En 2023, 55 000 défaillances
ont été enregistrées en France. Pas suffisamment connue, entourée de préjugés,
cette étape est souvent mal vécue. Mieux anticipée, elle peut pourtant être
utile aux entreprises. Quatre entrepreneurs et des professionnels de la
restructuration témoignent.
« C’est un
soulagement, je n’ai plus d’insomnie », témoigne Caroline Liby après
la liquidation judiciaire avec cessation des actifs de son entreprise, Appart
& Sens, en 2024. Comme elle, plusieurs dizaines de milliers d’entrepreneurs
font défaut chaque année et doivent déposer une déclaration de cessation
des paiements auprès du tribunal de commerce, entraînant soit un redressement
judiciaire, afin d’essayer de sauver l’entreprise, soit une liquidation
judiciaire.
Pourtant, pour les
entrepreneurs interrogés, les difficultés initiales sont gérables. Geoffrey* mène son entreprise d’emballage dans l’Allier depuis 33 ans, « un bassin
faiblement porteur, où le tissu industriel n’est pas très dense »,
alors que son activité ne permet pas de vendre trop loin du site de production.
Il finit par gagner un client principal qui assure 35 % de son chiffre
d’affaires et 55 % de sa marge. Marc* lance en 2016 un média sur des thématique
sociales et solidaires, compliqué à financer, suivi d’une agence de
communication. Le chiffre d’affaires augmente régulièrement, malgré un climat
économique agité, passant de 200 000 euros en 2018 à 250 000 en 2019.
Caroline Liby explique que
son agence immobilière, ouverte en 2016 en région lyonnaise, est la première à
se positionner en agence responsable et doit donc consacrer un budget pour se
faire connaître. Comme dans l’immobilier, la constitution d’un portefeuille est
longue, elle lance en parallèle pour générer de la trésorerie une seconde
activité, d’investissement social via notamment le PLS, le prêt locatif social.
La cheffe d’entreprise assure que « cela a bien marché au démarrage »,
elle recrute trois salariés. Babymoov, société de produits de puériculture
fondé à Clermont-Ferrand, 130 salariés, fête ses 20 ans en 2017, en déficit
d’un million d’euros pour un chiffre d’affaires de 50 millions, mais en
développement à l’international.
Surviennent des chocs.
Geoffrey perd son plus gros client. Alors qu’elle était bénéficiaire en 2018, l’entreprise
de Marc est déficitaire en 2019 de 8 000 euros, parce qu’il a lancé des
investissements. Puis le Covid suspend tous les budgets communication. Quant à
Caroline Liby, le PLS sur lequel se base son activité d’investissement doit
respecter le taux d’usure, en étant légalement adossé au livret A… Qui dépasse
le taux d’usure. « Cela a planté pas
mal de dossiers ». Du côté de Babymoov, un refus de prêt d’investissement
des banques, car les ratios financiers sont mauvais, met à mal la situation
financière. « On ne se rendait pas compte que la gestion de la société
n’était pas assez précise. On devait vraiment se remettre en cause »,
se souvient Laurent Windenberger, l’un des trois cofondateurs.
Recherche de solutions
Marc et Geoffrey cherchent des
solutions de leur côté : réduction d’effectif, production de palettes,
sous-traitance pour Geoffrey. L’équilibre est fragile, les activités restantes
sont plus standardisées, et l’entreprise a du mal à être compétitive. Il doit
se défaire d’une partie de son stock, ne parvient pas à amortir deux machines
refaites à neuf, n’obtient pas les subventions espérées pour se lancer sur un
marché plus porteur. Des licenciements pour inaptitude « vident la
trésorerie ». Surtout, ses principaux clients, dans l’équipement
automobile, la construction et l’équipement de la maison, sont également en
difficulté et lui passent moins de commandes.
Marc recourt à un prêt
garanti par l’Etat (PGE) de 62 000 euros pour investir dans de nouveaux
services. « Cela ne s'est pas passé comme prévu ». Au premier
déconfinement, il pense que la situation va repartir, embauche quelques
salariés … « Tout a été balayé en octobre 2020 », avec le reconfinement.
