Le Conseil constitutionnel est depuis 1958 garant de la Constitution. Son rôle a été élargi à plusieurs reprises en
1971, et, successivement, en 2005 avec la
Charte de l’environnement, et en 2008 après la
naissance de la question prioritaire de constitutionnalité.
À partir de 2005, c’est toute la protection de
l’environnement qu’il convenait d’enrober d’une protection par le haut de la
hiérarchie des normes.
Le Conseil constitutionnel s’y est employé d’une manière qui amène à
dégager certaines tendances à l’égard des décisions plus récemment prononcées.
Les décisions ne sont pas si nombreuses en matière d’environnement,
contrairement à certaines craintes formulées lors de la rédaction de la Charte.
En effet, on dénombre aujourd’hui 35 décisions prises en application de la
Charte de l’environnement, 26 dans le cadre du contrôle
a posteriori et 9 seulement en contrôle a priori (1).
Les particularités du contentieux constitutionnel relatif à la Charte de
l’environnement ont contribué à l’élaboration d’une jurisprudence souvent peu
volontariste de la part du Conseil constitutionnel. La dimension
environnementale a pris de l’importance aux débuts de la Charte pour voir
finalement les décisions en la matière s’appauvrir et se raréfier. Ces
décisions souffrent de la comparaison avec celles qui sont rendues par les
Cours constitutionnelles à l’étranger (I). Des obstacles intrinsèques au
fonctionnement du garant de la Constitution méritent une étude approfondie pour
dégager des perspectives d’amélioration dont doit se saisir le législateur
(II).
I. La jurisprudence effacée du
Conseil constitutionnel face à la créativité des Cours constitutionnelles à
l’étranger
Si les premières années de la Charte ont été le lieu d’un certain
nombre de décisions importantes en matière d’environnement du fait de sa
promotion au sommet de la hiérarchie des normes, il reste que les dernières
tendances observées ne conduisent pas à l’avènement attendu d’une véritable
protection juridique de source constitutionnelle (A). Cette absence de
dynamique est encore plus flagrante lorsque l’on s’adonne à une comparaison
avec les décisions des tribunaux à l’étranger qui viennent agréger un mouvement
de protection accrue de l’environnement (B).
A. Un
positionnement entravant la dynamique de protection de l’environnement
Les
premières années de la Charte de l’environnement, au moment où il fallait
dessiner les contours des droits et devoirs qu’elle consacre, ont un temps
laissé espérer des perspectives en matière environnementale.
On doit
rappeler à ce titre la reconnaissance de la valeur constitutionnelle de
l’ensemble des droits et devoirs consacrés par la Charte de l’environnement dès
la décision OGM du 19 juin 2008 (2).
Dans le contentieux constitutionnel a priori, l’invocabilité du
Préambule de la Charte et des sept articles a été conséquemment reconnue.
Avec une certaine créativité, le Conseil a rapidement dégagé un concept
central dans une décision de 2011 (3). C’est ainsi qu’est née l’obligation de
vigilance environnementale, par combinaison des articles 1er et 2 de la Charte.
Le contentieux a posteriori a, de son côté, appelé un
raisonnement plus complexe (4).
En dépit de l’instrument clé en main que constitue la Charte, pour
laquelle on pourrait toutefois évoquer certaines faiblesses rédactionnelles (5),
les dernières prises de position du Conseil constitutionnel démontrent une
perte de vitesse face à l’importance des enjeux environnementaux contemporains.
Les décisions récentes, tant au niveau de la QPC qu’à celui des
décisions de contrôle a priori, constituent davantage des cas d’espèce
qui ne donnent pas lieu au façonnement d’une jurisprudence de principe.
L’audace d’antan (6) du Conseil
constitutionnel ne s’est pas manifestée dans ses décisions à portée environnementale,
ce alors même que la Charte devrait constituer un instrument efficace de
protection de l’environnement (7).
On citera quelques rares décisions prises dans un sens positif pour
l’environnement, comme la décision du 24 mai 2017 (8), qui a conforté
l’instauration d’un péage destiné à limiter le nombre de véhicules empruntant
le Pont de l’Île d’Oléron à l’encontre non seulement de la liberté d’aller et
venir, mais aussi de l’égalité devant les charges publiques.
