Alors
que le gouvernement de Michel Barnier doit présenter son projet de loi de
finances ce jeudi en conseil des ministres, l’exécutif a révélé certaines
pistes. Opposants et experts y vont aussi de leurs préconisations. Tour
d’horizon de ce qui pourrait attendre la France en 2025.
La France doit trouver 60
milliards d’euros d’économies en 2025, selon le nouveau Premier ministre Michel
Barnier, qui présente son projet de loi de finances (PLF) et son projet de loi
de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) jeudi. En cause : une
dégradation des finances publiques plus forte qu’annoncée, le déficit risquant
de dépasser 6 % du PIB, alors qu’il était annoncé dans la loi de finance pour 2024à
4,4 %.
Si l’inflation moins forte
que prévu a privé l’Etat de certaines recettes espérées, la Commission des
finances du Sénat fustigeait, lors d’une conférence de presse début
septembre, des prévisions irréalistes du précédent gouvernement. Elle pointait
aussi des élections anticipées ayant plongé le secteur économique dans
l’incertitude.
Si le gouvernement ne
présentera pas de projet de loi de finances (PLF) rectificatif pour 2024, il
prévoit toutefois de ramener le déficit public à 5 % en 2025. 40 milliards
d’économies devraient émaner de réductions de dépenses, et 20 milliards de
hausses de recettes. Sans elles, le gouvernement estime le déficit à 7% du PIB
l’an prochain. Un chiffre aussi hors norme que l’ambition de le limiter de deux
points. « Cela va dans la bonne direction, essaie de cibler les plus
aisés et les grandes entreprises, mais est très cosmétique », juge
Simon-Pierre Sengayrac, économiste de la fondation Jean Jaurès.
Diminuer les dépenses de 40 milliards
Les baisses de dépenses seront
réparties entre l’Etat, la Sécurité sociale et les collectivités territoriales.
Michel Barnier affirme cependant qu’il portera « une attention
particulière aux plus fragiles », tandis que le Gouverneur de la
Banque de France, François Villeroy de Galhau, plaide dans les médias pour des
services publics plus efficaces en « dépensant mieux » et
estime que « le projet de budget va dans la bonne direction ».
Il avance un effort de 100 milliards d’euros, pour revenir aux 3% de déficit,
répartis sur cinq ans, soit vingt milliards par an. Ce que le premier président
de la Cour des Comptes Pierre Moscovici, estime «
difficile mais faisable » sans austérité, comme il l’a souligné sur
France 2 mi-septembre.
En ce qui concerne l’Etat, le
gouvernement précédent avait déjà préparé un budget « zéro valeur »,
c’est-à-dire reprenant le montant du budget 2024, 492 milliards d’euros, sans
tenir compte de l’inflation. Cela représente 15 milliards d’euros d’économie.
Le Premier ministre y ajoute cinq milliards supplémentaires, évoquant une « chasse
aux doublons, aux inefficacités, aux fraudes, aux abus du système et aux rentes
injustifiées ». Il prévoit également la fusion de plusieurs entités
publiques : Atout France et Business France, ou encore France Stratégie et le
Haut-Commissariat au Plan.
Michel Barnier a également
confirmé, deux jours après son discours de politique générale, en prime time d’un
numéro spécial de « L’Evènement » présenté par Caroline Roux, qu’il
ne remplacerait probablement pas tous les fonctionnaires partant en retraite, « quand
ils ne sont pas en contact direct avec les citoyens ». Mais le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin,
assure ne pas vouloir de « coupes aveugles » dans les
effectifs et exclut les ministères régaliens de ces baisses.
De son côté, le ministre de
la Justice, Didier Migaud, a indiqué hier devant la commission des Lois de
l’Assemblée nationale que le budget de son ministère serait bel et bien amputé
de 487 millions d’euros.
Est également annoncée une
baisse du « fonds vert », chargée de financer les projets de transition
écologique portés par les collectivités locales, pour 1,5 milliard d’euros. Ce que critique notammentl’ancien
ministre de la Transition écologique, Christophe Bêchu, intervenu ce matin sur
TF1. MaPrimeRénov’ et le dispositif d’aide à l’achat d’un véhicule électrique
pourraient également être amputés d’une part de leurs revenus. Un milliard
d’euros pourraient aussi être enlevés à l’Agence de financement des
infrastructures de transports de France (Afit), selon le média
Contextes.
