Selon le secrétaire général des Nations Unies António Guterres, l’État de
droit s’entend du « principe de
gouvernance en vertu duquel l’ensemble des individus, des institutions et des
entités publiques et privées, y compris l’État lui-même, ont à répondre de
l’observation de lois promulguées publiquement, appliquées de façon identique
pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec les
règles et normes internationales en matière de droits de l’homme. Il implique,
d’autre part, des mesures propres à assurer le respect des principes de la
primauté du droit, de l’égalité devant la loi, de la responsabilité au regard
de la loi, de l’équité dans l’application de la loi, de la séparation des
pouvoirs, de la participation à la prise de décisions, de la sécurité
juridique, du refus de l’arbitraire et de la transparence des procédures et des
processus législatifs2. »
Le terme générique de pesticide fut emprunté de l’anglais en 1959. En ces
temps actuels de pandémie, le rapprochement erroné avec la peste n’est pas de
bon aloi. Aussi les textes distinguent-ils les produits phytosanitaires [ou
phytopharmaceutiques (ci-après désignés « PPP »)] des biocides. Alors
que les deux demeurent des pesticides, les produits phytosanitaires auraient pour
seule vertu la préservation de la santé des végétaux3.
Si la procédure d’approbation des autorisations de mise sur le marché
(ci-après « AMM ») des PPP obéit à un cadre réglementaire européen
(I), les modalités de leur emploi sont toujours plus controversées en France,
comme l’illustrent les dernières ordonnances rendues par le Conseil d’État
(II), et posent la question de la place du droit de l’environnement dans
l’agriculture française (III).
I. De l’autorisation d’utiliser des PPP : une
compétence partagée
A. Autorisation des substances
actives4 au niveau européen
Le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre
2009 définit la procédure d’approbation des AMM des PPP.
Dans son considérant 7, le préambule du règlement souligne que « l’utilisation de ces produits peut présenter
des risques et des dangers pour l’homme, les animaux et l’environnement,
notamment s’ils sont mis sur le marché sans avoir été officiellement testés et
autorisés et s’ils sont utilisés d’une manière incorrecte. »
Le règlement « a pour objet de
garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de
l’environnement, et dans le même temps de préserver la compétitivité de
l’agriculture communautaire. (…) Le principe de précaution devrait être appliqué
et le présent règlement devrait assurer que l’industrie démontre que les
substances ou produits fabriqués ou mis sur le marché n’ont aucun effet nocif
sur la santé humaine ou animale ni aucun effet inacceptable sur
l’environnement. »
En 2013, en considération des connaissances scientifiques et techniques
d’alors, le règlement d’exécution (UE) n° 284/20135 a établi
les exigences en matière de données sur les préparations chimiques des PPP nécessaires
pour procéder à l’évaluation des risques prévisibles, immédiats ou à plus long
terme tels que les risques pour l’homme d’une exposition aiguë6 (Annexe 1 –1.12).
Depuis lors, la méthodologie d’évaluation s’appuie sur le guide de
référence de l’EFSA7 de 2014 établi sur la base de données limitées des années 1980.
Face à l’évolution des sciences et techniques d’agriculture, l’EFSA recommande
et travaille sur une mise à jour de ce guide.
Au vu de ces informations et des évaluations des risques par l’EFSA, la
Commission prend alors la décision d’autoriser ou non la substance active
considérée. Une fois les substances actives approuvées au niveau européen,
c’est au niveau national que sont délivrées les AMM des PPP.
Autorisation de mise sur le marché (AMM) au niveau national et avis de
l’ANSES8 du 14 mai 2019
• Sur la compétence :
En 2015, la responsabilité de la délivrance des AMM des PPP a été
transférée du MAAF9 vers l’ANSES10.
L’ANSES prend sa décision en fonction de l’évaluation des risques11.
Le texte de l’AMM peut prévoir des distances de sécurité. L’agence assure
également la surveillance des résidus de ces produits dans les aliments et
l’environnement ainsi que l’apparition de résistances à ces produits.
Dans le cas du glyphosate, alors que les divergences d’avis scientifiques
perdurent entre l’OMS12, le CIRC13 et l’EFSA
sur les risques liés à son usage, l’ANSES a annoncé en décembre 2019 le retrait
de 36 produits sur les 69 mis sur le marché en France, et a interdit l’introduction
de quatre nouveaux produits en contenant en raison de l’insuffisance ou de l’absence
de données scientifiques permettant d’écarter tout risque génotoxique14.