Il en va de même pour la décision n° 2016-605 QPC du 17 janvier 2017 (9), où était cette fois-ci en cause la nouvelle obligation de
reprise des déchets issus de matériaux, produits et équipements de construction
par les distributeurs de ces matériaux, dans laquelle le Conseil n’a pas plié
face à l’invocation de la rupture d’égalité et de la liberté d’entreprendre. Le
but d’intérêt général de recherche d’une gestion efficace des déchets poursuivi
par le législateur a été considéré comme suffisant pour déroger à ces libertés.
Ces décisions tranchées dans le sens d’une amélioration de la
protection de l’environnement sont rares, et, dans l’ensemble, les décisions
vont malheureusement dans le sens inverse.
Ainsi de la décision du 10 novembre 2017 (10) qui confirme la réduction
conséquente du champ de la démolition exigible au titre de l’article L. 480-13 du Code de
l’urbanisme, modifié par la loi du 6 août 2015 pour la croissance,
l’activité et l’égalité des chances économiques. Le Conseil a estimé que la
limitation de la démolition des constructions aux zones de protection
environnementales et patrimoniales prévues par le législateur ne constituait
pas une atteinte au principe de réparation de l’article 4 de la Charte. C’était
donc admettre que seules les zones qui bénéficient de ce type de protection méritent
de bénéficier de la possibilité de démolition. Ce raisonnement revient donc à
limiter la protection de l’environnement à ces zones, laissant celles qui ne
sont pas encore classées mais en phase de l’être, sans possibilité de défense.
Les constructions qui nuiront à l’environnement hors des zonages
environnementaux fixés par la règlementation pourront donc devenir
indestructibles lorsqu’elles auront été menées conformément à un permis de
construire, sauf à démontrer la violation d’un droit réel ou l’existence
manifeste de troubles du voisinage.
Va dans le même sens la décision du 15 novembre
2018 (11) relative à la loi portant évolution du
logement, de l’aménagement et du
numérique, dite loi Élan. Les requérants faisaient valoir que les articles 42,
43 et 45 de la loi étendaient les possibilités de construction dans les zones
littorales, méconnaissant ainsi le droit à un environnement sain, le devoir de
préservation et d’amélioration de l’environnement et le principe de précaution.
En effet, l’article 42 de cette loi permet de déroger à une double condition, à la règle de construction en continuité des
agglomérations et villages existants. Les immeubles projetés doivent d’une part
améliorer l’offre de logement et d’hébergement ou permettre l’implantation de
services publics. D’autre part, ces constructions ne peuvent empiéter la bande
littorale des cent mètres et le périmètre de construction doit être délimité
par des secteurs déjà urbanisés devant être fixés par les auteurs du Schéma de
Cohérence Territoriale (SCoT). La protection du littoral est prise en charge
par la Direction Régional de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement
(DREAL) sans que la limite essentielle de construction en continuité de
l’urbanisation puisse lui être opposée.
Ainsi, la loi Élan est venue remettre en question la protection du
littoral telle qu’elle avait été pensée dès 1986, ce qui n’a pas alerté les
juges constitutionnels outre mesure.
Il est pourtant évident que le fait d’autoriser davantage de
constructions sur le littoral contribue nécessairement à ne pas améliorer
l’environnement ni à le préserver, quand bien même le champ des constructions
serait limité. Cette loi se trouve donc placée dans une opposition frontale
avec l’article 2 de la Charte. Si toute personne doit prendre part à
l’amélioration et à la préservation de l’environnement, cet impératif devrait
s’imposer au législateur et à l’organe en charge de faire respecter la
Constitution.
La Décision du 25 octobre 2018 (12) relative à la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le
secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et
accessible à tous est elle aussi symbolique de cette tendance.
Le Conseil constitutionnel a supprimé 23 articles du projet de loi
sans autre justification que celle édictée au premier alinéa de
l’article 45 de la Constitution, à savoir que les amendements
présentés en première lecture ne sont recevables que s’ils présentent un lien
direct ou indirect avec le texte analysé. Cette suppression aurait pourtant
mérité une démonstration de l’absence de lien avec le texte de loi.