Pour la fondation Jean
Jaurès, qui a réalisé une note sur
la situation budgétaire du pays, il serait possible de réduire certaines aides
aux entreprises. « On a supprimé des impôts de production, c’est normal
de baisser certaines aides en parallèle », justifie Simon-Pierre
Sengayrac, l’un des auteurs. Le gouvernement envisage de limiter le crédit
impôt-recherche (CIR), qui permet de réduire l’impôt sur les sociétés. Selon la
fondation Jean Jaurès, le recentrer sur les startups et PME ferait économiser
deux milliards d’euros. Et un recentrage des aides à l’apprentissage rapporterait
entre 4,1 et 7,9 milliards. C’est une des pistes de l’exécutif, afin de limiter
les « effets d’aubaine ». Cela pourrait passer par une suppression de
la prime à l’embauche pour les entreprises de plus de 250 salariés avec un
alternant à partir de bac +3, pour une économie de 554 millions d’euros, ou
bien par une diminution pour tous, de 6 000 à 4 500 euros.
L’ancien Premier ministre
devenu chef de file des députés du groupe présidentiel, Gabriel Attal, défend
la reprise de sa réforme de l’assurance chômage, suspendue juste après le
premier tour de l’élection législative, et dont le durcissement se traduirait mathématiquement
par des économies. En conférence de presse, il a globalement fustigé ce
matin «
trop d’impôts et pas assez de réformes » dans le projet de budget
et propose de mieux lutter contre la fraude fiscale et sociale et de revoir le
fonctionnement de la Sécurité sociale.
L’Inspection générale des
affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances publiques (IGF) proposent de leur côtédes économies dans les dispositifs de
soutien à l’emploi et à l’accompagnement des demandeurs d’emploi, notamment
l’IAE, l’insertion par l’activité économique, et les TZCLD, territoires zéro
chômeurs de longue durée. Mais des chercheurs alertent sur l’efficacité de ces
dispositifs, qu’il faudrait donc préserver.
Quant au collectif
d’associations Alerte, il appelle dans un communiqué à ne pas
diminuer les dépenses de lutte contre la pauvreté, chiffrant à 119 milliards d’euros le coût
pour l’Etat lui-même du manque d’action publique contre la précarité.
Couper dans le budget de la Sécu
Au total, le budget de la
Sécurité sociale supporterait un tiers des économies, soit 13 ou 14 milliards
d’euros. Cela passerait notamment par un report de l’indexation des pensions
sur l’inflation au 1er juillet 2025, pour économiser temporairement
quatre milliards d’euros.
Le gouvernement se dit
cependant prêt à envisager d’autres pistes, à condition de trouver un
financement équivalent. L’augmentation de l’Ondam (objectif national des
dépenses d’assurance maladie) devrait de son côté être limitée à 2,8 %, contre
3,2 % en 2024. Le taux de remboursement des consultations médicales pourrait
diminuer. Tout comme l’indemnisation des arrêts de travail, selon Les Echos, avec un plafond ramené à 1,4 Smic,
contre 1,8 actuellement, pour économiser 600 millions d’euros.
Accusées d’être responsables de
16 milliards d’euros du déficit public de 2024, les collectivités territoriales
seront mises à contribution à hauteur de cinq milliards d’euros. Mais les
président et rapporteur général de la Commission des finances du Sénat
expliquaient début septembre n’avoir que cinq milliards d’euros vraiment
chiffrés. « Il faudrait ouvrir le champ des finances locales qui ont
été fortement secouées et n'ont plus de prise sur leur budget, puisque on a
quasiment supprimé tous les impôts locaux en échange de dotations »,
juge de son côté l’économiste de la fondation Jean Jaurès. Alors que les 450
plus grandes collectivités seront mises à contribution, plusieurs
organisations, dont l’AMF, association des maires de France, protestent contre
cette mesure.
A noter qu’un rapport de la Cour des Comptes plaide pour la suppression de 100 000
fonctionnaires territoriaux d’ici 2030 et la mutualisation de certains services,
notant une hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités
territoriales de 5,4 % sur les huit premiers mois de 2024. L’ancien ministre de
l’Intérieur redevenu député Gérald Darmanin y ajoute un second jour de
carence dans la fonction publique.
Or, la fondation Jean Jaurès
veut « montrer qu’une autre voie est possible. Que l'austérité n'est
pas obligatoire mais idéologique et qu’on est en mesure de faire un budget de
manière sérieuse et crédible tout en épargnant la croissance, mère des finances
publiques », argumente Simon-Pierre Sengayrac. Ce dernier assure que
« d'un point de vue économique, baisser la dépense a habituellement un
impact plus fort sur l'activité économique qu’augmenter les impôts. Les
services publics, patrimoine de ceux qui n'en ont pas, bénéficient
essentiellement aux classes populaires et aux territoires ruraux. Si on rabote
encore plus, c’est sur eux que portera l'effort ».