Le 30 avril dernier, l’ANSES annonçait également le
lancement des études du potentiel cancérigène du glyphosate dont les résultats
serviront à la réévaluation du glyphosate par l’UE fin 202215 alors même
que la France a prévu de « sortir de
l’essentiel des usages au 1er janvier 2021 et de tous les
usages au 1er janvier 2023 ».
Nonobstant les compétences de l’ANSES, selon l’art L. 253-7 du CRPM,
dans l’intérêt de la santé publique ou de l’environnement, l’Autorité
administrative peut prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de
prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance,
l’utilisation et la détention de PPP.
Même autorisée, l’utilisation des PPP est subordonnée à la mise en place de
procédures de protection. Ainsi l’utilisation des PPP à proximité des
habitations est subordonnée à l’adoption de mesure de protection des personnes
résidentes depuis le 1er janvier 2020, conformément à l’art. L. 253-8 III du
CRPM.
• Sur les mesures de
protection
Saisie d’une demande d’appui scientifique par les Directions générales de
l’Alimentation, de la Santé et de la prévention des risques, l’ANSES a, rendu
un avis sur ces mesures de protection, le 14 mai 2019, à la lumière des
dernières connaissances scientifiques et de l’expérience acquise avec la mise
en œuvre depuis 2016 du guide de référence de l’EFSA.
Tout au long du document, l’ANSES n’a de cesse d’alerter sur le défaut de
méthodologies validées au niveau européen sur les effets cumulés et synergiques
résultant de l’exposition à plus d’une substance active, ou encore de l’attente
des travaux de mise à jour par l’EFSA du guide de référence annoncée pour 202116.
L’ANSES souligne encore que la méthodologie d’évaluation visée dans le guide de
2014 s’applique uniquement au cas de pulvérisation de pesticides.
Dans ce contexte, l’ANSES annonce, dans ce même avis qu’elle a lancé avec
l’INERIS et le réseau des associations agrées pour la surveillance de la
qualité de l’air une campagne de mesures des résidus de pesticides dans l’air
alors qu’aucun seuil réglementaire sur la contamination en pesticides dans
l’air n’existe à ce jour.
L’ANSES conclut en rappelant que, lorsque des mesures de protection
adaptées ne peuvent être mises en place conformément aux dispositions de l’art.
D253-45-1 du CRPM, le préfet du département détermine alors une
distance minimale adaptée en deçà de laquelle il est interdit d’utiliser des
PPP à proximité des lieux de résidence.
Ainsi, pour les personnes résidentes pendant ou après application par
pulvérisation des PPP, « les
distances de sécurité devraient être au moins égales aux distances introduites
dans l’évaluation des risques pour les résidents selon le type de culture et le
matériel utilisé ou supérieures par mesure de précaution en particulier pour
les produits classés cancérogène, mutagène ou toxique pour la
reproduction. »
C’est sur la base de l’avis de l’ANSES dont on ne peut contester la
transparence sur les inconnues et la prudence de ses rédacteurs sur l’état des
connaissances que fut adopté l’arrêté du 27 décembre 201917. Il
en résulte qu’en l’absence de distance de sécurité spécifique fixée par l’AMM
du PPP concerné, une distance minimale de 20 mètres ne souffrant d’aucune
exception doit être observée pour les substances les plus dangereuses,
10 mètres pour les cultures dites hautes, et 5 mètres pour les
cultures basses (blé, colza, légumes).
Ces deux dernières distances peuvent respectivement être réduites à
5 et 3 mètres, aux conditions cumulatives (i) pour l’utilisateur,
d’apporter les garanties équivalentes prévues à l’annexe 4 de l’arrêté
en matière d’exposition des résidents par rapport aux conditions normales d’application
des produits, conformément à des (ii) chartes d’engagements dont la
formalisation est (iii) précédée d’une concertation comprenant une
communication auprès du public de nature à permettre l’expression du public,
laquelle doit être prise en compte par (iv) le préfet qui approuve et signe
alors la charte tel que prévu à l’art L. 253-8 III du
CRPM.
Le contenu ainsi que les modalités d’approbation de ces chartes sont
précisés par le décret18 du même jour.
