Soutenir les entrepreneures
responsables par le collectif et le numérique : tel est l’objectif du
Club Gen #Startuppeuse. Fondé par Viviane de Beaufort, professeure à l’ESSEC
Business School, ce Club accueille des projets à impact positif, portés par des
femmes (ou en mixte). Celles-ci sont accompagnées par des expert.e.s (juristes,
financiers, experts-comptables, investisseurs, coaches, mentors, business developers, designers, codeurs, etc.) dans le
développement de leur projet. Pour en apprendre un peu plus sur les objectifs
du Club, nous avons rencontré sa fondatrice, qui revient sur sa création, son
fonctionnement et son développement, et sur le projet de Hakasprint #Women
#Tech4good, lequel se tiendra le 20 novembre prochain.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis d’abord et avant tout professeure titulaire de droit européen des
affaires à l’ESSEC, depuis 30 ans, où j’ai pu développer des cours et des
recherches transversales plutôt atypiques tant sur le lobbying que sur
la gouvernance d’entreprise par exemple. J’ai cofondé le cursus droit,
développé l’Executive MBA Essec & Mannheim, puis en 2007, mon engagement
pour l’Égalite femme/homme m’a amenée, tout en poursuivant mes activités en
droit, à développer divers projets dédiés, dont le Women Board Ready EXEC
et des travaux relevant des « gender issues » ; et plus
récemment en 2017, le Club Génération #Startuppeuse.
Justement, pouvez-vous nous en dire plus sur
ce club. De quoi s’agit-il ? Comment est né ce projet ?
En 2017, j’ai publié le livre Génération #Startuppeuse ou la
nouvelle ère chez Eyrolles, livre dédié à ma fille parce qu’elle a choisi,
comme nombre de jeunes de la génération Y, de ne pas continuer sur une
voie classique dans une corporate ou un cabinet de consulting pour
tenter une aventure entrepreneuriale ; avec le souci de développer un
impact positif. Dans cet ouvrage, j’ai pu valider des tendances qui permettent
d’évoquer un phénomène générationnel, même si fonder une start-up n’est pas
réservé aux trentenaires (au Club, on a huit projets de quinqua). Elles sont digital
native, jouent collectif, sont à la recherche d’un impact positif, ont le
goût de la liberté, éprouvent un sentiment de citoyenneté fort et à l’échelle
de la planète.
Après ce livre, je me suis demandé comment, dans ma position, je
pouvais aider la génération de « mes enfants » à entreprendre autrement.
C’est donc un acte fort de transmission que de développer ce Club, peut-être le
dernier de ma vie. J’éprouve le sentiment d’une grande responsabilité à l’égard
des projets qui tentent de « sauver le monde ». Ce Club est
dédié à des startuppeuses portant un projet à impact, les plus longs à faire
émerger. Je fais appel au mécénat de compétences dans la bienveillance. Là où
il est impossible de soutenir seule plus de deux ou trois projets, jouer
ensemble en demandant un peu à chacun.e décuple le potentiel d’accompagnement.
Nous avons développé un accompagnement à distance avec le numérique et in
situ, collectif et individualisé en fonction des besoins de chaque projet.
Comment sont sélectionnées les
start-up ? Par qui et selon quels critères, et à quelle maturité du
projet ?
Le stade importe peu. Parmi les 44 dates,
quelques-uns sont à peine structurés et en sont aux pactes d’associés et dépôt
de marque et noms de domaines, d’autres ont du CA ou/et en sont à leur deuxième
levée de fonds à 800 000 euros. Ils sont sélectionnés à partir de
leur descriptif, des entretiens business, l’expression de leur impact même
ébauchée ; une attention particulière est accordée à la personne par une
coach. On doit se choisir mutuellement. Par ailleurs, je veille, et notre
Charte l’acte, à éviter toute concurrence potentielle parmi les projets car il
est impossible d’ouvrir son réseau personnel à des projets concurrents ;
question d’éthique personnelle.
Comment se déroule l’accompagnement, et sur
quelle durée ?
