La protection judiciaire de la jeunesse des Yvelines s’apprête à signer
une convention avec l’Education nationale pour proposer de la justice
restaurative dans les écoles. Encore minoritaires, les dispositifs qu’elles
déploient sont voués à se multiplier, y compris auprès des mineurs. L’occasion
de s’interroger sur la place de cette pratique aux côtés de la justice pénale.
« En matière de justice restaurative, il faut y aller pas à pas », sourit, lucide, Ahmed El Borj, chargé de mission au pôle
justice restaurative (JR) de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) des
Yvelines (78).
Depuis plusieurs mois déjà,
son service travaille à la signature d’une convention avec l’Éducation
nationale pour proposer des médiations de justice restaurative dans les écoles
du rectorat de Versailles. « Et ce,
dès le dépôt de plainte », se félicite Ahmed El Borj. Plusieurs fois
repoussée, cette signature est désormais prévue pour la rentrée.
Une belle avancée pour ce
pôle construit en 2021 au sein de la direction territoriale de la PJJ 78. « À l’époque, aucun service n’avait
expérimenté la justice restaurative, nous avons construit un projet ex nihilo »,
se souvient l’ancien éducateur, passé chef d’orchestre du dispositif.
« Le juge des enfants coordinateur était très sceptique. Souvent, les
magistrats ne connaissent pas la justice restaurative et cela ne les intéresse
pas de mettre en place un dispositif pour lequel ils n’ont aucun retour ».
80 dispositifs déployés chaque année auprès
des mineurs
Dispositif gratuit
permettant aux auteurs et aux victimes d’infractions de dialoguer sur la base
du volontariat dans un cadre confidentiel et sécurisé, en complément et à tous
les stades de toutes procédures pénales, la justice restaurative - popularisée
en 2023 par le film de Jeanne Herry Je verrai toujours vos visages - a
été introduite en France par la loi du 15 août 2014 relative à
l’individualisation des peines et l’efficacité des sanctions pénales. Ce texte
s’applique tant aux majeurs qu’aux mineurs.
Plusieurs textes sont néanmoins
venus préciser les contours et modalités de sa mise en œuvre, notamment auprès
du jeune public. Parmi eux, une circulaire du 15 mars 2017, prenant en compte
ses spécificités « au regard du
niveau de maturité et de la capacité de discernement du jeune ».
« Pour ce public, la démarche doit en effet avoir une portée éducative et
viser la réconciliation sociale », note le service évaluation recherche contrôle (SERC) de la PJJ. Il a toutefois
fallu attendre sept années pour que la justice restaurative soit intégrée en
droit pénal des mineurs, par l’article L. 13-4
du Code de la justice pénale des mineurs (CJPM).
À noter surtout qu’entre
2018 et 2020, cette pratique a fait l’objet d’une expérimentation dans
plusieurs territoires pilotes de la protection judiciaire de la jeunesse, - 10
au total -, avant d’être déployée sur le territoire national.
« Depuis 2022, 80 dispositifs sont déployés chaque année pour environ 160
jeunes. En parallèle, depuis 2019, l’Ecole nationale de la PJJ a formé 192
professionnels », communique le Ministère de la Justice. Malgré des
avancées timides, « on constate une
constance dans le déploiement de cette pratique chaque année auprès des mineurs »,
estime la place Vendôme, qui y a consacré un budget de 520 000 euros en 2023
(budget global, mineurs et majeurs).
Régler des problématiques intra-familiales
Seule différence avec la JR
appliquée aux majeurs : la nécessité d’informer et de recueillir au préalable
le consentement des représentants légaux. « La participation des parents facilite l’adhésion et permet de régler
des problématiques intra-familiales », souligne Ahmed El Borj.
Par ailleurs, « pour les auteurs majeurs, la reconnaissance
des faits est la condition première de l’engagement de l'auteur dans un
dispositif restauratif. Pour un auteur mineur, le fait qu’il se sente concerné
par la commission de l’infraction, qu’il ne nie pas les faits et ses
répercussions peuvent suffire à engager un processus restauratif »,
indique le guide de la JR pour les mineurs du Ministère de la Justice.
Si plusieurs dispositifs de
justice restaurative existent (conférence restaurative, rencontres indirectes détenus/condamnés-victimes,
cercles de soutien), dans le champ des mineurs, comme dans celui des majeurs,
la médiation restaurative, plus institutionnalisée et plus facile à organiser,
est la forme privilégiée : la rencontre, après un temps de préparation plus ou
moins long, entre la victime et l’auteur de l’infraction, en présence d’un
animateur.