Le Conseil constitutionnel a supprimé, pour le même motif,
l’article 37, qui ajoute à la liste des objectifs assignés à la
politique conduite dans le domaine de la qualité et de l’origine des produits
alimentaires la promotion de ceux n’ayant pas contribué à la déforestation.
De même, il a encore écarté l’article 56, qui prévoit le siège de représentants d’associations de protection de
l’environnement au sein des comités nationaux de l’Institut national de
l’origine et de la qualité.
De manière générale, le Conseil supprime un nombre conséquent de
dispositions tendant à insuffler une perspective durable tant dans les
pratiques agricoles que dans les pratiques des consommateurs avec un renforcement
de l’information. Pourtant, il ne pratique aucune démonstration de l’absence de
lien entre les objectifs d’accessibilité et de durabilité d’une alimentation
saine et les articles supprimés.
Le Conseil vient en plus contrecarrer en partie une loi qui avait fait
l’objet d’une importante consultation dans le cadre des États généraux de
l’alimentation (13) pour lesquels on pouvait retrouver comme axe majeur
le fait de « promouvoir les choix de
consommation privilégiant une alimentation saine, sûre et durable ».
Est également décevante, du point de vue de la protection de
l’environnement, la décision sur le Comprehensive Economic and Trade
Agreement (CETA) (14), l’accord commercial bilatéral de libre-échange entre
l’Union européenne et le Canada.
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a été amené à se
prononcer sur la constitutionnalité de cet Accord sur le fondement de
l’article 54 de la Constitution. Lorsqu’un accord international
contrevient à la Constitution, « l’autorisation
de ratifier ou d’approuver l’engagement international ne peut intervenir
qu’après révision de la Constitution ». Le Conseil, saisi dans les mêmes
conditions que pour le contrôle a priori de l’article 61, a pour tâche, semble-t-il,
de statuer sur la constitutionnalité de l’Accord.
Pour le CETA, les députés requérants invoquaient notamment la violation de
l’article 5 de la Charte sur la précaution en ce que le principe
n’était pas invoqué dans l’Accord et ne faisait aucune référence à son
application.
En réponse, le Conseil constitutionnel avance le fait que l’absence de
mention expresse du principe de précaution n’emporte pas sa violation. Il faut
néanmoins considérer que sa présence aurait permis son invocation en tant que
principe reconnu par l’Union européenne à l’article 191 du Traité de fonctionnement de l’UE (15), ce qui
aurait été un gage de sécurité juridique bien plus fort qu’une simple reprise
des expressions auxquelles renvoie le principe sans mention expresse du
fondement invocable. C’est d’ailleurs ce qu’avaient souligné les experts de la
Commission d’évaluation chargés du rapport sur l’impact sanitaire et
environnemental de l’Accord (16).
Cette absence de mention du principe de précaution dans les engagements
relatifs au développement durable suppose en contrepartie que l’instrument
interprétatif commun de l’accord garantisse une protection à un niveau élevé de
l’environnement.
Ces arguments ne tendent pourtant pas à justifier la conformité du CETA
à la Constitution.
Par
ailleurs, on peut se demander, au vu des atteintes anticipées à l’environnement
d’un tel accord, si le Conseil constitutionnel n’aurait pas pu soulever
d’office le caractère inconstitutionnel de cet accord qui ne va pas dans le
sens d’une amélioration de l’environnement. Il est constant que les normes canadiennes
en matière d’environnement soient nettement moins protectrices et les
agriculteurs européens craignent une forte concurrence avec des produits bien
moins respectueux que ceux dont la production est encadrée par les standards
européens (17). En témoigne la récente polémique sur la possibilité d’importer
des bovins depuis le Canada nourris par le biais de farines animales (18).
Le Conseil constitutionnel, comme l’illustre cet ensemble de décisions,
ne se raccroche pas au mouvement protecteur engagé à l’étranger et illustré par
un nombre conséquent de décisions rendues par différentes juridictions.

B. La
jurisprudence constitutionnelle à l’étranger : des enseignements à retenir
La France a fait œuvre tardivement d’une constitutionnalisation de la
protection de l’environnement en comparaison avec les autres États étrangers.