Il est de durée variable et plutôt long, puisque le Club a notamment
été créé en réponse aux incubations qui, selon moi, sont souvent trop courtes
et ne permettent pas à un projet d’émerger, lorsqu’on part du début et qu’en
plus, on recherche un impact. Ces projets ont en effet, par essence, un business
model complexe à trouver, et ont donc besoin d’un soutien permanent. J’ai
l’habitude de dire que je fais couveuse, crèche, incubateur et accélérateur…
selon le moment où elles les intègrent. Le Club pratique aussi la co-incubation
avec des incubateurs ESS, comme Antropia ou La Ruche et des incubateurs TECH
tel que Station F ou Arts et Métiers ou WAI-BNPP, ou encore sectoriels selon la
nature du projet, etc. Le fait que ce soit bénévole, même si c’est très
exigeant, permet, puisque je n’ai pas d’objectifs de retour sur investissement,
sinon qu’elles réussissent, de donner ce tempo long à qui en a besoin et
d’intégrer tant un projet dont les statuts ne sont même pas déposés, qu’un
autre qui a déjà dix salariés et en est à sa troisème levée en
Europe.
Qui sont les experts qui les
accompagnent ?
L’objectif est d’éviter les « trous dans la raquette », je
fais donc appel (call to action) à des expert.e.s
dans tous les domaines : avocats et experts-comptables de manière assez
classique, mais aussi des coachs car accompagner le mental est important, des UX
designers pour les aider à construire des sites web attirants et bien
structurés, plusieurs des plus grands experts impact ODD de France, des
investisseurs, etc.
Les entrepreneures que vous accompagnez sont
initiatrices de projets responsables. Ce critère était-il fondamental lors de
la création du Club ? Pourquoi ?
Oui, il l’a toujours été, puisque c’est en regardant vivre le projet de
ma fille Marine,
@voyagir, consacré au tourisme durable, que j’ai pris cet engagement d’aider
les projets à impact, même si au début, je regardais seulement l’effet positif
potentiel. On a désormais une démarche beaucoup plus aboutie que j’ai mis un
peu de temps à finaliser. Il s’agit de les accompagner à s’exprimer et même à
chiffrer à partir des indicateurs Objectifs de Développement Durable de l’ONU.
Cela a pris un an de travail avec trois expertes du Club, dont Marine, qui,
pour le coup, a donné du temps d’experte, conformément à la philosophie du Club
« l’art de donner et recevoir ». Ce guidelines ODD a
été testé et amélioré. Un premier HackaSprint, le 20 novembre prochain, va
permettre pour 12 des projets de valoriser leur impact et ensuite, on
déploiera pour les autres. L’enjeu est important au moment où la finance
responsable se développe.
Votre Club mise fortement sur le
collectif ?
Mutualiser
et échanger sont aussi les clés pour monter à bien un projet. C’est bien pour
cela que dans mon livre, j’évoque une génération (celle de nos enfants) qui
joue naturellement collectif et avec d’autant plus de facilité qu’elle dispose
des réseaux sociaux. C’est un véritable changement d’attitude à grande échelle
que de mutualiser, partager, échanger, y compris avec les concurrent.e.s
perçu.e.s comme des coopétiteurs et coopétitrices qui se battent pour les mêmes
objectifs, chacun.e à sa manière. Au Club, ce jeu collectif et d’entraide, on
le développe avec le jeu de la Charte qui précise qu’il faut penser à donner
aux autres startuppeuses. On organise des ateliers où elles échangent. La
démarche d’impact par exemple fait évidemment l’objet d’un suivi individuel,
mais aussi de réactions aux projets des autres. Quand il y a eu l’application
du RGPD, les deux qui étaient en avance, car leurs projets comportaient des
données sensibles, ont fait part de leur expérience, au-delà des conseils de
nos avocates.