Une offre restaurative
adaptée « tant du fait des
caractéristiques du public mineur que de la temporalité dans laquelle les
services sont amenés à exercer leurs missions », précise le guide.
Rien d’étonnant donc à ce
que la toute première intervention du pôle JR de la PJJ 78 ait débouché sur ce
dispositif, dans le cadre d’une affaire criminelle impliquant un jeune auteur
qui avait poignardé son frère. L’affaire n’avait pas encore été jugée mais était
en fin d’instruction. Le jeune auteur avait été placé, et très rapidement, la
magistrate en charge du dossier avait souhaité le réintégrer au domicile les
week-ends. Ce qui soulevait des problèmes de cohabitation et justifiait une
médiation.
« Dans le travail
éducatif de la justice pénale, il peut manquer des choses »
Cette dernière aurait pu
être prononcée par la juge dans le cadre de la procédure pénale, comme le
prévoient les dispositions du CJPM et ses « modules de médiation et de
réparation » depuis 2021. Des mesures qui, depuis leur mise en place,
ont brouillé les frontières entre judiciaire et parajudiciaire, justice pénale
et justice restaurative.
Mais comme en
témoignent certains professionnels, l’instauration de ces modules éducatifs n’a pas fondamentalement
changé les pratiques des juges qui n’ont ni le temps, ni les moyens de suivre
ce genre de dispositif.
« Aucune médiation pénale n’a été prononcée sur le tribunal judiciaire de
Versailles depuis 2021 », fait savoir Ahmed El Borj. « De plus, une médiation pénale est une mesure limitée
dans le temps, contrairement à la justice restaurative ». Ainsi, la
médiation restaurative animée par le pôle JR de la PJJ 78 au sein de la fratrie
meurtrie a duré 14 mois.
« La JR n’a pas vocation à se substituer à la justice pénale, elle la
complète », poursuit l’animateur. « Dans le travail éducatif de la justice, il peut manquer des choses. La
JR est une autre manière de travailler, elle peut régler ce qu’il ne l’est pas
lors d’un procès, car celui-ci porte beaucoup sur l’acte et ses conséquences.
Elle porte sur les répercussions de l’acte qui n’ont pas été travaillées ».
« Il y a un très gros travail
de communication à faire »
Au sein de la PJJ, le plus
souvent, la justice restaurative est proposée en post-sentenciel pour des
raisons « mécaniques », le CJPM ayant réduit les délais de procédure
en introduisant une audience de culpabilité à 3 mois, ce qui laisse trop peu de
temps aux animateurs JR pour intervenir. « Ce n’est pas plus mal, reconnaît Ahmed El Borj, car les interventions présentencielles font
tiquer les avocats : comme l’auteur doit reconnaître a minima les faits, pour
les avocats, cela veut dire aveux, donc ils mettent un veto à leur client ».
« Il y a encore un très gros travail de communication à faire »,
reconnaît-il. La confidentialité des échanges dans la JR bloque aussi les
éducateurs qui rechignent à confier un jeune, alors qu’il n’ont pas de retours
sur le dispositif.
« Ils ne comprennent pas qu'au-delà d'être une mesure, la JR est un
droit. Dans un monde idéal, magistrats, avocats, éducateurs PJJ, ASE, police,…
tous devraient informer, auteurs et victimes, de leur droit à faire appel à un
dispositif restauratif. Et aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Les éducateurs
nous envoient des jeunes qu’ils visent spécifiquement, parce qu'ils les jugent
prêts », raconte Ahmed El Bor. Ce qui, selon lui,
contrevient à la philosophie de la justice restaurative et remet en cause son
accessibilité.
Une offre qui devrait être « axée sur les mineurs »
Au sein du barreau de
Versailles, l’avocate Alexandra Lecoq est l’une des rares à réaliser le travail
d’information. « En fonction des
dossiers et des situations », décrit-elle. Mais aucun des justiciables
qu’elle assiste ne s’est encore tourné vers ce droit.
« Pour ma part, j’ai pu la conseiller à mes clients mais en termes
généraux. Et je ne suis pas persuadée que beaucoup d’avocats du barreau de
Versailles se tournent vers la justice restaurative. La PJJ 78 est en phase
d’ascension, mais dans les faits, très peu de mineurs y ont recours »,
constate l’avocate.
Pourtant, l’idée fait
parfois son chemin. « J’ai parlé de
ce dispositif à une victime d’inceste que je défends. Elle n’est pas contre
mais c’est encore trop tôt, car il faut déjà qu’elle gère la procédure
judiciaire. L’auteur ne reconnaît pas encore assez les faits. On est au stade
de l’appel ; il faut que le processus judiciaire soit terminé ».