Sur le moyen terme, il
estimerait plus profitable de repenser le système de santé, en l’axant sur la
prévention, en réorganisant l’hôpital et la médecine de ville, en mettant fin à
la tarification à l’acte… Face au risque récessif de ces coupes, le
gouvernement table sur une croissance de 1,1 % en 2025, contre 1,4 % annoncé
jusque-là. Mais certains économistes craignent un impact bien plus fort.
20 milliards de recettes en plus
Donnant suite à l’appel du
gouverneur de la Banque de France à « lever le tabou de l’impôt »,
les 20 milliards de recettes supplémentaires passeront par des hausses d’impôts
extrêmement ciblées et surtout temporaires selon Michel Barnier. « Enfin
! On sort de la folie des sept dernières années où il ne fallait absolument pas
toucher aux impôts de manière démagogique et injustifiée, qui a conduit à la
situation actuelle », tacle Simon-Pierre Sengayrac.
Vital Saint-Marc, associé au département
juridique, fiscal et gestion patrimoniale du cabinet de conseil RSM, reconnaît qu’Emmanuel
Macron a tenu sa promesse de ne pas augmenter les impôts, « mais en fin
de compte, cela ne porte pas ses fruits, parce que cela n'a pas permis de
développer suffisamment l'économie pour compenser les manques ».
Côté particuliers, est
annoncée une contribution exceptionnelle des 65 000 ménages (0,3% du
total) qui gagnent plus de 250 000 euros par an pour une personne seule,
ou 500 000 euros pour un couple sans enfant. Si dans un premier temps, Libération avançait une taxe rectificative de deux
milliards d’euros, Les Echos assurent qu’il s’agira d’un taux plancher de 20 % du
revenu fiscal de référence.
Vital Saint-Marc avance aussi
l’hypothèse d’une « augmentation sur la contribution exceptionnelle des
hauts revenus », visant précisément cette catégorie de ménages ; voire
une « hausse sur la contribution sur les plus-values immobilières ».
Il observe qu’une poignée de ses clients s’est interrogé sur l’intérêt de
quitter la France pour échapper à une hausse d’impôts. Et estime que
l’augmentation des impôts « ne peut être que marginale, si on ne veut
pas que les gros contributeurs partent ».
Au contraire, la fondation
Jean Jaurès plaide pour un rétablissement de l’impôt sur la fortune, qui
pourrait rapporter 4, 5 milliards d’euros en 2025, et une suppression du PFU,
prélèvement forfaitaire unique, sur les revenus du capital, pour des
prélèvements progressifs, ce qui pourrait rapporter 2,5 milliards d’euros. « Le
gros problème des inégalités en France, c’est la concentration des patrimoines,
or il n’y a rien dessus », regrette l’économiste de la fondation,
alors qu’1 % des Français les plus riches détiennent presqu’un quart du
patrimoine français.
La fondation propose
également à la création d’un « impôt sur la fortune héritée »,
qui pourrait rapporter cinq milliards d’euros à la France, et permettrait même
d’exonérer les héritiers en-dessous de 500 000 euros perçus au cours de
leur vie, selon l’économiste. La fondation propose aussi de taxer les
transmissions d’entreprises, favorisées par le pacte Dutreil, en exonérant les entreprises valorisées
en-dessous de 500 millions d’euros et en prenant des garanties pour empêcher la
vente à l’étranger des fleurons français.
Quelques grandes entreprises ciblées
Côté entreprises, une surtaxe
d’impôt sur les sociétés est avancée, passant de 25 % à 30 % pour celles qui
réalisent plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires, et à 35,25 %
au-delà de trois milliards de chiffre d’affaires, potentiellement durant deux
ans. La mesure pourrait rapporter huit milliards d’euros. Vital Saint-Marc
imagine aussi une hausse de la C3S, contribution sociale de solidarité des
sociétés, payée par les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 19
milliards d’euros.
Au Parisien, le
président du Medef, Patrick Martin, se dit prêt à des hausses temporaires sous
conditions. Aucune remontée des impôts de production en vue, ce qui se
comprend, selon Simon-Pierre Sengayrac : « A l’échelle de
l’économie, ce sont de mauvais impôts, donc ce n’est pas forcément une mauvaise
chose de les avoir allégés ». L’ancienne majorité présidentielle
craint « des hausses d’impôts trop massives qui créeraient du chômage
», selon Gabriel Attal, reçu par TF1 le 6 octobre, quand des députés
macronistes pointent un risque pour la compétitivité de ces grosses
entreprises.
