SOCIÉTÉ

« Beaucoup d’avocats ont envie de faire du pro bono sur les questions de protection animale »

« Beaucoup d’avocats ont envie de faire du pro bono sur les questions de protection animale »
Publié le 27/08/2025 à 09:38

INTERVIEW. Véritable « lieu de rencontres » entre les petites associations souhaitant obtenir des conseils juridiques et les avocats sensibles à la condition animale, toutes spécialités confondues, l’association L’Arche de Justice, créée en juin dernier, est la première plateforme de centralisation des demandes entre ces deux parties. Rencontre avec Valentine Labourdette, élève-avocate et présidente de l’association, et Amira Aissaoui, secrétaire générale.

Journal Spécial des Sociétés : Comment et pourquoi est née l’association l’Arche de Justice ? Quel est le but poursuivi ?

Valentine Labourdette : Si les grandes associations comme la SPA, L214 ou encore 30 Millions d’Amis ont un bon service juridique avec pléthores d’avocats attitrés, pour les plus petites associations de protection animale avec très peu de moyens financiers, ce n’est pas du tout le cas.

Nous nous sommes dit que cela pouvait être utile de proposer, à titre gratuit, des services juridiques pour ces petites structures qui auraient besoin de conseils ou d’un accompagnement juridique.

Amira Aissaoui : Et surtout, nous avons remarqué qu’il n’y avait pas de plateforme qui centralisait les avocats faisant du pro bono pour les associations de protection animale. Notre objectif a donc été de créer cet outil qui permet aux associations, lorsqu’elles s’y connectent, de pouvoir prendre connaissance d’avocats dédiés à la cause animale prêts à les aider. C’est un gain de temps pour les associations qui, ne sachant pas vers qui se tourner, iraient chercher sur Google tel ou tel avocat généraliste.

Et de l’autre côté, les avocats intéressés par la question de la protection animale ont cet outil qui regroupe les demandes d’associations. C’est le lieu de rencontres entre les besoins des associations et le besoin des avocats qui veulent faire du pro bono, mais qui ne savent pas où aller. On se considère comme des facilitateurs.

La force de L’Arche de Justice, c’est qu’un premier tri des dossiers est opéré, de façon à orienter le bon dossier vers le bon avocat.

V. L. : On a vraiment la volonté de créer un réseau. Nous avons reçu des demandes d’avocats, et notamment d’une avocate en droit du travail qui s’interrogeait sur la pertinence de sa spécialité, qui peut sembler éloignée de la question animale. Mais dans l’idée, on souhaite proposer toutes les spécialités au service des associations, car même le droit du travail peut servir ! Par exemple, pour une personne souhaitant embaucher quelqu’un au sein de son association mais qui ne sait pas comment faire, un avocat en droit du travail peut s’avérer utile.

JSS : Comment se passe l’accompagnement de ces petites associations et quelles sont les problématiques qu’elles rencontrent le plus souvent ?

V. L. : On demande dans un premier temps aux associations de décrire leur problématique de manière assez détaillée. Ensuite, un premier entretien est réalisé entre elle et l’avocat. Entretien qui, selon la difficulté du cas, peut également se faire par écrit.

Est ensuite rédigée une consultation juridique avec tous les aspects de la demande. Elle vient qualifier juridiquement la situation, avancer tous les arguments. Les avocats donnent des conseils sur la manière de procéder, les chances de succès et les éléments en faveur des associations, par exemple, dans une affaire où elles voudraient porter en justice une affaire de maltraitance. L’association peut ensuite choisir de continuer, ou non, avec l’avocat proposé.


« Les problématiques les plus récurrentes sont les affaires de maltraitance »

Valentine Labourdette, élève-avocate et présidente de l'Arche de Justice - DR

Les avocats de l’association peuvent également accompagner les associations jusqu’au procès, s’il y en a un. On agit autant en conseil qu’en contentieux.

Côté problématiques, les plus récurrentes sont celles de pure maltraitance. Mais des associations peuvent aussi rencontrer des problèmes avec les préfectures. Le cas s’est présenté avec une association qui accueillait des chiens dits dangereux, dans un espace trop restreint pour le nombre initialement fixé par la préfecture. Or, c’était soit ça soit, l’euthanasie pour ces animaux. Le cas était complexe.

Se pose également la question de la propriété de l’animal, car si des personnes veulent agir sur le terrain pénal lorsqu’il y a des maltraitances, mais qu’elles ne sont pas propriétaires de l’animal, elles doivent passer par une association dont l’objet est la protection des animaux. Sinon, nous ne pourrons pas agir.