Par deux ordonnances19 en date du 15 mai 2020, le Conseil d’état (« CE ») a
rejeté les demandes respectives d’un collectif de maires anti pesticides d’une
part, et de neuf associations d’autre part, relatives aux dérogations sur
les distances entre les habitations et les lieux d’épandages de produits
phytosanitaires.
II. De l’urgence d’épandre les produits phytosanitaires pendant le
confinement
Dans les deux affaires, le CE conclut que l’urgence n’est pas établie et
rejette les demandes sans examiner la légalité des textes. L’argumentaire des
parties mérite d’être rappelé ci-dessous.
A. Recours exercé par le collectif
des maires et pollution de l’air générée par les PPP
Par deux ordonnances, l’une avant le confinement (14 février), l’autre
pendant le confinement (15 mai 2020), le CE conclut au rejet des requêtes
d’un collectif de maires anti pesticides visant à demander la suspension
d’exécution du décret et de l’arrêté du 27 décembre 2019, précisant les
distances minimales de sécurité pour l’épandage des pesticides près des
habitations.
Dans sa première requête, le collectif soutenait que l’arrêté contesté
méconnaît le principe de précaution et le droit de l’UE en ce qu’il fixe des
distances minimales manifestement insuffisantes pour assurer la protection des
résidents. Le CE, tout en rappelant que « le risque pour la santé inhérent à l’utilisation des PPP n’est pas
contesté et fonde même l’ensemble de la réglementation européenne et française
en la matière », conclut néanmoins que les éléments produits par le
collectif ne sont pas de nature à démontrer la corrélation entre les distances
minimales et le risque pour la santé.
Dans les circonstances du Covid-19 et de la présence continue des résidents
contraints au confinement, la seconde requête du collectif s’appuyait sur trois
études pour invoquer l’existence d’un lien entre la pollution de l’air, en
particulier par les particules PM10 et PM2,5, et le développement des maladies
respiratoires en général et du Covid-19 en particulier.
Selon le CE, ces études « ne
portent pas sur la question spécifique des effets à court et moyen terme de
l’épandage de pesticides à des fins agricoles sur la santé des habitants des
zones situées à proximité. Elles n’apparaissent pas, en l’état de
l’instruction, de nature à remettre en cause l’avis rendu sur ce sujet par
l’ANSES du 4 juin 2019 qui recommandait les distances minimales de
sécurité que l’arrêté du 27 décembre 2019 a retenu. »
Il est à noter que l’Ordonnance précise que la requête a été communiquée à
la ministre de la Transition Écologique et Solidaire (« MTES »), à la
ministre des Solidarités et de la Santé et au ministre de l’Économie et des
Finances, qui n’ont pas produit d’observations. Bien que convoqués à une
audience publique, il ressort toujours de l’Ordonnance que seuls les
représentants du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation ont été
entendus. Rappelons pourtant que la demande d’appui scientifique auprès de
l’Anses avait également été formulée par le MTES ainsi que le ministère des
Solidarités et de la Santé. La question des PPP n’est pas une compétence
exclusive du ministère de l’Agriculture et ne relève pas seulement du Code
rural. Le Code de l’environnement devrait donc naturellement trouver à
s’appliquer.
Alors que les chiffres officiels portent à 382 000 le nombre total de
nouveaux cas de cancer dont 54 % chez l’homme en 2018, les études sur la corrélation
entre les cancers et l’usage de pesticides souffrent d’imprécisions. Comment
l’expliquer ? Les nombreuses notes et rapports font état de difficultés
liées à l’évaluation rétrospective des expositions, le manque de données
prospectives, etc. Si la responsabilité individuelle est mise en cause dans le
développement des cancers sur des cartes interactives (par la consommation de
tabac, d’alcool, la surcharge pondérale), force est de constater qu’il n’est
fait aucune confrontation des cartographies parcellaires des cancers20 avec les
zones agricoles traitées.
C’est précisément la recommandation n° 4 de la Cour des comptes française
dans son analyse du Bilan des plans Ecophyto, adressée en novembre 2019, soit
un mois avant l’adoption de l’arrêté et le décret, comme suit :
recommandation n° 4 : publier et rendre accessibles au public, chaque
année, les données et les analyses rendant compte de la politique menée, des
substances actives émises et de leurs effets sur la santé humaine et sur
l’environnement, notamment sous forme de cartographies.