La professionnelle regrette
toutefois que « la JR ne soit
pas plus appliquée » et considère que cette offre devrait justement
être « axée sur les mineurs ». « Ce
sont les premiers destinataires de cette pratique pour inculquer la notion de
l’autre, l’empathie », défend l’avocate tout en soulignant « qu’il reste des choses à travailler pour que
la JR soit mieux admise ».
Quitte à remettre en cause
son autonomie à l’égard de la procédure pénale : « Les clients ne s’en saisissent pas car ils n’y voient pas d’intérêt. Il
faudrait réfléchir en ce sens-là pour les motiver. »
Harcèlement scolaire, violences sexuelles : « La demande est
forte. »
A défaut de faire
pleinement passer son message, le pôle JR de la PJJ 78 se fixe des objectifs à
moyen terme pour étendre son action auprès des mineurs. Avec, pourquoi pas, des
rencontres détenus-victimes au sein du seul établissement pénitentiaire spécialisé
pour mineurs (EPM) des Yvelines, celui de Porcheville : une cinquantaine de
mineurs accueillis qui pourraient potentiellement être orientés sur des
dispositifs de JR.
Jusqu’à cette convention de
partenariat qui doit voir le jour avec l’Éducation nationale et l’enseignement
catholique pour engager des interventions dans les écoles. « La demande est forte », assure
Ahmed El Borj. Sur fond de libération de la parole sur le harcèlement scolaire,
mais aussi sur les violences sexuelles. Face
à l’augmentation des signalements, la direction départementale de
l’enseignement catholique s’est tournée d’elle-même vers la justice
restaurative.
« Ce projet est né d’un constat », explique Sophie Tessier,
chargée de la vie scolaire au sein de la direction diocésaine. « On a de plus en plus de dépôts de plaintes
sur des faits impliquant des élèves victimes présumées et des élèves auteurs
présumés ».
Autour du harcèlement
scolaire, un fléau qui touche les élèves du primaire au lycée, l’école et la justice sont « mieux
armées », estime-t-elle : programme Phare, mesure de bannissement
numérique depuis 2024,... La mise en place de médiations restauratives
viendraient ici apporter un outil « singulier
et complémentaire ».
« Mais dans le cadre des violences sexuelles, on se retrouve dans des
situations où c'est parole contre parole, et sans matérialité des faits, on ne
peut pas prendre de mesures disciplinaires. On est, de fait, dans la même
situation que la justice, c'est-à-dire qu'on doit absolument le libre crédit de
parole à l'élève victime, mais on doit aussi la présomption d'innocence à
l'élève désigné auteur », explique Sophie Tessier.
La JR préconisée par plusieurs rapports
parlementaires
L’idée avec la justice
restaurative serait notamment d’aménager l’espace-temps qui sépare le dépôt de
plainte de la décision de justice afin de préserver la scolarité de tous. Mais
aussi de proposer une solution au sortir de l’affaire, alors même que la plupart
des plaintes sont classées sans suite.
« On est très dépendants du travail de la justice. On se retrouve à
devoir faire cohabiter deux élèves dans le même espace : ils étudient ensemble,
se rencontrent, partagent les mêmes copains, les mêmes professeurs, parfois les
mêmes activités », témoigne la chargée de la vie scolaire. Avec pour
conséquence une dégradation très forte du bien-être des victimes.
« Elle est aussi accentuée par une incompréhension du rôle que nous
jouons. On a parfois des demandes des parents ou d’élèves : ils souhaitent que
nous jouions un rôle de médiateur, ce qu'on ne peut pas faire parce qu'on n'a
pas la formation suffisante ».
Une situation à mettre en
perspective avec un chiffre : les mineurs représentent un quart des mis en
cause pour infractions à caractère sexuel en 2023. « Une part considérable », pointée dans le dernier rapport du Sénat sur la prévention de la récicidive en matière en matière de viol et
d'agressions sexuelles.
À ce titre, la justice
restaurative auprès des mineurs essaime aussi dans la tête des parlementaires,
qui la préconisent dans leurs rapports. En 2018, le rapport d’information du
Sénat sur la protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles appelait à
« informer systématiquement les
victimes de la possibilité de recourir à de telles mesures ».
En 2025, sur la prévention
de la récidive, la chambre Haute recommande de « tirer davantage profit des dispositions du code de procédure pénale qui
permettent le recours à la justice restaurative à tous les stades de la
procédure lorsque les mis en cause reconnaissent les faits ».
Delphine Schiltz