Gérald Darmanin et Gabriel
Attal plaident plutôt pour une augmentation du travail, afin d’augmenter les
cotisations sociales. Le premier propose ainsi la fin des 35 heures et la
suppression d’un jour férié. Le second demande une application stricte des 35
heures dans la fonction publique territoriale, même si la Cour des Comptes
conclut que la règle est déjà très majoritairement respectée.
Le gouvernement envisage lui
de limiter les exonérations de cotisation sociale sur les bas salaires. Selon Le Parisien, cela permettrait de récupérer cinq
milliards d’euros par an pendant trois ans. Et aussi d’avoir « davantage
d'incitations à augmenter les salaires » selon Laurent
Saint-Martin. Actuellement, les allègements de cotisations, très forts
sur les bas salaires, baissent brusquement, puis s’arrêtent passé 3,5 Smic, ce
qui n’incite pas les entreprises à augmenter leurs salariés.
Certaines organisations,
comme le SDI, syndicat des indépendants, fustigent des « formes
d’impôts déguisés sur nos entreprises ». Mais pour Simon-Pierre
Sengayrac, « cela va dans le bon sens. Au-delà de 2,5 Smic, les
exonérations ont très peu d’impact sur les emplois ». Il reconnait une
utilité dans l’industrie, plus exposée à la concurrence internationale. « Mais
en France, on se concentre énormément sur la compétitivité coût. Nos
entreprises devraient s'interroger davantage sur leur positionnement de gamme,
sur l'innovation, sur des partenariats stratégiques. Avec un avantage
comparatif, vous n’avez plus besoin de vous poser la question du coût du
travail ».
L’exécutif pourrait aussi
augmenter les prélèvements sociaux spécifiques des jeux d’argent, selon Les Echos: loteries, casinos, paris sportifs, poker
en ligne. Une contribution exceptionnelle des armateurs est également prévue.
Un début de fiscalité verte
Matignon prévoit aussi 1,5
milliards d’euros de recettes par la fiscalité verte, via des amendements lors
de la discussion parlementaire. Le transport aérien devrait être touché, avec le
triplement de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA), tout comme
les voitures les plus polluantes qui pourraient faire l’objet d’un malus sur la
vente de véhicules neufs et d’une baisse des avantages en nature pris en compte
lors de la déclaration d’impôts.
Certains, comme le PDG de TotalEnergie Patrick Pouyanné, s’attendent déjà à la taxation des
rachats d’action. La taxe intérieure de consommation finale sur l’électricité,
la TICFE, devrait également augmenter au-delà des 32,44 euros par mégawattheure,
le niveau de taxation pré crise inflationniste. Cela pourrait faire gagner à
l’Etat cinq milliards d’euros.
« On n'ouvre pas le chantier massif de
la fiscalité écologique, c'est-à-dire comment arrêter de subventionner les
pollutions avec les niches brunes, ce qui pourrait rapporter 19 milliards
d’euros, et comment assoir une fiscalité sur des bases écologiques et non plus
des bases de croissance », regrette Simon-Pierre Sengayrac. Il propose
la création d’une « TPA », taxe sur la pollution ajoutée, construite
sur le même modèle que la TVA, reconnaissant un « chantier énorme ».
Oxfam, de son côté, assure possible de dégager cent
milliards d’euros de recettes supplémentaires, grâce à des mesures de fiscalité
verte plus poussées (50 milliards), la taxation des profits issus de
circonstances externes (guerre, pandémie…), ou encore le retour de l’ISF avec
l’ajout d’une surtaxe carbone sur les actifs les plus polluants des
millionnaires et milliardaires. Une mesure qui pourrait être introduite par amendement par les députés de gauche, également favorables à la taxation des
fortunes héritées et au recentrage du CIR.
D’autres mesures suivront
inévitablement, car l’Etat français doit faire repasser son déficit sous la
barre des 3 % du PIB, pour se mettre en conformité avec les traités européens.
Initialement prévu pour 2027, l’objectif ne devrait finalement être atteint
qu’en 2029.
Ironie de l’histoire : « On
doit trouver 60 milliards d'euros. C'est le montant des
impôts supprimés depuis 2018, relève Simon-Pierre Sengayrac. On
demande à tout le monde de boucher les trous de suppression d'impôts qui ont
essentiellement bénéficié aux entreprises et aux plus aisés ».
Aude David