Dès 1974, la Suède s’est emparée du sujet, suivie par le Portugal en
1976, et, deux ans après, par l’Espagne, la France se
contentant de son côté d’une mise en œuvre législative avec la loi de 1976 sur la protection de la nature (19). Les pays d’Amérique du Sud, la
Russie et de nombreux pays d’Europe ont suivi la marche dès les années 1990
(20).
Aujourd’hui, 92 États ont reconnu le droit fondamental à un
environnement sain dans leur Constitution auxquels il faut ajouter
12 États qui l’ont consacré par la voie juridictionnelle (21).
La plupart des Constitutions laissent, comme en France, le soin au
législateur de définir l’encadrement des droits proclamés dans la Constitution,
comme c’est le cas au Canada, ou en Suisse, où la Confédération dispose de
larges pouvoirs pour légiférer sur la protection de l’être humain et de son
environnement naturel (22). La jurisprudence se libère alors le plus souvent de
la lettre du texte pour s’adonner à une interprétation extensive tendant à
retranscrire la portée constitutionnelle des droits consacrés.
Il en va ainsi du droit à un environnement adéquat pour le développement de la
personne de l’article 45 de la
Constitution espagnole dont le tribunal constitutionnel a précisé le caractère
subjectif.
De même au Brésil, l’instance constitutionnelle a redéfini le droit à
l’environnement consacré par la Constitution comme un droit justifiant « l’obligation
imposée à l’État et à la collectivité de le défendre et de le
conserver au profit des générations présentes et futures » (23). Cette dimension interprétative de la
jurisprudence s’observe plus particulièrement dans le contentieux climatique.
Dès 1987, l’Affaire Mc Metha V. Union of India a illustré le caractère volontariste de la Cour suprême indienne. Celle-ci a estimé que l’article 21 de la
Constitution indienne garantissant le droit à la vie devait être interprété
comme incluant le droit de vivre dans un environnement sain, lequel implique un
minimum de perturbation de l’équilibre écologique. La Cour, faisant application
de ce principe, a ordonné que tous les moteurs de bus soient convertis en gaz
naturel comprimé d’ici à mars 2001 afin de lutter contre la pollution
atmosphérique (24).Une décision a été rendue, en date du 8 février
2016, par
la Cour constitutionnelle de Colombie, portant sur la protection des
écosystèmes de montagne mise en balance dans cette décision avec les activités
minières (25). Les fondements choisis par les requérants étaient l’article 79 de la Constitution
colombienne consacrant le droit à un environnement sain, et le droit à l’eau,
reconnu par la jurisprudence. La Cour constate l’utilité des services
environnementaux rendus par ces écosystèmes, et surtout celui de la capture de
carbone par la végétation. Elle déclare donc inconstitutionnelle la dérogation
à l’interdiction des activités minières et d’exploitation des hydrocarbures
pour non-conformité avec les deux fondements ci-dessus invoqués. Surtout, la
mise en balance de la Cour aboutit à la constatation de sacrifices excessifs
pour les biens protégés et à la défaillance du législateur dans son obligation
de protéger l’écosystème de montagne.
En Afrique, la Charte africaine des droits
fondamentaux, adoptée en 1981 à Nairobi, a servi de fondement à la Haute Cour Fédérale du Nigeria
et de support pour la protection de l’environnement. La Cour a en effet estimé
dans l’Affaire Shell V. Nigeria, qui s’est tenue en 2005, que la
pratique du brûlage du gaz, même avec autorisation à travers l’exploitation
pétrolière des deux entreprises mises en cause, a entraîné une violation du
droit à la vie des populations. La Cour reconnaît que le droit à
l’environnement sain est une composante de ce droit à la vie, lui permettant de
se rattacher tant à la Constitution nigériane qu’à la Charte africaine. Ici, le
fait que les entreprises disposaient d’une autorisation est indifférent et le
droit à la vie compris comme le droit à un environnement sain devait primer sur
l’exploitation économique (26).