Il met ses salariés en chômage partiel, fait appel au fonds de solidarité,
réduit ses dépenses, prospecte. Les quelques contrats signés ne sont pas
suffisants. « A ce moment-là, raconte Marc, je sais que je ne pourrai
pas payer le PGE. Ça commence à devenir très difficile au niveau des
cotisations Urssaf », même s’il bénéficie de quelques reports de paiement.
Le chiffre d’affaires baisse à 160 000 euros.
Unanimement, les experts
observent que de nombreux entrepreneurs en cessation des paiements n’ont pas
suffisamment anticipé : les difficultés s’accumulent, ils essayent de s’en
sortir seuls, ne connaissent pas ou ne veulent pas entreprendre les procédures préventives.
Parmi les associés de Caroline Liby, un juge commissaire lui conseille de
prendre les devants. Elle contacte un avocat spécialisé dans les procédures
collectives, Mohamed Bouzenada, assez tôt pour entamer une conciliation
judiciaire en décembre 2022, qui permet de travailler sur un plan d’adossement.
« Casser cette
dynamique qui tire vers le bas »
Selon l’avocat Sylvain
Paillotin, associé chez Redlink Avocats, plus une entreprise est accompagnée,
plus elle a de chances d’anticiper. Laurent Windenberger confirme que chez Babymoov,
le coaching d’un actionnaire minoritaire a été primordial. Sylvain Paillotin observe que c’est souvent le cas des start-up, dont les dirigeants sont préparés
psychologiquement à l’échec, « veulent préserver l’avenir » et
préfèrent fermer tôt pour éviter des conséquences telles que l’interdiction de
gérer. Ils ont aussi une culture financière d’anticipation et une sorte de
« peur primale » dans un environnement très concurrentiel, qui
permet d’avoir « la réactivité suffisante pour se réinventer ».
Les petites entreprises,
elles, sont décrites comme souvent moins outillées en interne, moins
accompagnées et moins habituées culturellement à anticiper les difficultés. L’expert-comptable
Paul Lederlin précise que les grandes entreprises, déjà plus entourées, ont
l’obligation de faire intervenir un commissaire aux comptes. Celles en-dessous
d’un certain seuil en sont dispensées. « Le but était de baisser les
contraintes des petites entreprises. Mais sans le commissaire aux comptes, il y
a moins de prévention. Quand celui-ci considère que la société ne sera pas
pérenne pour l'exercice à venir, il peut diligenter une procédure d'alerte,
solliciter dans un premier temps les actionnaires et, s'il n'y a pas les bonnes
réponses, le président du tribunal de commerce ».
Beaucoup d'experts soulignent que deux grandes qualités des entrepreneurs, l’optimisme et la
détermination, peuvent se retourner contre eux en cas de difficulté, en virant
à l’acharnement. Sylvain Paillotin pointe aussi « un manque de
structuration quand les choses vont bien qui permettrait de débrancher avec le
moins de dégâts possibles quand cela ne marche pas ».
François Desprat, président
du CNAJMJ, Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires,
témoigne que, quand les dirigeants sollicitent l’ouverture d’une procédure
collective, « certains sont affaiblis moralement et physiquement épuisés.
Donc il faut casser cette dynamique qui tire vers le bas. Mais ensuite, c’est
un soulagement. Ils ne voient plus les huissiers toutes les semaines parce que
les poursuites se sont arrêtées. Mécaniquement, la trésorerie augmente
puisqu’on fige le passif. Une trésorerie positive ne se gère pas du tout de la
même façon que quand ils courent après l’argent ».
De l’avis général, les
relations avec les administrateurs judiciaires sont constructives. Le tout est
de se rappeler que ces derniers privilégient à chaque fois « l'offre qui
permettra d'assurer la pérennité de l'entreprise, de sauvegarder plus
d'emplois, et de désintéresser le plus de créanciers, dans cet ordre de
priorité », résume l’investisseuse Delphine Inesta.
