures de recherche déjà en tension. Il est donc essentiel que si cette proposition de loi est adoptée, elle s’accompagne de moyens concrets permettant d’assurer une protection effective aux chercheurs concernés.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

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