À ce jour, il n’existe pas de seuil réglementaire sur la contamination en
pesticides dans l’air. Néanmoins, un rapport de l’INRAE de 201921 indique
que les activités agricoles sont responsables de 28 % des émissions françaises
de particules de diamètre inférieur à 10 micromètres, comme les composés
azotés ou les pesticides. Le rapport soutient que l’agriculture émet plus de
particules fines que l’ensemble des transports, d’un côté, et les activités
industrielles, de l’autre.
Les études lancées depuis deux ans par l’Anses sur les mesures de
résidus de pesticides dans l’air permettront-elles de définir ce seuil
réglementaire ?
Dans l’intervalle, la veille de l’Ordonnance du CE, la Commission
européenne a mis la France en demeure de transposer correctement toutes les
exigences de la directive (UE) 2016/228422 concernant
la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques
(directive PEN) tels que les particules fines (PM2,5) les oxydes d’azote (NOx),
les composés organiques volatils non méthaniques (COVNM), le dioxyde de soufre
(SO2), l’ammoniac (NH3). À ce jour, la France manque à son obligation de mise à
jour, au moins tous les quatre ans, de son programme national de lutte contre
la pollution atmosphérique. La France dispose de quatre mois pour remédier à la
situation. En l’absence de réponse satisfaisante, la Commission peut décider de
lui adresser un avis motivé.
La communication des mesures détenues par l’ANSES sur la présence de
résidus de pesticides dans l’air est une des obligations d’information
invoquées par les associations dans leur requête.
B. Recours des
associations : obligation d’information environnementale et concertation
publique
Le 14 mai, la Commission européenne adressait une seconde mise
en demeure à la France afin qu’elle se mette en conformité avec la directive
2003/4 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement23.
La directive vise à accroître l’accès du public à l’information en matière
d’environnement ainsi que la diffusion de cette information, qui favorisent une
participation plus efficace du public à la prise de décision en matière
d’environnement et, en définitive, l’amélioration de l’environnement.
On entend par information environnementale « toute information
disponible concernant l’air et l’atmosphère, l’eau, le sol, les terres mais
aussi l’état de la santé humaine, la sécurité, y compris, le cas échéant, la
contamination de la chaîne alimentaire, et les conditions de vie des personnes24. »
La directive 2003/4 sus-visée dispose que les « informations qui
doivent être mises à disposition et diffusées comprennent au moins les données
ou résumés des données recueillies dans le cadre du suivi des activités ayant
ou susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement » (art. 7e).
Le texte reprend ainsi la convention d’Aarhus du 25 juin 1998 relative à
l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et
l’accès à la justice en matière d’environnement. On rappellera que lors de sa
ratification en juillet 2002, la France a, au moyen d’une déclaration, précisé
que « Le gouvernement français
veillera à la divulgation des informations pertinentes pour la protection de
l’environnement, tout en assurant la protection du secret industriel et
commercial, en se référant aux pratiques juridiques établies et applicables en
France ».
Aux termes du Considérant 13 de la directive « les informations environnementales sont mises à la disposition des
demandeurs dès que possible et dans un délai raisonnable, en tenant compte des
contraintes temporelles ».
Si le site Internet du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation
indique que « l’information peut
comporter des précisions sur la nature du ou des traitements réalisés, leur
finalité, des mentions d’avertissement, ou tout autre élément d’information utile »,
on lit aussi que « L’information préalable des résidents (dans les
chartes) est facultative. Elle peut contribuer à minimiser les expositions
(week-end, vacances scolaires par exemple). »
Or, la Cour des comptes insiste, dans son rapport visé plus haut, sur
l’obligation d’organiser l’accès aux données environnementales et à celles
relatives aux émissions de substances dans l’environnement ainsi que leurs
effets, surveillés au moyen du dispositif de phyto-pharmacovigilance dont
l’État garantirait la fiabilité et la mise à jour régulière.
La Cour des comptes déplore également la « cœxistence d’une dizaine de bases de données, financées en tout ou
partie sur fonds publics, pas toujours connectées entre elles » et
menant à des dysfonctionnements et des surcoûts, outre le fait que cela nuit à
la lisibilité des données et des informations.
Dans le contexte du Covid-19 et du confinement, n’y avait-il pas un besoin impérieux
d’information et d’adoption de mesures de précaution pour minimiser les
expositions aux PPP ?
