SOCIÉTÉ

Comment lutter contre la recrudescence de dépôts sauvages de déchets ?

Comment lutter contre la recrudescence de dépôts sauvages de déchets ?
Publié le 13/02/2025 à 16:19

Face à la recrudescence des dépôts sauvages, les collectivités, associations et professionnels du recyclage se mobilisent pour tenter d’enrayer ce phénomène qui nuit aussi bien à l’environnement qu’au portefeuille des mairies.

Chaque année, un million de tonnes de déchets sont abandonnés en France métropolitaine, d’après une estimation de l’association Geste Propres, toujours en vigueur en 2025. Une partie de ces déchets est constituée de dépôts sauvages (gravats, meubles, électroménager, etc.) qui finissent au bord de la route, dans la nature ou dans les rues de nos villes.

Le nombre d'infractions liées aux dépôts sauvages de déchets, constaté par la gendarmerie, a augmenté de 85 % entre 2017 et 2021, selon un rapport du Sénat (Les élus locaux face aux décharges sauvages, les artisans dans l'œil du viseur). En outre, près d'un maire sur deux considère que ce phénomène est en aggravation. De nombreuses collectivités et associations s’emparent du problème, dont l’impact sur l’environnement est considérable.

« Le gros problème des dépôts sauvages de déchets est la pollution du sol et de l’eau, en particulier avec les déchets du BTP qui contiennent beaucoup de produits toxiques », déplore Magali Boyer, chargée du réseau Sentinelles de la Nature auprès du réseau France nature environnement (FNE) Paca.

Il existe aussi un risque de pollution de l’air : les déchets peuvent prendre feu et dégager des fumées toxiques, sans compter le risque de propagation d’incendie. Pour les animaux sauvages, il y a des risques d'ingurgitation, de blessures et d’étouffements. « Nous l’avons déjà vu avec des canettes de soda que certains animaux viennent laper pour récupérer le sucre », complète Aude Guiomar, déléguée générale de l’association Gestes Propres. Même un déchet vert peut créer des déséquilibres s’il est jeté dans un écosystème qui n’est pas le sien, en venant par exemple perturber le pH des sols, précise-t-elle. 

Outre l’impact environnemental, les dépôts sauvages ont aussi un coût financier très important pour les collectivités. « Le traitement d’une tonne de déchets correctement collectée coûte moins de 200 euros, contre 900 euros si les déchets sont déposés illégalement », ajoute Aude Guiomar.

« Renforcer les polices de l’environnement »

« La première mesure à mettre en place est de lutter contre le travail illégal, estime Olivier Ponti, président de la filière BTP à la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec). Il ne faut pas renforcer les textes de loi, mais plutôt renforcer les polices de l’environnement. Il est aussi nécessaire d’augmenter les amendes à l’encontre de ceux pris en flagrant délit de dépôt de déchets sauvages, afin de leur passer l’envie de recommencer ».

« En outre, quand on fouille dans les déchets, il est facile de trouver des papiers qui permettent de remonter jusqu’au producteur, ajoute Olivier Ponti. Mais toutes ces mesures demandent du travail et de l’investissement humain, et toutes les collectivités ne sont pas en mesure de le faire ».

Une application pour signaler les dépôts de déchets

Une solution mise en place par France nature environnement (FNE) est d’identifier rapidement les dépôts sauvages pour pouvoir les faire enlever, avant qu’ils ne polluent davantage. Pour cela, l’association a créé le réseau « Sentinelles de la Nature », une application mobile et un site internet sur lesquels les citoyens peuvent donner l’alerte lorsqu'ils constatent une dégradation environnementale. « Les zones dégradées sont géolocalisées et les référents régionaux FNE avertissent la mairie compétente pour lui demander d’agir », explique Magali Boyer. L’outil permet de signaler différents types d'atteinte à l’environnement, comme la pollution de cours d’eau ou l'épandage de produits phytosanitaires.

« Cependant, la grande majorité des signalements concerne des dépôts sauvages de déchets qui sont un grand fléau en France, en particulier dans la nature et les zones de friches », précise Magali Boyer. Le réseau Sentinelles de la Nature est aujourd’hui déployé dans toute la France. En Paca, 1 240 signalements ont été recensés depuis son lancement en 2020. Le réseau régional compte 2 000 utilisateurs.

Des stages de sensibilisation comme alternative aux sanctions

France nature environnement organise par ailleurs des « stages de citoyenneté » : des stages imposés en alternative à des sanctions judiciaires, destinés aux personnes ayant commis un délit d’atteinte à l’environnement. « Nous travaillons avec deux parquets qui nous envoient régulièrement des participants. La justice a de plus en plus recours à ces dispositifs plutôt que de donner une amende qui, finalement, n’a pas beaucoup de sens », rapporte Magali Boyer.

Au cours de ces stages d’une journée, les participants sont sensibilisés à la dangerosité des déchets pour l’environnement. « Nous faisons souvent intervenir un carrier qui explique comment traiter les déchets du bâtiment. Parmi les stagiaires, il y a beaucoup d’artisans et de personnes qui travaillent dans des petites entreprises du BTP », précise Magali Boyer, qui indique que les stagiaires sont parfois assez réceptifs, même si le premier sentiment qui domine est souvent l’agacement d’avoir été pris en faute. Outre les stages juridiques, l’association FNE organise des visites de centres de tri et d’enfouissement des déchets pour les personnes qui en font la demande, ainsi que pour des écoles ou des associations.