Aux États-Unis, l’émergence du Public trust,
doctrine destinée à protéger les ressources vitales de l’État, donne une base
légale aux actions en justice formée par des ONG à l’encontre de la
règlementation américaine trop laconique pour être véritablement efficace dans
son rôle de protection des intérêts majeurs en cause.
Cette doctrine trouve sa source dans l’idée que le
concept de propriété privée prime toujours jusqu’à ce qu’il se trouve confronté
à des ressources considérées comme tellement précieuses qu’elles ne peuvent
faire l’objet d’accaparement (27).
Ainsi, dans l’Affaire Juliana V. United States de
2015, l’ONG Our children
Trust a engagé devant la U.S. District Court de l’État de l’Oregon la
responsabilité de l’État américain pour s’être abstenu dans la lutte contre
l’augmentation des concentrations de CO2. L’affaire étant parvenue
jusqu’en appel, le juge a fondé son argumentation sur la théorie des droits
fondamentaux dite « substantive due process ». Surtout, selon le juge, et la formule
est extrêmement importante, la Constitution doit faire l’objet d’une
interprétation évolutive. L’idée sous-jacente est celle d’introduire un droit à
un système climatique
stable, ce qui dévoile une véritable volonté de recentrer les enjeux climatiques et de les placer sous
l’angle
constitutionnel alors même que la
Constitution est muette sur la question (28).
Cette capacité à mettre en balance des intérêts et à
dégager des concepts qui ne sont pas prévus par la lettre du texte, comme le
droit à un système climatique stable ou la prise en compte des services
écosystémiques, est très peu lisible dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel en France.
Ce dernier semble rester hermétique aux nombreuses
évolutions qui se déroulent à l’étranger avec l’éminente Affaire Urgenda
de 2015 (29), confirmée en octobre 2018 en appel, où la responsabilité de l’État néerlandais
a été reconnue pour carence dans la lutte
contre le réchauffement climatique, ou encore l’arrêt rendu par le « Land and Environment Court » de la
Nouvelle-Galles-du-Sud, en Australie, sur le refus d’autoriser une mine de
charbon à ciel ouvert en novembre 2018 (30).
Après l’étude de ces décisions peu
protectrices rendues en matière d’environnement par le Conseil
constitutionnel, il faut rappeler qu’il est entravé par des règles de
fonctionnement qui réduisent sa marge de manœuvre.

II. Des améliorations qui s’imposent
La faiblesse majeure de la jurisprudence du Conseil constitutionnel
apparaît résider dans le système de filtrage des QPC, faiblesse qui appelle un
développement particulier (A). Pour le reste, un nombre conséquent
d’améliorations rappelées à maintes reprises par différents auteurs ont
toujours été laissées de côté par le législateur (B).
A. Un problème
remédiable de fonctionnement
Le problème
abordé ici est celui du défaut souligné par de nombreux auteurs de filtrage des
QPC. Il mérite une attention particulière pour bien comprendre le caractère
illogique du fonctionnement des filtres de QPC.
L’ordonnance
du 7 novembre
1958 portant loi
organique sur le Conseil constitutionnel (31), mode d’emploi de l’institution,
a été modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 (32) relative à l’application de
l’article 61-1 de la
Constitution.
Le système
de contrôle fonctionne a posteriori à travers un double filtre chargé de
trier les QPC selon qu’elles sont prioritaires ou non, avec des critères dont
l’origine comme l’application relève tous deux d’un certain flou. Il faut alors
garder à l’esprit le champ réduit en matière environnementale de l’invocabilité
des dispositions de la Charte pour se faire une idée du traitement limité des
questions constitutionnelles en la matière.
Finalement,
une partie de la critique s’adresse aux juges du filtre, parfois qualifiés de
juges constitutionnels, tant leur rôle est important dans la procédure de
contrôle constitutionnel.
Le critère
du « caractère sérieux et nouveau » de la
question est ici en cause.
Le caractère
sérieux de la question implique un doute réel sur la conformité à la
Constitution. La question est transmise dès lors que le moyen apparaît fondé.
Pour vérifier le caractère sérieux du moyen, les juges du filtre procèdent à un
contrôle de constitutionnalité de la loi et se réfèrent pour ce faire à la
jurisprudence du Conseil constitutionnel.
