DROIT

Radiation d’office du RCS, encadrement de l’accès : le registre des bénéficiaires effectifs poursuit son évolution

Radiation d’office du RCS, encadrement de l’accès : le registre des bénéficiaires effectifs poursuit son évolution
Publié le 04/07/2025 à 12:03

La loi narcotrafic autorise désormais les greffiers de tribunal de commerce à radier d'office les entreprises du registre du commerce et des sociétés en cas de manquement à ses obligations de déclaration des informations relatives aux bénéficiaires effectifs. Une évolution qui s’ajoute au récent encadrement de l’accès au registre des bénéficiaires effectifs, désormais réservé aux autorités compétentes et aux personnes justifiant d’un intérêt légitime.

Ça bouge du côté du registre des bénéficiaires effectifs (RBE), lancé en 2017. Le dernier changement est en date du 13 juin 2025, avec la promulgation de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Ce texte a introduit dans le Code monétaire et financier, via son article 4, trois dispositions concernant la radiation d'office du registre du commerce et des sociétés (RCS) d’une entreprise en cas de manquement à ses obligations de déclaration des informations relatives aux bénéficiaires effectifs.

Alors que jusqu’à présent, la société ne s’exposait qu’à une injonction du président du tribunal de procéder aux déclarations ou mises en conformité nécessaires dans le RBE, l’entreprise risque désormais la radiation d’office par un greffier du tribunal de commerce si elle ne régularise pas sa situation dans un délai de trois mois après la notification de sa mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à son siège social.

En parallèle, les professionnels assujettis à la lutte contre le blanchiment (banques, notaires, commissaires de justice, etc.) doivent signaler aux greffes tout écart ou absence de déclaration constaté dans le cadre de leurs obligations de vigilance. En cas d’inaction persistante de la société après une mise en demeure, une procédure de radiation d’office est également possible.

Après injonction d’un président de tribunal de commerce, si l’entreprise ne coopère pas, un greffier doit en aviser le procureur de la République, et peut également procéder à la radiation d’office du RCS, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision.

Dans tous les cas, la décision de radiation d'officedoit ensuite être communiquée à l’Inpi, gestionnaire du registre, et au parquet. Cette radiation d'office du RCS n’entraîne cependant pas la perte de la personnalité morale de la société.

L’accès au registre désormais limité

Plus tôt dans l’année, le 30 avril, était promulguée une loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne. Celle-ci opère une refonte complète du cadre d'accès au RBE, en transposant la 6e directive européenne anti-blanchiment du 31 mai 2024.

Car si le registre était à son lancement accessible au grand public, la Cour de justice de l’Union européenne avait jugé en 2022 que cet accès universel était contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en matière de respect de la vie privée et protection des données personnelles. La France avait, depuis le 31 juillet 2024 et à la suite de la publication de la 6e directive européenne anti-blanchiment, limité aux seules personnes « justifiant d’un intérêt légitime » dans l’attente de la transposition de la directive.

C’est maintenant chose faite. Désormais, l’accès intégral et gratuit au RBE est possible pour les autorités compétentes intervenant en matière de lutte contre le blanchiment, la corruption ou la fraude, c’est-à-dire les diverses autorités nationales (Agence française anticorruption, inspection du travail, services de protection des intérêts scientifiques et économiques, Haute Autorité pour la transparence de la vie publique), mais aussi celles européennes (Parquet européen, Office européen de lutte anti-fraude, Europol, Eurojust, Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent), voire étrangères (autorités homologues). Les personnes morales soumises à déclaration des bénéficiaires effectifs ainsi que les personnes physiques bénéficiaires effectifs pourront également avoir accès à leurs propres informations.

« La traçabilité des structures juridiques complexes est renforcée », estime le président du CNGTC

De plus, un accès pour les personnes « justifiant d’un intérêt légitime » a été intégré dans le Code monétaire et financier. Seules seront disponibles les informations relatives au nom, au nom d'usage, au pseudonyme, aux prénoms, aux mois et année de naissance, à l'État de résidence, à la chaîne de propriété, aux données historiques et à la nationalité des bénéficiaires effectifs ainsi qu'à la nature et à l'étendue des intérêts effectifs qu'ils détiennent dans la société ou l'entité. Les journalistes, organismes à but non lucratif, chercheurs universitaires, personnes susceptibles d'être en relation d'affaires avec une société ou encore collectivités territoriales et membres du Parlement font partie des personnes physiques ou morales qui peuvent y avoir accès : ces catégories bénéficient d’une présomption d’intérêt légitime, ce qui leur permet d’accéder aux informations sans justifications détaillées. L'Inpi ou les greffiers de tribunaux de commerce devront instruire les demandes d’accès reçues et vérifier l'existence de cet intérêt légitime.

« Une appréciation est effectuée au cas par cas sur l'existence de l'intérêt légitime au vu des justifications fournies, et chaque catégorie est assortie de limites strictes quant à l'usage et la diffusion des données » détaille auprès du JSS Victor Geneste, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC). L’institution représentative des greffiers de tribunal de commerce a porté l’ajout de la chaîne de propriété dans les informations accessibles via ce deuxième accès, dans un livre blanc aux 15 propositions publié en fin d’année dernière.

Objectif : faire en sorte « que la traçabilité des structures juridiques complexes, souvent utilisées à des fins d'optimisation ou de dissimulation, soit renforcée », explique Victor Geneste. Le président du CNGTC estime que ces mesures vont permettre de renforcer la lutte antifraude par l’obligation future d’identifier les entités juridiques interposées entre l'entité déclarante et le bénéficiaire effectif. Avec les données historiques, l'accès à la chaîne de propriété sera mis à disposition, après publication d'un décret en fixant les modalités, au plus tard le 10 juillet 2026.

Les bénéficiaires effectifs pourront quant à eux se faire communiquer l'identité des personnes justifiant d'un intérêt légitime ayant consulté les informations les concernant. Si les données ont été consultés par des journalistes ou des organismes à but non lucratif, seule la profession pourra être communiquée. Dans le cas de la consultation des données par une autorité publique compétente dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme d'un État non membre de l'UE, cette autorité pourra demander à l'Inpi et au greffier de ne pas communiquer son identité le temps de l'enquête, sans dépasser une durée qui sera prochainement fixée par décret.

Alexis Duvauchelle

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