Vous êtes en partenariat avec Wirate, une
plateforme qui assure la fiabilité des données d’un projet, informations utiles
pour les personnes qui souhaiteraient en accompagner financièrement le
développement. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Lorsque j’ai pensé à créer ce Club, j’avais un
problème de moyens (que j’ai toujours d’ailleurs), puisque tout repose sur le
bénévolat et que je dispose de fort peu de financements. Or, la dimension
numérique est incontournable, car elle permet de la flexibilité, à la fois
géographique (nous ne sommes pas limités à Paris et l’Île de France, on suit
huit projets en territoires dont trois à Montpellier, un au Luxembourg, un
au Pays-Bas, et bientôt des projets situés en Afrique) et temporelle (les
experts doivent pouvoir aider quand ils le peuvent). J’ai donc cherché une
plateforme susceptible d’héberger le Club. J’ai été séduite par le concept
de crowdrating de Wirate. Patrick Cantelli, le fondateur, a été
lui-même séduit par l’idée de consacrer un Club sur sa plateforme à des projets
à impact crée par des femmes, qui au-delà de l’évaluation des projets apporte
aussi un accompagnement. Depuis, je suis entrée au Conseil de surveillance, car
Wirate se développe vite et s’inspire de l’expérience client du Club Gen
#Startuppeuse, dont Patrick est un expert, comme Alexandre, son associé et
expert en sites web. Le crowdrating permet de manière au départ assez
intuitive d’identifier le potentiel d’un projet. Après trois ans, je peux
affirmer que ces notes collectives reflètent vraiment bien la capacité à se
développer des start-up. Depuis, Wirate a développé des outils plus fins comme
Wisize (étude de marche) ou Weteam (composition de l’équipe de la start-up)
et on espère évidemment mener à bien un WIImpact avec nos travaux du Club.
Le Secrétaire d’État chargé du Numérique,
Cédric O, a déclaré : « En France, ce seront plus de
25 000 emplois directs qui seront créés par les start-up en
2020. » Qu’en pensez-vous ?
J’ignore si
ces projections chiffrées sont exactes et j’avoue me sentir démunie face à
demain, d’autant que la réalité, c’est qu’il y a également des projets qui
échouent. Ce qui est vrai en revanche, c’est que les start-up bien accompagnées
dès le début multiplient leurs chances de se développer. Alors continuons ce
combat pour l’économie et l’emploi et le développement de projets à impact qui
n’est autre qu’une traduction différente du concept d’entreprise à mission de
la loi PACTE.
Dans Les Échos, on pouvait lire que
l’année 2019 « devrait se terminer aux alentours des 5 milliards
d'euros levés par les start-up tricolores ». Quel regard portez-vous sur cette « hypercroissance » ?
Chaque semaine, on a les chiffres des levées de
fonds. Après avoir suivi un minimum, je zappe, car il me semble qu’il faut
faire extrêmement attention à cette vague de levées, parce qu’il y a de
l’argent facile. Une start-up peut ou non avoir besoin, de lever des fonds. Si
elle en a besoin notamment pour développer de la R&D, ou parce que son business
model n’est pas encore trouvé, très bien, qu’elle le fasse en effet, mais
étape par étape.
La course aux levées crée une bulle start-up
qui, si elle explose en France, fera des dégâts considérables. Un certain
nombre de projets n’ont pas besoin de levée pour se développer. C’est un
questionnement quotidien au sein du Club que d’identifier si un projet a besoin
de lever des fonds, quel montant, mais également dans quelles conditions. On a
pu rattraper plusieurs fois des négociations démarrées en tordant le bras de la
start-up soit financièrement, soit relativement à la vision qu’elle avait du
projet et notamment de l’impact.
Quels sont vos projets à venir ?
Très immédiatement ? Mon objectif est de faire une réussite du
Hakasprint #Women, #Tech4good que le Club organise sous l’égide du Womens’
Forum, le 20 novembre prochain avec 12 de nos start-up. Comme évoqué précédemment, elles ont depuis début
septembre travaillé sur leur impact à partir d’un guidelines qu’on a mis
un an à rédiger à partir des ODD (ONU), avec des experts bénévoles d’Antropia
ESSEC, Act4impact, Novethic, Orange RSE, Alter Equity, Raise Impact, Own your
cash, FEST et d’autres. L’enjeu est double : tester notre guide pour les
startuppeuses, cet échantillon de 12 permettra
ainsi de déployer auprès des autres et leur donner le moyen et de mesurer et
communiquer de manière lisible sur leur impact, (enjeu de plus en plus crucial
de la nouvelle économie) et associer plusieurs partenaires engagés sur l’impact
pour porter cette initiative en communication et ainsi promouvoir en France
l’impact et les ODD trop peu valorisés encore. Le besoin est là et tant Onu
Femmes que BPIFRANCE nous parrainent.
À plus long terme, je voudrais créer des conditions de développement
pérenne du Club. Tant avec des financements qu’avec des moyens humains, mais
surtout travailler encore davantage en mode collaboratif, car il est inutile de
recréer des structures d’accompagnement existantes. On peut tout faire en
co-incubation, co-articulation, co-construction… Avec un peu de bonne volonté
et en portant une vision partagée.
Propos
recueillis par Constance Périn