De son côté,
le caractère nouveau impose que le Conseil constitutionnel ne se soit pas
prononcé sur la question de savoir si la norme en question respecte les droits
et libertés constitutionnellement garantis.
Une partie
de la fragilité du système de double filtre est manifeste dans le cadre du
contentieux des décisions de refus de transmission. Lorsque le Conseil
constitutionnel rend une décision dans le cadre d’une QPC, sa décision a
autorité de la chose jugée. Lorsque le Conseil d’État ou la Cour de cassation
réfute le caractère nouveau ou sérieux d’une demande de QPC, ce ne devrait pas
être considéré comme équivalant à une déclaration de conformité à la
Constitution. Pourtant, les conséquences de droit commun sont les mêmes. Une
grande partie du contrôle constitutionnel repose donc sur les juridictions
ordinaires, ce qui, en prenant en considération les critères de recevabilité,
permet de douter de l’efficacité d’un tel mécanisme.
Il faut
alors distinguer selon que le filtrage des QPC a lieu en première et deuxième
instance ou en cassation. En effet, la QPC ne relève pas d’une prétention
autonome, elle est liée au litige à l’occasion duquel elle est née.
Devant le
premier filtre, les tribunaux de première instance ou cour d’appel, seul le
caractère sérieux est étudié. Cela revêt une logique discutable dès lors que
devant le second filtre, à savoir devant la Cour de cassation ou le Conseil
d’État, la question pourra être renvoyée devant l’instance constitutionnelle si
elle est nouvelle ou sérieuse. Par conséquent, le champ de recevabilité est
plus large devant le second filtre que devant le premier.
Cela limite
considérablement l’accès des requérants à l’analyse du Conseil constitutionnel
et laisse potentiellement de nombreuses questions qui auraient mérité une étude
de conformité constitutionnelle sans réponse a priori.
La
limitation du traitement des questions constitutionnelles relatives à
l’environnement est d’autant plus vraie que, comme le rappellent certains
auteurs, le Conseil d’État n’est pas considéré comme le défenseur idéal de
l’environnement (33).
Ce rôle des
juridictions ordinaires est fondamental, puisque, pour les décisions acceptant
de transmettre une QPC, aucun recours n’est possible. Pour le refus de
transmettre une QPC, celles qui auront été prises par la Cour de cassation ou
le Conseil d’État sont définitives, tandis que pour les questions soumises à
l’examen du premier filtre, celles-ci sont fonction du recours principal. Par
conséquent, elles ne sont attaquables que tant que le recours au principal sera
porté en appel et éventuellement en cassation.
Il apparaît
donc essentiel que le législateur se saisisse de cette question afin de rendre
plus cohérent le système de QPC, en permettant d’évoquer le caractère sérieux
et nouveau dès le premier filtre et en précisant davantage ces critères, de
sorte qu’ils ne puissent pas donner libre cours à une interprétation évasive
par les juridictions de droit commun.
Ces observations appellent un complément d’analyse pour donner des
perspectives d’amélioration à l’office du Conseil constitutionnel et à l’usage
qui est fait de la Charte de l’environnement dans son activité prétorienne.
B. Réflexions
et perspectives d’amélioration de l’office du Conseil constitutionnel
L’entrée en
scène de la QPC aurait dû opérer un « verdissement du droit français » (34).
Si les destinataires de la Charte sont
principalement les générations futures (35), les générations actuelles
souffrent déjà des différentes atteintes qui sont faites à l’environnement et
le verdissement annoncé reste toujours attendu. Sans doute le texte de
la Charte est certainement imparfait et ses différentes formulations, bien
qu’extrêmement travaillées, laissent parfois subsister l’incertitude sur la
volonté explicite des rédacteurs qui, ne l’oublions pas, ne voulaient pas que
les dispositions s’appliquent directement au juge, ce qui ne facilite pas la
motivation par le juge constitutionnel (36).
Dans les décisions précitées, le Conseil se contente souvent de rejeter
les moyens développés par les requérants sans vraiment justifier de la
conformité à la Constitution des dispositions attaquées. Dans la décision du
10 novembre 2017 Association entre Seine et Brotonne (37), la
justification succincte de l’existence d’alternatives indemnitaires à l’action
en démolition légitime sa suppression.
