Le Syndicat de la
magistrature a annoncé lundi 25 août le décès d’un de ses fondateurs. Magistrat
engagé, Pierre Lyon-Caen est mort à l’âge de 86 ans, le 23 août dernier. Directeur
adjoint du cabinet du garde des Sceaux Robert Badinter, procureur de la
République de Nanterre et avocat général à la chambre sociale de la Cour de
cassation, il a œuvré pour préserver l’indépendance de la magistrature.
Le Syndicat de la
magistrature (SM) a annoncé ce lundi le décès de Pierre Lyon-Caen, survenu le
23 août, à l’âge de 86 ans. Dans son communiqué, l’organisation rend hommage à
l’un de ses pères-fondateurs : « Un homme de dialogue, d’une
grande courtoisie, modéré dans son expression, mais très ferme sur ses
convictions. »
Une famille de juristes
Né le 28 février 1939 à
Paris, Pierre Lyon-Caen est issu d’une éminente famille de juristes : un
père, François, et un frère, Arnaud, tous deux avocats au Conseil d’Etat et à
la Cour de cassation ; un grand-père Léon (1877-1967), magistrat et Premier
président de la Cour de cassation en 1945.
D’origine juive, Pierre
Lyon-Caen est un « enfant caché » par ses grands-parents
pendant l’occupation allemande. Son enfance est tragiquement marquée par la
déportation de plusieurs membres de sa famille. Son père meurt au camp
d’Auschwitz en 1944. « Des années, nous avons attendu et cru à son
retour, dès que quelqu’un sonnait à la porte », confie-t-il dans un
entretien donné à l’Association française pour l’histoire de la justice (AFHJ).
« Mes origines juives
ont marqué mon enfance mais n’ont pas eu d’incidence sur ma vie
professionnelle (Ndlr : contrairement à celle de son grand-père, Léon,
qui sera exclu de la cour de Cassation parce que juif) ; je ne portais pas
mes origines en bandoulière ».
« Le poids du parquet » et la
« solitude du juge »
A l’issue ses études de
droit, Pierre Lyon-Caen est nommé magistrat à l’administration centrale. Lors
de ses stages à l’ENM et pendant ses premières années d’exercice, le magistrat
est frappé par « le poids du parquet » et « la
solitude du juge ». En 1968, il fonde, avec d’autres auditeurs de justice, Dominique Charvet, Louis Joinet et Claude Parodi, le
Syndicat de la magistrature. Il en est le vice-président puis le secrétaire
général jusqu’en 1972.
« Si la magistrature
ne veut pas perdre son âme, si elle veut trouver dans la nation la place qui
lui revient, elle doit disposer d'une structure non institutionnelle pour
exprimer librement son point de vue (…) dans les domaines concernant le
fonctionnement de la justice et les libertés », écrit-il en 1981 dans
la revue Pouvoir.
La
création du syndicat marque le début de son engagement politique. Questionné
sur la « magistrature de gauche » par l’AFHJ, Pierre Lyon-Caen
affirme : « Je suis peut-être traditionaliste sur ce
point, mais je considère que le juge doit être indépendant même vis-à-vis
de lui-même et vis-à-vis de ceux qui l'entourent. »
Lorsqu’il rejoint le cabinet
de Robert Badinter en 1981, Pierre Lyon-Caen maintient « des échanges
nourris, parfois opposés mais toujours construits avec le Syndicat de la
magistrature », témoigne l’organisation.
Human Bomb, une affaire « douloureuse »
dans la carrière du magistrat
Promu président du tribunal
de grande instance de Pontoise en 1985, il est ensuite nommé procureur de la
République près le tribunal de grande instance de Nanterre en 1990, où une
affaire le marque : la prise d'otage de la maternelle de Neuilly.
En mai 1993, un homme portant
une ceinture d’explosifs prend en otage 21 enfants âgés de 3 à 5 ans et
une institutrice. Pierre Lyon-Caen est de ceux qui négocient, en improvisant
pendant de longues heures, avec cet homme, cette « bombe humaine » – Human
Bomb - pour tenter d'obtenir sa reddition et la libération des
enfants. Au cours des négociations, et alors que plusieurs enfants ont été
libérés, le RAID intervient sans prévenir le magistrat pour abattre le preneur
d’otages.
« Ça a été pour moi
une affaire extrêmement douloureuse », confiera-t-il. « Douloureuse,
parce qu'on a peut-être tué quelqu'un qui pouvait s’en sortir vivant. C'était
très risqué, parce qu'il était d'une dangerosité certaine. Le goût amer que
j'ai eu, c'est justement que j'avais contribué à améliorer les choses pendant
un certain temps, et que je n'ai pas pu aller jusqu'au bout de mon rôle. »
Pierre Lyon-Caen termine sa
carrière à la Cour de cassation en tant qu’avocat général. « Son
engagement continue après son départ en retraite puisqu’il a été membre actif
de plusieurs organisations, ayant toutes pour objet la préservation de l’État
de droit et des libertés », salue le Syndicat de la magistrature. Il
est notamment membre de la Commission nationale consultative des droits de
l'homme de 2009 à 2015.
Ses obsèques auront lieu le 5
septembre à 10h30 à la coupole du Père Lachaise.
Delphine
Schiltz