Des procédures entre tristesse
et soulagement
Pour Marc comme pour Geoffrey,
la situation ne se redresse pas. Leur souhait est d’en finir au plus vite et
surtout ne pas laisser d’ardoise à leurs fournisseurs. Marc demande directement
au tribunal de commerce une liquidation judiciaire, qui intervient en novembre
2021. L’administrateur prend alors le
contrôle de la gestion de l’entreprise pour distribuer le peu qu’il y a sur
le compte, même si l’ensemble des dettes ne peut pas être réglé. « J’ai dépensé tellement d’énergie. C’était voué à s’arrêter ».
Avec la liquidation judiciaire, il y a « de la tristesse, mais aussi du
soulagement ».
Geoffrey, qui n’est pas en
août en situation d'impayé mais le sera probablement en septembre (le chiffre
d’affaires, passé d’un million d’euros à 760 000 euros, continue de
baisser), s’apprête à déposer un dossier suite à un entretien où il découvre la
procédure. Il s’attend à une liquidation judiciaire sèche, ne s’opposerait pas
à une décision de continuation, mais ne voit pas de perspectives. « Surtout,
j'ai perdu un truc essentiel : la motivation. Maintenant, je sais que le
moral et l’envie d’entreprendre sont le moteur ».
Caroline Liby est « ultra
bien accompagnée par l’administrateur judiciaire, Guillaume Jouet, lors de la
procédure de redressement judiciaire ». Cinq offres de reprise
arrivent. La frilosité des banques, qui préfèrent faire jouer les énormes
contre-garanties de 90 %, propres à l’économie sociale et solidaire, fait
aboutir la procédure sur une liquidation judiciaire avec cession des actifs, à
un consortium de trois coopératives HLM qui reprend l’ensemble de l’entreprise
: marque, portefeuille, équipe, locaux, positionnement… Ce que souhaitait
Caroline Liby, qui devient directrice générale salariée. « Côté
financier, on sort de l'histoire correctement vis-à-vis des créanciers ».
Même s’il faut « repartir de zéro, recréer une entité juridique et tout
transférer ».
Chez Babymoov, les banques
demandent un mandat ad hoc, et une conciliation bancaire s’ouvre en parallèle.
« On ne connaissait pas les affaires spéciales des banques, on est
passé de client à paria », caricature Laurent Windenberger. Le bras de
fer est éprouvant, d’autant que tout le monde est au courant d’une procédure
censée être anonyme. L’entreprise restructure son activité, fait échelonner ses
paiements envers l’Etat, engage une nouvelle directrice financière qui apporte
de la rigueur. En un an et demi, la société est sortie d’affaires.
Christophe Caro, associé du
cabinet de management de transition Delville Management, explique que les
managers de transition peuvent être appelés par un administrateur judiciaire ou
l’entrepreneur pour intervenir sur la restructuration de dette, la
réorganisation de l’activité productive, des équipes… quand l’activité est
viable, mais que l’entreprise ne peut plus la financer ou quand elle se
contracte, de façon structurelle ou conjoncturelle. Mais aussi pour « un
problème de marge, de rentabilité ou une dette disproportionnée pour des
sociétés qui restent profitables, mais insuffisamment par rapport à leur dette »,
selon Paul Lederlin.
« Généralement la restructuration pure
financière se fait en amiable », explique Fabrice Dalat, avocat au cabinet Desfilis, l’idée étant de « procéder à la contestation du passif, voir ce qu'on
peut apurer ». En redressement judiciaire (hors procédure de classe de
partie affectée), les avocats cherchent à obtenir « des abandons
partiels de créance par la présentation d’un plan de continuation à plusieurs
options, en proposant au créancier par exemple d'accepter un paiement plus
rapide, mais avec une un rabais de sa créance, à défaut sa créance sera réglée
sur la durée du plan ».
Paul Lederlin attire aussi
l’attention sur le fait que « les fonds propres, c'est fondamental ».
Laurent Windenberger témoigne d’ailleurs que c’est en puisant dans leurs
économies personnelles pour alimenter les fonds propres qu’ils ont convaincu
les banquiers d’accorder un prêt à Babymoov.