S’agissant de la Décision du 25 octobre 2018 (38) relative à la loi pour l’équilibre des relations
commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine,
23 articles sont supprimés sans autre justification que l’absence de lien,
même indirect, avec le texte déposé à l’Assemblée nationale.
Si les décisions du Conseil comportaient une motivation plus
développée, les décisions comporteraient alors une pédagogie qui est de mise
pour toute juridiction. Il s’agit en effet d’encourager les requérants à mettre
en avant les différentes inconstitutionnalités que présentent les dispositions
législatives et non de prévenir tout engorgement de l’institution.
En matière environnementale, il faut constater que les QPC ne sont pas
marquées d’une profusion démesurée. Les craintes de certains auteurs relatives
à une explosion du nombre de décisions prises du fait de l’entrée de la Charte
de l’environnement au rang des textes constitutionnels sont aujourd’hui
dissipées.
S’agissant de motivation, les juridictions du filtre n’ont pas non plus
l’obligation d’étayer leur argumentation (39), ce qui présente le risque de
laisser proliférer des dispositions inconstitutionnelles sans examen
approfondi. L’absence criante du recours à l’expertise vient également
renforcer le nombre des modifications attendues. En effet, l’environnement et
sa protection appellent nécessairement à des développements scientifiques pour
expliquer les différents phénomènes, à l’image des OGM ou encore de la pollution
par les gaz de schiste. Il apparaît peu raisonnable de se prononcer sur de tels
phénomènes sans aucun appui scientifique.
Par ailleurs, nous ne reviendrons pas sur les difficultés propres à
l’intervention, mais il faut encore souligner que les conditions de
recevabilité appellent une réforme (40).
Un souci tient également à la volonté des requérants. La procédure de
QPC peut être de longue haleine si elle est intentée dès la première instance,
et les coûts pour obtenir sa présentation devant les juges constitutionnels
peuvent s’avérer élevés, puisqu’ils s’accompagnent des coûts engagés pour le
litige au principal.
La Charte de l’environnement a été créée dans le but de faire entrer la
protection de l’environnement au rang des plus hautes normes de notre système
juridique. Or, on voit dans les différentes décisions prises que la Charte est
souvent invoquée à rebours de son rôle initial, comme c’est le cas pour le
principe de précaution (41).
Il faut donc espérer que le Conseil constitutionnel puisse prendre
demain la mesure des enjeux environnementaux et assurer son office en
exploitant la Charte mise à sa disposition dans toutes ses potentialités. Cela
ne dépend pas exclusivement de lui, car il faut bien comprendre que les
nombreux changements qu’il faudrait opérer dépendent également du Parlement
réuni en Congrès.
NOTES :
1) M.-A. Cohendet et M. Fleury, Chronique de droit
constitutionnel sur la Charte de l’environnement, Revue juridique de
l’environnement, 2018/4, Vol. 43.
2) CC, 19 juin 2008,
DC n° 2008-654.
3) CC, 8 avril 2011,
DC n° 2011-116 QPC, Michel Z et autres.
4) Op.cit. M.-A. Cohendet et M. Fleury,
2018/4, Vol. 43.
5) A. Roblot-Troizier, Les clairs-obscurs de
l’invocabilité de la Charte de l’environnement, AJDA, 2015, p. 493.
6) QPC et environnement, Revue Constitutions,
janvier-mars 2018.
7) M.-A. Cohendet et M. Fleury, Chronique de droit
constitutionnel sur la Charte de l’environnement, Revue juridique de
l’environnement, 2018/4, Vol. 43.
8) CC, 24?mai 2017,
DC n° 2017-631 QPC.
9) CC, 17?janvier
2016, DC n° 2016-605 QPC.
10) CC, 10?nov. 2017,
DC n° 2017-672 QPC.
11) CC, 15 nov. 2018,
DC n° 2018-772.
12) CC, 25 oct. 2018,
DC n° 2018-771.
13) Accessible en ligne : www.egalimentation.gouv.fr.
