INTERVIEW.
Soutenir le gouvernement à tout prix pour éviter « l’asphyxie ».
C’est, en substance, ce qui ressort de la conférence de presse du Premier
ministre François Bayrou, lundi 25 août, lors de laquelle ce dernier a aussi appelé à
un vote de confiance de l’Assemblée nationale, le 8 septembre, pour préparer
les débats sur le budget, avec comme objectif la réalisation de 44 milliards
d’euros d’économies. Pour l’économiste Henri Sterdyniak, cette politique va
conduire à une récession sur plusieurs années. Le plan
budgétaire préparé par Matignon lui apparaît déséquilibré, économiquement et
socialement.
JSS : Quel est votre regard sur la conférence de presse du
Premier ministre François Bayrou, notamment sur ses propos concernant la dette
?
Henri Sterdyniak
: La France a un déficit important, qui apparaît comme
élevé en Europe, mais qui n’est pas exorbitant à l’échelle mondiale, si on le compare
avec le déficit du Japon, des États-Unis, du Royaume-Uni. Il faut réduire ce
déficit. Il peut y avoir un accord là-dessus. Le problème, c’est que pour les
uns, il faut avant tout réduire les dépenses sociales. Pour les autres, il faut
avant tout réduire les dépenses faites pour les immigrés et le « train de
vie » de l’État. Pour d’autres, encore, il faut avant tout augmenter les
impôts des plus riches et des plus grandes entreprises. François Bayrou demande
une carte blanche sur la réduction du déficit sans vouloir discuter des mesures
précises. Naturellement, il va à l’échec.
Par
ailleurs, le discours catastrophiste sur le surendettement est contre-productif
et nourrit la spéculation.
JSS : À
quels effets économiques du programme budgétaire faut-il s’attendre, si
d’aventure le gouvernement obtenait un vote de confiance le 8 septembre
prochain ?
H.S. : Certes, la France a eu un déficit public de 5,8 % du PIB
l’année dernière, mais elle n’a aucun déficit extérieur et n’a aucune tendance
à l’inflation. Au contraire, c’est l’un des pays où l’inflation est la plus
basse. Son problème est que les ménages épargnent beaucoup alors que les
entreprises ne veulent pas s’endetter. Ce qui fait que la dette publique
correspond à l’épargne des ménages. Si demain, la France pratique une politique
d’austérité en réduisant son déficit public, le grand risque est que cela
entraîne une baisse d’activité qui ne pourra pas être compensée par une
dépréciation du taux de change, ni par une baisse du taux d’intérêt.
Le
risque est aussi que la France, pendant trois ou quatre ans, soit en situation
de récession, comme cela est arrivé aux pays d’Europe du Sud après la crise des
dettes de la zone euro, ou comme cela est arrivé à l’Allemagne dans les années
2000, lorsqu’elle a pratiqué une politique restrictive de stagnation des
salaires. Est-on prêt pour trois à quatre années de récession pour réduire le déficit
public alors que la France n’est pas en situation de surchauffe économique ?
C’est la grande question.
JSS : Peut-on
dire, selon vous, que les mesures concernant la protection sociale soient
pertinentes - ou non - pour permettre une relance de l’activité économique et
un redressement des comptes publics ?
H.S. : Pour stabiliser sa dette, en pourcentage du PIB, la
France aurait besoin de récupérer 4 points de PIB, soit 120 milliards d’euros.
Le programme de Bayrou était de récupérer 0,8 points de PIB, soit 24 milliards
d’euros. Ce n’était qu’une petite partie de l’objectif. Il n’a pas osé annoncer
la manière dont il faisait ces 120 milliards d’euros d’économies. On restait
dans l’expectative. Par ailleurs, réduire les allocations aux plus pauvres et
aux familles aurait un effet particulièrement dépressif.
La
désindexation des retraites et des allocations n’a été annoncée que pour un an,
soit une baisse de seulement 1 % en pouvoir d’achat, soit 6 milliards d’euros.
C’est loin de l’objectif. Le problème, c’est que Bayrou n’a pas présenté un
plan cohérent sur quatre ans, nous permettant d’économiser ces 120 milliards
d’euros sans trop nuire à l’activité. Or, pour ne pas nuire à l’activité, il
faudrait, en même temps, récupérer une partie des recettes nécessaires sur les
plus riches, qui ont le plus grand taux d’épargne, et faire de la politique
industrielle. Ce que Bayrou n’a pas osé annoncer. Cela restait quand même un
plan bancal, compte-tenu de la situation.
JSS : Quelles
propositions alternatives seraient les plus à même de répondre aux objectifs
que se fixe le gouvernement en matière de politique budgétaire ?
H.S. : La politique budgétaire, ce n’est pas seulement de
l’économie. C’est aussi du social et de la politique. On aurait aimé un plan
plus équilibré, avec des mesures fortes contre l’optimisation fiscale, des
mesures pour taxer les plus riches qui vivent grâce à des plus-values, une
politique plus courageuse de suppression des niches fiscales, avec des mesures
pour réduire une partie de des aides aux grandes entreprises, de manière à
avoir un plan socialement plus équilibré.
Par
ailleurs, il faut inciter fortement à l’investissement productif, par exemple,
en développant BPI France, en impulsant des programmes de politique
industrielle, de sorte que l’activité ne souffre pas de cette baisse du déficit
public. Notre problème, c’est qu’on a un déficit public, on a des ménages qui
épargnent trop. Il s’agit de prendre aux ménages les plus riches. Et on a des
entreprises qui n’investissent pas assez : il faut les inciter à investir.
Les entreprises ont déjà des taux de marge satisfaisants. C’est le système
bancaire et financier qu’il faut encourager, pour qu’effectivement, il finance
plus le secteur productif.
Propos recueillis par Jonathan Baudoin