Une proposition de loi
allongeant la durée du placement en rétention à 210 jours pour certains
étrangers a été adoptée le 9 juillet dernier. Initialement très limitée dans le
temps, la rétention administrative a progressivement durci depuis sa mise en
place dans les années 1980, avec des délais allongés et des motifs élargis. De
plus en plus, elle se rapproche d’une logique pénale, devenant un outil sécuritaire
au cœur duquel se trouve la notion malléable de « menace à l’ordre public ».
Créés en 1984 pour donner un
cadre légal aux retenues qui avaient jusqu’alors lieu dans les commissariats et
les prisons, les centres de rétention administrative (CRA) ont bien évolué en
plus de 40 ans d’existence.
Définitivement adoptée le 9
juillet dernier par la Chambre haute, la loi « visant à faciliter le
maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une
particulière gravité et présentant de forts risques de récidive » porte
la durée maximale du placement en rétention à 210 jours contre 90 auparavant.
Cette durée, qui concernait
autrefois uniquement les personnes condamnées pour terrorisme touche donc
aujourd’hui également les étrangers condamnés pour certains crimes ou délits
graves, ceux faisant l’objet d’une interdiction du territoire, d’une expulsion
ou d’une interdiction administrative du territoire ainsi que ceux dont le
comportement représente une « menace d’une particulière gravité pour l’ordre
public ».
De quoi inquiéter un certain nombre
d’observateurs des droits des étrangers. C’est le cas de l'Observatoire de
l'enfermement des étrangers (OEE), dont font notamment partie la Cimade, le
GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigré·e·s), le Saf (Syndicat des
Avocats de France) ou encore le syndicat de la magistrature.
Le collectif a ainsi dénoncé
une « surenchère répressive » et un détournement de l’outil
administratif « à des fins punitives » aux « effets
dévastateurs et inutiles », dans un communiqué du 15 juillet dernier. « Ce
texte n’est rien d’autre qu’un signal populiste de plus, à l’attention de
celles et ceux qui surfent sur l’amalgame entre personnes étrangères et
délinquance » estime l’OEE.
Si la rétention est
aujourd’hui utilisée par l’État pour priver de liberté en priorité les
étrangers jugés « dangereux », cela n’a pas toujours été le cas.
Durcissement de la législation
Créés sous la présidence de
François Mitterrand, les premiers CRA ouvrent en 1984. Ils autorisent
l’administration à maintenir, pour une durée limitée et sous le contrôle d’un
juge, les étrangers qui n’ont pas de droit au séjour sur le territoire français
en vue de leur expulsion pour sept jours maximum.
Depuis, la législation
relative aux personnes étrangères et à leur placement en CRA n’a cessé de se
durcir. La durée maximale de rétention tout d’abord a été portée à 12 jours en
1998, à 32 en 2003 et à 45 en 2011 avant de doubler pour atteindre 90 en 2018. Au-delà
de la durée, ces dernières années le cadre de l’utilisation de la rétention
s’est considérablement élargi et une place croissante a été accordée à
l’appréciation des préfectures sur les placements.
La loi du 26 janvier 2024,
parfois appelée « loi immigration », a grandement assoupli les
conditions dans lesquelles les préfectures peuvent maintenir les personnes
enfermées, notamment en supprimant certaines protections tenant à l’état de
santé et aux liens familiaux contre l’éloignement. Elle a également multiplié
les références à la notion de « menace pour l’ordre public » sans
définition légale ni jurisprudentielle pour prolonger et placer en rétention.
En octobre 2023, Gérald
Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, annonçait un objectif de 3 000 places en
CRA à l’horizon 2027. Le ministère précisait alors que depuis 2017, le nombre
de places en rétention avait augmenté, passant « de 1400 à 1869
places ».
« Enfermer plus ne permet pas
d'expulser plus »
« On observe que la
majorité des expulsions ont lieu lors des premiers jours d'enfermement et qu’il
y en a de moins en moins au fur et à mesure de la rétention. C’est l'argument
phare qui est avancé pour allonger la durée de rétention alors qu’en fait,
enfermer plus ne permet pas d'expulser plus », explique Justine
Girard, responsable du pôle rétention à la Cimade.
En 2024, la durée moyenne de
rétention était de 32,8 jours contre 23 jours en 2022, constate l’association dans
son dernier rapport sur la rétention administrative. Ces dernières années, et
notamment via la notion de « menace à l’ordre public », « le
mot d'ordre est quand même d'enfermer des personnes qui sont considérées
dangereuses, qui ont été condamnées au pénal, quand bien même on ne peut pas ou
on ne parvient pas à les expulser », note Justine Girard.