JSS : Combien d’organismes ont déjà sollicité l’association pendant ses jeunes mois d’existence ?

V. L. : Des réseaux d’associations ou de refuges ont déjà fait appel à nous. Ces structures sont d’ailleurs des groupements de plusieurs structures, à l’instar du Réseau des refuges animalistes.

A. A. : Nous avons même été contactés par des particuliers pour différentes problématiques, bien qu’ils ne soient pas le public visé par L’Arche de Justice, dont un couple, expulsé de chez lui un vendredi soir sans son chat, que l’huissier n’avait pas vu.

Le temps de prendre connaissance du message, le couple avait finalement réussi à retrouver son animal, qui autrement serait resté tout le week-end sans eau ni nourriture, alors même qu’il faisait très chaud. Et ce qui est émouvant dans cette histoire, c’est que ces personnes ne se plaignaient pas d’être expulsées, mais du fait que leur animal se soit retrouvé bloqué.

Nous redirigeons généralement les particuliers vers d’autres associations pour qu’ils soient pris en charge par des avocats partenaires.

JSS : Associations, refuges, ONG… peuvent donc trouver un accompagnement juridique auprès d’avocats bénévoles sensibles à la condition animale. Combien d’avocats ont déjà rejoint votre cause et quelle est la démarche pour vous rejoindre ?

V. L. : Entre 10 et 15 avocats nous ont rejoints depuis la création de l’association en juin dernier.

A. A. : D’ailleurs, dès que nous avons communiqué sur nos réseaux sur la création de L’Arche de Justice, nous avons immédiatement été contactées par des avocats ! En deux jours, huit avocats se sont dit entièrement partants et nous ont fait part de leur souhait de devenir partenaires.

On a eu vraiment l’impression que c’était quelque chose de très attendu, tant pour les avocats que les associations.

V. L. : Et pour ceux qui voudraient nous rejoindre, il suffit de passer par notre site internet, de remplir le formulaire, puis nous les recontacterons. Nous faisons un entretien téléphonique pour identifier ce que les avocats voudraient faire, connaître leur spécialité et voir ce qu’ils pourraient apporter à une association.

Les associations de leur côté doivent renseigner leur besoin, en précisant s’il est plus ponctuel ou structurel (sur le long terme). La localisation et la spécialité de l’avocat demandé doit aussi faire partie des choses que l’on doit savoir.

Ça peut être des spécialités en droit public ou pénal, ainsi qu’en droit des contrats. Une avocate en droit pénal spécialisée en droit équin nous a contactées, et on s’est dit qu’en cas de problématique spécifique sur les chevaux, son expertise pourrait être un atout. Toutes les spécialités sont bienvenues.

A. A. : Des spécialités en droit d’urbanisme ou de l’environnement, en particulier les avocats qui s’intéressent à la problématique des animaux sauvages, sont également très appréciées.

JSS : L’engouement pour cette initiative semble au rendez-vous. L’Arche de Justice est-elle la seule structure à proposer des conseils juridiques gratuits sur la question de la protection animale ?

A. A. : Il n’y a pas de structures aujourd’hui qui mettent en relation des associations et des avocats sur ces questions, et nous avons identifié ce besoin, surtout Valentine qui, au moment de notre rencontre, m’a parlé de sa volonté de créer une association dédiée à la cause animale.

Il existe des associations qui mettent en relation bénéficiaires et avocats, notamment Droit Pluriel, qui met en lien des personnes en situation en handicap avec des avocats.


« On a vraiment l’impression que c’était quelque chose de très attendu »

Amira Aissaoui, secrétaire générale de l'Arche de Justice - DR

V. L. : C’est en effet quelque chose qui n’existait pas, toutefois L’Arche de Justice s’inspire d’autres associations qui elles agissent pour les humains.

On a remarqué par ailleurs que beaucoup d’avocats avaient envie de faire du pro bono sur la question de la protection animale, et attendaient le moyen d’être au contact d’associations qui ont besoin d’eux.

L’association Défense et dignité animales, portée par une avocate marseillaise, a un objectif un peu similaire au nôtre puisqu’elle a créé un réseau d’avocats, qui défend des particuliers qui ont eu leur animal maltraité. Elle agit sur le terrain pénal, là où nous accompagnons aussi les associations pour rédiger des contrats ou leur prodiguons des conseils.

JS : Le droit et la protection des animaux ont connu plusieurs avancées récemment, à l’instar de l’introduction dans le Code civil de la notion de sensibilité pour les animaux domestiques, le lancement d’une déclaration européenne des droits de l’animal ou encore une convention en leur faveur dans le cadre de violences intrafamiliales. Que reste-t-il encore à faire selon vous, tant au civil qu’au pénal ?

