JUSTICE

Rétention administrative : vers un allongement des placements et un durcissement sécuritaire

Rétention administrative : vers un allongement des placements et un durcissement sécuritaire
Une policière se déplace dans le Centre de Rétention Administratif de Nîmes © Gabriel Bouys/AFP
Publié le 06/08/2025 à 11:03

Une proposition de loi allongeant la durée du placement en rétention à 210 jours pour certains étrangers a été adoptée le 9 juillet dernier. Initialement très limitée dans le temps, la rétention administrative a progressivement durci depuis sa mise en place dans les années 1980, avec des délais allongés et des motifs élargis. De plus en plus, elle se rapproche d’une logique pénale, devenant un outil sécuritaire au cœur duquel se trouve la notion malléable de « menace à l’ordre public ».

Créés en 1984 pour donner un cadre légal aux retenues qui avaient jusqu’alors lieu dans les commissariats et les prisons, les centres de rétention administrative (CRA) ont bien évolué en plus de 40 ans d’existence.

Définitivement adoptée le 9 juillet dernier par la Chambre haute, la loi « visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive » porte la durée maximale du placement en rétention à 210 jours contre 90 auparavant.

Cette durée, qui concernait autrefois uniquement les personnes condamnées pour terrorisme touche donc aujourd’hui également les étrangers condamnés pour certains crimes ou délits graves, ceux faisant l’objet d’une interdiction du territoire, d’une expulsion ou d’une interdiction administrative du territoire ainsi que ceux dont le comportement représente une « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ».

De quoi inquiéter un certain nombre d’observateurs des droits des étrangers. C’est le cas de l'Observatoire de l'enfermement des étrangers (OEE), dont font notamment partie la Cimade, le GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigré·e·s), le Saf (Syndicat des Avocats de France) ou encore le syndicat de la magistrature.

Le collectif a ainsi dénoncé une « surenchère répressive » et un détournement de l’outil administratif « à des fins punitives » aux « effets dévastateurs et inutiles », dans un communiqué du 15 juillet dernier. « Ce texte n’est rien d’autre qu’un signal populiste de plus, à l’attention de celles et ceux qui surfent sur l’amalgame entre personnes étrangères et délinquance » estime l’OEE.

Si la rétention est aujourd’hui utilisée par l’État pour priver de liberté en priorité les étrangers jugés « dangereux », cela n’a pas toujours été le cas.

Durcissement de la législation

Créés sous la présidence de François Mitterrand, les premiers CRA ouvrent en 1984. Ils autorisent l’administration à maintenir, pour une durée limitée et sous le contrôle d’un juge, les étrangers qui n’ont pas de droit au séjour sur le territoire français en vue de leur expulsion pour sept jours maximum.

Depuis, la législation relative aux personnes étrangères et à leur placement en CRA n’a cessé de se durcir. La durée maximale de rétention tout d’abord a été portée à 12 jours en 1998, à 32 en 2003 et à 45 en 2011 avant de doubler pour atteindre 90 en 2018. Au-delà de la durée, ces dernières années le cadre de l’utilisation de la rétention s’est considérablement élargi et une place croissante a été accordée à l’appréciation des préfectures sur les placements.

La loi du 26 janvier 2024, parfois appelée « loi immigration », a grandement assoupli les conditions dans lesquelles les préfectures peuvent maintenir les personnes enfermées, notamment en supprimant certaines protections tenant à l’état de santé et aux liens familiaux contre l’éloignement. Elle a également multiplié les références à la notion de « menace pour l’ordre public » sans définition légale ni jurisprudentielle pour prolonger et placer en rétention.

En octobre 2023, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, annonçait un objectif de 3 000 places en CRA à l’horizon 2027. Le ministère précisait alors que depuis 2017, le nombre de places en rétention avait augmenté, passant « de 1400 à 1869 places ».

« Enfermer plus ne permet pas d'expulser plus »

« On observe que la majorité des expulsions ont lieu lors des premiers jours d'enfermement et qu’il y en a de moins en moins au fur et à mesure de la rétention. C’est l'argument phare qui est avancé pour allonger la durée de rétention alors qu’en fait, enfermer plus ne permet pas d'expulser plus », explique Justine Girard, responsable du pôle rétention à la Cimade.

En 2024, la durée moyenne de rétention était de 32,8 jours contre 23 jours en 2022, constate l’association dans son dernier rapport sur la rétention administrative. Ces dernières années, et notamment via la notion de « menace à l’ordre public », « le mot d'ordre est quand même d'enfermer des personnes qui sont considérées dangereuses, qui ont été condamnées au pénal, quand bien même on ne peut pas ou on ne parvient pas à les expulser », note Justine Girard.

