Le ministre de la Justice a
inauguré ce mardi un cycle de rencontres visant notamment à renforcer les SPIP, alors
qu’un projet de réforme de la politique pénale devrait être présenté au Premier
ministre à la rentrée.
Gérald Darmanin remet au
centre des débats la réinsertion des détenus. Le ministre de la Justice a officiellement
lancé, mardi 24 juin, les États généraux de l’insertion et de la probation,
devant un parterre composé de présidents de tribunaux, magistrats et autres
acteurs du monde judiciaire.
« Un chantier majeur
et, on l’espère, fondateur pour notre politique pénale », a assuré
Gérald Darmanin. Et un chantier qui arrive surtout alors que la surpopulation
carcérale a atteint de nouveaux sommets : au 1er mai, les
prisons françaises comptaient 83 681 détenus pour seulement 62 570
places opérationnelles, soit 134 % d’occupation et même 164 % en
maison d’arrêt. Une hausse continue du nombre d’incarcérations provoquée par « les
récentes réformes pénales, qui ont renforcé la réponse judiciaire », a
estimé le garde des Sceaux, avec des incarcérations « plus longues et
plus effectives ».
Cette surpopulation est aussi
la conséquence du manque d’accompagnement vers la sortie de la détention. « La
république se mesure à ses capacités non seulement à punir, mais aussi à
réinsérer », a-t-il ajouté. Gérald Darmanin a en ce sens qualifié la
récidive d’« échec collectif », alors que le taux d’anciens
détenus provoquant une nouvelle infraction dans les quatre ans atteint les
60 %. « Tant que nous ne briserons pas le cycle incarcération-rejet-récidive,
nous continuerons à courir après des chiffres au lieu de construire une société
plus sûre pour les Français et les personnes condamnées. »
La France « à un
carrefour de sa politique pénale »
Un nombre de récidives qui a
pour conséquence « une société qui doute de sa justice et des professionnels
qui s’épuisent », a estimé le ministre, qui a assuré que la France
était arrivée « à un carrefour de sa politique pénale ». Le
garde des Sceaux n’a pas manqué de se féliciter des récentes réformes en cours
d’application, en premier lieu desquelles la loi visant à sortir la France du
piège du narcotrafic instaurant des prisons de haute sécurité.
Mais Gérald Darmanin a reconnu
« la difficulté et la lenteur d’exécution des peines ». Il a
également admis que ces dernières pouvaient manquer de « lisibilité, d’efficacité,
et parfois même de sens. Il est difficile d’articuler prévention,
exécution et réinsertion ».
Des peines qui manquent
également de contenu, selon le ministre de la Justice. « Or une peine
sans contenu est une peine vide de sens », a-t-il assuré. La peine est
aussi jugée comme illisible par le garde des Sceaux, qui la considère « souvent
perdue dans un empilement de mécanismes et de régimes dérogatoires ». Une
réflexion a déjà été engagée pour simplifier l’échelle des peines.
Objectif de la Chancellerie :
« Recentrer [le] droit autour de quatre piliers clairs : la peine
de prison, la peine de probation, l’amende – notamment sous forme de
jours-amende –, et les interdictions et obligations », afin d’aboutir
à un système « plus lisible, plus efficace et véritablement dissuasif,
plus simple pour le magistrat et plus compréhensible pour le citoyen ».
Le ministre de la Justice a
appelé à ce que « l’échelle des peines ne soit plus une collection
hétéroclite de sanctions, jusqu’à 235 pour le magistrat, mais un outil cohérent
et intelligible ». Gérald Darmanin veut faire en sorte que l’intégralité
des peines prononcées soient correctement exécutées, afin de « redonner
de la valeur au prononcé judiciaire et à l’autorité de l’État ».
« La peine ne s’arrête pas au prononcé du jugement, mais commence au
prononcé du jugement : elle s’exécute, se comprend, se transforme. Elle
porte un message pour la société et un chemin pour la personne condamnée. »
Les SPIP, une « richesse
ignorée »
Les échanges effectués à
l’occasion de ces États généraux permettront d’« analyser l’évolution
et les missions des SPIP (services pénitentiaires d’insertion et de probation)
au sein de la chaine pénale pour faire émerger des pistes concrètes permettant
d’améliorer l’accompagnement des personnes placées sous main de justice qui
leur sont confiées », a détaillé le ministère de la Justice dans un
communiqué.
