Une étude
BNPPRE* publiait en juin que 60 % des entreprises envisageaient de
renégocier leur bail et leur loyer. Dans le même temps, 40 % songeraient à résilier leur bail, et 36 % voulaient réduire leur surface. Force est
de constater que les entreprises, quelle que soit leur taille ou leur capacité
de financement, demandent aux bailleurs d’assouplir les modalités du bail
commercial, voire même étudient des solutions flexibles par le biais de
contrats de coworking. Ce mouvement s’accentue encore depuis le printemps et la
crise que nous traversons. Comment analyser cela ? Quel est le cadre
réglementaire du bail commercial, et quelles sont réellement les alternatives
proposées par les nouveaux acteurs flexibles de l’immobilier ?
Vers une évolution de
l’environnement de travail
Pour rappel,
le bail commercial est un contrat qui régit les relations entre un bailleur et
un preneur sur une surface définie et pour une durée de neuf ans, avec possibilité pour le preneur de sortir à l’échéance de
chaque période triennale moyennant un préavis de six mois. Un bail
commercial étant un contrat qui engage les deux parties, sur des montants
importants, il est généralement négocié avec l’aide d’un avocat, et fait
l’objet de nombreux allers-retours qui peuvent durer plusieurs mois. Entre les
premières visites d’immeubles et l’installation du preneur dans les locaux, il
n’est pas rare que six à douze mois se soient écoulés afin de
mener les négociations et de faire réaliser les travaux d’aménagement.
À l’inverse,
une installation dans un espace de
coworking peut se faire en 24h, puisque par définition, les locaux sont
déjà câblés, aménagés, prêts à accueillir les collaborateurs, et le contrat de
service, beaucoup plus court et moins engageant, n’est généralement pas négocié
par les parties.
Flexibilité
dans le temps et dans l’espace
La flexibilité sur la durée de l’engagement et dans le nombre de mètres
carrés attitrés est évidemment un élément clef au jeu des différences.
Aujourd’hui, le bail commercial n’est pas suffisamment adapté pour les
start-up, pour les sociétés en forte croissance, ou pour celles qui
malheureusement anticipent une réduction de leurs effectifs. Il existe bien une
dérogation possible avec le bail précaire mais qui s’avère rarement
satisfaisante, pour le bailleur comme pour le preneur.
Les contrats de services, quant à eux, proposent des durées d’engagement
qui vont d’un mois à plusieurs années, et savent s’adapter à une évolution dans
l’espace. Si de nouveaux collaborateurs rejoignent l’entreprise cliente, il lui
suffit de prendre des espaces supplémentaires. Là où une start-up qui projette
de recruter une trentaine de collaborateurs sur quatre ans n’a pas d’autre
choix que de louer directement 250 ou 300 m² en bail commercial, elle pourra commencer avec un ou deux postes de
travail privatisés dans un espace de travail flexible, et augmenter
progressivement ses surfaces au fur et à mesure de l’arrivée des collaborateurs,
ce qui limite considérablement les coûts initiaux.
Flexibilisation des coûts dits
« fixes »
Et c’est bien là le deuxième sujet, souvent sous-estimé par les
bailleurs : le coût de l’installation dans des locaux commerciaux. Ainsi,
il est d’usage de demander trois mois de loyer en dépôt de garantie, et le
loyer, ainsi que les charges et taxes sont payables par trimestre d’avance. La
mise de fonds pour prendre possession de locaux est donc de six mois de loyer.
Viennent ensuite les coûts d’aménagement pour cloisonner, câbler, aménager un
espace cuisine, un accueil, acheter le mobilier, les équipements informatiques…
il n’est pas rare en régions que ces travaux représentent l’équivalent de plus
de deux ans de loyer. De nombreux bailleurs participent d’ailleurs sous forme
de franchise de loyer à ces investissements. Il est important également d’avoir
en tête qu’à la fin d’un bail, le bailleur peut soit conserver gracieusement
les aménagements en place, soit demander au locataire de remettre intégralement
en état les locaux, ce qui peut représenter là encore l’équivalent de dix à douze mois de
loyer.
Enfin, si la société Locataire n’est pas suffisamment stable
financièrement, si elle ne peut pas produire deux bilans positifs, le bailleur
demandera une garantie bancaire qui peut aller jusqu’à l’équivalent de douze mois de loyer, charges et taxes.