Etudier les mauvais comportements pour mieux les combattre

Toutefois, le secteur du BTP n'est pas le seul responsable des dépôts sauvages de déchets. « Les contrevenants sont aussi de nombreux particuliers qui se débarrassent de leurs gros déchets (meubles, matelas, etc.) plutôt que d’aller à la déchetterie », souligne Aude Guiomar. L’association Gestes Propres étudie les comportements et les mauvaises habitudes pour mieux y répondre ensuite, à travers notamment la création de campagnes de communication.

Selon un sondage à paraître, réalisé en partenariat avec l’Ifop, « 25 % des répondants sont identifiés comme auteurs de dépôts sauvages, c’est-à-dire qu’ils vont pratiquer au moins un mauvais geste au moment de se débarrasser de leurs déchets encombrants ».

« Le sondage montre que les mauvais comportements s’expliquent par une méconnaissance importante des modes de collecte. Dans le même temps, les répondants cherchent très peu à se renseigner », poursuit Aude Guiomar. Beaucoup justifient leur geste en se disant que le déchet intéressera bien quelqu’un ».

En ce qui concerne les artisans, nombre d’entre eux travaillent bien et souffrent de la mauvaise image donnée au secteur par le comportement de quelques-uns, souligne Aude Guiomar. L’une des solutions pourrait être de mettre en place un système où l’artisan montre à son client une preuve du dépôt légal dans une déchetterie. « Dans le devis, il pourrait y avoir une copie du bordereau de dépôt à la déchetterie. Ce serait un gage de qualité et de sérieux qui permettrait de valoriser les bonnes pratiques, tout en sensibilisant les commanditaires des travaux », précise-t-elle.

Un autre changement possible pour la filière BTP serait d’organiser un tri des déchets en amont, dès le camion-benne ou le chantier, afin de ne pas mélanger les matériaux. « On pourrait même aller plus loin en pensant au tri dès la conception des matériaux, comme éviter la pose de vernis synthétique sur le bois pour pouvoir le réutiliser plus facilement », ajoute Aude Guiomar.

Un risque de recrudescence de dépôts de déchets amiantés

Depuis 2023 et une disposition de la loi relative à la responsabilité élargie du producteur (REP), les déchets sont repris gratuitement dans les déchetteries, sous réserve d’être convenablement triés. « Les entreprises bien structurées et les grands groupes arrivent à faire ce tri et bénéficient de cette gratuité nouvelle. Pour les autres, cela ne change pas grand-chose et ils doivent continuer à payer », explique Olivier Ponti.

Dans les faits, il peut être difficile pour les artisans de faire un tri convenable, notamment parce qu’ils ne sont pas encore aguerris ou formés à cela. « Changer les pratiques prendra du temps », avance-t-il. Selon lui, la loi REP va, paradoxalement, entraîner une recrudescence des dépôts sauvages.

Cette loi, qui a mis en place des éco-organismes nationaux pour chaque type de déchets, doit permettre de faciliter le recyclage. Or, il y a un problème avec le risque d’amiante dans les matériaux anciens, notamment dans les joints des anciennes menuiseries. Les déchetteries ne sont pas toujours équipées ou formées pour gérer ces déchets en toute sécurité, développe-t-il.

L’éco-organisme doit normalement assurer la prise en charge des déchets triés. Mais, face à des risques comme la présence d’amiante, il préfère interdire la collecte de certains types de déchets pour éviter toute responsabilité en cas de problème sanitaire. Cette situation peut pousser certains artisans à se débarrasser de déchets amiantés dans les chemins ou la nature. « Il y a donc un vrai risque de recrudescence dans les mois qui viennent », met en garde Olivier Ponti.

La solution des caméras intelligentes

De plus en plus de mairies tentent de mettre fin au fléau des dépôts sauvages avec l’installation de caméras intelligentes. C’est le cas par exemple à Gex (Ain), Périgny (Charente-Maritime), Montreuil ou à Avignon début 2025. Ces caméras, qui fonctionnent avec de l’intelligence artificielle, sont placées à des endroits stratégiques, connus pour être régulièrement la cible de dépôt. Un mouvement suspect déclenche un enregistrement.

Les contrevenants, s’ils sont identifiés (grâce notamment à la plaque d'immatriculation de leur véhicule), peuvent recevoir plus tard une amende par courrier. Les amendes peuvent atteindre 750 euros pour des particuliers, et jusqu’à 15 000 euros pour les professionnels dans les cas les plus graves.

Des résultats tangibles semblent avoir été obtenus avec une diminution du nombre de dépôts sauvages dans les zones surveillées. Mais le dispositif a aussi des effets pervers : dans certaines communes, les dépôts ont été déplacés des zones non surveillées.

« Les caméras intelligentes ont l’avantage de mettre un coup de pression. Et la peur d’être sanctionné fonctionne », commente Aude Guiomar.

Si la sanction est un levier, elle doit être complétée par la pédagogie pour changer les comportements plus durablement, et non pas seulement déplacer le problème, conclut-elle.

Sylvain Labaune

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles