INTERVIEW. Véritable « lieu de
rencontres » entre les petites associations souhaitant obtenir des
conseils juridiques et les avocats sensibles à la condition animale, toutes
spécialités confondues, l’association L’Arche de Justice, créée en juin dernier,
est la première plateforme de centralisation des demandes entre ces deux
parties. Rencontre avec Valentine Labourdette, élève-avocate et présidente de
l’association, et Amira Aissaoui, secrétaire générale.
Journal Spécial des
Sociétés : Comment et pourquoi est née l’association l’Arche de
Justice ? Quel est le but poursuivi ?
Valentine Labourdette : Si
les grandes associations comme la SPA, L214 ou encore 30 Millions d’Amis ont un
bon service juridique avec pléthores d’avocats attitrés, pour les plus petites
associations de protection animale avec très peu de moyens financiers, ce n’est
pas du tout le cas.
Nous nous sommes dit que cela
pouvait être utile de proposer, à titre gratuit, des services juridiques pour
ces petites structures qui auraient besoin de conseils ou d’un accompagnement
juridique.
Amira Aissaoui : Et
surtout, nous avons remarqué qu’il n’y avait pas de plateforme qui centralisait
les avocats faisant du pro bono pour les associations de protection animale.
Notre objectif a donc été de créer cet outil qui permet aux associations,
lorsqu’elles s’y connectent, de pouvoir prendre connaissance d’avocats dédiés à
la cause animale prêts à les aider. C’est un gain de temps pour les
associations qui, ne sachant pas vers qui se tourner, iraient chercher sur
Google tel ou tel avocat généraliste.
Et de l’autre côté, les
avocats intéressés par la question de la protection animale ont cet outil qui regroupe
les demandes d’associations. C’est le lieu de rencontres entre les besoins des
associations et le besoin des avocats qui veulent faire du pro bono, mais qui ne
savent pas où aller. On se considère comme des facilitateurs.
La force de L’Arche de Justice,
c’est qu’un premier tri des dossiers est opéré, de façon à orienter le bon
dossier vers le bon avocat.
V. L. :
On a vraiment la volonté de créer un réseau. Nous avons reçu des demandes
d’avocats, et notamment d’une avocate en droit du travail qui s’interrogeait
sur la pertinence de sa spécialité, qui peut sembler éloignée de la question
animale. Mais dans l’idée, on souhaite proposer toutes les spécialités au
service des associations, car même le droit du travail peut servir ! Par
exemple, pour une personne souhaitant embaucher quelqu’un au sein de son
association mais qui ne sait pas comment faire, un avocat en droit du travail peut
s’avérer utile.
JSS : Comment se passe
l’accompagnement de ces petites associations et quelles sont les problématiques
qu’elles rencontrent le plus souvent ?
V. L. : On
demande dans un premier temps aux associations de décrire leur problématique de
manière assez détaillée. Ensuite, un premier entretien est réalisé entre elle
et l’avocat. Entretien qui, selon la difficulté du cas, peut également se faire
par écrit.
Est ensuite rédigée une
consultation juridique avec tous les aspects de la demande. Elle vient qualifier
juridiquement la situation, avancer tous les arguments. Les avocats donnent des
conseils sur la manière de procéder, les chances de succès et les éléments en
faveur des associations, par exemple, dans une affaire où elles voudraient
porter en justice une affaire de maltraitance. L’association peut ensuite choisir
de continuer, ou non, avec l’avocat proposé.

« Les
problématiques les plus récurrentes sont les affaires de maltraitance »
Valentine Labourdette, élève-avocate et présidente de l'Arche de Justice - DR
Les avocats de l’association
peuvent également accompagner les associations jusqu’au procès, s’il y en a un.
On agit autant en conseil qu’en contentieux.
Côté problématiques, les plus
récurrentes sont celles de pure maltraitance. Mais des associations peuvent aussi
rencontrer des problèmes avec les préfectures. Le cas s’est présenté avec une
association qui accueillait des chiens dits dangereux, dans un espace trop
restreint pour le nombre initialement fixé par la préfecture. Or, c’était soit
ça soit, l’euthanasie pour ces animaux. Le cas était complexe.
Se pose également la question
de la propriété de l’animal, car si des personnes veulent agir sur le terrain
pénal lorsqu’il y a des maltraitances, mais qu’elles ne sont pas propriétaires
de l’animal, elles doivent passer par une association dont l’objet est la
protection des animaux. Sinon, nous ne pourrons pas agir.
JSS : Combien
d’organismes ont déjà sollicité l’association pendant ses jeunes mois
d’existence ?
V. L. :
Des réseaux d’associations ou de refuges ont déjà fait appel à nous. Ces
structures sont d’ailleurs des groupements de plusieurs structures, à l’instar
du Réseau des refuges animalistes.
A. A. :
Nous avons même été contactés par des particuliers pour différentes
problématiques, bien qu’ils ne soient pas le public visé par L’Arche de Justice,
dont un couple, expulsé de chez lui un vendredi soir sans son chat, que l’huissier
n’avait pas vu.
Le temps de prendre
connaissance du message, le couple avait finalement réussi à retrouver son
animal, qui autrement serait resté tout le week-end sans eau ni nourriture,
alors même qu’il faisait très chaud. Et ce qui est émouvant dans cette histoire,
c’est que ces personnes ne se plaignaient pas d’être expulsées, mais du fait
que leur animal se soit retrouvé bloqué.
Nous redirigeons généralement
les particuliers vers d’autres associations pour qu’ils soient pris en charge
par des avocats partenaires.
JSS : Associations,
refuges, ONG… peuvent donc trouver un accompagnement juridique auprès d’avocats
bénévoles sensibles à la condition animale. Combien d’avocats ont déjà rejoint
votre cause et quelle est la démarche pour vous rejoindre ?
V. L. :
Entre 10 et 15 avocats nous ont rejoints depuis la création de l’association en
juin dernier.
A. A. :
D’ailleurs, dès que nous avons communiqué sur nos réseaux sur la création de L’Arche
de Justice, nous avons immédiatement été contactées par des avocats ! En
deux jours, huit avocats se sont dit entièrement partants et nous ont fait part
de leur souhait de devenir partenaires.
On a eu vraiment l’impression
que c’était quelque chose de très attendu, tant pour les avocats que les
associations.
V. L. : Et
pour ceux qui voudraient nous rejoindre, il suffit de passer par notre site
internet, de remplir le formulaire, puis nous les recontacterons. Nous faisons
un entretien téléphonique pour identifier ce que les avocats voudraient faire,
connaître leur spécialité et voir ce qu’ils pourraient apporter à une
association.
Les associations de leur côté
doivent renseigner leur besoin, en précisant s’il est plus ponctuel ou
structurel (sur le long terme). La localisation et la spécialité de l’avocat
demandé doit aussi faire partie des choses que l’on doit savoir.
Ça peut être des spécialités
en droit public ou pénal, ainsi qu’en droit des contrats. Une avocate en droit
pénal spécialisée en droit équin nous a contactées, et on s’est dit qu’en cas
de problématique spécifique sur les chevaux, son expertise pourrait être un
atout. Toutes les spécialités sont bienvenues.
A. A. :
Des spécialités en droit d’urbanisme ou de l’environnement, en particulier les
avocats qui s’intéressent à la problématique des animaux sauvages, sont
également très appréciées.
JSS : L’engouement pour
cette initiative semble au rendez-vous. L’Arche de Justice est-elle la seule
structure à proposer des conseils juridiques gratuits sur la question de la
protection animale ?
A. A. :
Il n’y a pas de structures aujourd’hui qui mettent en relation des associations
et des avocats sur ces questions, et nous avons identifié ce besoin, surtout
Valentine qui, au moment de notre rencontre, m’a parlé de sa volonté de créer
une association dédiée à la cause animale.
Il existe des associations qui
mettent en relation bénéficiaires et avocats, notamment Droit Pluriel, qui met
en lien des personnes en situation en handicap avec des avocats.

« On
a vraiment l’impression que c’était quelque chose de très attendu »
Amira Aissaoui, secrétaire générale de l'Arche de Justice - DR
V. L. :
C’est en effet quelque chose qui n’existait pas, toutefois L’Arche de Justice s’inspire
d’autres associations qui elles agissent pour les humains.
On a remarqué par ailleurs que
beaucoup d’avocats avaient envie de faire du pro bono sur la question de la protection
animale, et attendaient le moyen d’être au contact d’associations qui ont
besoin d’eux.
L’association Défense et
dignité animales, portée par une avocate marseillaise, a un objectif un peu
similaire au nôtre puisqu’elle a créé un réseau d’avocats, qui défend des
particuliers qui ont eu leur animal maltraité. Elle agit sur le terrain pénal,
là où nous accompagnons aussi les associations pour rédiger des contrats ou
leur prodiguons des conseils.
JS : Le droit et la
protection des animaux ont connu plusieurs avancées récemment, à l’instar de
l’introduction dans le Code civil de la notion de sensibilité pour les animaux
domestiques, le lancement d’une déclaration
européenne des droits de l’animal ou encore une convention en
leur faveur dans le cadre de violences intrafamiliales. Que reste-t-il encore à
faire selon vous, tant au civil qu’au pénal ?