V. L. : Pour moi, il y a deux problématiques : celle du droit existant, et celle de son application. On a un droit avec beaucoup de limites, mais si le droit était appliqué, cela changerait déjà beaucoup de choses !

Il est interdit d’abandonner un animal, mais malgré les statistiques d’abandons - avec des refuges qui croulent sous le nombre d’animaux -, les condamnations restent extrêmement rares.

Il y a toutefois des avancées. Une avocate lilloise a réussi à faire reconnaitre le préjudice animalier comme on parle du préjudice écologique. Mais il s’agit-là d’une avancée un peu symbolique, qui n’est pas à la hauteur de ce que cela devrait être.

Sur le droit spécifiquement, il y a eu la loi assez ambitieuse de 2021 sur la maltraitance animale portée par Loïc Dombreval, un ancien vétérinaire (président du Conseil national de la protection animale et membre de La République en marche, ndlr). Elle demandait l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques, l’interdiction de la vente de chats et chiens en animalerie, des delphinariums... Il y avait beaucoup de choses, mais le gros sujet complètement exclu a été celui des animaux dans les élevages et les fermes, alors qu’il s’agit là du domaine où la souffrance animale est la plus exacerbée. C’est aussi un sujet qui relève de problématiques agricoles et qui mériterait une autre loi.

Sur la question des animaux d’élevage, il y a de très gros sujets de barbarie, avec la castration à vif des porcs, qui est autorisée, ce qui est complètement fou : on réglemente la protection des animaux de compagnie, et à côté on autorise ces pratiques, ainsi que l’élevage des poules en cages, pour citer un autre exemple.

Il y a également une dimension politique. Emmanuel Macron avait promis l’interdiction de l’élevage des poules en cage, mais on l’attend toujours. Un gros chantier, aussi bien sur l’application du droit que l’aspect législatif, reste à mener.

JSS : Comment se place la France en matière de protection animale au regard de voisins européens ou d’autres pays plus précurseurs ?

V. L. : En plus de la réglementation, certaines traditions sont aussi spécifiques à la France. Je pense tout de suite au foie gras. Dans quasiment tous les pays de l’Union européenne, la production de foie gras est interdite. La France la protège juridiquement comme faisant partie du patrimoine culturel.

Il y a aussi des spécificités religieuses qui autorisent certaines pratiques. L’étourdissement des animaux avant les saignées dans les abattoirs est considérée par la Fédération des vétérinaires d’Europe comme nécessaire pour le respect du bien-être animal dans toutes circonstances, mais on autorise des dérogations pour respecter les libertés religieuses.

La corrida est autorisée en France dans les régions où il y a une tradition locale ininterrompue, mais elle est complètement interdite dans les autres.

Finalement, le bien-être animal est toujours heurté à la tradition. C’est une grosse problématique : au niveau de l’UE et du Conseil de l’Europe, la question des droits fondamentaux humains et des libertés religieuses et culturelles s’applique. Or, l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’UE parle de l’animal comme un être doué de sensibilité. Il y a donc l’idée de respecter le bien-être au niveau européen, mais cette idée est nuancée avec la prise en compte des spécificités des États membres.

JSS : Avec l’Arche de Justice et le travail d’autres associations, pensez-vous pouvoir faire bouger les choses ?

V.L. : On l’espère bien sûr, et je pense qu’il faut multiplier les initiatives. C’est aussi un peu l’idée de l’association, celle d’investir tous les terrains.

Et avant d’investir le champ juridique, j’ai été très active au Parti animaliste. Pour moi, il y a aussi le terrain politique et du lobbying, avec notamment Convergence Animaux Politique. Il faut que tous ceux qui ont de l’influence sur ce thème montrent qu’il n’est pas accessoire, mais bien réel, et qu’ils démontrent aussi que la manière dont on traite les animaux en dit beaucoup sur la façon dont on traite autrui quand il est différent.

JDD : La création d’un ministère dédié à la cause animale est-il possible en l’état actuel des choses, selon vous ?

V. L. : La question ne serait pas uniquement la création du ministère en tant que tel, mais quels moyens seront octroyés à celui-ci. Si on le crée dans le simple but d’en faire un porte-drapeau pour dire « on est des pionniers sur la question de la condition animale », je pense que ce ne serait pas très utile.

La question animale est traitée au sein d'autres ministères, comme le ministère de l'Agriculture, ce qui peut engendrer des conflits d'intérêt. Créer un ministère dédié à la condition animale serait le moyen d'éviter cela.

Propos recueillis par Allison Valin

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