Selon l’article 12 de l’arrêté du 7 avril 201625 :
« En cas de dépassement prévu du
seuil d’alerte26 ou d’épisode persistant de pollution aux
particules “PM10”, le représentant de l’État dans le département met en œuvre
les actions d’information et de recommandation (…) et peut imposer la mise en
œuvre des mesures figurant en annexe du présent arrêté afin de réduire les
émissions des polluants (…). »
En avril 2020, dans le contexte du confinement, l’association Respire
demandait au juge des référés (i) de constater la carence de l’État à réduire
les épandages agricoles alors que la population était confinée et (ii)
enjoindre au Premier ministre, au ministre des Solidarités et de la Santé et,
le cas échéant, au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation de modifier
les conditions d’application de l’arrêté du 7 avril 2016, pour
rendre obligatoire et d’application immédiate jusqu’à la cessation de l’état d’urgence
sanitaire, les recommandations et dispositions réglementaires fixées dans son
annexe, conformément aux principes de précaution et de prévention. Dans le
secteur agricole, l’annexe recommande entre autres de : recourir à des
procédés d’épandage faiblement émetteurs d’ammoniac ; reporter les
épandages de fertilisants minéraux et organiques.
Faute de dépassement des seuils d’alerte, le CE a conclu au rejet de la
requête. Pour autant, il souligne que « l’activité
agricole demeure, en raison de la forte diminution des pollutions liées à
l’activité industrielle et au transport, la principale source d’origine humaine
d’émission de particules PM10 et PM2,5 à plus forte raison pendant
la période d’épandage ».
Corrélativement à la participation du public et des mesures de précaution
relatives aux usages agricoles des PPP, l’art. D. 253-46-1-3 du CRPM dispose
que des projets de chartes d’engagements mentionnées au III de l’article L. 253-8 et élaborées
par les organisations syndicales représentatives ou utilisateurs sont soumis à
une concertation publique aux fins de recueillir par tout moyen les observations
des personnes habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées avec
des PPP. C’est seulement à l’issue de la concertation que la charte est
formalisée en considération des observations et signée par le préfet du
département concerné.
C’est sur la question des modalités de concertation publique visées à
l’article D. 253-46-1-3 que neuf associations ont
engagé un recours en référé suspension contre trois textes adoptés par le
ministère de l’Agriculture : (i) une instruction technique du 3 février
2020 autorisant l’application des distances minimales dans l’attente de l’approbation
des chartes et jusqu’au 30 juin 2020 (ii) un communiqué de presse et (iii) une note du
30 mars 2020 autorisant les distances minimales dès lors que la
concertation est lancée mais suspendue du fait du confinement.
Les associations soutenaient que les risques des PPP pour la santé des
populations exposées étaient aggravés par le contexte particulier lié à
l’épidémie de Covid-19 et aux mesures de limitation des déplacements hors
du domicile des personnes qui peuvent télétravailler.
Pour sa part, le ministre chargé de l’Agriculture a indiqué que « cette application anticipée dérogatoire, qui
ne court que jusqu’au 30 juin 2020, est justifiée par l’omission dans le décret
du 27 décembre 2019 comme dans l’arrêté du même jour, de tout
dispositif transitoire alors que l’élaboration des chartes prendra plusieurs
mois et que l’utilisation des pesticides est particulièrement importante pour
les exploitations agricoles pendant la période du printemps. »
Le CE a rejeté la demande des associations au motif que l’urgence n’est pas
avérée. Retenant les arguments du ministère sur le caractère bref de la
dérogation, le CE conclut qu’il n’existe pas un risque imminent pour la santé
et l’instruction n’a pas pour effet de compromettre la concertation publique.
Concernant le communiqué de presse et la note du 30 mars 2020, le juge
a relevé que, cette dérogation ayant pris fin avec la levée du confinement le
11 mai 2020, la demande des associations n’avait donc plus d’objet sur ce
point.
Le CE conclut que le projet de charte est effectivement soumis à
concertation publique dès lors que les mesures de publicité prévues par
l’article D. 253-46-1-3 du CRPM sont réalisées.
III. Place du droit de l’environnement dans l’agriculture française
A. Côté France : L’état
d’urgence peut-il être compatible avec un État de droit ?