Un accompagnement pas assez
connu
Geoffrey souhaiterait « une
cellule de veille accessible aux gens dans [s]a situation pour prendre les
décisions qui s’imposent avant qu’il ne soit trop tard. Avec des objectifs
chiffrés : si tu ne les atteins pas à telle date, il faut arrêter ». Il est tout de même aidé par le SDI, le syndicat des indépendants.
Avocats, experts-comptables,
managers de transition peuvent aider les entrepreneurs avant ou pendant une
procédure amiable ou collective. Tous soulignent que plus ils interviennent
tôt, plus l’entreprise a des chances de s’en sortir.
Paul Lederlin, associé du
cabinet Eight Advisory, est expert-comptable spécialisé dans les situations de
crise. Il rappelle comme d’autres que la technicité autour des restructurations
augmente, de par l’évolution de la législation et surtout l’augmentation des
outils financiers à disposition, certains très subtils à manipuler – comme les
récentes cl asses de partie affectées, pour la gestion des créanciers. « En
général, l'expert-comptable attitré d’une entreprise sait les difficultés de celle-ci,
mais quand il explique le sujet, le chef d'entreprise l'écoute à peine car il
lui faut un temps de maturation pour en prendre conscience. Quand moi j'entre
avec une procédure amiable, cela peut faire un électrochoc. Mais parfois ça ne
suffit pas ».
Selon Sandra Beladjine,
administratrice judiciaire et membre du bureau de l’ARE, association pour le
retournement d’entreprise, « la prévention s’est vraiment accrue, les
banques en font aussi quand on demande un nouveau crédit ». Et il existe
des investisseurs spécialisés dans les entreprises en difficulté. Delphine
Inesta, qui a cofondé le fonds Arcole, accompagne des entreprises dans certains
cas en pertes financières, mais avec un potentiel de rebond sous réserve de
mettre en place les actions adéquates : « par exemple, investissement
massif dans l'outil de production, mise en œuvre de nouvelles activités,
nouveaux produits complémentaires, aide à la digitalisation, ajout au sein de l'équipe
de direction existante si besoin, ou encore arrêt des activités déficitaires ».
Pas de délocalisation, mais un recentrage sur le cœur de l’activité.
Pour elle, « la
réussite d’un redéploiement, c'est toujours la rencontre entre une activité, un
marché et une équipe ». Un
dialogue et une grande confiance entre le dirigeant et les actionnaires est
indispensable. « Les enjeux sont cruciaux, l'entreprise ne peut pas
gérer en plus une crise de la gouvernance », qui peut précipiter sa
chute. Les compétences d’Arcole incluent d’ailleurs « une connaissance
des deux côtés de la barrière et nous permet de réunir l’opérationnel et le financier ».
S’il existe de nombreux
dispositifs d’aide, plusieurs intervenants affirment qu’ils ne sont pas encore
assez connus des entrepreneurs. Pour Jean-Guilhem Daré, délégué général du SDI,
« on peut savoir que des dispositifs existent, mais ne pas savoir
comment s'y prendre. Ce n’est pas dans la culture des entrepreneurs de se
tourner vers le tribunal de commerce, pourtant conçu pour essayer de résoudre
les difficultés avant qu'il soit trop tard. On peut avoir peur de l’aspect financier
(combien coûte un administrateur ?), de perdre la gestion de sa boite, d'un
engrenage, du côté jugement. Le mot tribunal, psychologiquement, c'est très dur
». Le SDI avait d’ailleurs proposé de remplacer le nom de tribunal de commerce
par « maison de la prévention ».
Pour lui, le dispositif
Signaux Faibles, mis en place par le ministère de l’Economie, ne fonctionne pas
sur les toutes petites entreprises, mais un système équivalent pour elles lui
semblerait une bonne idée. « La démarche est inverse. Ce n'est plus le
chef d'entreprise qui doit prendre conscience et se renseigner mais
l'administration qui le prévient que quelque chose ne va pas ».
Des associations aussi sont
là pour aider les entreprises, comme l’Apesa, qui apporte une aide
psychologique, ou le CIP, centre d’information sur la prévention des
difficultés des entreprises, qui informe sur les différents dispositifs
possibles et aide à poser un diagnostic.