Si l’on reprend l’exemple de la start-up précédemment citée, non
seulement elle devra prendre directement une surface bien supérieure à ses
besoins du moment, mais elle devra en plus débourser l’équivalent de trois ans
et demi de loyer pour s’installer dans les locaux, avec en toile le fond de
potentiels coûts de départ très élevés lorsqu’il lui faudra dénoncer son bail
pour prendre des locaux plus grands.
À l’inverse, les redevances des contrats de services proposés par les
espaces de travail flexibles sont généralement payables par mois d’avance, et
le dépôt de garantie correspond à un, deux ou trois mois de redevance selon les acteurs. Les frais de travaux et
d’installation sont quasiment inexistants puisque les locaux sont déjà meublés
et équipés, et les coûts en cas de départ se limitent en général à un simple
ménage de fond, voire à la réparation de potentielles dégradations.
Les coûts cachés de l’immobilier
Cette question des coûts de remise en état sont à remettre dans la
perspective plus large de ce qui est communément appelé « les coûts cachés de
l’immobilier ». Ainsi, lorsqu’une entreprise recherche des locaux, elle va
habituellement comparer le coût du loyer au mètre carré. Éventuellement, elle
inclura les charges locatives et la taxe foncière dans son calcul. Mais
ira-t-elle dans le détail des charges ? De ce qui est inclus et de ce qu’elle
devra payer en sus ? Pensera-t-elle au ménage, à la maintenance, à
l’entretien, à la sécurité (contrôle d’accès, caméras, alarme), au gardiennage,
à l’assurance, au coût d’une salle autocom pour ses équipements
informatiques ? Sans parler des travaux d’aménagement et du mobilier déjà
énoncés plus haut.
Dans cette optique, les contrats de service proposés par les acteurs du coworking
ont le mérite d’être clef en main. À part les consommables (impressions, appels
téléphoniques, café, affranchissement, et encore, plusieurs acteurs proposent
des packs sur ces postes de coût), le tarif est fixé pour la durée du contrat.
Pas de rappel de charges, pas de réparations, pas de surprise. Comme à l’hôtel,
les disfonctionnements doivent être signalés au personnel pour être pris en
charge par l’établissement. Pour le client, ni surcoût ni temps perdu, et un
seul prestataire à gérer. Inutile de souscrire des contrats pour l’eau,
l’énergie, l’entretien etc.
Le prix peut évidemment sembler plus élevé de prime abord, mais il se
révèle bien souvent tout à fait compétitif lorsque l’on descend dans le détail
des coûts immobiliers. Et cela s’explique car les services, et donc les coûts,
sont mutualisés. En somme, une entreprise qui ne loue qu’un bureau pour deux
personnes bénéficie des tarifs négociés sur les 2 000 m² du site.
Services
Enfin, au-delà des simples mètres carrés loués, les utilisateurs
attendent de plus en plus de services. Espaces de restauration, casiers
connectés, salle de sport, espace détente, proximité de commerces, etc. Or il
est évident que le bail commercial n’est pas adapté à ces nouveaux usages, et
le statut des SIIC impose d’ailleurs de différencier le traitement des mètres
carrés et des services.
Par comparaison, un espace de coworking ou un centre d’affaires va
fonctionner sur la base d’un contrat de services. Dans ce cadre, la mise à
disposition d’un bureau devient un service parmi d’autres, ce qui permet
d’inclure, par nature, n’importe quelle autre prestation.
En conclusion, si les contrats de service proposés par les nouveaux
acteurs de l’immobilier répondent aux attentes des entreprises en termes de
flexibilité dans le temps et dans l’espace, ils conduisent également à une
mutation profonde des réflexions immobilières. Ils offrent en effet la
possibilité de ne plus réfléchir en coût par mètre carré mais en coût par
personne, et par là-même de flexibiliser dans les bilans les coûts fixes des
amortissements notamment. Quand on sait que l’immobilier représente le deuxième
poste de coûts pour les entreprises après les salaires, la réflexion est loin
d’être anodine.
*Étude BNP Paribas Real Estate du 17 juin 2020.
Marie-Anne Morin,
Directrice Générale de Flex-O