14) CC, 31 juillet
2017, DC n° 2017-749.
15) Version consolidée du Traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne.
16) Rapport au Premier ministre sur l’impact de l’Accord
économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada
(AECG/CETA) sur l’environnement, le climat et la santé, 7 septembre 2017, Accessible en ligne : www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2017/09/rapport_de_la_commission_devaluation_du_ceta_-_08.09.2017.pdf.
17) B. Peignot, C. Hernandez-Zakine, Monsieur
Falque, Le principe de non-régression saisi par le droit de
l’environnement, Droit rural, n° 457, novembre 2017, étude 30.
18) M. Vaudano, CETA et farines animales : comment
le gouvernement s’est trompé, Le Monde, 22 juillet 2019, Accessible
en ligne : www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/07/22/farines-animales-et-ceta-comment-le-gouvernement-a-t-il-pu-se-tromper_5492248_4355770.html.
19) Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à
la protection de la nature, JO du13 juillet 1976.
20) J. Morand-Deviller, L’environnement dans les
Constitutions étrangères, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel,
n° 43, avril 2014.
21) C. Huglo, Le rôle de la société civile dans le
développement du droit et du contentieux environnemental à l’ère de
l’anthropocène, in Un patrimoine vivant, entre nature et culture,
Mélanges en l’honneur de Jérôme Fromageau, éditions Mare & Martin, 2019,
pp. 153-169.
22) J. Morand-Deviller, L’environnement dans les
constitutions étrangères, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel,
n° 43 avril 2014.
23) P.A. Leme Machado, L’environnement et la
Constitution brésilienne ?, Les cahiers du Conseil constitutionnel,
n° 15, 2003.
24) C. Huglo, Le contentieux climatique : une
révolution judiciaire, Ed. Bruylant, 2018, p. 93.
25) L. Gay M. Fatin-Rouge Stefanini, L’utilisation de
la Constitution dans les contentieux climatiques en Europe et en Amérique du
Sud, Revue Energie-environnement-Infrasctructures, Lexis Nexis,
2018.
26) Op. cit., C. Huglo, Le contentieux climatique :
une révolution judiciaire, p. 105.
27) E. Cornu, Thienard, Éléments sur l’apport de la
doctrine américaine du public trust à la représentation de l’environnement
devant le juge, VertigO, [Hors-série 22 | septembre 2015.
28) Op. cit., C. Huglo, Le contentieux
climatique : une révolution judiciaire, pp. 138-139.
29) Affaire Urgenda (cour du district de La Haye), 24 juin 2015, Urgenda v. Government of the Netherlands.
30) New South Wale Land And Environment Court, Medium
Neutral Decision : Gloucester Resources Limited V Minister for Planning, 8 feb. 2018.
31) Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi
organique sur le Conseil constitutionnel, JO du 9 novembre 1958.
32) Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à
l’application de l’article 61-1 de la Constitution, JO n° 0287 du 11 décembre 2009.
33) G. Ullman, Le Conseil d’État fossoyeur des droits
des tiers et de l’environnement, Revue juridique de l’environnement, 2017,
n° 1, p.47. - F. Caballero, Le Conseil d’État, ennemi de
l’environnement ?, Revue juridique de l’environnement, 1984, pp.
3-42.
34) Y. Jegouzo, La Charte de l’environnement dix ans
après, AJDA, 2015, p. 487.
35) Ibid.
36) N. Chahid-Nouraie, La portée de la Charte pour le
juge, AJDA, 2005 p.1175.
37) CC, 10 novembre
2017, DC n° 2017-672 QPC.
38) CC, 25 oct. 2018,
DC n° 2018-771.
39) C. Huglo, La QPC : quelle utilisation en droit
de l’environnement ? (avertissement), Les nouveaux cahiers du Conseil
constitutionnel, 2014/2, N° 43, pp. 57 à 71.
40) Ibid.
41) CC, 31 juillet
2017, DC n° 2017-749.
Christian Huglo,
Avocat à la Cour, Docteur en droit,
Co-directeur du JurisClasseur environnement
Joachim Guillemard,
Master 2 Droit de l’environnement,
Université Panthéon-Sorbonne