« Il est urgent de
restructurer, donner les moyens », a renchéri Gérald Darmanin,
constatant des SPIP « sous tension, aux marges floues, et parfois aux
moyens dérisoires ». Le garde des Sceaux a annoncé souhaiter que cette
« richesse ignorée » soit renforcée par la mise en œuvre d’un
« cap politique plus clair, une reconnaissance statutaire solide et une
visibilité publique assumée ».
Les semaines de réflexions à
venir devront également être « un moment pour rendre visible ce qui est
trop souvent invisible : les réussites silencieuses des SPIP, le travail
quotidien des CPIP (conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation), et
les ponts qu’ils bâtissent entre les personnes condamnées et la société ».
Le ministre a assuré attendre « une justice pénale exigeante et une
probation qui n’est ni une indulgence, ni une impasse, mais une alternative
crédible, encadrée, ambitieuse pour favoriser le parcours de chacun et éviter
au maximum le milieu carcéral ».
Parmi les propositions
avancées par le ministre figure la catégorisation des personnes prévenues, qui
selon lui « manque d’efficience et de bon sens ». L’ancien
maire de Tourcoing a regretté que seuls la durée de la peine et le statut
juridique devant le juge soient pris en compte pour l’affectation dans le
milieu carcéral fermé comme ouvert, prenant l’exemple du Royaume-Uni et de
l’Allemagne, pour qui « une différenciation selon la dangerosité des
profils des détenus et leur capacité à se réinsérer » est effectuée.
Pour le garde des Sceaux, de tels
critères pourraient permettre « une gestion carcérale plus sûre et plus
efficace ». Gérald Darmanin souhaite la mise en place d’établissements
spécialisés, de régimes de détention adaptés, et d’« une affectation
sur mesure qui ne se fasse uniquement pas entre maison d’arrêt et établissement
pour personnes définitivement condamnée ».
Un rapport rendu public en
décembre
Cette phase de discussions
suit une première phase, qui s’étale entre avril et juillet, consacrée à des
diagnostics, rencontres, enquêtes et auditions de professionnels. Bilan de
cette première phase selon le ministre : dix directions interrégionales
consultées, des dizaines de sites visités, des centaines de professionnels déjà
entendus.
Prochaine étape prévue entre
septembre et novembre : des tables rondes locales et nationales qui
concerneront SPIP, magistrats, élus, partenaires et chercheurs. Un rapport de
synthèse rendu public au début du mois de décembre devrait formuler « des
propositions innovantes, consensuelles, certaines mises en œuvre à droit
constant, d’autres appelant des ajustements législatifs ».
Ces États généraux devraient également
permettre au garde des Sceaux de peaufiner son projet de réforme de la
politique pénale. Prévu pour une présentation au Premier ministre à la rentrée,
le texte devrait contenir une dizaine d’article « revoyant le sursis,
l’aménagement des peines et remettant en place des courtes peines ».
Gérald Darmanin avait
notamment évoqué plus tôt dans le mois la suppression du sursis pour les
petites peines, qui selon lui ne permet pas de lutter contre la récidive, au
profit de peines de travail d’intérêt général ou de détention à domicile. Le
ministre a néanmoins précisé que la première version du projet de loi ne
contiendrait aucune proposition liée à ces États généraux. Mais des articles de
ce projet de loi seront laissés libres, « afin que syndicats et
professionnels décident ensemble de ces questions très importantes ».
Gérald Darmanin souhaite clôturer
ces États généraux d’ici le mois de novembre, avec, à la clé, « le plus
rapidement possible, des changements pour l’ensemble de ceux qui travaillent
pour la probation », afin que la celle-ci ne soit plus considérée
comme « le parent pauvre de la chaîne pénale ».
Alexis
Duvauchelle