Face à la recrudescence des dépôts sauvages, les collectivités,
associations et professionnels du recyclage se mobilisent pour tenter d’enrayer
ce phénomène qui nuit aussi bien à l’environnement qu’au portefeuille des
mairies.
Chaque année, un million de
tonnes de déchets sont abandonnés en France métropolitaine, d’après une
estimation de l’association Geste Propres, toujours en vigueur en 2025. Une
partie de ces déchets est constituée de dépôts sauvages (gravats, meubles,
électroménager, etc.) qui finissent au bord de la route, dans la nature ou dans
les rues de nos villes.
Le nombre d'infractions liées
aux dépôts sauvages de déchets, constaté par la gendarmerie, a augmenté de 85 %
entre 2017 et 2021, selon un rapport du Sénat (Les élus locaux face aux
décharges sauvages, les artisans dans l'œil du viseur). En outre, près d'un
maire sur deux considère que ce phénomène est en aggravation. De nombreuses
collectivités et associations s’emparent du problème, dont l’impact sur
l’environnement est considérable.
« Le gros problème
des dépôts sauvages de déchets est la pollution du sol et de l’eau, en
particulier avec les déchets du BTP qui contiennent beaucoup de produits
toxiques », déplore Magali Boyer, chargée du réseau Sentinelles de la
Nature auprès du réseau France nature environnement (FNE) Paca.
Il existe aussi un risque de
pollution de l’air : les déchets peuvent prendre feu et dégager des fumées
toxiques, sans compter le risque de propagation d’incendie. Pour les animaux
sauvages, il y a des risques d'ingurgitation, de blessures et d’étouffements. « Nous
l’avons déjà vu avec des canettes de soda que certains animaux viennent laper
pour récupérer le sucre », complète Aude Guiomar, déléguée générale de
l’association Gestes Propres. Même un déchet vert peut créer des déséquilibres
s’il est jeté dans un écosystème qui n’est pas le sien, en venant par exemple
perturber le pH des sols, précise-t-elle.
Outre l’impact
environnemental, les dépôts sauvages ont aussi un coût financier très important
pour les collectivités. « Le traitement d’une tonne de déchets
correctement collectée coûte moins de 200 euros, contre 900 euros si les
déchets sont déposés illégalement », ajoute Aude Guiomar.
« Renforcer
les polices de l’environnement »
« La première mesure
à mettre en place est de lutter contre le travail illégal, estime Olivier
Ponti, président de la filière BTP à la Fédération professionnelle des
entreprises du recyclage (Federec). Il ne faut pas renforcer les textes de
loi, mais plutôt renforcer les polices de l’environnement. Il est aussi
nécessaire d’augmenter les amendes à l’encontre de ceux pris en flagrant délit
de dépôt de déchets sauvages, afin de leur passer l’envie de recommencer ».
« En outre, quand on
fouille dans les déchets, il est facile de trouver des papiers qui permettent
de remonter jusqu’au producteur, ajoute Olivier Ponti. Mais toutes ces
mesures demandent du travail et de l’investissement humain, et toutes les
collectivités ne sont pas en mesure de le faire ».
Une
application pour signaler les dépôts de déchets
Une solution mise en place
par France nature environnement (FNE) est d’identifier rapidement les dépôts
sauvages pour pouvoir les faire enlever, avant qu’ils ne polluent davantage. Pour
cela, l’association a créé le réseau « Sentinelles
de la Nature », une application mobile et un site internet sur
lesquels les citoyens peuvent donner l’alerte lorsqu'ils constatent une
dégradation environnementale. « Les zones dégradées sont géolocalisées
et les référents régionaux FNE avertissent la mairie compétente pour lui
demander d’agir », explique Magali Boyer. L’outil permet de signaler
différents types d'atteinte à l’environnement, comme la pollution de cours
d’eau ou l'épandage de produits phytosanitaires.
« Cependant, la
grande majorité des signalements concerne des dépôts sauvages de déchets qui
sont un grand fléau en France, en particulier dans la nature et les zones de
friches », précise Magali Boyer. Le réseau Sentinelles de la Nature
est aujourd’hui déployé dans toute la France. En Paca, 1 240 signalements ont
été recensés depuis son lancement en 2020. Le réseau régional compte 2 000
utilisateurs.
Des
stages de sensibilisation comme alternative aux sanctions
France nature environnement
organise par ailleurs des « stages de citoyenneté » : des stages
imposés en alternative à des sanctions judiciaires, destinés aux personnes
ayant commis un délit d’atteinte à l’environnement. « Nous travaillons
avec deux parquets qui nous envoient régulièrement des participants. La justice
a de plus en plus recours à ces dispositifs plutôt que de donner une amende
qui, finalement, n’a pas beaucoup de sens », rapporte Magali Boyer.
Au cours de ces stages d’une
journée, les participants sont sensibilisés à la dangerosité des déchets pour
l’environnement. « Nous faisons souvent intervenir un carrier qui
explique comment traiter les déchets du bâtiment. Parmi les stagiaires, il
y a beaucoup d’artisans et de personnes qui travaillent dans des petites
entreprises du BTP », précise Magali Boyer, qui indique que les stagiaires
sont parfois assez réceptifs, même si le premier sentiment qui domine est
souvent l’agacement d’avoir été pris en faute. Outre les stages juridiques, l’association
FNE organise des visites de centres de tri et d’enfouissement des déchets pour
les personnes qui en font la demande, ainsi que pour des écoles ou des
associations.