Les conséquences
psychologiques
« Pour un petit
entrepreneur, le dépôt de bilan, c’est la fin, il se voit déjà salarié dans un
supermarché », illustre William Nahum, fondateur du CIP. Pour Sandra
Beladjine, « pousser la porte du tribunal et demander une procédure ne
doit pas être vu comme un échec », ce qui reste pourtant souvent le cas. Elle
observe tout de même « une progression des mentalités des petites
entreprises pour le recours à la conciliation et au mandat ». Même si ces
procédures restent peu connues.
Marc a depuis lancé d’autres
projets. Cet échec lui a fait prendre du recul. « Il ne faut pas se faire
d'illusions. Cela ne sert à rien de s’obstiner. Je dis aux jeunes
entrepreneurs, votre boîte n'est pas votre bébé, même si j’en ai eu
l’impression, c'est un projet. Il faut accepter d'arrêter au bon moment. Pour
ensuite passer à autre chose ».
Geoffrey regrette une forme
d’acharnement après le départ de son client principal. « Le problème c'est qu’on
contracte d'autres emprunts pour s’en sortir et on aggrave la situation ». Il
souhaiterait vendre son entreprise, à moins d’une reprise inespérée de
l’activité. Et monter une activité en indépendant, sans les complications
administratives liées à l’emploi de salariés.
Laurent Windenberger reconnait
que les associés de Babymoov ont beaucoup douté, mais « le fait d’être
trois a été salvateur » : « en mode gestion de crise »,
ils se répartissent les rôles et s’épaulent, en pleine confiance, et arrivent à
entrainer leurs équipes. L’épisode leur sert de leçon sur la gestion de
l’entreprise, alors qu’ils étaient auparavant centrés sur son développement.
S’ils regrettent que les banques ne les aient pas avertis en amont, ils suivent
désormais leurs indicateurs de référence. Le jour où les banques les ont
déclarés officiellement sortis d’affaires, commençait le premier confinement.
Mais, forts de cette expérience, la crise sanitaire s’est avérée plus simple à
passer.
Caroline
Liby a été suivie par un psychologue. « En redressement, le perso et le pro
se mélangent, c'est ultraviolent. J'ai eu quelques nuits blanches ». Elle
reconnait qu’au début, elle ne voulait pas entendre parler de procédure
judiciaire. « J’aurais sans doute dû accepter plus tôt. Les derniers mois
étaient très compliqués, on aurait pu accélérer. Psychologiquement il faut
réussir à passer ce cap et se dire qu’on souffrira moins avec cette procédure
». Dans son esprit, l’accompagnement, notamment par l’association Les Antilopes
Entrepreneurs Solidaires, constituée « d’entrepreneurs qui ont traversé ces
procédures collectives », a été primordial pour se « détacher de la
structure » : « Aujourd'hui, elle ne m'appartient plus
». Elle travaille désormais avec les repreneurs sur plusieurs projets. « On fait
le dos rond, on attend une sortie de crise immobilière. Mais quand il y a une
crise, y a des opportunités ».
* les prénoms ont été
modifiés
Aude
David
Redressement
judiciaire, liquidation judiciaire, procédure de sauvegarde… De quoi
parle-t-on ?
Il
existe plusieurs procédures pour faire face à une défaillance, et même pour
la prévenir. Toutes ont leur utilité, selon la situation de l’entreprise.
La
défaillance, ou dépôt de bilan, survient quand l’actif disponible (trésorerie
et réserves immédiatement disponible) de l’entreprise est inférieur à son
passif exigible (les factures et emprunts arrivés à échéance). En clair, elle
ne peut plus régler ses dettes. Elle doit alors déposer sous 45 jours une
déclaration de cessation de paiement, généralement au tribunal de commerce. Celui-ci
peut ouvrir deux types de procédure, pour résorber la défaillance, ou,
parfois, la prévenir.
- Les procédures
collectives
Ces
procédures, publiées au bulletin officiel des annonces civiles et
commerciales, imposent l’arrêt des poursuites aux créanciers. Un juge
commissaire veille à leur bon déroulement. Un mandataire judiciaire
représente les créanciers.