Sans attendre « un monde d’après »,
les circonstances mêmes de l’urgence sanitaire ne devraient-elles pas
interpeller les pouvoirs publics sur la responsabilité renforcée qui leur
incombe d’observer les principes de gouvernance d’un État de droit ?
Peut-il y avoir une hiérarchie des enjeux entre l’environnement, la santé et
l’économie ?
Dans les circonstances de la pandémie, on rappelle que les activités
d’importance vitale définies dans l’Instruction générale relative à la sécurité
des activités d’importance vitale N°6600/SGDSN/PSE/PSN du 7 janvier 2014 sont :
l’alimentation, la santé et la gestion de l’eau. Parler d’alimentation comme
activité d’importance vitale c’est parler d’activité agricole, laquelle dépend
de, et impacte l’environnement.
Le 31 janvier 2020, saisi d’une question prioritaire de
constitutionnalité27 dans le cadre de la loi n° 2018-938 du 30 octobre
2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et
alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, le Conseil
constitutionnel a reconnu que la protection de l’environnement peut justifier
une atteinte à la liberté d’entreprendre et qu’il appartient au législateur de
concilier ces deux données à valeur constitutionnelle28.
L’article litigieux n’était autre que le paragraphe IV de l’article L. 253-8 du CRPM en
vertu duquel :
« IV. Sont interdits à
compter du 1er janvier 2022 la production, le stockage
et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances
actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé
humaine ou animale ou de l’environnement conformément au règlement (CE)
n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du
21 octobre 2009 précitée, sous réserve du respect des règles de l’Organisation
mondiale du commerce. »
De manière inédite, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur le préambule
de la charte de l’environnement pour se prononcer sur la conciliation de la
liberté d’entreprendre et la protection de l’environnement : « L’environnement est le patrimoine commun des
êtres humains…la préservation de l’environnement doit être recherchée au même
titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation afin d’assurer un
développement durable. Les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne
doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres
peuples à satisfaire leurs propres besoins. »
Tout comme l’environnement, la protection de la santé est un objectif de
valeur constitutionnelle tel qu’il découle du onzième alinéa du Préambule de la
Constitution de 1946 selon lequel « la Nation garantit à tous (…) la protection de la santé ».
Sur le volet constitutionnel, en 2014, dans une communication à l’Académie
nationale de médecine, Renaud Denoix de Saint Marc29 précisait
que le principe de précaution s’applique aux autorités publiques et non aux
particuliers.
Il leur impose « un double
devoir dans l’exercice de leurs compétences : celui d’évaluer les risques,
même incertains, et celui d’adopter des mesures préventives. (…) Ces
obligations s’imposent même en cas d’incertitude sur l’existence du risque
grave et irréversible, en l’état des connaissances scientifiques. Les autorités
publiques doivent donc supporter les conséquences possibles d’un risque
incertain. (…) Le risque pour la santé humaine n’est pas, en tant que tel, pris
en compte dans le principe de précaution. Le principe de précaution vise le
risque environnemental. Il se peut, certes, que ce risque environnemental se
traduise par des risques sanitaires ; dans ce cas, ces risques sanitaires
sont pris en compte. Mais les risques sanitaires indépendants de facteurs
environnementaux ne sont pas visés par l’article 5 de la Charte. »
Au niveau politique, copiloté par les ministères de la Transition
écologique et de la Santé, le Plan national Santé-Environnement 4 (PNSE 4) « Mon
environnement, ma santé » (2020-2024), est présenté sur le site Internet
du ministère comme ayant « vocation
à fédérer les plans thématiques en santé environnement ». Parmi ses
grands axes, on relève : « (i)
Réduire les expositions environnementales affectant notre santé ; (ii) la
réduction des expositions environnementales est une priorité permanente, compte
tenu du nombre important et croissant de pathologies induites par la
dégradation de l’environnement dans lequel nous évoluons au quotidien. »
Considérant les principes constitutionnels et l’évidente interdépendance
des politiques, on ne peut que regretter les récentes décisions du CE face à la
carence de l’État. Force est de constater que la pratique des pouvoirs publics
est de s’appuyer – sinon se retrancher – derrière l’avis de l’ANSES.
Lorsque la science elle-même alerte sur le niveau insuffisant d’éléments
pour évaluer les risques des PPP, comme l’ANSES l’a fait dans son avis du
14 mai 2019, le principe de précaution devait s’imposer aux législateurs.