Etudier
les mauvais comportements pour mieux les combattre
Toutefois, le secteur du BTP
n'est pas le seul responsable des dépôts sauvages de déchets. « Les contrevenants
sont aussi de nombreux particuliers qui se débarrassent de leurs gros déchets
(meubles, matelas, etc.) plutôt que d’aller à la déchetterie »,
souligne Aude Guiomar. L’association Gestes Propres étudie les comportements et
les mauvaises habitudes pour mieux y répondre ensuite, à travers notamment la
création de campagnes de communication.
Selon un sondage à paraître,
réalisé en partenariat avec l’Ifop, « 25 % des répondants sont
identifiés comme auteurs de dépôts sauvages, c’est-à-dire qu’ils vont pratiquer
au moins un mauvais geste au moment de se débarrasser de leurs déchets
encombrants ».
« Le sondage montre
que les mauvais comportements s’expliquent par une méconnaissance importante
des modes de collecte. Dans le même temps, les répondants cherchent très peu à
se renseigner », poursuit Aude Guiomar. Beaucoup justifient leur
geste en se disant que le déchet intéressera bien quelqu’un ».
En ce qui concerne les
artisans, nombre d’entre eux travaillent bien et souffrent de la mauvaise image
donnée au secteur par le comportement de quelques-uns, souligne Aude Guiomar. L’une
des solutions pourrait être de mettre en place un système où l’artisan montre à
son client une preuve du dépôt légal dans une déchetterie. « Dans le
devis, il pourrait y avoir une copie du bordereau de dépôt à la déchetterie. Ce
serait un gage de qualité et de sérieux qui permettrait de valoriser les bonnes
pratiques, tout en sensibilisant les commanditaires des travaux »,
précise-t-elle.
Un autre changement possible
pour la filière BTP serait d’organiser un tri des déchets en amont, dès le
camion-benne ou le chantier, afin de ne pas mélanger les matériaux. « On
pourrait même aller plus loin en pensant au tri dès la conception des
matériaux, comme éviter la pose de vernis synthétique sur le bois pour pouvoir
le réutiliser plus facilement », ajoute Aude Guiomar.
Un
risque de recrudescence de dépôts de déchets amiantés
Depuis 2023 et une
disposition de la loi relative à la responsabilité élargie du producteur (REP),
les déchets sont repris gratuitement dans les déchetteries, sous réserve d’être
convenablement triés. « Les entreprises bien structurées et les grands
groupes arrivent à faire ce tri et bénéficient de cette gratuité nouvelle. Pour
les autres, cela ne change pas grand-chose et ils doivent continuer à payer »,
explique Olivier Ponti.
Dans les faits, il peut être
difficile pour les artisans de faire un tri convenable, notamment parce qu’ils
ne sont pas encore aguerris ou formés à cela. « Changer les pratiques prendra
du temps », avance-t-il. Selon lui, la loi REP va, paradoxalement,
entraîner une recrudescence des dépôts sauvages.
Cette loi, qui a mis en place
des éco-organismes nationaux pour chaque type de déchets, doit permettre de
faciliter le recyclage. Or, il y a un problème avec le risque d’amiante dans
les matériaux anciens, notamment dans les joints des anciennes menuiseries. Les
déchetteries ne sont pas toujours équipées ou formées pour gérer ces déchets en
toute sécurité, développe-t-il.
L’éco-organisme doit
normalement assurer la prise en charge des déchets triés. Mais, face à des
risques comme la présence d’amiante, il préfère interdire la collecte de
certains types de déchets pour éviter toute responsabilité en cas de problème
sanitaire. Cette situation peut pousser certains artisans à se débarrasser de
déchets amiantés dans les chemins ou la nature. « Il y a donc un vrai
risque de recrudescence dans les mois qui viennent », met en garde
Olivier Ponti.
La
solution des caméras intelligentes
De plus en plus de mairies
tentent de mettre fin au fléau des dépôts sauvages avec l’installation de
caméras intelligentes. C’est le cas par exemple à Gex (Ain), Périgny
(Charente-Maritime), Montreuil ou à Avignon début 2025. Ces caméras, qui
fonctionnent avec de l’intelligence artificielle, sont placées à des endroits
stratégiques, connus pour être régulièrement la cible de dépôt. Un mouvement
suspect déclenche un enregistrement.
Les contrevenants, s’ils sont
identifiés (grâce notamment à la plaque d'immatriculation de leur véhicule),
peuvent recevoir plus tard une amende par courrier. Les amendes peuvent
atteindre 750 euros pour des particuliers, et jusqu’à 15 000 euros pour les
professionnels dans les cas les plus graves.
Des résultats tangibles
semblent avoir été obtenus avec une diminution du nombre de dépôts sauvages
dans les zones surveillées. Mais le dispositif a aussi des effets pervers :
dans certaines communes, les dépôts ont été déplacés des zones non surveillées.
« Les caméras
intelligentes ont l’avantage de mettre un coup de pression. Et la peur d’être
sanctionné fonctionne », commente Aude Guiomar.
Si la sanction est un levier,
elle doit être complétée par la pédagogie pour changer les comportements plus
durablement, et non pas seulement déplacer le problème, conclut-elle.
Sylvain Labaune