La
liquidation judiciaire s’impose à l’entreprise définitivement
insolvable : l’activité s’arrête, un liquidateur judiciaire assure la
vente des actifs. En 2023, selon le Conseil national des administrateurs
judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), il y a eu 38 137
liquidations directes.
Le
redressement judiciaire permet à l’entreprise en défaillance d’essayer de
se redresser. Elle s’ouvre sur une période d’observation et aboutit sur une
clôture de la procédure, si les problèmes sont résolus, la mise en place d’un
plan de redressement, si les difficultés semblent surmontables, ou une
liquidation judiciaire. Comme celle-ci, elle peut être demandée par le
dirigeant, un créancier ou le ministère public. Un administrateur judiciaire conseille
le dirigeant et surveille ou assure lui-même la gestion de l’entreprise. 15 324
redressements judiciaires ont été ouverts en 2023.
La
procédure de sauvegarde est particulière, puisqu’elle n’est accessible
qu’aux entreprises pas encore en cessation de paiement, sur demande du seul dirigeant.
L’administrateur judiciaire l’assiste. La période d’observation aboutit sur
l’adoption d’un plan de sauvegarde, ou la conversion en redressement ou
liquidation. Elle assure la protection des cautions mais ne permet pas de
faire appel à l’AGS, le régime de garantie des salaires. Il y en a eues
1 572 en 2023.
Enfin,
la procédure de traitement de sortie de crise, mise en place dans le
cadre de la crise sanitaire, peut être demandée jusqu’au 21 novembre 2025. Le
nombre de conditions nécessaires pour y être éligible explique son peu de
recours, 63 en 2023.
Les
procédures amiables sont confidentielles – ce qui explique en partie leur
plus grand succès que la procédure de sauvegarde. Seul le dirigeant peut les demander.
Il continue de gérer seul son entreprise mais ne peut rien imposer aux
créanciers.
La
conciliation concerne les entreprises pas encore en cessation de
paiement, ou depuis moins de 45 jours. Un conciliateur aide à trouver
un accord amiable avec les créanciers et rédiger un accord de conciliation. Une
fois la procédure ouverte, les créanciers ne peuvent plus demander de
redressement ou liquidation judiciaire. 3 276 conciliations sont
survenues en 2023.
De
son côté, le mandat ad hoc n’est pas envisageable en cas de cessation
de paiement. Le mandataire ad hoc aide l’entreprise à rétablir sa situation
financière. 4546 mandats ont été ouverts en 2023.
- Quelle
utilisation pour chaque procédure ?
Si
en théorie, ces procédures correspondent à des situations différentes, dans
les faits, la frontière est parfois mince, expliquent certains professionnels
: la cessation de paiement se joue à un jour près, la date d’exigibilité
d’une créance qui rend le passif supérieur à l’actif. L’entreprise a donc un
certain choix de procédure.
Il
pourrait sembler logique de privilégier une procédure préventive quand c'est
possible. Or, outre que cela nécessite une anticipation suffisante, les
professionnels expliquent que parfois, une sauvegarde, voire un redressement
sont préférables : délai plus long, facilité pour traiter les dettes
fournisseurs (l’amiable marche surtout pour les dettes financières)… Même s’il arrive que les entrepreneurs
effrayés par le redressement sollicitent une procédure amiable inadaptée,
perdant du temps. La publicité de la procédure collective peut cependant
nuire à certaines activités. Parfois, une liquidation judiciaire sèche est
préférable à un redressement qui finira en liquidation.
Les
procédures les plus anticipées réussissent plus souvent : le taux de
réussite des procédures amiables est ainsi supérieur à 70%. Selon Deloitte,
en 2023, 54% de sauvegardes ont débouché sur un plan de continuation, 27% sur
une liquidation judiciaire ; 64% des plans conclus en 2013 ont fini en
liquidation. Pour les redressements judiciaires, 23% ont débouché sur un plan
de continuation, 69% sur une liquidation judiciaire, et 73% des plans conclus
en 2013 se sont finis en liquidation judiciaire.
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