V. L. :
Pour moi, il y a deux problématiques : celle du droit existant, et celle
de son application. On a un droit avec beaucoup de limites, mais si le droit
était appliqué, cela changerait déjà beaucoup de choses !
Il est interdit d’abandonner
un animal, mais malgré les statistiques d’abandons - avec des refuges qui croulent
sous le nombre d’animaux -, les condamnations restent extrêmement rares.
Il y a toutefois des
avancées. Une avocate lilloise a réussi à faire reconnaitre le préjudice
animalier comme on parle du préjudice écologique. Mais il s’agit-là d’une
avancée un peu symbolique, qui n’est pas à la hauteur de ce que cela devrait
être.
Sur le droit spécifiquement,
il y a eu la loi
assez ambitieuse de 2021 sur la maltraitance animale portée par Loïc Dombreval,
un ancien vétérinaire (président du Conseil national de la protection animale
et membre de La République en marche, ndlr). Elle demandait l’interdiction
des animaux sauvages dans les cirques, l’interdiction de la vente de chats et
chiens en animalerie, des delphinariums... Il y avait beaucoup de choses, mais
le gros sujet complètement exclu a été celui des animaux dans les élevages et les
fermes, alors qu’il s’agit là du domaine où la souffrance animale est la plus
exacerbée. C’est aussi un sujet qui relève de problématiques agricoles et qui mériterait
une autre loi.
Sur la question des animaux
d’élevage, il y a de très gros sujets de barbarie, avec la castration à vif des
porcs, qui est autorisée, ce qui est complètement fou : on réglemente la
protection des animaux de compagnie, et à côté on autorise ces pratiques, ainsi
que l’élevage des poules en cages, pour citer un autre exemple.
Il y a également une
dimension politique. Emmanuel Macron avait promis l’interdiction de l’élevage
des poules en cage, mais on l’attend toujours. Un gros chantier, aussi bien sur
l’application du droit que l’aspect législatif, reste à mener.
JSS : Comment se place
la France en matière de protection animale au regard de voisins européens ou
d’autres pays plus précurseurs ?
V. L. :
En plus de la réglementation, certaines traditions sont aussi spécifiques à la
France. Je pense tout de suite au foie gras. Dans quasiment tous les pays de
l’Union européenne, la production de foie gras est interdite. La France la protège
juridiquement comme faisant partie du patrimoine culturel.
Il y a aussi des spécificités
religieuses qui autorisent certaines pratiques. L’étourdissement des animaux
avant les saignées dans les abattoirs est considérée par la Fédération des vétérinaires
d’Europe comme nécessaire pour le respect du bien-être animal dans toutes
circonstances, mais on autorise des dérogations pour respecter les libertés
religieuses.
La corrida est autorisée en
France dans les régions où il y a une tradition locale ininterrompue, mais elle
est complètement interdite dans les autres.
Finalement, le bien-être
animal est toujours heurté à la tradition. C’est une grosse problématique :
au niveau de l’UE et du Conseil de l’Europe, la question des droits fondamentaux
humains et des libertés religieuses et culturelles s’applique. Or, l’article 13
du Traité sur le fonctionnement de l’UE parle de l’animal comme un être doué de
sensibilité. Il y a donc l’idée de respecter le bien-être au niveau européen, mais
cette idée est nuancée avec la prise en compte des spécificités des États
membres.
JSS : Avec
l’Arche de Justice et le travail d’autres associations, pensez-vous pouvoir
faire bouger les choses ?
V.L. :
On l’espère bien sûr, et je pense qu’il faut multiplier les initiatives. C’est
aussi un peu l’idée de l’association, celle d’investir tous les terrains.
Et avant d’investir le champ
juridique, j’ai été très active au Parti animaliste. Pour moi, il y a aussi le terrain
politique et du lobbying, avec notamment Convergence Animaux Politique. Il faut
que tous ceux qui ont de l’influence sur ce thème montrent qu’il n’est pas accessoire,
mais bien réel, et qu’ils démontrent aussi que la manière dont on traite les
animaux en dit beaucoup sur la façon dont on traite autrui quand il est
différent.
JDD : La création d’un
ministère dédié à la cause animale est-il possible en l’état actuel des choses,
selon vous ?
V. L. :
La question ne serait pas uniquement la création du ministère en tant que tel,
mais quels moyens seront octroyés à celui-ci. Si on le crée dans le simple but
d’en faire un porte-drapeau pour dire « on est des pionniers sur la
question de la condition animale », je pense que ce ne serait pas très
utile.
La question animale est
traitée au sein d'autres ministères, comme le ministère de l'Agriculture, ce
qui peut engendrer des conflits d'intérêt. Créer un ministère dédié à la
condition animale serait le moyen d'éviter cela.
Propos
recueillis par Allison Valin