Rappelons qu’en vertu de ce principe « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et
techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et
proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles
à l’environnement à un coût économiquement acceptable30 ».
À l’issue du « premier épisode Covid-19 », certains imputent la
responsabilité de sa gestion controversée aux divergences des scientifiques.
Lorsque (et si) des études scientifiques officielles convergentes
aboutissent enfin, sur l’évaluation des risques sanitaires de l’exposition aux
PPP, à qui imputera-t-on la faute d’avoir poursuivi leur
utilisation ? Aux scientifiques ? Aux agriculteurs ? Ou bien à cet
État, ce chef d’orchestre politique et législateur à la fois qui ne recule que
devant ses responsabilités selon ses pairs de toute opposition
successive ; à moins que la faute ne soit reportée sur l’Europe dont les
négociations de la politique agricole commune et le pacte vert (le « green
deal ») se tiennent actuellement ?
B. Côté Europe : Lequel
de la PAC (politique agricole commune) ou du PACTE VERT (le « Green
deal ») aura raison de l’autre ?
Toujours et encore dans son rapport clair et concis, la Cour des comptes
appelle à une cohérence et une responsabilité commune lorsque, par sa
recommandation n° 1, elle appelle le ministère de l’Agriculture et de
l’Alimentation et le ministère de la Transition Écologique et Solidaire à
introduire, dans les négociations de la nouvelle PAC, un objectif prioritaire
de réduction de l’usage des PPP.
En effet, l’objectif initial issu du Grenelle de l’environnement de
diminuer le recours aux PPP de 50 % en dix ans, reporté en 2016 à l’échéance
2025 et confirmé en avril 2019, assorti d’un objectif intermédiaire de
-25 % en 2020, est loin d’être atteint.
Parallèlement, le bilan de la dernière PAC fait état de contrôles trop
rares sur l’usage des PPP, d’alternatives peu nombreuses et d’une surveillance
des impacts sanitaires et environnementaux trop faible. La Cour des comptes
européenne estime que la PAC 2021-2027 devrait être plus contraignante en matière de réduction
d’usage des PPP.
Si les avis des Cours des comptes convergent, l’éternel débat sur le
partage de responsabilité entre l’Europe et les États demeure.
1. Du principe de subsidiarité
La Commission européenne répond aux critiques de la Cour des comptes
européenne en rappelant que conformément
au principe de subsidiarité, la traduction en critères pratiques des principes
généraux élaborés au niveau européen pour réduire l’usage des PPP incombe aux
États membres.
La Commission préconise l’adoption de plans stratégiques étatiques avec des
objectifs quantitatifs soumis à l’approbation de la Commission dans le cadre de
la stratégie « De la ferme à la table », entre autres.
Si l’adoption de nouveaux objectifs, déclarations d’intention peinent de
plus en plus à convaincre, le nerf de la guerre n’est autre que le soutien
financier de l’Europe à l’agriculture conditionné par la réalisation de ces objectifs.
28,5 % du budget de l’UE est consacré à la PAC.
2. De la conditionnalité des
aides
La conditionnalité est un système qui subordonne les paiements de la PAC au
respect d’engagements tel le respect de normes BCAE (Bonnes conditions
agricoles et environnementale).
La Cour des comptes européenne recommande l’adoption d’une méthode
d’allocation des aides orientant davantage les modes d’exploitation vers la
performance environnementale en vue d’une réduction effective de 50 % de
l’usage des PPP.
Ainsi préconise-t-elle que la directive eau de 2000 et la
directive habitat de 1992 entrent (enfin) dans le champ d’application de la
conditionnalité.
Au-delà des trois objectifs environnementaux sur les neuf de la future PAC,
l’objectif de garantir la qualité des denrées alimentaires et la santé ne
saurait être atteint sans que les instruments efficaces soient mis en œuvre.
Nulle efficience sans décloisonnement des compétences et des connaissances.
Nulle efficience sans transparence des procédures, sans participation à la
prise de décision : principes de tout État de droit qu’il est urgent de
rappeler à l’issue du premier épisode du Covid-19.
« L’anarchie est partout quand
la responsabilité n’est nulle part », écrivait dans « Hier et demain » Gustave le Bon
(médecin anthropologue) publié en 1918.
Marie-Bénédicte Desvallon,
Avocat au barreau de Paris,
Cabinet WAT & LAW31