L’alignement croissant du
régime de l'enfermement administratif sur le régime carcéral est
particulièrement perceptible dans les dernières réformes. « On voit
bien qu'en réalité, on est sur une complémentarité de la justice pénale et de
la justice administrative, qui a vocation à enfermer en tant que telle », estime Julie Gonidec, avocate spécialisée en droit des étrangers et membre du
SAF.
Dans ce contexte, la loi
fraichement votée qui vise à allonger la rétention de certains étrangers et
notamment ceux dont le comportement représente une « menace d’une particulière
gravité pour l’ordre public », devient quasiment un régime plus dur que le
régime pénal selon l’avocate.
« Puisque qu’il s’agit
d’une construction administrative de l'enfermement, on doit déterminer non pas
un critère de culpabilité, mais un critère d'anticipation d'une potentielle
menace. La caractérisation de cette menace est encore plus large que le
jugement qu'on peut avoir dans le cadre pénal, où il y a une charge de la
preuve extrêmement définie, des peines encadrées... Alors que maintenant, on
peut enfermer des gens au nom d'une anticipation supposée d'une menace qui ne
sera jamais caractérisée ou qui sera caractérisée en dehors du schéma pénal. »
« Menace à l’ordre
public »
Cette notion, devenue « omniprésente
dans tout ce qui touche aux droits des étrangers », ne connait
pourtant pas de définition. « Les récentes décisions de la Cour de
cassation essayent de faire une distinction, entre une menace grave qui serait
intrinsèquement caractérisée par le comportement des étrangers d'une part, et
une menace qui serait caractérisée par un risque de fuite, lequel serait
susceptible de justifier le maintien de la rétention ».
Une distinction qualifiée par
l’avocate d’« hyper artificielle ». Julie Gonidec y décèle une très large marge
d’appréciation laissée à l’administration, ainsi qu’un abaissement des seuils
de gravité requis pour faire jouer ce concept. Celui-ci s’applique ainsi aussi
bien à une bagarre devant un lycée, à une conduite sans permis, qu’à une garde
à vue classée sans suite.
« Le CRA, c'est sale, c'est violent »
Les conditions dans
lesquelles évoluent les personnes étrangères placées en rétention sont
particulièrement difficiles, ce qui inquiète les associations du secteur. « Le
CRA, c'est sale, c'est violent. Ce n'est pas des vacances, ce n'est pas un
hôtel », insiste Michèle
Crémoux, secrétaire de l’association Cercle des voisins du CRA de Cornebarrieu.
Les bénévoles de
l’association assistent régulièrement aux audiences du juge des libertés et de
la détention. « Même si les personnes étrangères prennent acte qu'elles
vont passer un certain temps au centre, lorsqu’elles sont encore prolongées, elles
ne comprennent pas. Certaines ont des réactions un peu vives quand ils
comprennent qu’ils vont retrouver cet univers violent qu'est le CRA avec une répression
policière et des bagarres entre eux », raconte Michèle Crémoux. « J'ai discuté avec certains policiers
qui ont l'air d'en avoir le bol, qui ont l’impression d’être devenus des
gardiens de prison », regrette encore
la bénévole.
La situation est d’autant
plus préoccupante que les associations pourraient bientôt être exclues des
centres de rétention administrative (CRA). En mai dernier, le Sénat a adopté
une proposition de loi visant à écarter les structures associatives, notamment
la Cimade, qui assurent actuellement l’assistance juridique des personnes
retenues.
Si l’Assemblée nationale
venait à adopter ce texte, cette mission serait confiée à l’Office français de
l’immigration et de l’intégration (OFII), en lieu et place des associations. Le
18 juillet dernier, plus de soixante députés ont saisi le Conseil
constitutionnel afin qu’il se prononce sur la conformité à la Constitution de
la loi prolongeant la durée maximale de rétention.
Avec ces différentes
prolongations et des allers retours fréquents entre la prison et le CRA, il
n’est pas toujours aisé pour les personnes étrangères de comprendre leur
enfermement. « C'est un régime extrêmement compliqué sur le terrain
judiciaire, puisque vous avez une distinction entre juge administratif, juge
judiciaire, juge pénal. Les gens sont complètement perdus et ça joue un gros
rôle psychologique, parce qu'ils ne comprennent absolument pas quels sont les
leviers dont ils disposent pour faire valoir leurs droits dans le cadre de ces
prolongations à répétition. Ils sont dans une sorte de surprise permanente et
d'incompréhension totale du régime de cet enfermement », explique
Julie Gonidec.
A cela, s’ajoutent des
conditions d’enfermement de plus en plus alignées sur les conditions de
détention carcérale.
Marion
Durand