L’alignement croissant du régime de l'enfermement administratif sur le régime carcéral est particulièrement perceptible dans les dernières réformes. « On voit bien qu'en réalité, on est sur une complémentarité de la justice pénale et de la justice administrative, qui a vocation à enfermer en tant que telle », estime Julie Gonidec, avocate spécialisée en droit des étrangers et membre du SAF.

Dans ce contexte, la loi fraichement votée qui vise à allonger la rétention de certains étrangers et notamment ceux dont le comportement représente une « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public », devient quasiment un régime plus dur que le régime pénal selon l’avocate.

« Puisque qu’il s’agit d’une construction administrative de l'enfermement, on doit déterminer non pas un critère de culpabilité, mais un critère d'anticipation d'une potentielle menace. La caractérisation de cette menace est encore plus large que le jugement qu'on peut avoir dans le cadre pénal, où il y a une charge de la preuve extrêmement définie, des peines encadrées... Alors que maintenant, on peut enfermer des gens au nom d'une anticipation supposée d'une menace qui ne sera jamais caractérisée ou qui sera caractérisée en dehors du schéma pénal. »

« Menace à l’ordre public »

Cette notion, devenue « omniprésente dans tout ce qui touche aux droits des étrangers », ne connait pourtant pas de définition. « Les récentes décisions de la Cour de cassation essayent de faire une distinction, entre une menace grave qui serait intrinsèquement caractérisée par le comportement des étrangers d'une part, et une menace qui serait caractérisée par un risque de fuite, lequel serait susceptible de justifier le maintien de la rétention ».

Une distinction qualifiée par l’avocate d’« hyper artificielle ». Julie Gonidec y décèle une très large marge d’appréciation laissée à l’administration, ainsi qu’un abaissement des seuils de gravité requis pour faire jouer ce concept. Celui-ci s’applique ainsi aussi bien à une bagarre devant un lycée, à une conduite sans permis, qu’à une garde à vue classée sans suite.  

 « Le CRA, c'est sale, c'est violent »

Les conditions dans lesquelles évoluent les personnes étrangères placées en rétention sont particulièrement difficiles, ce qui inquiète les associations du secteur.  « Le CRA, c'est sale, c'est violent. Ce n'est pas des vacances, ce n'est pas un hôtel », insiste Michèle Crémoux, secrétaire de l’association Cercle des voisins du CRA de Cornebarrieu.

Les bénévoles de l’association assistent régulièrement aux audiences du juge des libertés et de la détention. « Même si les personnes étrangères prennent acte qu'elles vont passer un certain temps au centre, lorsqu’elles sont encore prolongées, elles ne comprennent pas. Certaines ont des réactions un peu vives quand ils comprennent qu’ils vont retrouver cet univers violent qu'est le CRA avec une répression policière et des bagarres entre eux », raconte Michèle Crémoux. « J'ai discuté avec certains policiers qui ont l'air d'en avoir le bol, qui ont l’impression d’être devenus des gardiens de prison », regrette encore la bénévole.

La situation est d’autant plus préoccupante que les associations pourraient bientôt être exclues des centres de rétention administrative (CRA). En mai dernier, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à écarter les structures associatives, notamment la Cimade, qui assurent actuellement l’assistance juridique des personnes retenues.

Si l’Assemblée nationale venait à adopter ce texte, cette mission serait confiée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), en lieu et place des associations. Le 18 juillet dernier, plus de soixante députés ont saisi le Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur la conformité à la Constitution de la loi prolongeant la durée maximale de rétention.

Avec ces différentes prolongations et des allers retours fréquents entre la prison et le CRA, il n’est pas toujours aisé pour les personnes étrangères de comprendre leur enfermement. « C'est un régime extrêmement compliqué sur le terrain judiciaire, puisque vous avez une distinction entre juge administratif, juge judiciaire, juge pénal. Les gens sont complètement perdus et ça joue un gros rôle psychologique, parce qu'ils ne comprennent absolument pas quels sont les leviers dont ils disposent pour faire valoir leurs droits dans le cadre de ces prolongations à répétition. Ils sont dans une sorte de surprise permanente et d'incompréhension totale du régime de cet enfermement », explique Julie Gonidec.

A cela, s’ajoutent des conditions d’enfermement de plus en plus alignées sur les conditions de détention carcérale.  

Marion Durand

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles