ÉCONOMIE

« Le discours catastrophiste sur le surendettement est contre-productif et nourrit la spéculation »

« Le discours catastrophiste sur le surendettement est contre-productif et nourrit la spéculation »
Publié le 27/08/2025 à 15:37

INTERVIEW. Soutenir le gouvernement à tout prix pour éviter « l’asphyxie ». C’est, en substance, ce qui ressort de la conférence de presse du Premier ministre François Bayrou, lundi 25 août, lors de laquelle ce dernier a aussi appelé à un vote de confiance de l’Assemblée nationale, le 8 septembre, pour préparer les débats sur le budget, avec comme objectif la réalisation de 44 milliards d’euros d’économies. Pour l’économiste Henri Sterdyniak, cette politique va conduire à une récession sur plusieurs années. Le plan budgétaire préparé par Matignon lui apparaît déséquilibré, économiquement et socialement.

JSS : Quel est votre regard sur la conférence de presse du Premier ministre François Bayrou, notamment sur ses propos concernant la dette ?

Henri Sterdyniak : La France a un déficit important, qui apparaît comme élevé en Europe, mais qui n’est pas exorbitant à l’échelle mondiale, si on le compare avec le déficit du Japon, des États-Unis, du Royaume-Uni. Il faut réduire ce déficit. Il peut y avoir un accord là-dessus. Le problème, c’est que pour les uns, il faut avant tout réduire les dépenses sociales. Pour les autres, il faut avant tout réduire les dépenses faites pour les immigrés et le « train de vie » de l’État. Pour d’autres, encore, il faut avant tout augmenter les impôts des plus riches et des plus grandes entreprises. François Bayrou demande une carte blanche sur la réduction du déficit sans vouloir discuter des mesures précises. Naturellement, il va à l’échec.

Par ailleurs, le discours catastrophiste sur le surendettement est contre-productif et nourrit la spéculation.

JSS : À quels effets économiques du programme budgétaire faut-il s’attendre, si d’aventure le gouvernement obtenait un vote de confiance le 8 septembre prochain ?

H.S. : Certes, la France a eu un déficit public de 5,8 % du PIB l’année dernière, mais elle n’a aucun déficit extérieur et n’a aucune tendance à l’inflation. Au contraire, c’est l’un des pays où l’inflation est la plus basse. Son problème est que les ménages épargnent beaucoup alors que les entreprises ne veulent pas s’endetter. Ce qui fait que la dette publique correspond à l’épargne des ménages. Si demain, la France pratique une politique d’austérité en réduisant son déficit public, le grand risque est que cela entraîne une baisse d’activité qui ne pourra pas être compensée par une dépréciation du taux de change, ni par une baisse du taux d’intérêt.

Le risque est aussi que la France, pendant trois ou quatre ans, soit en situation de récession, comme cela est arrivé aux pays d’Europe du Sud après la crise des dettes de la zone euro, ou comme cela est arrivé à l’Allemagne dans les années 2000, lorsqu’elle a pratiqué une politique restrictive de stagnation des salaires. Est-on prêt pour trois à quatre années de récession pour réduire le déficit public alors que la France n’est pas en situation de surchauffe économique ? C’est la grande question.

JSS : Peut-on dire, selon vous, que les mesures concernant la protection sociale soient pertinentes - ou non - pour permettre une relance de l’activité économique et un redressement des comptes publics ?

H.S. : Pour stabiliser sa dette, en pourcentage du PIB, la France aurait besoin de récupérer 4 points de PIB, soit 120 milliards d’euros. Le programme de Bayrou était de récupérer 0,8 points de PIB, soit 24 milliards d’euros. Ce n’était qu’une petite partie de l’objectif. Il n’a pas osé annoncer la manière dont il faisait ces 120 milliards d’euros d’économies. On restait dans l’expectative. Par ailleurs, réduire les allocations aux plus pauvres et aux familles aurait un effet particulièrement dépressif.

La désindexation des retraites et des allocations n’a été annoncée que pour un an, soit une baisse de seulement 1 % en pouvoir d’achat, soit 6 milliards d’euros. C’est loin de l’objectif. Le problème, c’est que Bayrou n’a pas présenté un plan cohérent sur quatre ans, nous permettant d’économiser ces 120 milliards d’euros sans trop nuire à l’activité. Or, pour ne pas nuire à l’activité, il faudrait, en même temps, récupérer une partie des recettes nécessaires sur les plus riches, qui ont le plus grand taux d’épargne, et faire de la politique industrielle. Ce que Bayrou n’a pas osé annoncer. Cela restait quand même un plan bancal, compte-tenu de la situation.

JSS : Quelles propositions alternatives seraient les plus à même de répondre aux objectifs que se fixe le gouvernement en matière de politique budgétaire ?

H.S. : La politique budgétaire, ce n’est pas seulement de l’économie. C’est aussi du social et de la politique. On aurait aimé un plan plus équilibré, avec des mesures fortes contre l’optimisation fiscale, des mesures pour taxer les plus riches qui vivent grâce à des plus-values, une politique plus courageuse de suppression des niches fiscales, avec des mesures pour réduire une partie de des aides aux grandes entreprises, de manière à avoir un plan socialement plus équilibré.

Par ailleurs, il faut inciter fortement à l’investissement productif, par exemple, en développant BPI France, en impulsant des programmes de politique industrielle, de sorte que l’activité ne souffre pas de cette baisse du déficit public. Notre problème, c’est qu’on a un déficit public, on a des ménages qui épargnent trop. Il s’agit de prendre aux ménages les plus riches. Et on a des entreprises qui n’investissent pas assez : il faut les inciter à investir. Les entreprises ont déjà des taux de marge satisfaisants. C’est le système bancaire et financier qu’il faut encourager, pour qu’effectivement, il finance plus le secteur productif.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin


0 commentaire
Poster